MXGP & Europe

La French Touch Chez Dunlop

Les pneus, c’est votre truc ? … Moi non plus.

C’est justement pour remédier à ça que je me suis lancé- en Allemagne – dans l’allée des paddocks la moins prisée par les fans du MXGP.

Dans cette allée, pas de motos de champion du monde, pas d’équipes usines, pas de bimbo Monster à la plastique refaite. Pourtant, c’est bien dans cette allée que vous retrouverez les profils les plus atypiques du milieu du MXGP, des gars au passé bien remplis qui feraient passer vos meilleures histoires de jeunesses pour de simples vacances à Quiberon.

« Va voir Dominique, il bosse chez Dunlop ce weekend ». Le rendez-vous est pris, même si l’emploi du temps ric-rac ne laisse pas beaucoup de place à l’improvisation, je tente le coup.

Briser la glace n’est jamais chose facile, et me présenter comme « Kévin de Dailymotocross » me semble encore bien étrange.

Sur place, Lenny, la vingtaine, originaire de Normandie, m’accueille. Lenny, c’est le fils de Dominique, il accompagne son père qui travaille chez Dunlop sur le grand prix Allemand. Tous deux partagent leur passion. Dominique, en montant du pneu; Lenny lui, en arpentant les abords du circuit en se fondant dans la foule de spectateurs pour regarder les manches du mondial, pas donné à tout le monde, pas vrai ?

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Ce qui m’amène chez Dunlop ? Savoir ce qu’il se trame, poser mes questions – pertinentes et moins pertinentes – en apprendre un peu plus sur la pneumatique, apprendre à connaître ces « hommes de l’ombre », qui bossent – eux aussi – pour les plus grosses équipes des paddocks MXGP, et écouter les histoires, les anecdotes …

Dominique

Dominique, c’est plus de 10 ans de service en tant que mécano de GP, une collaboration avec Evgeny Bobryshev, des piges avec les plus grands noms du motocross, comme Eli Tomac à Bercy, en 2014, par exemple. Le parcours de Dominique annonce la couleur, et encore, on vient à peine d’entamer les présentations. « Ah quand même »

Mais du coup, pourquoi avoir changé ?

« J’ai eu l’opportunité qui s’est présentée. Mécano c’était bien, mais j’en avais un peu marre. Un burnout. Du coup, j’ai commencé à bosser chez Dunlop cette année. C’est ni mieux, ni pire, c’est différent et le boulot est tout aussi intéressant »

Cette différence s’exprime surtout par un environnement moins contraignant pour Dominique.

« Je vois un peu plus de monde. Quand tu es mécano pour un pilote, tu restes beaucoup avec les personnes de ton équipe et tu te focalises sur ton pilote, tout le monde regarde ce que tu fais, tout le temps. Ils veulent la perfection. Ici, j’ai moins de pression. En tout, on doit avoir 17 pilotes officiels, on les voit de temps à autre, c’est un rapport différent. Les mecs savent que tu es là pour bosser pour eux, donc ils sont cool »

« C’est plutôt tranquille comme boulot », ajoute Dominique en jetant un coup d’œil amusé à son boss, scotché à son ordinateur.

Le boss ? Eddy Seel.

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Eddy Seel, champion du monde Supermotard S1 en 2003, champion d’Europe, d’Allemagne, puis d’Italie en 2002, champion d’Europe et d’Italie en 2001….

Bon, moi, en 2003, j’avais 10 ans, et je comptais les tours que Jordi Tixier me mettait sur les courses de ligue, sacré contraste.

« Il a aussi fait un podium de GP en Motocross », comme si le palmarès d’Eddy ne suffisait pas.

Lenny, Dominique et Eddy.

Et vous êtes rentré comment dans le milieu du pneu ?

« On est là, car on était là… Ce n’est pas vraiment du piston, c’est plus qu’on était dans le milieu depuis pas mal de temps, du coup les gens savaient comment on bossait, et nous voilà…»

Le tableau est peint, Eddy et Dominique, ce sont eux qui s’occuperont de monter et démonter les pneus des pilotes équipés Dunlop pendant le weekend.

Et on parle de combien de pneus ?

« Ça dépend du type de surface, si c’est du sable, on va beaucoup moins en changer, si c’est du dur comme en Russie, là, on peut aller jusqu’à 6 pneus arrière et 3 pneus avant par pilote et par jour. Ça fait un bon paquet de pneus et ça nécessite d’avoir de la place pour le stockage. »

«  Lors de chaque manche, les pilotes partent avec un jeu de pneus neuf pour avoir du grip dès le départ. En moyenne, sur une course comme celle-ci, on va changer entre 150 et 200 pneus.»

Et on monte quel type de pneus sur un terrain comme celui de Teutschenthal ?

« Une gomme soft medium (MX33) ou medium hard (MX52) ça dépend de comment va évoluer la piste. Chez nous, on propose 2 pneus arrière pour la terre et un pneu arrière pour le sable ; L’avantage de notre pneu avant, le MX33, c’est qu’il est hyper polyvalent et aussi performant sur le dur que dans le mou »

Dans le camion, des pneus s’entassent de partout – forcément… Pour moi, ça reste un pneu, mon truc, c’est de parler d’actualité, de résultats, des pilotes, des rumeurs, des transferts, de faire des traductions, des vidéos, oubliez-moi pour l’aspect pneumatique.

«On a des pneus de développement pour les pilotes des teams usines. Cet hiver, les Japonais ont beaucoup bossé pour sortir un nouveau pneu sable et ont fait quelques profils différents, ceux-là, on ne les vend pas, c’est réservé aux équipes avec qui on les développe. Un prototype en quelque sorte.»

« Ça peut arriver qu’un pilote d’une équipe usine passe sur un pneu plus traditionnel, le pneu commercial, mais c’est très rare. Nous, on leur fait tout essayer, ils ont le choix, mais en général, ils ont tous un meilleur ressenti sur le pneu de développement. «

«À force, on finit par savoir les préférences de chaque pilote. Une fois les stocks écoulés, les pneus prototypes validés et développés avec les pilotes deviendront les prochains pneus commerciaux, je ne peux pas te dire quand, je ne sais pas.»

L’heure de pointe au camion Dunlop.

Cette année, quels pilotes roulent sur du Dunlop ?

« On bosse principalement avec 5 équipes du paddock, Ice One Husqvarna, Wilvo Yamaha, Standing Construct KTM, Kemea Yamaha et Kawasaki KRT, puis quelques plus petites structures en MX2 et MXGP. Le plus gros du développement, c’est pour ces teams-là.»

« Les pilotes qui ont des pneus Dunlop dans leur véhicule peuvent nous les amener et on les montes sur leurs roues. Dunlop fournit la pose, ça fait partie du contrat entre Dunlop et ses clients. »

Viens forcément la question qui fâche… Quand un pilote usine ramène son pneu après une manche, niveau usure, on doit être loin du pilote de ligue. Du coup le pneu, il devient quoi ?

« Vu que c’est un pneu de développement, on est obligé de le détruire, on ne peut pas le refourguer à un autre pilote. Une fois que les pilotes ont roulé en course ou aux essais, on peut leur redonner des pneus s’ils ne sont pas trop usés, pour qu’ils les utilisent à l’entraînement par exemple pendant la semaine mais sinon, on doit les détruire. Après un weekend comme celui-ci, on rentre chargé au dépôt, on peut ramener 150 à 200 pneus qu’on doit détruire. C’est comme ça »

150 à 200 pneus changés sur un GP

Et un pneu ici, ça se change en combien de temps ?

« Compte 5 minutes pour un pneu arrière et 3 minutes pour un pneu avant, on a le matos qui va bien aussi »

À raison d’une moyenne de 150 pneus sur un GP…

« Moi, c’est 5 minutes juste pour enlever le pneu de la jante » rétorque Lenny, amusé. Tient Lenny, montre-moi comment ça marche, la machine là.

Alors que Lenny me mime une démonstration (5 minutes montre en main !), je remarque que chez Maxxis et Pirelli, c’est la machine pneumatique qui fait tout le boulot, chez Dunlop, on reste plus traditionnel et la machine n’est qu’un outil pour compléter le travail fait main.

Eddy prend la parole «Le motocross, ce n’est pas comme le MotoGP sur l’asphalte. En Motocross, le pilote peut faire la différence. Il rentre dans les ornières, il évite les trous, peu importe le pneu. En MotoGp, ils en sont arrivé à utiliser des pneus mono-marque pour mettre tout le monde à égalité»

« Nous chez Dunlop, l’activité Motorsport s’est arrêtée pendant 6 ans avant de finalement y revenir en 2011. On a bossé comme des dingues pour se mettre à la page et aujourd’hui le pneu Dunlop n’a rien à envier à la concurrence. Au contraire »

On discute, on discute, mais du coup, c’est toujours calme comme ça ?

« Non, la grosse journée, c’est le vendredi pour nous » reprend Dominique « Là, on va se remettre au boulot vers la fin des essais, quand les mécanos et les pilotes vont amener les roues. Nous, on bosse le plus le vendredi ! Les pilotes ont roulé dans le sable la semaine dernière et roulent sur le dur aujourd’hui du coup ça nous fait beaucoup de boulot car il faut changer les pneus sable pour passer sur des pneus durs – et les pilotes ont 2 motos, des paires de roues en rab, donc ça peut vite monter. Si on ne change pas de type de surface d’une semaine sur l’autre, alors ça va, la charge de travail est moindre. Mais quand ils changent de surface d’une semaine sur l’autre, alors on a beaucoup de boulot. »

Dans l’énorme camion Dunlop, tout est optimisé pour le stockage et le rendement lors des heures de pointe. C’est le père de Lenny qui conduit le mastodonte sur les épreuves.

« En Russie, en Indonésie ou en Argentine par exemple, on se déplace en avion. On envoie nos pneus dans des caisses, on essaye de quantifier ce qu’il va nous falloir pour une, parfois deux courses. On envoie plusieurs caisses, les machines, un compresseur, et on fait le boulot. Selon l’endroit où l’on va, on se retrouve avec une plus petite ou une plus grosse structure, c’est Youthstream qui gère ça. Ils s’arrangent pour qu’on ait une structure sur le circuit ou ils montent une énorme tente et tout le monde travaille ensemble. Dans ce cas de figure, c’est vraiment convivial, on est tous sous le même toit. Pour l’Indonésie, on enverra tout par avion. On va rentrer et le lundi après le GP d’Allemagne, on va préparer les caisses de pneus, tout envoyer le mercredi, et retrouver le matos sur place. »

Lenny

Justement, l’Indonésie, avec les deux courses successives, ça sent les vacances entre deux  non ?

« Un peu de vacances oui puisqu’on envoie le matériel nécessaire pour les deux grands prix, on va profiter du pays pendant 2 jours entre deux puis après on recommence. »

Il est l’heure pour moi de retourner sur le circuit pour assister aux manches qualificatives et prendre mes clichés. Je prévois de repasser le lendemain matin, après les premiers warm-up, pour assister au rush chez Dunlop.

Pauls Jonass – Pilote Ice One Husqvarna – roule Dunlop

Chose promise chose due. Le lendemain matin, une fois sur place, l’ambiance est bien différente de la veille. Dans le camion Dunlop, c’est l’effervescence. Les hommes présents s’affairent à changer les pneus des différents pilotes, les gestes sont précis, le savoir-faire est là. Moi, je peine à faire la différence entre le neuf et le « vieux », on est loin de l’usure de pneu de Mr. Tout le monde.

Je repère un pneu qui m’a l’air plus qu’en bon état, ça se change vraiment ça ?

« On va juste le retourner celui-là, c’est pour un pilote du championnat d’Europe » m’assure Dominique. Ouf.

La touche finale.

J’observe un instant le travail effectué et prends mes clichés, mais pour moi, il est déjà l’heure de repartir. Je laisse Eddy et Dominique à leur tâche, je repasserai les voir en fin de journée, quand tout sera redevenu plus calme.

Après la dernière manche MXGP, inutile de préciser que le paddock se vide rapidement. Chez Dunlop, on remballe le matériel et on se prépare à prendre la route pour le dépôt, en Belgique.

L’énorme motor-home de Tim Gajser est garé juste à côté de l’imposant camion Dunlop et justement, Tim – toujours disponible – est avec un de ses fans.

Dominique en profite pour l’interpeller et le taquiner « Hey, Tim, la prochaine fois que tu gagnes, tu roules sur du Dunlop s’il te plaît ! »

Tim acquiesce en rigolant.

Il est l’heure pour moi de rentrer à l’hôtel pour attaquer une longue soirée de rédaction qui ne se finira que très tard dans la nuit.

À l’heure où vous lirez ces lignes, l’effectif de Dunlop profite d’un moment de repos après deux épreuves Indonésiennes.

Moi, je vous dis à bientôt, en République Tchèque.


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