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Austin Forkner « Le plus difficile, c’est surtout que je n’ai rien pu faire pendant des mois »


Austin Forkner a effectué du changement à l’intersaison, et pas qu’un peu. Nouvelle équipe, nouvelle moto, nouvel entraîneur, nouveau lieu de vie, le garçon a chamboulé tout son programme après une ultime saison 2024 sous la coupe de Mitch Payton. Victime d’un volume monstre à Dallas alors qu’il était leader du championnat sur la côte Est, la nouvelle recrue du team Triumph a passé de longs mois en convalescence en 2024, et notamment suite à une opération du cerveau. À l’approche de la saison 2025, le garçon se veut confiant; Micro à l’occasion d’une journée de presse à l’Angel Stadium.

Austin, pour commencer, comment s’est passée ta transition avec Triumph ? C’était difficile de changer d’équipe ?

Je ne sais pas si difficile est le bon terme. Je dirais qu’il y avait un peu d’anxiété, de l’incertitude, probablement. Je n’avais jamais roulé pour un autre team; j’ai roulé pour Kawasaki dès mes 11 ou 12 ans, alors que j’étais encore chez les amateurs. Donc il y avait de l’incertitude, je me demandais si j’avais vraiment envie de partir dans une nouvelle direction.

Après avoir rencontré l’équipe, les membres et tout ça, je peux dire que de ce côté-là, j’ai été rassuré. Ça n’a pas répondu à toutes les questions, ça ne m’a pas apporté toutes les réponses, mais j’ai pu voir que tout le monde était vraiment investi dans l’équipe, que le team était assez bon et qu’ils prenaient vraiment ça avec cœur. Je sais que si quelque chose ne me convient pas, au niveau de la moto ou quoi que ce soit, ils feront le nécessaire. Ensemble, on ira au bout des choses. Je suis reconnaissant, et je vois bien chaque jour qui passe avec mon mécanicien ou les gars du team que tout le monde est vraiment investi, que c’est important pour eux. C’est bon de voir que j’y mets mon cœur, mon corps, que je me saigne pour ce sport et qu’en face, ils font la même chose. Je donne de moi-même, et ils font de même. Je vois qu’ils travaillent dur, et dans un sens, ça m’a rassuré.

Au niveau de la moto, quelle est la plus grosse différence, son plus gros point fort, ou point faible ?

Je dirai qu’elle est très performante au départ, elle sort bien de la grille; c’est un peu différent de la Kawasaki. J’ai toujours trouvé que l’embrayage hydraulique de la Kawasaki était un peu moyen, alors que celui sur la Triumph est vraiment bon, donc on sort fort de la grille de départ. La Triumph vire bien aussi, donc c’est une bonne chose en SX avec tous ces virages serrés.

Il nous reste encore un peu plus d’un mois avant l’ouverture de la saison de Supercross sur la côte Ouest, donc on est encore en train de faire des changements et de développer la moto, mais je suis déjà bien plus à l’aise que ce que j’aurais imaginé à ce stade de l’intersaison. La vitesse et la condition physique reviennent, mais je m’y attendais. J’ai dû revenir de blessure assez souvent pour savoir à quoi m’attendre, désormais. Tout est en train de s’emboîter comme il faut, que ce soit de mon côté, le physique, la moto, le moteur, les suspensions, tout ça. On est sur la bonne voie. C’est une nouvelle expérience pour moi, tout est nouveau. Un changement de marque, de team, un déménagement, tout ce qui va avec.

Tu as subi une incroyable opération du cerveau à l’intersaison, ça va de ce côté-là, tu ne rencontres pas d’effets secondaires ?

Non, pas d’effets secondaires. C’était vraiment une opération impressionnante, probablement la plus impressionnante de ma carrière, mais je suis sorti de l’hôpital au bout de deux jours. Le plus difficile, c’est surtout que je n’ai rien pu faire pendant des mois, parce que les médecins ne voulaient pas que mon rythme cardiaque augmente de trop, et n’envoie trop de sang au cerveau. Je prenais des traitements lourds contre les crises d’épilepsie car c’était un risque après cette opération. Les traitements me fatiguaient beaucoup, j’étais dans les vapes et je ne pouvais pas faire grand-chose. Deux ou trois semaines après l’opération, j’ai commencé à me sentir mieux. Je sentais que je pouvais commencer à m’activer, mais je devais attendre. C’était la grosse différence avec les autres blessures.

Avant, quand je me faisais une épaule ou un bras, j’allais à la salle pour faire les jambes, du vélo d’appartement. Si je me flinguais un genou, pareil, j’allais soulever des poids, je trouvais une solution. Là, pendant plusieurs mois, peut-être 3/4 mois, il ne fallait rien faire. Entre ma chute de Dallas et mon retour sur la moto, il s’est passé 8 mois; c’est la plus longue période sans rouler de toute ma carrière. En plus de ça, il y avait le changement d’équipe, toutes les nouveautés, et c’était dans un coin de ma tête. Je me demandais comment allait se passer mon retour après autant de temps sans faire de moto. Je ne savais pas combien de temps ça allait me prendre pour retrouver mon niveau. D’habitude, il ne me fallait jamais beaucoup de temps pour retrouver ma vitesse même si la condition physique n’était pas au top. Là, je me demandais combien de temps ça allait me prendre, si mon opération du cerveau allait m’impacter, comment j’allais réagir à la reprise. Finalement, tout se déroule bien, donc c’est une bonne chose.

Quand tu as parlé avec Mitch de ta signature chez Triumph, ça s’est passé comment ?

Mitch savait. Il avait un peu les mains liées de toute façon. On a toujours été en très bons termes ensemble. Il voulait me garder pour l’an prochain, mais la décision venait de plus haut. On a bien discuté. Je suis allé dîner chez lui, il m’a soutenu comme il l’a toujours fait. Il m’a dit qu’il pensait que j’allais gagner l’an prochain, que j’allais battre ses pilotes et qu’il ne serait même pas dégoûté parce qu’il m’appréciait et qu’on était toujours restés en bons termes. Je ne savais pas trop comment cette conversation allait se dérouler, mais elle s’est très bien déroulée. J’étais un peu triste en finalité, mais dans le même temps, j’étais content qu’on finisse en bons termes. J’ai roulé au sein de son équipe pendant 7 ou 8 ans. J’ai fait de belles courses, j’ai fait de mauvaises courses, j’ai aussi loupé beaucoup de courses, mais c’était bon de pouvoir finir cette collaboration en bonne et due forme. Il croit toujours en moi alors que je ne roule plus pour son équipe; donc c’est top.

Après ta chute de Dallas, tu as été vraiment transparent. Tu questionnais ta foi, tu te demandais si tu avais encore envie de rouler après toutes ces blessures. Qu’est-ce qui t’a aidé à prendre ta décision, finalement ?

Je ne sais pas si on peut vraiment dire qu’il y a eu un moment, un déclic. Je cherchais des réponses, tu cherches toujours des réponses quand tu te retrouves dans une mauvaise passe; tu te demandes pourquoi toi, qu’est-ce que tu as fait de mal, pourquoi on te punit de cette façon là, etc. Pour moi, la question était surtout de savoir pourquoi je me blessais à chaque fois. J’ai eu la réponse assez rapidement finalement. Après ma chute de Dallas, vu que je suis resté inconscient pendant 5 minutes, j’ai fait beaucoup de scanners et c’est là qu’ils ont trouvé ma malformation artérioveineuse; ça aurait pu me tuer. Peut-être que ça aurait fini par arriver, peut-être pas, mais c’était l’un des risques que je courais. Quoi qu’il en soit, si ça avait pété, j’aurais fait une hémorragie. J’aurais probablement perdu la vue d’un œil car c’était situé derrière l’œil droit. Dans le pire des cas, ça m’aurait tué, dans le meilleur des cas, ça aurait été une hémorragie. Ce n’était pas idéal, mais le problème a été réglé.

En fait, je n’ai pas vraiment eu à prendre de décision parce que j’ai eu les réponses de cette façon-là; et j’ai compris pourquoi tout cela était arrivé. Si je n’avais pas chuté à Dallas, que je n’avais pas passé ces examens, je n’aurais peut-être pas été là pour voir mon enfant grandir. Suite à cette chute, ils ont vu qu’il y avait un problème au niveau du cerveau et ils m’ont dit que c’était proche du point de rupture, que ça pouvait créer une crise d’épilepsie, de l’anévrisme, une attaque, la mort. Finalement, je suis encore là aujourd’hui et en bonne santé; en partie grâce à cette chute. Donc je me sens reconnaissant de pouvoir continuer à rouler, et d’être toujours là.

Dans un autre registre, sur quoi travailles-tu pour 2025 ? Sur quels aspects mets-tu l’accent à l’entraînement compte tenu que tu t’adaptes à une nouvelle moto ? Qu’est-ce qui t’aide à t’améliorer et à progresser ?

Je sens que j’ai beaucoup appris avec Ryan Hughes l’an dernier. Je ne travaille plus avec lui désormais, mais avec Mike Brown. J’ai compris qu’il fallait revoir certaines choses au niveau de ma technique. J’ai discuté avec Mike Brown avant de bosser avec lui. Je ne connaissais pas vraiment son approche du coaching et de l’entraînement, mais je lui ai parlé de ce qui avait marché avec Robbie [Reynard], avec Ryan par le passé. Je voulais qu’il puisse implémenter ça dans mon entraînement. Lui, il me voit rouler de l’extérieur et il voit bien les choses, c’est d’ailleurs ce qui fait que ces mecs-là sont de bons coachs.

L’idée est donc de continuer à travailler sur la technique, et je continue de bosser avec Charles Dao sur la partie physique. Même à la salle de sport, on se concentre énormément sur la technique quand on fait de la musculation. Même quand je dois ramasser mon téléphone par terre, j’essaie de le faire correctement. Ça va sembler stupide, mais se forcer à garder le dos droit et à faire pivoter les hanches pour ramasser son téléphone, c’est bon pour s’entraîner à ce que ces mouvements deviennent normaux, et que le fait de courber le dos devienne un mouvement anormal. Une fois sur la moto, la mémoire musculaire rentre en compte et ça aide. Plus tu peux t’entraîner à te battre contre de mauvaises habitudes, mieux c’est, et pour moi, ces mauvaises habitudes, on les retrouve au niveau de la technique.

Voilà pourquoi Mike a trouvé qu’il était judicieux que je continue l’entraînement physique avec Charles, car son programme marchait bien. Je m’entraîne avec Mike sur la moto, et ça se passe bien. Les terrains et la propriété en Géorgie sont incroyables; j’en suis vraiment content. Moi, je me dois d’être strict sur ma technique. Mike est en train d’apprendre comment me corriger, et la transition de ce côté-là se passe bien également. On se concentre sur ma technique, on s’assure que ma vitesse revient petit à petit. On essaie de s’améliorer chaque jour.

Tu fais ce sport pour toi, pour ta famille. Pendant tes 8 mois de convalescence, ça a dû te faire du bien de voir qu’il y avait du monde qui te soutenait, non ? Même loin des pistes, on sentait qu’il y avait vraiment du monde qui ne souhaitait que le meilleur pour toi.

C’était incroyable. Tu sais, je vois les commentaires sur les réseaux sociaux; les gentils comme les moins gentils. Dans ma situation, les commentaires gentils ont pris le dessus sur le reste. C’était vraiment bon d’être soutenu. J’ai l’impression que les gens ont un peu appris à mieux me connaître, peut-être grâce à nos vidéos sur Youtube. Je ne suis pas très actif sur Instagram, je ne montre pas souvent ma vraie facette. Les gens me voient rouler à la TV, puis ils voient une interview de 30 secondes après une manche où je parle de la course. Ils ne voient pas vraiment d’autres facettes de moi, facettes que je peux montrer lors de podcasts ou lors de vidéos.

J’ai beaucoup parlé de mes blessures, j’ai été vrai avec les gens. J’ai posté des vidéos après mes blessures, j’ai expliqué ce qu’il s’était passé. Malheureusement, j’ai le sentiment que beaucoup de personnes se contentent de ces interviews de 30 secondes à la TV pour se faire une idée de qui tu es. Une fois que tu leur permets d’en savoir un peu plus sur toi, sur ton histoire, tes succès, tes galères, tes blessures, j’ai comme l’impression qu’elles te soutiennent un peu plus. J’ai connu mon lot de galères, et peut-être que les gens arrivent un peu plus à s’identifier à moi désormais.

Tout le monde connaît des galères à un moment ou un autre; j’en ai simplement parlé ouvertement. Peut-être que ça a aidé certaines personnes, peut-être que non, mais je pense que ça a résonné dans l’esprit des gens. Quand j’ai posté le fameux clip sur Instagram après ma chute, les gens ont pu voir que j’étais un être humain, moi aussi, même si on me considère comme un athlète de haut niveau. J’ai aussi des problèmes, comme tout le monde. Les gens ne sont pas seuls face à leurs problèmes, et je sais que je ne suis pas seul face aux miens.

Austin Forkner « Le plus difficile, c’est surtout que je n’ai rien pu faire pendant des mois »
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