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Malcolm Stewart « Cette victoire, je veux la dédier à mon frère James »

Images: Feld

Du haut de ses 32 ans et au terme de sa 109ème épreuve, Malcolm Stewart a décroché une victoire en catégorie reine en s’imposant à Tampa ce samedi. Avec cette victoire – 11 ans après le dernier succès de son aîné James – les Stewart inscrivent un peu plus leur nom dans l’histoire du Supercross; ils deviennent en effet les premiers frères à avoir remporté – au moins – une épreuve chacun en catégorie reine. De l’ombre à la lumière, Malcolm exulte. Micro.

Malcolm. Tu gagnes à Tampa ce soir. Tu t’es blessé en 2023, tu t’es reconstruit en 2024. Tu t’étais dit que tu allais finir par en gagner une ?

Franchement, c’est un gros ascenseur émotionnel. Quand je me suis blessé au genou en 2023, je me suis dit que ça allait être très difficile de me reconstruire par la suite. L’année dernière, j’ai été vraiment déçu de moi-même. Les gens ne comprennent pas, mais quand tu contractes une blessure comme celle-là, tu ne fais que penser au niveau que tu dois retrouver, et tu n’y arrives pas forcément. Pendant une période, j’ai été vraiment en colère contre moi-même, contre l’équipe, contre tout le monde. Je me battais contre tout, et ça a eu un effet boule de neige. De là, mon père m’a recadré. Il m’a dit : « Écoute, soit tu arrêtes de rouler, soit tu te donnes, et tu t’amuses. N’oublie pas pourquoi tu fais ce sport. Ce n’est pas pour encaisser un chèque, c’est parce que c’est ce qui te rends heureux, non ? ». Rouler, c’est ce que j’ai fait toute ma vie, et je vis pour ce genre de moment.

Et nous voilà en 2025. J’ai fait une belle intersaison. Je me suis dit que c’était le moment. Que si je devais en gagner une, ce serait cette année. Je suis vraiment reconnaissant d’avoir eu cette opportunité de gagner, en plus à domicile ! Quand Chase est tombé, je n’entendais plus ma moto, les fans étaient vraiment déchaînés. Avoir cette opportunité d’en gagner une, c’est incroyable. Cette victoire, je veux la dédier à mon frère James. Il n’a cessé de me pousser, encore et encore, et je sais qu’il est probablement aussi fier de moi que je le suis de moi-même. Je t’aime, frangin.

Il y a quelques temps, vous avez été victimes d’un ouragan en Floride. Peux-tu expliquer ce que cette victoire à Tampa représente pour toi ?

Après la finale du SMX de Vegas, je prévoyais de prendre un peu de temps pour moi, pour me reposer, pour aller pêcher. Puis un ouragan est arrivé et je me suis retrouvé avec un mètre cinquante d’eau chez moi. Ma maison était détruite, tout le monde était sous l’eau. À ce moment-là, avec Roger Larsen, on a dû aider beaucoup de gens, sortir des personnes de leurs maisons, faire tout ce qu’il fallait pour aider nos semblables.

Je suis resté occupé, et je pense que c’est pour ça que j’ai perdu du poids, parce qu’il n’y avait plus rien à manger [rires]. Ça a vraiment été difficile sur le plan émotionnel. Laisser tout ça derrière moi et me concentrer sur la saison qui approchait, ça a été difficile, surtout en sachant que j’avais des amis et de la famille qui avaient tout perdu. Ils n’avaient plus rien, c’était un moment vraiment difficile. Mais paradoxalement, ça m’a aussi motivé. Moi aussi, j’ai perdu des centaines de milliers de dollars dans cette histoire. Heureusement, j’ai refait une partie de cet argent ce soir [rires]. C’est aussi pour ça que j’avais ce sticker « Florida Strong » sur mon casque. Je veux que les gens sachent que je le suis là, que je partage leur douleur. On est une grande famille.

On te sait rapide, mais on ne t’a encore jamais vu sur la plus haute marche du podium. Lors de cette finale, on t’a vraiment vu hausser le ton. Tu n’étais plus sur la défensive, mais à l’attaque.

Pour moi, c’est à mettre au crédit de Nate Ramsey. Il m’a toujours dit que si j’arrivais à être présent dans le bon groupe à la mi-course, j’en étais capable. Quand tu roules, tu vois le mec devant toi, tu repères ses petites erreurs et tu t’en nourris. J’ai vu que Chase était indécis dans les whoops : il allait à droite, au milieu, à gauche. Je me suis dit : « C’est le moment. Si je passe ces whoops plus vite que lui et que je lui mets la pression, il va commencer à cogiter. » J’ai vu qu’il changeait ses trajectoires un peu partout sur la piste, et je me suis dit que c’était le moment.

Jared, mon mécanicien, écrivait sur mon pitboard « Tu peux le faire, il faut y croire ! ». Je me suis dit que j’allais tout donner, et c’est avec cet état d’esprit que j’attaquais les whoops. J’étais sur la droite et avec Chase, on allait rentrer dans le virage suivant en même temps … et j’ai vu sa roue avant décrocher, puis il est tombé. C’est dommage pour lui, il faisait une superbe course. Mais ce sentiment… quand tu te sens bien sur la piste, que tu ne fais qu’un avec la moto; c’est dingue. Il y avait des moments où je n’entendais même plus ma moto, le stade était en délire. C’est une sensation incroyable.

Quand tu as vu que l’opportunité de gagner se présentait, comment as-tu fait pour rester concentré et calme ?

Il y avait une certaine pression, surtout devant mon public. Si tu peux en gagner une, tu te dis autant le faire devant ton public ! En fait, je me suis pointé ici en me disant que peu importe le résultat, j’allais me donner à 110% et on allait voir où ça me mènerait. Nate Ramsey me dit tout le temps de donner tout ce que j’ai, et qu’on fera le point ensuite. Il me parle comme ça depuis que je suis sur cette moto, depuis que c’est mon team-manager. Juste avant la finale, il est venu me dire « Tu as ce qu’il faut, bien plus même. Lâche-toi, laisse-toi aller, et fais-toi plaisir. » C’est ce que j’ai fait. Je me suis bien senti. Quand tu ne fais qu’un avec ta moto, tu as le sentiment d’être invincible. C’est ce que j’ai ressenti ce soir. C’était MA soirée.

Quand tu réalises que la victoire est là, dans les deux derniers tours, tu te dis quoi ?

Je mentirais si je disais que je n’étais pas nerveux. Je flippais à mort. On parle de ma première victoire, à domicile, et alors que je n’entends même plus ma moto à cause du public. J’ai décidé de ne plus regarder le pitboard dans les derniers tours. Je savais où était Cooper Webb, je voulais juste aller au bout. De là, il restait 2 tours, puis j’ai vu le drapeau blanc … Encore un tour …  C’est dans le dernier virage que j’ai commencé à être vraiment nerveux, car j’ai entendu la foule s’enflammer. La dernière fois que j’ai ressenti une telle ambiance, c’était à Salt Lake City en 2022. Revivre ça, devant mon public, ma famille, mes amis… C’est fou. C’est un rêve devenu réalité. Peu importe ce qui se passe désormais, car j’ai inscrit mon nom dans l’histoire du sport.

Tu as été champion de Supercross 250 par le passé. Décrocher cette première victoire en 450, ça te fait quoi, finalement ?

J’ai encore du mal à y croire. J’ai l’impression de revivre la course en boucle dans ma tête. J’ai vraiment gagné ?! L’opportunité était là, et c’est réel, c’est du concret. Je me souviens exactement de ma première victoire de manche qualificative en 250 en 2013, et je ressens la même chose aujourd’hui. Je suis comme un gamin qui a du mal à y croire. C’est juste un moment incroyable. Comme je l’ai dit, je sais que mon frère est fier de moi, ma famille aussi, toute l’équipe… ça faisait longtemps qu’on attendait ça, et on l’a enfin fait. Merci à tous ceux qui ont cru en moi.

Est-ce qu’à un moment de la course, tu t’es dit que tu allais assurer le podium ? Ça fait un moment que tu n’étais plus monté dessus.

Je voulais juste continuer à attaquer pendant la finale. Je me sentais vraiment bien. Il restait peut-être sept ou huit minutes, et je voyais que Chase commençait à faire des erreurs. Il ne creusait pas l’écart. Au contraire, je le rattrapais ! À ce moment-là, je savais que mon point fort, c’était les whoops. Si je les passais parfaitement, je pouvais gagner une seconde pleine à chaque tour. J’ai continué à le rattraper, et je le voyais commencer à changer ses trajectoires. On a tous vécu ça : quand quelqu’un te rattrape en fin de course, tu paniques et tu essaies de deviner où il est plus rapide que toi. Avoir le public derrière moi, ça a joué en ma faveur. Chase entendait la foule et moi, je la ressentais… Et quand je l’ai dépassé, je me suis dit : « C’est à moi de ramener la victoire à la maison, désormais. » Je savais où était Cooper, je suis resté calme et je ne me suis pas précipité. Un tour après l’autre. Nate Ramsey était là, à m’encourager du bord de la piste. J’étais vraiment dedans, concentré.

Ce soir, on a vu beaucoup de chutes. La piste semblait pourtant basique. Qu’est-ce qui l’a rendue si difficile ?

Je pense que c’est parce qu’on est passés d’une piste rapide avec de gros sauts le week-end dernier, à quelque chose de beaucoup plus lent et technique. Même si la piste paraissait simple, elle était en réalité assez exigeante. C’est pour ça qu’on cherchait tous les bonnes trajectoires. Et quand on ajoute une longue portion de sable, forcément, ça complique tout de suite les choses. C’était un de ces tracés où, si tu forces trop, tu te mets à galérer et tu luttes contre la moto. J’ai essayé d’être précis : de bien choisir mes rapports dans les whoops, d’être gentil avec l’embrayage dans le sable, de rester régulier. Avec Nate Ramsey, on bosse beaucoup sur la régularité : si je pouvais aligner 15 tours en 54 ou 55 secondes, on savait que j’allais être dans le groupe de tête. Ce soir, j’ai assemblé toutes les pièces du puzzle, et ça a payé. Ça me motive à fond et désormais, j’en veux plus !

Tu sembles avoir franchi un énorme cap en peu de temps. Tu t’es surpris au passage ?

J’ai toujours eu la vitesse, mais il me manquait ce petit truc qui me faisait me retrouver dans la bonne position. La semaine dernière, j’ai signé de bons départs lors des deux premières finales Triple Crown de Glendale, même si je n’ai pas bien roulé. Mais ça, c’était un point positif : si je peux partir devant, alors je peux montrer ce dont je suis capable. C’est ce qu’il s’est passé ce soir. J’étais bien placé sur la piste, je me sentais bien sur tout le tracé alors que je voyais que les autres galéraient, et j’ai attaqué. J’ai vu des gars qui roulaient à fond sur l’embrayage, qui subissaient. Je savais que je pouvais les doubler, et que c’était le moment de tenter ma chance. Tu ne sais pas de quoi tu es capable avant d’avoir vraiment repoussé tes limites. J’ai fait tout ce que j’ai pu, et j’ai gagné !

Cette victoire, tu vas la fêter comment ?

Il faut savourer ce moment, parce que lundi, on retourne au boulot. La saison continue, il reste encore beaucoup de courses. Mais ce qui me rend le plus fier, c’est mon équipe. Certains diront que j’étais tout seul sur la moto, mais pour moi, c’est une victoire collective. Depuis ma blessure, tout le monde est resté derrière moi. Voir Nate Ramsey aussi ému, c’est énorme. Faire ça avec Husqvarna, c’est un énorme accomplissement pour nous tous. On va savourer ce moment… et essayer d’aller en chercher d’autres !

Malcolm Stewart « Cette victoire, je veux la dédier à mon frère James »
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