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Pauls Jonass « peu de gens comprennent à quel point ce sport est difficile mentalement »

Illustration: Ray Archer

Seul pilote a avoir été champion du monde en 85cc, en 125cc mais aussi en MX2, Pauls Jonass vise toujours à boucler la boucle en décrochant le Graal en MXGP, seul titre manquant à son palmarès déjà bien fourni. Meilleur représentant Letton de l’histoire du sport, Pauls a connu quelques saisons difficiles depuis sa montée en catégorie reine effectuée en 2019. Malgré les blessures, les revers et quelques déceptions, le garçon n’a jamais baissé les bras. Il reste – saison après saison – l’une des valeurs sûres du mondial MXGP. Intégré au team KRT Kawasaki aux côtés de Romain Febvre cette année, Pauls se lançait dans un nouveau challenge après quatre années passées au sein du team Standing Construct. Touché lors du GP d’Allemagne, le Letton a observé un gros mois de repos mais vient tout juste de reprendre l’entraînement afin de préparer son retour en GP. On lui a proposé un entretien XXL, et l’intéressé a joué le jeu deux fois plutôt qu’une. Micro.

Pauls. On va commencer par la question évidente. Déjà cinq semaines depuis ta blessure en Allemagne: quand est-ce qu’on envisage un retour en GP, et à quoi a ressemblé ta convalescence ?

Je me rapproche petit à petit de mon retour en Grand Prix. Hier [mardi], j’ai pu reprendre la moto pour la première fois. Je suis allé à Lommel et j’ai fait quelques roulages de 20 minutes, juste pour avoir un feeling avec l’épaule. Evidemment, ce n’est toujours pas parfait. Il y a encore pas mal de boulot à faire, mais c’est un point de départ. On va voir comment ça évoluera. Je vais essayer de ne pas précipiter les choses, et faire étape par étape. J’espère pouvoir rouler à Loket. Sinon, on verra pour Lommel ou la Suède, au plus tard.

La blessure a été compliquée au final… Au début, ils disaient que c’était juste une clavicule Fracturée. Ensuite, on a vu qu’il y avait des fractures sur l’omoplate. Il y avait un petit os cassé juste à côté de la clavicule, et un autre très proche de l’articulation de l’épaule. Donc il fallait prendre le temps de se soigner. Mais pour être honnête, la récupération s’est mieux passée que prévu. Pour l’instant, les sensations sont plutôt bonnes. Mais c’est une chose de se sentir bien dans la vie de tous les jours, et c’en est une autre de bien se sentir sur la moto. Donc là, j’essaie juste de retrouver de la force. On verra où j’en serais d’ici deux semaines.

Une saison, c’est 20 épreuves et ça vous use physiquement. Quand tu as du temps à tuer comme ça à cause d’une blessure, tu fais du physique autant que tu peux pour garder la forme, ou tu préfères en profiter pour couper et faire un gros reset ?

Honnêtement, je pense qu’être blessé te demande plus d’énergie que de simplement continuer à rouler, surtout du côté du physique. Alors oui, tu peux récupérer et te reposer pendant les deux premières semaines mais ensuite, la rééducation débute et c’est encore plus dur que si tu avais continué à rouler. Et puis, il y a l’aspect physique, mais aussi l’aspect mental. Quand tu te blesses, c’est toujours difficile mentalement.

Justement, mentalement, tu es passé par quelles émotions pendant ces 5 semaines ? J’imagine que c’était assez dur à encaisser ces deux pépins quasiment coup sur coup cette saison.

C’est clair. Cette année, j’ai fait une commotion cérébrale en Sardaigne. C’est vraiment arrivé d’un coup … La chute était vraiment débile. Même aujourd’hui, je ne comprends toujours pas comment c’est arrivé, ni pourquoi ça a été si sérieux.

Ensuite, je me suis de nouveau blessé en Allemagne, juste avant mon GP national [Kegums], et c’est la deuxième année de suite sur le même tracé … C’était assez dur mentalement, mais j’ai juste essayé de me concentrer sur la suite, tout en récupérant aussi vite que possible. C’est une chose que d’être occupé au quotidien, mais quand tu ne fais rien, tu as beaucoup plus de temps seul avec toi-même, et là, c’est sûr que tu commences à penser à pas mal de choses …

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On parle souvent de l’importance de l’entraînement physique, de l’entraînement moto, mais on évoque rarement l’importance de bosser sur le mental.

C’est sûr. Et peu de gens comprennent à quel point ce sport est difficile mentalement, juste pour être performant chaque week-end. Il y a aussi tous les hauts et les bas, les blessures et tout ce qu’on traverse en tant que pilote. Peu de gens réalisent vraiment à quel point le motocross est exigeant, et à quel point rouler au plus haut niveau peut être difficile. Généralement, la plupart des pilotes roulent en étant blessés, en serrant les dents.

Je plaisantais avec quelqu’un l’autre jour et il m’a dit : « Tu imagines te réveiller un matin, et ne plus ressentir aucune douleur ? », et je pense que ce serait vraiment bizarre comme sensation, en fait. Chaque jour, je me réveille et je me dis : « Ah, j’ai mal là, et là aussi» [rires].

J’ai 28 ans, et j’ai déjà l’impression d’en avoir 50. Et c’est sûr que ça ne va pas s’arranger. Il y a quelques années, j’ai discuté avec un médecin et il m’a dit : « Malheureusement, tu vas devoir rester actif toute ta vie, sinon les douleurs vont prendre le dessus. » Et c’est vrai tu sais, plus je suis actif, plus je suis en forme, mieux je me sens – que ce soit par rapport à la douleur ou au niveau de mon corps en général. Donc c’est aussi un objectif pour moi de rester en forme physiquement.

Parlons de 2025. Nouvelle équipe, nouvelle moto. Je dirais que tu as encore prouvé cette saison que tu avais la vitesse pour jouer le podium ou le top 5. Même si, comme tu l’as dit, tu as manqué quelques GP à cause de ta commotion de Riola Sardo et que parfois, tout ne s’est pas passé comme prévu, comment analyses-tu tes résultats cette année ? Je pense qu’on n’a pas encore vu la meilleure version de Pauls en 2025.

Honnêtement, mes résultats ont été plutôt décevants cette année jusqu’ici. OK, il y a eu quelques bonnes courses, mais aussi des moins bonnes. Parfois la vitesse était là, les résultats étaient corrects, mais je pense que j’étais encore loin de mon potentiel ou de celui de la moto. Tu sais, de ce qu’on pourrait vraiment montrer en assemblant les pièces du puzzle, en se basant sur comment je me sentais à l’entraînement pendant la semaine.

Donc, d’un côté, c’est décevant, mais de l’autre, c’est positif parce que je sais où on pourrait être, où on peut être quand toutes les pièces du puzzle sont bien en place. C’est pour ça que je suis motivé à tout mettre en place pour aller chercher du résultat, parce que je suis persuadé que si je me sens bien et que la moto est au point, je peux me battre pour jouer les podiums régulièrement.

Qu’est-ce qui a manqué, selon toi, cette année ?

C’est toujours compliqué quand tu changes d’équipe, quand tu changes de moto. Avant cette année, j’ai roulé deux saisons sur la Honda du team Standing Construct. Ensuite, passer sur une nouvelle moto, dans une nouvelle équipe, ça demande toujours un peu de temps pour s’adapter. Pendant l’entraînement durant la semaine – ou même à certains moments pendant les Grands Prix – il m’est arrivé de vraiment me sentir au top, mais ce n’est pas facile de tout mettre en place, de mieux comprendre la moto, de mieux me comprendre sur la moto. Il y a beaucoup de petits détails à prendre en compte. Parfois, même les plus petits changements peuvent représenter un vrai défi d’adaptation, donc c’est important de vraiment bien connaître sa moto. Et je n’ai pas encore beaucoup de recul avec la Kawasaki. Dans ma position, il faut du temps, il faut s’habituer, et je pense que ça viendra avec le temps.

Je suis curieux de connaître l’état d’esprit avec lequel tu as abordé cette saison 2025. Quand on regarde en arrière, tu as été champion du monde en 85cc, champion du monde et d’Europe en 125cc, champion du monde MX2 — tu as pratiquement tout gagné dans chaque catégorie jusqu’ici. Aujourd’hui, tu l’as dit, tu as 28 ans. Quand tu te retrouves derrière la grille avec 15 ou 16 pilotes officiels en MXGP, est-ce que tu te dis : « Il y a encore un dernier titre à aller chercher » ? Est-ce que c’est toujours l’objectif aujourd’hui ?

Oui, bien sûr. C’est toujours un objectif pour moi, c’est pour ça que je suis là, que je continue. Mais ce n’est pas l’objectif le plus facile à atteindre parce que le niveau en MXGP est vraiment, vraiment relevé. Tous les éléments doivent s’imbriquer parfaitement pour gagner dans la catégorie reine. En ce moment, j’ai encore pas mal de travail pour être au niveau des meilleurs pilotes. C’est un travail qui ne cesse jamais, jour après jour. Je peux faire de très bons week-ends, mais je dois encore trouver des solutions pour être performant sur l’ensemble de la saison, parce qu’il y a 20 Grands Prix par an. Je dois être bon à tous les Grands Prix, pas juste de temps en temps.

Quand tu as signé chez KRT, j’imagine que tu savais que l’attention allait être un peu plus centrée sur Romain Febvre. Tu savais aussi que depuis le départ de Clément Desalle fin 2020, aucun pilote n’était resté plus d’un an dans l’équipe. Tu sortais d’une belle aventure avec Tim Mathys chez Standing Construct, avec notamment une victoire au GP du Portugal l’an passé. Oui, KRT est une structure officielle, mais tu ne sais jamais vraiment ce qui t’attend. Tu sais ce que tu perds, mais pas forcément ce qui t’attends Comment as-tu abordé cette transition, et qu’est-ce qui t’a poussé à faire ce choix au final ?

Comme tu l’as dit, j’avais une très bonne relation — et c’est toujours le cas – avec Tim Mathys et l’équipe Standing Construct. J’y suis resté quatre ans, ça se passait très bien, on a signé de bons résultats ensemble, et on est toujours de très bons amis. On a passé de super moments.

Mais quand un team factory pose une offre sur la table, c’est difficile de dire non, tu sais ? On s’est assis autour d’une table avec Tim, et on a eu une vraie discussion. Il voulait que je reste chez Standing un ou deux ans de plus, parce qu’on avait vraiment tissé des liens importants. Mais je lui ai aussi dit que si je ne saisissais pas cette opportunité, je risquais de le regretter toute ma vie. Je lui ai dit : « Je ne sais pas si c’est une bonne décision — on verra dans quelques années — mais si je ne saisis pas ma chance, je vais le regretter. » Tim a été très compréhensif.

Être pilote Factory, c’est une grosse responsabilité ; il y a clairement plus de pression, mais c’est aussi le rêve de tout pilote. Pouvoir rouler pour le team officiel Kawasaki, c’est énorme. Je pense qu’en ce moment, c’est l’une des meilleures équipes du paddock.

Comme tu l’as dit, ces dernières années, les pilotes n’ont fait qu’une saison chez KRT, mais ça ne m’a pas fait peur. Je savais qu’on pouvait faire marcher la moto, et j’étais ouvert au challenge. Dès le premier jour sur la Kawasaki, j’ai été très content de la moto, je me suis bien senti dessus.

KRT est une équipe qui a fait ses preuves. Bien sûr, on est toujours en train d’essayer d’évoluer. On essaie en permanence d’améliorer la moto, aussi pour les clients qui l’achètent. Donc c’est un challenge, mais un challenge que je prends plaisir à relever. L’équipe est professionnelle et je sais que je dois encore un peu adapter ma façon de travailler, mon état d’esprit, parce qu’il y a énormément de possibilités et d’options. Il faut que je sois plus ouvert en ce qui concerne les demandes d’ajustements, de changements. Il ne faut pas que j’ai peur de demander, ou même simplement d’essayer de nouvelles choses.

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L’an dernier, Jeremy Seewer n’avait pas été à l’aise sur la 450 KX-F. Il disait qu’elle était faite pour Romain et qu’il n’arrivait pas à s’y faire. Quel a été ton ressenti, toi, personnellement ?

Franchement, dès le premier jour sur la moto, j’ai su que je pouvais la faire fonctionner. J’étais vraiment content, et oui, tout de suite, j’ai eu un bon feeling. Je n’avais pas peur du challenge et je suis très satisfait de ma moto. Il y a toujours du travail à faire sur moi-même ou au niveau de l’équipe, et tout le monde sait où on peut s’améliorer, où faire quelques ajustements. Mais c’est une très bonne moto. On va continuer à travailler dessus pour l’améliorer encore dans le futur. Côté châssis, je suis assez satisfait. On peut toujours améliorer un peu le côté suspensions. J’aimerais probablement affiner un peu la partie moteur ou les cartographies, ce sur quoi on travaille actuellement. L’équipe est au courant, le Japon aussi, donc ça avance de ce côté-là.

Je crois que Watson, Evans et Seewer devaient rouler sur du KYB, mais toi tu roules sur du Showa cette année. Comment ça se fait ? On peut discuter un peu des suspensions de cette 450 KX-F ?

Pour être honnête, ce n’était pas vraiment de mon ressort. Quand j’ai signé avec KRT, ils m’ont dit que j’allais rouler sur du Showa. J’ai répondu : « Ok, ça me va. » Même si ça avait été sur du KYB, j’aurais signé quand même. Bien sûr, j’ai entendu quelques histoires de la part d’autres pilotes par le passé, mais personnellement, je pense que si tu fournis les efforts nécessaires pour faire en sorte que ça marche, alors ça marchera quasiment à chaque fois. On parle de matos d’usine — que ce soit KYB, Showa ou WP. Il faut être ouvert d’esprit, se donner à fond et essayer de trouver le bon feeling.

Je suis content de mes suspensions, et je pense que c’est aussi grâce à notre technicien Willy, et aux gens de chez Showa. Lui et l’équipe Showa font partie des meilleurs dans le milieu, je ne pourrais pas demander mieux. Je pense qu’au final, ce qui compte vraiment, c’est la personne qui travaille sur tes suspensions. Si tu as un gars vraiment pointu à tes côtés, tu peux même faire fonctionner des suspensions d’origine correctement. Ça dépend aussi des connaissances des gens avec qui tu travailles.

La plupart des amateurs ou des pilotes loisirs me disent : « Si j’avais tes suspensions, je serais vraiment plus rapide, vraiment meilleur. » Et je réponds toujours : « Ouais, tu peux essayer — mais après un tour, tu reviendras me voir et on en rediscutera » [rires]

Les suspensions d’origines sont vraiment bonnes. Mais les gens oublient qu’on fait deux fois 35 minutes au plus haut niveau. On a besoin de matériel qui tient dans des conditions vraiment difficiles. Je ne dirai pas en quelle année, mais j’ai fait des GP avec un amortisseur d’origine, et après 15 minutes, j’avais l’impression d’être dans un canapé tellement il était mou [rires].

Cette année, c’est assez particulier. Gajser et Herlings sont sur le marché des transferts très tôt. On a l’impression que beaucoup de pilotes attendent leur signature pour que le reste du marché se débloque. Est-ce que c’est une période stressante pour toi, surtout dans ta situation puisque tu t’es blessé ?

Oui, ça met clairement un peu plus de pression sur les épaules, et pour moi ça représente un peu plus de stress. Tu vois toutes les pièces du puzzle bouger, tu entends des rumeurs, et toi tu es sur la touche à la maison, à ne rien pouvoir faire. C’est en général à ce moment-là que je prends mon téléphone, que j’appelle Antti et que je demande un meeting avec lui pour parler du futur, des prochains plans. On est toujours en discussion, et j’espère vraiment que je pourrai rester chez Kawasaki l’année prochaine.

À quel point es-tu impliqué dans les discussions et les négociations de contrat avec ton agent ? Est-ce que tu suis ce qui se passe en coulisses ou tu es plutôt du genre à le laisser gérer cet aspect là ?

J’aime bien être impliqué. J’appelle souvent mon agent — ou c’est lui qui m’appelle — et on discute de tout ça ensemble. Aujourd’hui, je fais partie des pilotes les plus expérimentés du paddock, donc parfois je prends directement le téléphone et j’appelle Antti si j’ai besoin de parler de quelque chose. Ou j’envoie même un e-mail directement au Japon juste pour prendre des nouvelles. Je ne suis pas du genre a aimé être en retrait, j’aime être dans la boucle. J’entretiens de bonnes relations dans le paddock. Quand vient le moment des dernières négociations, c’est souvent mieux de rester un peu en retrait, mais au début du processus, je fais en sorte de resté impliqué.

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Sans parler de chiffres, aujourd’hui, qu’est-ce qui définit la valeur de Pauls Jonass sur le marché du mondial ? J’imagine que ta valeur baisse si tu te blesses, et remonte quand tu ramènes de bons résultats. Depuis ton passage en MXGP, ta côte sur le marché a beaucoup fluctué ?

Oui, plus ou moins. Ce que je peux te dire, c’est qu’elle a beaucoup fluctué avec les blessures au fil des saisons. On parle de grosses variations — de sacrés hauts et de sacrés bas [rires]. J’ai l’impression que je me blesse toujours au pire moment, juste au moment de renégocier mon contrat. Je n’ai pas eu beaucoup de chance de ce côté-là. Mais c’est comme ça…

Au final, je suis quand même heureux d’avoir la chance d’être un pilote d’usine, d’avoir un contrat factory, et de vivre cette vie. Je peux gagner ma vie en roulant, et c’est quelque chose ! J’entends des histoires sur ce que certains pilotes doivent faire – comme payer pour rouler – et je me dis qu’il faut être fou pour payer de sa propre poche pour rouler. Si c’est juste un hobby, OK, je comprends. Mais au niveau professionnel ? Au niveau Mondial ? C’est dingue de voir combien certains pilotes sont prêts à mettre sur la table juste pour être présent derrière la grille.

Tu approches de la trentaine. On voit de plus en plus de pilotes prolonger leur carrière bien au-delà des 30 ans. Les teams officiels semblent aussi valoriser davantage l’expérience qu’avant, pas uniquement la jeunesse. Selon toi, qu’est-ce qui permet de rester compétitif en MXGP après 30 ans ?

Je pense que ça tient beaucoup à l’expérience. Les motos d’aujourd’hui sont vraiment performantes, mais elles sont aussi un peu plus complexes qu’avant. Donc c’est important d’avoir de l’expérience — de savoir comment travailler avec les ingénieurs, comment interpréter les données, comment bien régler la moto pour être devant.

Après, il y a aussi des jeunes talents qui arrivent et qui performent tout de suite — certains mecs sont vraiment très doués. Mais pour d’autres, il faut du temps pour acquérir cette expérience. Et quand tu arrives à 30 ans, c’est là que tu as le plus de connaissances, c’est là que tu sais ce dont tu as besoin pour performer.

Regarde en MXGP aujourd’hui — les pilotes qui roulent devant son plutôt âgés à part Lucas Coenen. Romain a 33 ans et il est toujours devant. Glenn est troisième du championnat, et il a à peu près le même âge — peut-être même 34 ans. Une 450 est une moto exigeante, et l’expérience fait vraiment la différence à ce niveau.

Est-ce que tu dirais qu’après toutes ces années, le physique en prend un coup ou au contraire qu’après 15 ans d’entraînement, tu atteins vraiment ton pic vers la trentaine ?

Quand tu es plus jeune, tu dois travailler très dur pour pouvoir atteindre le plus haut niveau. Mais comme tu l’as dit, une fois que tu atteins la trentaine, tu as déjà une base très solide sur laquelle tu peux t’appuyer. L’entraînement devient un peu plus facile car physiquement, tu as accumulé énormément d’heures. Tu as fait tellement de préparation physique et de moto que tu peux te permettre de t’économiser un peu plus — tu n’as pas besoin d’être à 200 % tout le temps pour être performant.

Il me semble que tu es papa désormais. C’est comment de jongler entre ton rôle de père, la vie de famille et l’entraînement pour rester au plus haut niveau ? Est-ce que c’est plus compliqué qu’avant ? Et côté sommeil ? [rires].

Pour moi, c’est plutôt une bonne chose. J’ai toujours été un gars qui bosse très dur — parfois même trop — et j’avais du mal à déconnecter mentalement.

Maintenant, en étant papa, je fais mon job, mon entraînement, je donne le meilleur de moi-même et quand je rentre à la maison, je peux décrocher du motocross et juste profiter du temps avec ma famille. Donc oui, je pense que c’est vraiment quelque chose qui me permet de passer un cap. Par le passé, je me suis souvent surmené, et ça ne m’a pas toujours réussi. Être père, ça m’aide à garder les pieds sur terre, plus ou moins.

Côté sommeil, ça va aussi. Mon fils se couche assez tôt, vers 19h, donc ma femme et moi, on a quelques heures pour se détendre avant d’aller se coucher. En général, on va dormir vers 22h, et mon fils se réveille autour de 6h ou 6h30. C’est très correct. En fait, mon rythme n’a pas vraiment changé avec l’arrivée de mon fils.

Quand tu retournes en Lettonie, est-ce que les gens te reconnaissent, genre au supermarché ? Est-ce que tu es un athlète connu chez toi ? Je ne sais pas si Romain Febvre est dû genre à se faire arrêter dans la rue quand il est en France. À moins d’être Mbappé, tu peux probablement passer inaperçu. Comment ça se passe pour toi en Lettonie ?

La Lettonie est un pays bien plus petit que la France. Je pense qu’en général, les gens ont quand même tendance à suivre les sports de plus près quand un athlète figure bien. J’ai évolué sur la scène mondiale et décroché quelques résultats, donc je suis passé pas mal de fois à la télé. J’ai aussi remporté quelques récompenses en Lettonie — comme le titre de sportif de l’année. Donc oui, parfois des gens me reconnaissent au supermarché. Ce n’est clairement pas comparable à Ronaldo ou Mbappé qui iraient faire leurs courses, mais ça arrive [rires]. Je ne suis pas beaucoup retourné en Lettonie ces dernières années, donc peut-être que ce serait un peu différent si j’y allais maintenant. Mais c’est top, car les gens suivent pas mal le motocross là-bas.

Ça doit être plutôt cool quand même — d’aller faire les courses et que des gens te reconnaissent, non ? Tu aimes ce genre d’attention, ou tu es plutôt du genre à vouloir rester dans ton coin ?

Le truc, c’est que les Lettons sont généralement assez timides. Ils ne sont pas aussi extravertis que les Français ou les Espagnols. Ils ne viendraient pas forcément te parler directement. Ils seraient plus du genre à se cacher dans un recoin en te regardant, en se disant “C’est lui, non ?” [rires]. Les Lettons sont plutôt comme ça.

On va changer de braquet. Est-ce que tu suis ce qu’il se passe aux États-Unis ?

Oui, j’écoute les podcasts, je lis les interviews, je suis les résultats, tout ce qui va bien !

La plateforme qu’ils ont mise en place là-bas, c’est un niveau au-dessus. La façon dont ils font la promotion de leurs championnats, des pilotes, la manière dont ils attirent des sponsors, et comment l’argent est brassé. Bien sûr, le marché est différent aux États-Unis, mais je pense que le promoteur joue un rôle énorme dans la façon dont le sport se développe là-bas. On a une belle plateforme en Europe, je ne dis pas le contraire, mais étant donné qu’on est censé être LE championnat du monde, est-ce qu’on ne devrait pas être un cran au-dessus de ce qu’on fait actuellement ?

Ça, c’est certain. Je dis toujours qu’aux États-Unis, ils savent comment faire la promotion d’à peu près n’importe quoi. Ils pourraient te vendre n’importe quoi à prix d’or. Cette année, les courses de l’outdoor sont vraiment top, mais ça n’a pas toujours été le cas. Certaines années, c’était parfois ennuyant. Mais quand tu regardes ça à la télé, la promotion est tellement bien ficelée, les commentateurs rendent ça hyper excitant, et tu es complètement absorbé dans le truc; c’est dingue.

En Europe, on a un peu l’impression que c’est toujours la même chose depuis quelques années. Donc oui, je pense qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure. Je ne suis pas celui qui prend les décisions, et je ne connais pas la solution miracle, mais quand on regarde ce qu’ils font aux États-Unis, on se dit quand même qu’ils font un super bon boulot.

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Si tu pouvais changer quelque chose sur le mondial, ce serait quoi ? Petite précision, ça ne peut pas concerner les primes.

Les primes, c’est important pour certains pilotes, mais ce n’est pas vraiment ce à quoi je suis le plus attaché. Quand j’étais gamin, je me souviens être allé au tout premier GP de Lettonie en 2009. Il n’y avait que les pilotes MX1, MX2, et peut-être une catégorie support, genre les vétérans. Le samedi matin, il y avait deux séances d’essais libres et chronos. Je me souviens être arrivé tôt sur la piste, et j’étais impatient de les voir poser de gros chronos, envoyer des scrubs — c’était vraiment excitant. Et puis le dimanche matin, j’étais surexcité à l’idée de voir les courses.

Aujourd’hui, il y a trop de courses sur le week-end — avec toutes les catégories Européennes et les manches qualificatives. Le dimanche, tout le monde est déjà blasé. Moi, je suis à la maison, blessé, et je peux allumer la télé à 9h le samedi matin et mater des courses toute la journée sans bouger du canapé.

Je sais que les championnats d’Europe sont super importantes — mais ce serait peut-être mieux de leur réserver le samedi, et de revenir à un format sur une seule journée pour les catégories MX2 et MXGP le dimanche. Comme ça, les gens auraient de nouveau hâte de voir les gros bras du mondial. Aujourd’hui, il y a trop de séances et de courses, et les catégories reines perdent un peu de leur impact.

Je pense aussi qu’il faudrait donner la priorité aux catégories MXGP et MX2 — ne serait-ce que pour la préparation des pistes. Avec autant de catégories, ils n’ont même plus le temps de préparer correctement les terrains. Du coup, quand vient notre tour de rouler, la piste est déjà bien défoncée, et ça impacte franchement la qualité des courses.

Est-ce que, selon toi, la manche qualificative a encore un intérêt ? Il y a déjà une séance chronométrée, et vous êtes rarement plus de 30 pilotes derrière la grille sur la plupart des épreuves ? En fin de compte, il y a une qualification pour accéder à la qualification.

Pour moi, on n’a pas besoin de cette manche qualificative. Et je pense que même du point de vue du spectateur, les chronos sont plus intéressants à regarder. On voit les pilotes tout donner sur un seul tour, et franchement c’est vraiment impressionnant. Même à la télé, les chronos rendent super bien. Mais tout le monde pousse pour maintenir la manche qualificative, pour attirer plus de monde le samedi et vendre plus de billets, donc je comprends aussi cette logique. C’est un sujet compliqué, honnêtement.

J’imagine que tu as suivi les débuts de Jorge Prado aux USA. Un avis ?

Oui, bien sûr que j’ai suivi. Ça a été plutôt difficile pour lui, et je comprends pourquoi. Il est sur une moto complètement différente — il a passé toute sa carrière sur des autrichiennes, et maintenant il roule sur une japonaise; c’est un gros changement. Il faut aussi s’adapter à de nouveaux terrains, un nouveau style de vie, un autre continent… c’est un énorme ajustement.

Il s’est aussi blessé pendant la saison de Supercross. Je pense qu’il lui faut juste un peu de temps. On a déjà vu quelques flashs de son potentiel lors des dernières courses. Une fois qu’il aura rassemblé toutes les pièces du puzzle, je pense qu’il sera très bon. Bien sûr, ça va être super compliqué de battre Jett – qui est sur une autre planète en ce moment — mais je pense que Jorge est capable de se battre pour aller chercher des top 3.

Ce qui me dérange, c’est de voir certains fans américains critiquer le MXGP à cause de la forme actuelle de Jorge. Ils disent : “Tu vois ? Le niveau en GP est vraiment bas.” Mais les gens qui ont roulé contre Prado, ou même juste ceux qui l’ont vu rouler à la télé, savent qu’il ne montre pas son vrai visage en ce moment. Il a juste besoin de trouver ses marques.

C’est sûr, tout le monde s’attendait à mieux — moi aussi. Je pensais qu’il serait un peu plus performant. Mais je pense qu’on sous-estime à quel point le challenge qu’il doit relever est énorme, et à quel point tout est différent pour lui. Rien que le fait de changer de moto, c’est un gros challenge. Je le sais par expérience — quand j’étais plus jeune, je roulais uniquement sur des autrichiennes, et quand je suis passé sur une japonaise il y a quelques années, ça a été difficile au début. Il faut du temps.

Donc oui, je pense qu’il va trouver son rythme, et il finira par s’adapter et par y arriver. Mais encore une fois, on a tendance à minimiser l’ampleur des changements auxquels il doit faire face.

Quand tu vois Prado, Guillod et Paturel rouler sur l’outdoor 450 cette année, est-ce que tu te dis : “ça me botterait bien, moi aussi » ?

Oui, bien sûr. Je pense que tous les pilotes du GP rêvent de faire au moins une saison complète sur l’outdoor aux États-Unis. Pour l’instant, ce n’est pas trop dans mes projets, mais on ne sait jamais; un jour peut-être ? Quand on voit leurs terrains, comment ils sont préparés, ça donne envie d’y aller. Je pense aussi qu’on a cet attirance a parce qu’on a grandi en regardant le Supercross et le Motocross US. Donc c’est un rêve pour beaucoup d’entre nous. Mais peut-être que quand tu y vas pour de vrai, ce n’est pas exactement comme tu l’avais imaginé non plus.

Parlons du Motocross des Nations. La Lettonie n’a terminé dans le top 10 qu’une seule fois, en 2019 — tu faisais partie de l’équipe. Avec toi, Janis et Karlis Reisulis, le trio pourrait s’avérer solide dans les années à venir. Tu as roulé avec eux en 2023 en France, mais à l’époque Janis était encore sur l’Europe 125 et Karlis débutait sur l’Europe 250. Deux ans plus tard, c’est motivant d’entrevoir une équipe aussi compétitive pour l’avenir ?

Oui, clairement. Je pense qu’on peut voir le potentiel maintenant, et il est vraiment solide. Peut-être pas cette année, mais dans quelques années, on aura une équipe vraiment forte, et ça motive forcément un peu plus. C’est cool de voir des jeunes pilotes sortir de Lettonie. C’est assez excitant pour le sport.

Pour cette année, on verra comment ça se passera. Si on est tous en forme — Janis, Karlis et moi — il y a de bonnes chances qu’on fasse le déplacement jusqu’aux États-Unis. C’est un voyage assez coûteux pour notre petite fédération lettone, qui doit couvrir tous les frais. Ce n’est pas la plus grosse fédération.

Quand c’est en Europe, le gouvernement ou la fédération prend généralement presque tout en charge. Mais quand c’est à l’étranger, comme aux États-Unis, le budget pour un seul week-end est énorme. Je pense que le plan, c’est d’essayer de trouver quelques sponsors pour aider la fédération et le gouvernement à mettre un budget sur la table.

Combien de personnes sont envoyées par l’équipe Lettone au Motocross des Nations ? En France, on se demande s’ils ne sont pas 50 à faire le déplacement [rires].

Les Français sont un peu fous [rires]. Vous avez remporté les Nations plusieurs fois, donc ça se comprend — vous avez les moyens de le faire, et c’est très bien comme ça. Pour nous, c’est généralement juste les trois pilotes, les mécanos — qui sont envoyés par les teams — et peut-être trois ou quatre personnes en plus comme le team-manager, etc. On est un peu plus quand c’est en Europe, mais pas franchement plus …

J’aimerais ton avis sur une réflexion très personnelle. Si le MXGP était vraiment le summum de notre sport, alors le Motocross des Nations n’aurait pas lieu d’exister. Il n’y a pas de MotoGP des Nations à ma connaissance, ni de Formule 1 des Nations, car ces championnats du monde regroupent déjà les meilleurs athlètes. Donc ma question c’est : est-ce que les Nations ne sont pas devenues une simple confrontation MXGP vs AMA pour la gloire ?

C’est une très bonne question, mais ce n’est pas une question facile. Ce qui est vrai, c’est que si les Américains ne viennent pas au Motocross des Nations, qui s’y intéresse vraiment ? Ça devient en gros un grand prix des plus classiques, et le retentissement n’est plus du tout le même. D’un autre côté, quand tu vas au Motocross des Nations, c’est gigantesque. C’est clairement le plus gros événement de l’année. C’est incroyable. Mais au final, c’est surtout une course avec les pilotes du mondial, plus quelques pilotes qui viennent des USA. Bon, maintenant on a aussi les frères Lawrence pour venir pimenter un peu plus les choses.

Mais parfois, on ne peut même pas envoyer les meilleurs pilotes. Il y a quelques années, vous aviez quatre pilotes MXGP très costauds, et vous ne pouviez en envoyer que deux aux Nations. Du coup, on peut se poser la question de savoir si on voit vraiment les meilleurs pilotes rouler aux nations.

@DailyMotocross

La Slovénie, par exemple, n’a jamais participé à un Motocross des Nations organisé aux États-Unis, et pourtant Tim Gajser est l’un des meilleurs pilotes du monde.

C’est vrai, mais ils savent aussi qu’ils ne vont pas là-bas pour gagner, car ils n’ont pas l’équipe pour. Et ça coûte très cher d’envoyer une équipe à l’étranger juste pour essayer de finir dans le top 10 — c’est de la folie.

Le Motocross des Nations, pour beaucoup de pays, c’est comme un livre d’histoire du sport. Il y a un véritable héritage, et je pense que c’est aussi pour ça que l’événement doit continuer à exister. Les Nations, ça reste énorme — tout le monde se met en quatre pour cette course. Regarde toutes les marques : elles font des tenues spéciales rien que pour cette épreuve. Tout est fait sur mesure pour le MXDN. Ça m’étonne et m’impressionne toujours. Chaque pilote a une tenue spéciale, une peinture de casque particulière, des décos spécifiques sur les motos… Tu ne vois jamais ça lors d’un GP classique — peut-être pour ton GP national, mais même là, ce n’est pas systématique.

Le championnat américain reste un championnat national, qu’on compare pourtant au championnat du monde de Motocross. Dans l’essence, il ne devrait même pas y avoir de comparaison — les meilleurs pilotes américains devraient vouloir rouler en mondial. Pourtant, ce n’est pas le cas.

Les deux mondes s’opposent constamment. Les Américains pensent qu’ils sont les meilleurs, et les Européens pensent que le championnat du monde représente le plus haut niveau. Si on regarde objectivement aujourd’hui, je pense que les meilleurs pilotes sont aux États-Unis en ce moment. Oui, Tim Gajser a battu Jett lors d’une manche à Matterley Basin lors des Nations l’an dernier, mais je pense que personne ne serait en mesure de le battre sur un championnat. Et je ne pense pas non plus qu’il y ait quelqu’un qui soit proche du niveau de Deegan en MX2 cette saison.

Si Jett venait en Europe, je pense qu’il battrait tout le monde, peu importe le circuit. Peut-être qu’à Lommel, face à un Jeffrey Herlings, ce serait plus dur mais sur une saison complète, il gagnerait. Si Deegan venait en Europe, il pourrait galérer un peu sur des circuits comme Arco di Trento ou Saint-Jean-d’Angély. Mais si tu envoies nos pilotes là-bas, je pense que Deegan mettrait tout le monde d’accord. Je ne suis même pas un grand fan d’Haiden, mais je suis réaliste et je pense que c’est le meilleur pilote 250 actuellement.

J’ai essayé de faire un sujet sur les contrôles antidopage dans le motocross — je ne sais pas si c’était courageux ou stupide, mais on va dire que ce n’était pas simple … Par curiosité, combien de fois as-tu été testé ces deux ou trois dernières années ? Et penses-tu que c’est suffisant, ou qu’il faudrait intensifier les contrôles ? Le motocross est l’un des sports les plus exigeants physiquement, il y a des millions en jeu, et pourtant on ne parle jamais de contrôles antidopage.

Mhhh. Qu’est-ce que tu pourrais prendre qui te donnerait un réel avantage en motocross ? Ce n’est pas comme le cyclisme. Le motocross, ce n’est pas seulement être le plus en forme physiquement — il faut aussi du talent. Bien sûr, il y a toujours des produits que tu pourrais prendre pour avoir un petit avantage, mais je pense que le motocross fait partie de ces sports où ça ne paierait pas tant que ça.

L’an dernier, j’ai eu droit à un test antidopage à Teutschenthal, le samedi, juste avant ma chute du dimanche. J’étais aussi inscrit dans le programme ADAMS, où tu dois déclarer en permanence ta localisation. J’y suis resté environ trois ans, donc ils venaient parfois chez moi sans prévenir pour prélever des échantillons. Ils peuvent frapper à ta porte à 6 heures du matin, et je trouve qu’ils font bien leur boulot.

Sur les GP, on n’est pas testés si souvent, mais ça arrive quand même. J’imagine qu’on peut toujours trouver quelque chose à utiliser dans n’importe quel sport, mais honnêtement je ne pense pas qu’on trouverait un mec qui prenne des produits en MXGP.

Dis-m’en un plus sur ce programme ADAMS.

En fait, je devais utiliser une appli pour déclarer où j’étais chaque jour, pendant plusieurs années. C’est assez contraignant, franchement — ça devient vite lourd. Tu dois indiquer ta position chaque jour, heure par heure. Si tu n’es pas là où tu as dit que tu serais, et qu’ils viennent vérifier, tu peux recevoir un avertissement.

J’ai d’ailleurs eu un avertissement quand je suis allé aux Nations à Ernée parce que je ne connaissais pas le nom de l’hôtel où j’allais dormir. Du coup, j’ai juste mis “Ernée” dans l’appli et j’ai oublié de mettre à jour une fois que j’étais à l’hôtel. Après les nations, j’ai reçu un mail disant que j’avais reçu un avertissement [rires]. Ils ont compris que je ne pouvais pas être à Ernée et dormir chez moi en Belgique en même temps — donc il y avait un problème.

C’est assez sérieux parce qu’au bout de trois avertissements, tu peux être suspendu six mois il me semble. Il faut vraiment suivre le programme ADAMS à la lettre. C’est du sérieux.

Intéressant. Si tu pouvais rencontrer le Pauls Jonass de 2020 et lui donner un conseil avec l’expérience que tu as aujourd’hui, ce serait quoi ?

De rester en un seul morceau. C’est quand même dingue parce que quand j’étais en MX2, je ne me blessais pas tant que ça. Bon, j’ai fait une commotion en 2016, et je me suis fait les croisés fin 2018, mais dans l’ensemble, je suis resté entier. Depuis que je suis monté en MXGP, chaque année, il faut qu’il m’arrive un truc. Ça, honnêtement, c’est un vrai challenge. Mon conseil serait de rester en un seul morceau et d’écouter un plus mon corps. Le truc, c’est que les blessures peuvent arriver pour plein de raisons différentes, et chaque fois que tu te blesses, tu commences à te poser mille questions.

Pour finir, on a une rubrique sur le site où l’on demande aux pilotes de raconter une anecdote. Ce serait quoi, la tienne ?

Alors, on était au GP d’Indonésie en 2017. On avait fait une course horrible à Pangkal Pinang. On pouvait prendre l’avion le dimanche soir pour rentrer, donc on avait réservé nos vols vers Jakarta, puis une correspondance directe pour Amsterdam.

On était dans un petit aéroport avec Herlings, Coldenhoff, et d’autres membres des teams, prêts à embarquer, quand on nous a informés que notre vol allait avoir trois heures de retard. Ça voulait dire qu’on allait rater notre correspondance. Mais on a vu sur les écrans qu’un autre vol vers Jakarta, de la même compagnie, était sur le départ car lui aussi avait été retardé plus tôt dans la journée; et les gens embarquaient déjà dans cet avion.

Je n’ai pas pu monter à bord, mais Jeffrey, Glenn et quelques autres mecs ont réussi à courir jusqu’à l’avion et à embarquer sans souci, et sans moi [rires]. Moi, j’ai dû prendre le vol retardé vers Jakarta et réserver un autre vol vers Amsterdam qui m’a coûté 2 000 € ! On a failli rater cette correspondance aussi. Quand on est descendus de l’avion à Jakarta, tous les bagages étaient en train d’être chargés sur les chariots — ceux qui servent normalement à les amener au terminal. On n’avait vraiment pas le temps d’y aller, donc on a pris nos sacs directement sur le tarmac et on a couru à travers le terminal pour prendre le prochain vol. Si tu fais ça en Europe, tu finis sûrement en prison [rires]. C’était vraiment dingue.

Si tu passes une soirée à discuter avec des pilotes, je te garantis que ces histoires finiront toutes par sortir [rires].

Pauls Jonass « peu de gens comprennent à quel point ce sport est difficile mentalement »
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