La brume recouvre encore le circuit de Loket ce samedi matin. Dans le paddock, les regards sont fermés, les mots rares. La tension est palpable, lourde comme le ciel qui retarde les essais libres de l’Europe 85. Pour ces jeunes pilotes, ce rendez-vous peut – déjà – s’avérer décisif : performer à Loket pourrait ouvrir des portes, et poser les bases d’un début de carrière.
Derrière chaque kid qui attend d’en découdre, il y a des histoires de sacrifices, de familles entières embarquées dans le même rêve. Parmi elles, celle d’Adrien Lopes, figure familière des paddocks, qui accompagne son fils Tim, l’un des espoirs du motocross français. C’est avec lui que nous avons choisi de plonger dans les coulisses de cette aventure.
Et autant dire qu’à l’instar de nombreux parents avant lui, Adrien pensait – sinon espérait – parvenir à se détourner du milieu moto. Loupé. Alors qu’il entamait les dernières années de sa carrière, le fiston, à peine âgé de trois ans, observait, s’imprégnait et réclamait déjà de l’accompagner à l’entraînement. Ce qui devait rester un simple jeu s’est rapidement transformé en une passion partagée.
Un Lopes peut en cacher un autre.
«Je me suis dit comme tout le monde, que Tim ne ferait pas de moto … Mais une fois que c’est commencé; difficile d’arrêter» explique Adrien. «Depuis tout petit, Tim était demandeur. À deux ans et demi sur sa PW, il était déjà capable de faire tout le tour de ma piste de Supercross et ça a évolué comme ça. D’ailleurs, ça a été compliqué en Motocross pour lui au début, parce qu’il ne comprenait pas qu’il fallait rester gaz en grand [rires]. Dans ma carrière, j’ai pu entraîner pas mal de pilotes et j’ai vu de beaux parcours. Avec mon expérience, je l’ai testé quand il était petit pour savoir s’il était vraiment prêt à s’investir dans la moto. J’ai vu qu’il faisait passer la moto avant l’amusement. En plein été, ses copains l’appelaient pour aller à la piscine, et lui préférait faire de la moto en plein cagnard, alors que ce n’est pas toujours marrant d’aller rouler tout seul. Mais lui était catégorique : il voulait faire de la moto.»
Derrière chaque enfant rêvant de devenir professionnel se cache un engagement familial de chaque instant. Adrien en est conscient : accompagner son fils dans sa passion exige une organisation millimétrée, des sacrifices et une implication totale. Entre école, entraînements, préparation physique et courses, les semaines s’enchaînent à un rythme infernal. Une réalité qui illustre une professionnalisation de plus en plus précoce.
«J’ai énormément de respect, et je le dis : bravo aux parents qui arrivent à gérer l’entraînement des petits. Parce qu’aujourd’hui, ils commencent de plus en plus tôt, et s’entraînent presque comme des pros» confie Adrien. «Les enfants de 8-9 ans ont désormais les mêmes entraînements que les pros d’il y a 20 ans. La discipline s’est énormément professionnalisée. Voilà pourquoi je dis bravo, car c’est un travail à temps plein en tant que parent. En fait, je pense vraiment qu’il faut être prêt à consacrer sa vie à ne faire que ça. Ce n’est vraiment pas évident. La vie de couple à la maison, l’argent, il y a tellement de facteurs qui font que c’est compliqué d’y arriver. Quand on se lance, il faut être prêt !» admet Adrien avant de faire le parallèle avec son quotidien à l’âge de Tim.
«À son âge, mon quotidien n’avait rien à voir avec celui de mon fils. Tim a une chance que tous les petits n’ont pas : j’ai passé du temps dans le milieu. Je sais ce qu’il faut faire, et ce qu’il ne faut pas faire. Quand j’étais jeune, j’étais complètement à la rue avec les entraînements physiques, et je m’en rends compte aujourd’hui. Quand il fallait faire un footing, je me cachais au coin de la rue [rires]. J’ai côtoyé beaucoup de pilotes français, et la réalité c’est qu’on faisait tous pareil. À 12 ans, c’est difficile de comprendre l’intérêt, de se forcer. C’est compliqué de se dire : « Je vais prendre mon vélo et faire une heure et demie de cardio » ou « Je vais aller courir 45 minutes tout seul ». Il faut une certaine maturité pour ça.»
Pour Adrien Lopes, la réussite dès les premières années ne constitue pas une garantie pour l’avenir. Avec Tim, il préfère diversifier les expériences que se focaliser sur les résultats, parfois trompeurs sur le long terme. Dankers, Boegh-Damm, Kucherov, Smulders, Bidzans, Voytsyckyy : autant de noms familiers. Tous ont décroché – au moins – un titre de champion d’Europe 65 ou 85cc, sans jamais réussir à briller par la suite.
«Avec mon vécu, je pense que les résultats dans les petites catégories ne sont pas très importants. Il y a des pilotes comme Christophe Pourcel qui ont tout gagné en grandissant, mais il n’y en a pas beaucoup qui ont dominé toute leur carrière. Il y a eu des passages à vide pour certains, et d’autres ont mis plus de temps à éclore. Le plus important selon moi, c’est de diversifier les expériences, même si les résultats ne sont pas toujours là. C’est pour ça que j’essaie d’orienter Tim vers le sable, vers le supercross, vers la terre, pour prendre un maximum d’expérience dans toutes les disciplines. Parce que c’est petit, finalement, que tu apprends le mieux et le plus facilement. Pour moi, c’est donc vers la fin du 85cc que ça commence à devenir important, sans même parler de résultats. On parle plus de l’envie de l’enfant. En termes de résultats, on va commencer à regarder ce qu’il est en mesure de faire en 125cc. D’ailleurs, on peut voir qu’en France, on a souvent performé en 125, mais eu du mal à franchir le cap du passage en 250cc. Je pense à Tom Guyon, qui a vraiment bien roulé en 125cc, à un Herbreteau… Il y en a beaucoup qui ont été très forts en 125cc et qui ont eu plus de mal lors du passage au 4-temps, là où c’est vraiment primordial. Pour moi, c’est là que ça se joue, si tu veux un jour prétendre à devenir champion du monde.»
Derrière la progression de Tim, un travail de l’ombre; constant, discret pour faire tourner un programme et assurer une logistique à toute épreuve. Adrien tient à souligner l’importance des partenaires pour permettre à son fils de se concentrer pleinement sur ses objectifs. Compte tenu du budget nécessaire pour couvrir une saison, ces sponsors sont déterminants sinon indispensables. Mais au-delà de l’aspect financier, ces partenariats enseignent aussi à Tim la valeur de l’effort et l’importance de la gestion, tout en offrant à la famille Lopes un filet de sécurité.
«Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir des partenaires qui me permettent d’être à 100 % derrière Tim, même si on ne vit pas une vie de ministre. On fait attention à tout, mais c’est bien parce que ça lui apprend que 1 € c’est 1 €, et ce sont aussi des bases importantes qui participent à la réussite de l’enfant, et qui lui montrent que la vie n’est pas facile. Mon quotidien est entièrement voué à Tim : entre gérer les partenaires, aller chercher du soutien, rédiger les communiqués, gérer tout ce qui est réseaux sociaux… ça prend du temps. Tout ça, c’est sans parler de son entraînement et des courses qu’on fait le week-end. C’est un boulot à plein temps et c’est pour ça que je tire mon chapeau aux parents qui ont des enfants en 85 cc et qui travaillent à côté, parce qu’ils n’ont peut-être pas la chance d’avoir autant de partenaires que Tim. Quand je vois le temps que ça me prend, je réalise que ce doit être compliqué pour eux de gérer les deux tableaux. On a de la chance d’avoir pas mal de partenaires dans le milieu de la moto, que ce soit le Team 33, Bud Racing ou 50 Factory, qui me mettent des budgets à disposition au niveau des pièces. C’est important pour se retirer une belle épine du pied, mais aujourd’hui, prendre la route et aller s’entraîner tous les jours à une heure de la maison, ça coûte des sous. Cette année, en huit mois, j’ai consommé les 30.000 € de budget partenaire que j’avais récupéré en extra-sportif. Et il reste encore un peu de temps d’ici la fin d’année. Certes, Tim est allé aux USA une fois cette année, donc j’arrive quand même à joindre les deux bouts grâce aux partenaires. J’ai aussi mes parents qui m’aident, c’est quand même important qu’ils soient là. Disons que j’ai la chance de savoir que si un jour je suis dans la m*rde, il y aura toujours quelqu’un derrière moi.»
Avec Conrad Pinchon et Lucas Bos, Tim Lopes bénéficie du soutien de la Bud Racing Academy, programme lancé par Stéphane Dassé et son équipe fin 2024. Un coup de pouce plus que bienvenu pour la famille Lopes, et un pari sur l’avenir pour Bud Racing qui n’a jamais cessé son engagement auprès des pilotes Français.
«Stéphane garde un œil sur Tim, c’est pour l’avenir je pense. Ils sont là pour nous filer un coup de main sur beaucoup de choses. Je sais que si j’ai besoin, Stéphane, Damien, Lili, l’équipe de Bud Racing sera là. Ils sont derrière Tim et prennent du temps pour lui quand ils le peuvent. Tim n’est pas officiellement pilote de Bud comme peuvent l’être Garcia et Cannon. Mais je sais que si on a un coup dur et si on a besoin d’aide, ils seront là. Stéphane reste quelqu’un d’entier. Je pense que c’est quelqu’un à qui je peux demander certaines choses, sur qui je pourrai m’appuyer. Il a fait beaucoup de choses pour les jeunes et pour les Français. Aujourd’hui, on voit que beaucoup de Français sont passés chez Bud à un moment ou à un autre. Dans ma tête, je vois un parcours un peu différent pour l’avenir de Tim. Et pour moi, Bud Racing est une pièce maîtresse de ce parcours. »
Au niveau fédéral, et Tim Lopes étant en équipe de France, la fédération Française de Motocyclisme débloque également un budget pour la famille Lopes afin de les soutenir. Les espoirs d’aujourd’hui deviendront peut-être nos champions de demain.
«Heureusement qu’ils sont là. Ce n’est quand même pas négligeable. On a une dotation pour chaque course en Europe, pour la course du Mondial, pour les stages. Tout cumulé, ça fait quand même une belle aide en fin de saison. C’est important qu’ils soient là. Freddy Blanc, Lucas Becchis ou même Théo Roptin, ce sont des personnes que j’ai côtoyées moi-même quand je roulais, avec qui j’ai de l’amitié en plus du relationnel. Je pense que si j’avais besoin d’un coup de main, Lucas serait là pour m’aider lui aussi. »
Trouver le juste équilibre entre adolescence et sport de haut niveau n’est pas une mince affaire, surtout pour un jeune comme Tim, déjà engagé à 200% dans une trajectoire mêlant passion et ambition. Mais Tim a rapidement compris les enjeux et les obligations; et le vécu d’Adrien lui sert aujourd’hui de point de repère.
« Trouver le bon équilibre, c’est un sujet difficile» grimace Adrien. «Disons que Tim comprend que pour performer, il faut se coucher tôt, bien manger, faire du sport. Je ne suis pas trop chiant, il fait les efforts de lui-même. Il mène une vie de sportif et je n’ai pas besoin de lui redire dix fois de faire attention. Avec le recul, je pense que mes parents étaient laxistes avec moi. Ils ont arrêté de m’encadrer à mes 17 ans, vers la fin du Junior. C’était déjà trop tard pour moi. À la veille d’une course, ils me disaient d’aller me coucher à 22h30 [rires]. Souvent, je n’arrivais pas à dormir. Aujourd’hui, Tim va au lit à 20h30 ou 21h, et pour certains parents, c’est même encore plus tôt [rires]. L’importance de l’entraînement physique, je l’ai comprise trop tard, vers 22 ou 23 ans, mais c’était déjà fini pour moi. Parfois, mes parents ont du mal à comprendre que pour Tim, la vie de sportif de haut niveau, c’est au quotidien. Ils voient bien que je ne le force pas, qu’il le fait de lui-même. Mais malgré ça, pour performer, il faut une équipe, être bien entouré. C’est à plusieurs que tu y arrives, jamais tout seul. J’ai la chance de pouvoir compter sur mes parents et ma femme pour me soutenir. »
Lorsqu’il évoque l’avenir de Tim, Adrien ne cache pas les difficultés liées au parcours européen dans lequel nombreux s’engouffrent. Entre les sacrifices familiaux, la logistique contraignantes et les coûts importants, la famille Lopes s’interroge sur la pertinence d’un programme orienté Europe 125 dans un avenir proche. Pour les Lopes, l’alternative américaine apparaît de plus en plus comme une option crédible, tant pour l’équilibre de Tim que pour ses ambitions sportives.
« Disons que je vois ce qu’il se passe, je me fie à mon vécu. Je tire mon chapeau à la famille Diss-Fenard, à la famille Ferez, et Goyer. Aujourd’hui, performer sur l’Europe 125, c’est plus qu’un temps plein. C’est 24h/24, 7j/7. Tu n’as plus de vie de famille, plus de chez toi. Tu dois traverser l’Europe et vivre en camion à droite, à gauche. Je pense que je n’en suis pas capable. La carrière européenne pourrait prendre effet pour Tim si, dès maintenant, Tim intègre une structure où tout est mis en place pour qu’il soit au mieux. Un peu comme Mano Faure aujourd’hui. Et encore… Disons que je sais par quoi la famille Faure est passée avant d’en arriver là. Sur l’Europe 125, on ne parle plus d’un simple déplacement à Loket ; on parle de 13 déplacements par an. Nous, pour aller à Loket, on est parti le jeudi matin à 8h, on a fait 15 heures de route, et derrière il faut essayer de performer. C’est ce que font les parents sur toutes les courses de l’Europe 125cc, alors que d’autres arrivent sur les épreuves en avion pendant que le reste est géré pour eux, ce qui enlève beaucoup de fatigue et fait que tout le monde ne joue pas à armes égales. »
« Et puis, la carrière en Europe est très coûteuse. Je ne sais pas s’il y a vraiment un intérêt – même pour les marques – à investir dans les jeunes pilotes. Je ne vois pas où ils peuvent y gagner. Tim est déjà allé aux USA trois ou quatre fois depuis qu’il est petit. Il voit bien que là-bas, ça n’a rien à voir. Je pense que dans le fond, c’est ce qu’il a envie de faire. Si, à un moment, il faut prendre cette voie, j’y suis préparé. Un parcours 100 % américain, ça reste un parcours qu’aucun Français n’a fait. L’idée, ce pourrait être de finir la carrière amateur aux États-Unis, un peu comme Jo Shimoda ou Jett Lawrence l’ont fait avant de monter chez les Pros. Le plus drôle, c’est que quand les Américains nous demandent pourquoi on ne fait pas Loretta Lynn’s et que je leur répond que c’est parce qu’on est à Loket, il ne savent même pas de quoi je parle. La réalité, c’est que Tim est presque plus connu par l’industrie américaine que par l’industrie européenne – en dehors de la France. Donc je pense qu’aujourd’hui, si on prenait l’avion, on aurait beaucoup de choses mises en place aux USA pour que Tim puisse performer. Mais dans le fond, je sais que c’est encore un peu trop tôt pour prendre cette direction. »
Adrien Lopes souligne l’importance pour les jeunes pilotes de multiplier les expériences, en fonction de ses moyens. C’est dans cet esprit que Tim alterne au maximum entre l’Europe et les États-Unis, perfectionnant à la fois sa technique et son adaptabilité — deux atouts clés pour pouvoir prétendre à performer sur la scène internationale.
« Pour moi, le mieux, c’est de jouer sur les deux tableaux : aller un peu aux Etats-Unis tout en roulant ici. C’est pour ça que je pense que faire de l’Europe dès le plus jeune âge est une bonne chose, parce que ça t’apprend à avoir un physique, et de la rigueur. Aux USA, ils apprennent ça un peu plus tard selon moi. L’énorme avantage aux USA, c’est qu’ils font directement du Supercross dès leur plus jeune âge ; ils sont vraiment en avance sur l’Europe à ce niveau. Malgré tout, on voit que les autres pilotes du collectif France – Loan, Enzo, Rafael et Louis – ont aussi intégré la culture du Supercross. J’adore Mano Faure, il est extra, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi on a autant fait l’impasse sur le Supercross. Aujourd’hui, si on te propose un contrat aux USA après quelques années en MX2, ça t’ouvre une porte énorme. Tom Vialle, c’est ce qu’il a fait, et il a accompli quelque chose d’immense. Tom faisait du SX quand il était jeune, à l’entraînement, un peu de SX Tour, mais il n’a pas vraiment axé sa carrière sur cette discipline. Arriver à son niveau aussi vite… franchement, respect. Selon moi, c’est important de toucher à tout pour être prêt à toute éventualité ; on ne sait jamais ce que demain nous réserve. Je pense qu’un gars comme Prado, s’il avait fait un peu plus de Supercross en étant jeune, aurait eu moins de difficultés lors de sa première saison aux USA. »
Le retour du championnat de France de Supercross Espoirs initié par le SX Tour et la FFM est salué par Adrien Lopes. Cette initiative relance la relève et suscite un nouvel intérêt pour la discipline dès le plus jeune âge, offrant aux jeunes pilotes l’opportunité de se confronter à un championnat complet et de découvrir de nouvelles pistes. Malgré cet enthousiasme, Adrien rappelle l’importance de consolider ses bases avant de se lancer.
« Le retour du championnat de Supercross pour les 85cc, c’est une excellente chose. Ça avait été arrêté il y a quelques années et là, il y a quand même 15 pilotes présents à chaque course, la grille est complète. Je suis conscient qu’on a un avantage avec notre piste, car c’est difficile de s’entraîner en Supercross aujourd’hui. Aller faire ces courses sans entraînement, c’est très dangereux. Il y a des bases à connaître, il faut en avoir fait un minimum, même si les pistes sont faciles. Je pense que le fait de ne pas pouvoir s’entraîner au quotidien freine beaucoup de monde. Il faut aussi comprendre qu’il y a un début à tout. Je pense que Jean-Luc Fouchet et Cédric Lucas ont poussé, ils ont voulu mettre en place de nouvelles choses. Aujourd’hui, quand on va voir des SX, c’est toujours Soubeyras, Aranda… c’est limite si Izoird prend une moto et roule devant. Il n’y a pas de relève. Je pense qu’ils ont tiré la sonnette d’alarme ; ils se sont dit qu’ils n’allaient pas pouvoir demander à Soubeyras de rouler jusqu’à 45 ans [rires]. Franchement, c’est bien ce qu’ils ont mis en place. »
Face à une professionnalisation grandissante et de plus en plus précoce, Adrien met le doigt sur certaines limites du système français. Selon lui, baisser l’âge minimum d’engagement aux premières compétitions et faciliter l’accès aux terrains d’entraînement seraient des changements essentiels pour permettre aux plus jeunes de progresser, et d’acquérir de l’expérience dès le plus jeune âge.
» Vu comment le sport s’est professionnalisé, je ne comprends pas pourquoi le Minivert n’est pas ouvert à partir de 4 ans en 50cc, comme aux États-Unis. Alors oui, on ne peut pas mettre les 85cc avec les 50cc sur les mêmes terrains, mais l’important, c’est de faire de la moto, d’accumuler de l’expérience. Tim a fait ses premières courses en PW. En France, les premières compétitions FFM, c’était à partir de 7 ans ! De mémoire, c’était un an de moins en Ufolep. C’est pour ça qu’on allait rouler en Espagne. Si je pouvais changer quelque chose, j’ouvrirais les compétitions au plus jeune âge. L’autre problème, c’est que s’entraîner devient un vrai casse-tête pour les jeunes. Si tu es en 65cc ou en 85cc, les pistes ne te seront pas forcément ouvertes. Certains clubs prennent le risque et font l’effort, ou organisent des sessions pour les kids. Mais aujourd’hui, beaucoup ne veulent plus mélanger les petits avec les grands. Pourtant, je trouve que les jeunes sont moins dangereux que les adultes sur les terrains. Les petits appliquent mieux les règles. Pour moi, c’est un faux problème. Si un accident doit arriver, il arrivera dans tous les cas. Faire rouler les petits, c’est un vrai sujet en France; un sujet qu’il faudrait régler. »
Malgré les sacrifices, les investissements, l’énergie investie et les risques pris, rien ne garantit d’atteindre le plus haut niveau. Pour Tim, chaque étape reste marquée par l’incertitude, mais c’est justement ce défi qui façonne le caractère : apprendre la persévérance, l’humilité et le dépassement de soi. Chaque expérience devient une leçon de vie, où la passion prend le dessus sur les résultats.
« Je n’ai pas de boule de cristal, je ne sais pas où Tim sera dans 10 ans. Mais je sais que tout ce qu’on fait aujourd’hui, ça lui servira au quotidien, même s’il n’atteint pas le plus haut niveau. C’est une formidable école de la vie : ça lui apprend la rigueur et bien d’autres choses. La seule certitude, c’est que quand tu te lances dans ce genre de projet en tant que parent, c’est soit tu le fais à 100 %, soit tu ne le fais pas. Par exemple, Tim sait très bien comment Mika Musquin a eu son accident. Il connaît très bien mon passé, les risques que j’ai pris, et ceux qu’il prend aujourd’hui. Mais Tim a la banane quand il monte sur la moto. Je pense qu’il serait plus triste si on lui disait d’arrêter la moto que si on lui disait qu’il risquait de finir grièvement blessé. Je sais que c’est dur à entendre, mais quand on aime ça… Mika, c’est mon meilleur ami, j’étais avec lui tout le temps, j’ai passé mon enfance avec lui. Son accident a été très dur pour moi. Au fond, je me dis qu’on doit être un peu sadomaso… Mais à vrai dire, tu n’y penses pas du tout quand tu montes sur la moto. »
Du haut de ses 12 ans et malgré son implication dans le sport, Tim Lopes poursuit une scolarité classique tout en réussissant, pour l’instant, à concilier études et moto. Un équilibre précaire, qui pousse bien des familles à prendre des décisions radicales dès le plus jeune âge.
« Tim n’est pas trop « école », mais il arrive à concilier moto et études pour l’instant. Il suit un cursus scolaire normal, et je ne vois pas pourquoi on arrêterait l’école « classique » tant qu’il arrive à suivre. Tim ne dispose d’aucun aménagement; il va passer en 4ᵉ à la rentrée prochaine, comme tout le monde. Après, il lui arrive de louper l’école pour partir sur les épreuves. Je crois que sur une année, Tim manque quasiment 50 jours de cours. Mais il arrive à rattraper sans décrocher. Il a 14 de moyenne, donc je ne me vois pas le mettre en cours par correspondance tant qu’il parvient à trouver un équilibre. Alors oui, Pythagore, Thalès, tout ça, ça ne lui servira pas à grand-chose plus tard. Mais savoir parler, savoir écrire, savoir compter… toutes ces choses-là sont essentielles dans la vie. Je suis au moins aussi chiant avec lui pour l’école que pour son entraînement physique [rires]. »
Adrien Lopes met en garde contre la précipitation, et les changements de cylindrée anticipée. Selon lui, prendre son temps est primordial, tout comme être en mesure de maîtriser chaque catégorie avant de passer à la suivante, afin d’apprendre à gagner et poser les premières fondations d’une carrière durable.
« Avec le recul que j’ai aujourd’hui, je dirais que je suis monté trop tôt dans les catégories. Apprendre à gagner, c’est difficile. C’est souvent ce que je dis aux autres parents : il faut savoir rouler devant et apprendre à gérer dans sa catégorie avant de passer à celle du dessus. Rien ne sert de monter le plus tôt et le plus vite possible ; ce n’est pas ça qui te rendra meilleur à l’avenir. Mathis Valin est resté longtemps en 85cc et ça ne l’a pas desservi. Il a appris à gérer ses courses, ses titres. Ce qui a été compliqué pour lui, c’est qu’il était encore en 85cc alors qu’il avait dépassé l’âge pour faire l’Europe et le Mondial. La limite d’âge est fixée à 14 ans sur l’Europe 85cc, alors qu’elle est de 15 ans en France. Ce n’est pas logique. Aujourd’hui, pour être en équipe de France, il faut avoir l’âge de rouler en Europe. Mathis, dans sa dernière année en 85cc, n’a pas pu faire l’Europe ni le Mondial parce qu’il n’avait plus l’âge. Mais surtout, il n’a pas pu intégrer l’équipe de France. Ce n’est pas cohérent. Pour Tim, la question ne se pose pas. Il aura 13 ans l’an prochain et il rempilera en 85cc. Le passage en 4-temps n’est pas évident non plus. Ce sont des choix qui ne sont pas simples à prendre et chaque carrière est différente. Certains font l’impasse sur le 125cc, ou n’en font que très peu, par exemple. Il faut peser le pour et le contre… pour ne pas regretter plus tard. »
Adrien suit de près l’investissement des familles dans ce milieu. Face à de jeunes talents aspirant à une carrière, il insiste : l’essentiel reste de préserver l’enfant et de respecter sa véritable motivation.
«Mon conseil pour les parents, ce serait que la première chose à prendre en compte, c’est le petit. Il faut savoir s’il a vraiment l’envie et la détermination avant de s’investir à 100 % et de cramer tout l’argent qu’on a. Le problème avec les enfants, d’après ce que je vois, c’est qu’il est difficile pour les parents de faire la part des choses et de comprendre si tout ça vient vraiment de l’enfant… ou d’eux-mêmes. Quand tu investis beaucoup d’argent dans la moto, tout ton temps, c’est compliqué de le faire à moitié. Et souvent, les enfants ne le comprennent pas forcément, parce qu’ils sont encore petits.»
