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Yannis Irsuti « Pour le sport, je ne pense pas qu’instaurer une limite d’âge soit la solution »

Images: DailyMotocross

Concerné par les nouvelles règles d’éligibilité à la catégorie SX2, Yannis Irsuti est passé en catégorie reine cette saison. Détenteur de trois titres de champion de France de Supercross (chez les Juniors en 2012, puis en SX2 en 2017 et 2022), le pilote Français évolue depuis ces deux dernières saisons au guidon de la Stark Varg, au sein du team officiel. Neuvième du SX Tour cette année, on a été prendre la température avec l’intéressé au soir de la finale de Lyon pour parler de la Stark, de son évolution, et du championnat de France,  Micro.

Yannis. Tu es monté en 450 cette année. Tu es le seul mec qui a changé de cylindrée et de catégorie sans changer de moto. Finalement, c’est aussi l’un des gros avantages de cette Varg aujourd’hui.

Tout à fait. On m’a posé la question un paquet de fois et, sérieusement, c’est un avantage pour moi d’avoir pu rester sur la Varg. Grosso modo, en faisant simple, on a juste à changer la puissance. On n’a pas d’effet gyroscopique supplémentaire, comme on pourrait retrouver lors du passage du 250 à la 450. C’est principalement ce que je n’aimais pas vraiment sur la 450.

Là, c’est parfait. Pour moi, c’est la première année en 450, donc il y a évidemment une période d’acclimatation nécessaire. L’année a été compliquée avec trois blessures : une sur l’Elite, une au Pro Hexis et une au Kenny Festival. À chaque fois, j’ai dû revenir en forme, me reconstruire entre guillemets. Je suis quand même content de finir sur une bonne note. Je ne suis pas satisfait de ma dernière manche ce samedi soir, mais c’est comme ça. Je prends le positif.

Tu es passé en SX1 cette année suite à l’instauration de nouvelles règles d’éligibilité à la catégorie SX2. Étant concerné par ces changements, quel est ton point de vue par rapport à ces derniers ?

Je suis sûr que les gens qui liront ça se diront que je donne mon opinion en fonction de ma situation. Mais j’essaie de prendre du recul et de rester neutre, comme si j’étais spectateur.

Pour le sport, je ne pense pas qu’instaurer une limite d’âge soit la solution. Pourquoi ? Parce que moi, à l’époque, je me battais avec Flo’ Richier qui avait 31-32 ans. Il nous torchait les fesses. Il a fallu qu’on se sorte les doigts pour aller le titiller, pour essayer de le battre. Et en fait, ce gars-là m’a tiré vers le haut. Il a fini par partir parce qu’il a pris sa retraite. En 2017, j’étais très compétitif, et c’était en partie grâce à lui.

En finalité, c’est donc en partie grâce à lui que j’ai pu être champion de France, Prince de Paris, et faire ce que j’ai fait par la suite. Donc sportivement parlant, je ne trouve pas que ce soit une solution. Ceux qui ont milité pour ça, maintenant que les trentenaires ne sont plus là, ne gagnent pas pour autant. Donc je pense qu’il faut regarder les choses d’un autre angle et en tirer des conclusions.

Ce serait quoi la solution, selon toi, du coup ?

Selon moi, il faudrait laisser les catégories ouvertes. Si ça se trouve, je resterais en 450 à l’heure d’aujourd’hui. Ce n’est pas la question.

Sportivement parlant, si tu arrives à être plus rapide que des jeunes de 19 ou 20 ans, c’est à eux de faire le job pour te battre. En fait, je pense que l’entourage de certains jeunes ne voit pas les choses de la même façon que moi. Je vais sur mes 32 ans, c’est de plus en plus dur d’être devant face aux jeunes qui arrivent et qui n’ont pas eu les pépins physiques qu’on a eus, mais aussi ceux qui viennent avec le fait de prendre de l’âge dans ce sport. Pour moi, instaurer ces règles d’éligibilité n’est pas une solution. C’est à ceux qui arrivent de se sortir les doigts, de s’entraîner, et de penser au sport et pas simplement d’essayer de nous foutre dehors de cette manière-là, pour espérer être un peu plus devant.

Une Varg, différentes cylindrées

Un mot sur ton week-end au Supercross de Lyon. J’imagine que tu vas me dire qu’il est mitigé ?

J’ai très mal commencé hier [vendredi]. J’avais vraiment un très mauvais feeling. Quand je suis revenu de la demi-finale, j’ai dit « c’est le pire roulage que j’ai jamais fait ». Je n’avais jamais aussi mal roulé, j’ai eu un peu honte. Finalement, je fais sixième en finale. L’essentiel, c’est de réussir à trouver des solutions. J’ai mieux roulé aujourd’hui [samedi]. Je fais troisième en demi-finale, j’étais dans le coup. J’avais les mêmes chronos que le troisième, et ça n’arrive pas seulement par miracle. Par contre, en finale, j’ai été un peu gêné par mes petits pépins physiques dus aux blessures de cette année.

Du coup, le fait d’augmenter la puissance de la Stark pour rouler en SX1 ne nécessite pas de faire des changements particuliers sur la moto ?

Si. Il est obligatoire de revoir la démultiplication. Moi, je roule avec 58 chevaux, 55 ou 58 selon les pistes. Donc par rapport à la Varg limitée à 48 CV, quand tu rajoutes 10 CV. Il faut aussi revoir l’amortisseur car ça tire énormément dessus. On a également la possibilité de régler l’agressivité de la poignée. Avec 10 chevaux de plus, on est obligé de se poser les bonnes questions. On change aussi la forme des courbes de puissance. Tout ça, c’est du testing qu’on a fait avec les ingénieurs. On a la chance de pouvoir faire ça en étant dans le team usine, et d’être un peu plus précis que M. Tout-le-monde qui achète sa Varg en concession. Passer en catégorie SX1, ça a nécessité du travail. Il y a eu un gros boulot de fait sur les suspensions, notamment.

L’an dernier, j’étais venu te parler des whoops. Le sujet est toujours là. Je ne t’ai jamais vu autant sauter dans les whoops que depuis que tu roules sur la Varg. J’ai même l’impression que c’est devenu une stratégie à part entière. L’an dernier, tu me disais que les ingénieurs bossaient là-dessus, que vous étiez conscients des problèmes. Ça a avancé ?

Oui, on a avancé. Même si ça ne se voit pas forcément aujourd’hui, je suis totalement transparent là-dessus. Aujourd’hui, la conclusion qu’on a tirée avec Reptil Racing, qui s’occupe de mes suspensions, c’est que je roulais trop dur. Pour une piste comme Lyon, je roule beaucoup trop dur. Mais je ne peux pas me permettre de rouler plus souple sur une piste comme Saint-Thibéry. Ça nous sert d’expérience.

L’année prochaine, on reviendra avec un jeu de suspensions légèrement plus souple à Lyon. Et ensuite, oui, on bosse toujours là-dessus, on fait des améliorations. Mais on a une direction à prendre qui nécessite beaucoup plus de temps et des ingénieurs. Et à l’heure actuelle, en termes de gestion interne pour Sébastien [Tortelli], qui est le Race Director, c’est un peu compliqué. Donc ça prend du temps. Mais depuis avril, il me semble qu’on sait ce qu’on doit faire.

Stark Future est désormais engagé sur le World Supercross. Est-ce que ça permet d’avoir des données supplémentaires ? C’est quelque chose dont tu bénéficies indirectement, ou pas ?

Personnellement, pour l’instant, non. J’étais focus sur moi-même. En fait, je me suis blessé au genou au Kenny Festival. J’étais vraiment concentré sur mon retour afin d’être performant, ou au moins de rouler à mon niveau. Je n’ai pas trop cherché à savoir ce qu’il se passait sur le World Supercross. J’étais vraiment concentré sur mon truc. Mais je sais que tout le monde est vraiment transparent dans le team. Si je pose des questions, je n’aurai pas de problème à obtenir des réponses.

À Lyon, la différence se fait principalement dans les whoops.

La Stark, c’est une moto qui évolue relativement souvent. Depuis l’an dernier, en quoi la tienne a-t-elle évolué ?

On a eu une petite modification sur la partie cycle qui a fait qu’on a dû beaucoup remettre en question l’amortisseur. Principalement, c’est ça. On a pas mal travaillé sur les courbes de puissance aussi, pour essayer d’être mieux dans les whoops. Mais on a encore du boulot. Vraiment, le point dont je t’ai parlé juste avant, il faut qu’on aille le creuser un peu plus. Pour moi, ce point va vraiment être l’élément déclencheur qui va permettre d’assurer la crédibilité de la Stark dans les whoops.

Je crois que cette année, il y avait deux ou trois Stark non officielles en piste à Lyon. On dirait que ça prend petit à petit auprès des gens. Est-ce que tu as l’impression que les mentalités ont un peu changé ?

Oui, et c’est typiquement français. Les Français sont de nature à être très sceptiques, très réticents au début. Dès qu’il y a une nouveauté, ils voient toujours les points négatifs au premier abord. Ils restent un petit peu bloqués là-dessus.

Maintenant, ça fait deux ans qu’on est sur le circuit. La dernière fois que je suis allé rouler à Châteauneuf-les-Martigues — à mon club — sur la cinquantaine de motos qu’il y a eu sur la journée, il y avait sept ou huit Stark. Donc je trouve que c’est beau quand même. Et de tous les mecs que je vois, pas un seul n’est venu me voir en me disant « franchement, je me fais chier avec la Stark, ça ne me plaît pas » ou « je regrette ». Non, tous ont la banane.

Le seul point négatif pour eux, pour les mecs qui font du loisir avec la Stark, c’est le fait d’avoir le groupe électrogène qui fait un peu de bruit quand on a décidé de se reposer. C’est tout. C’est vraiment le seul truc qui peut revenir à mes oreilles. Mais bon, la solution, c’est d’avoir une grande rallonge et le problème est réglé [rires].

As-tu des plans pour 2026 ?

Oui. Je continue avec Stark pour une troisième année. Prochainement, je pense qu’on va discuter du programme.

Cette année, il a fallu faire un choix pour intégrer le World Supercross ; un choix sur les pilotes. Et très honnêtement, je n’étais pas en forme. Ma blessure à Castelnau m’a pris du temps, même si elle n’était pas très importante. Elle m’a bien secoué. Donc, je n’étais pas dans le coup et tout le monde l’a vu. Ne pas pouvoir rouler sur le World Supercross, ce n’est pas quelque chose que j’ai mal digéré. Si on m’avait proposé, j’aurais dit « Non, prenez mon coéquipier ». Je suis honnête et je pense avoir la tête sur les épaules. Maintenant, je sais ce que je dois améliorer.

Je dois travailler sur mon physique pour compenser ces quelques gênes dues à mes anciennes blessures. Et je vais tout faire pour être performant et avoir ma chance sur le World Supercross.

David Herbreteau a fait l’Elite cette année, et on a vu que la Stark était assez aboutie pour faire des manches complètes en MX. Est-ce que c’est un truc qui te brancherait de faire une saison d’Elite au complet ? Tu m’as parlé de Castelnau, je ne savais même pas que c’était à ton programme en 2025.

En fait, c’était un peu un plan à la dernière minute. Seb m’a appelé et m’a dit « Yannis, j’ai besoin que tu me fasses les 3 courses de l’Elite dans le sud », donc j’ai dit go. J’avais quand même peu de préparation. Lors de la première, je crois que je fais 10ᵉ du général. J’étais plutôt content, car je ne suis pas un spécialiste du MX. Je n’avais pas vraiment de recul en Motocross avec la Stark à part à l’entraînement ici et là. Malheureusement, je me suis fait percuter à la réception d’un saut à Castelnau et ma participation à l’Elite s’est écourtée. Pour l’instant, je serai incapable de te dire si je vais me remettre derrière la grille de l’Elite en 2026. Mais s’il faut y aller, j’irai.

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