Vous la voyez sans la voir, toujours à ses côtés, toujours dans l’ombre des projecteurs. Elle ? C’est Amélie Schmitt. Présente aux côtés de Benoit Paturel depuis ses débuts chez les professionnels, Amélie occupe un rôle central dans sa carrière. Discrète mais déterminée, elle fait partie de ces personnes de l’ombre dont le soutien contribue, en silence, à la réussite des athlètes de haut niveau. De nature réservée, Amélie prend la parole avec sincérité. Ce sport les a unis dès l’adolescence, a rythmé leur histoire, façonné leur vie à deux et parfois laissé des marques profondes. Entre rires et larmes, Amélie accepte de sortir de sa zone de confort pour se livrer dans un témoignage qui retrace la moitié d’une existence. Micro.
Amélie. Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots et nous raconter ton parcours, jusqu’à ta rencontre avec Benoît ?
Pour commencer, je suis quelqu’un de très simple. J’ai une vie tout à fait normale. J’ai passé mon enfance sur les terrains, parce que mon frère roule aussi, pour le coup. J’ai beaucoup de bons souvenirs. Mon parcours avant Benoît, on va dire qu’il s’arrête rapidement, car je l’ai rencontré quand j’avais 16 ans. J’étais encore à l’école à cette époque. J’ai travaillé quelques années à l’hôpital et, après, je suis partie le rejoindre en Belgique.
Dans quel contexte l’as-tu rencontré, et où en était-il dans sa carrière ?
Je l’ai rencontré sur une course à laquelle mon frère participait. On était garés à côté l’un de l’autre. Je n’ai pas trop fait attention à Benoît à ce moment-là, j’étais vraiment concentrée sur mon frère. Je ne savais pas que Benoît m’avait déjà repérée à ce moment-là [rires]. À l’époque, Benoît n’était pas encore pilote professionnel, il était semi-pro. Il avait seulement une aide de la part de Bud Racing. Il roulait sur l’Europe 250, c’était sa première année.
Est-ce que tu t’attendais à ce que votre histoire – comme la carrière de Benoît – prenne cette ampleur, cette direction ?
Non. Pas du tout, puisque Benoît n’était pas pilote professionnel. Moi, j’avais 16 ans, j’étais un peu perchée et, pour le coup, je n’en avais que pour mon frère. Autour, il n’y avait rien d’autre. Pour nous, le motocross c’est une histoire de famille, puisque mon papa roulait. J’ai passé mon enfance à partir sur les courses en famille.

Soutien infaillible à Benoit Paturel, Amélie partage la vie du pilote Français depuis bientôt 15 ans – les hauts, les bas, l’ombre, comme la lumière
On avait évoqué l’idée de faire ce sujet l’an dernier. Tu devais t’imaginer qu’on aborderait des aspects personnels de ta vie. Tu aurais pu refuser, mais tu as accepté : pourquoi ?
J’ai accepté car c’est venu naturellement dans nos discussions. Je n’aime pas être sous le feu des projecteurs, et j’ai toujours fait le choix d’être discrète. Encore plus quand il s’agit de ma vie privée. Je peux par exemple facilement me passer des réseaux sociaux, etc. Mais je pense que c’est bien que les gens puissent aussi se rendre compte de certaines choses, sur certains points.
Pour soutenir la carrière de Benoît ces dix dernières années, dirais-tu que tu as dû faire des sacrifices personnels, notamment sur le plan professionnel ?
Bien sûr, j’ai dû faire des choix et des sacrifices sur beaucoup de choses. J’ai dû arrêter de travailler et quitter ma famille. Je n’ai pas peur de le dire. Benoît ne m’a jamais mis le couteau sous la gorge. C’est mon choix, et j’ai toujours été heureuse d’être à ses côtés. Dès le début, il m’a dit que sa priorité, c’était sa carrière. On s’était accordé là-dessus d’entrée de jeu.
Concrètement, à quoi ressemble ton quotidien ? J’imagine qu’il a toujours fallu, dans une certaine mesure, s’organiser en fonction de celui de Benoît et de sa carrière sportive ?
J’ai été présente sur presque tous les Grands Prix, je n’en ai pas manqué beaucoup. Sur une saison de GP, on part pour les épreuves le jeudi et on rentre le lundi. Les semaines sont très courtes : il faut tout nettoyer, tout repréparer. Pendant ce temps-là, Benoît s’entraîne, physiquement comme sur la moto. C’est intense.
Sur un week-end de Grand Prix, je l’aide à préparer ses affaires, ses repas, j’organise ses boissons, sa récupération. Il faut que tout soit prêt, que Benoît n’ait rien à faire d’autre que de penser à son travail. Il a besoin que ce soit carré à ses côtés. C’est vraiment toute une organisation.
Aujourd’hui, on vit en Belgique. La Belgique, c’est bien, mais ce n’est pas mon pays. On n’est que tous les deux, donc ce n’est pas facile. Je ne me verrais pas rester là-bas pour ne rien faire, au final. Pendant l’hiver, Ben va par exemple s’entraîner en Sardaigne ou en Espagne pendant quelques semaines. Moi, à ce moment-là, j’en profite pour rentrer dans ma famille.
Comment parvient-on à trouver l’équilibre entre ce qui est le mieux pour toi personnellement, pour vous en tant que couple, et ce qui est le mieux pour Benoît en tant qu’athlète ? Il doit forcément y avoir beaucoup de concessions.
J’ai énormément de chance d’avoir quelqu’un comme Benoît, qui est beaucoup dans le respect et qui a toujours été reconnaissant de ce que je lui apporte. Il est également très présent. Si demain je me lance dans quelque chose, il sera là pour me soutenir. On ne met pas tout de côté, mais presque, pour être honnête. On a très peu d’amis. Les repas de famille, c’est seulement en fin d’année, et en ce qui concerne la vie en dehors de la moto, disons qu’il y en a peu. Souvent, Benoît se repose, on part en vacances, puis après, rebelote, et au travail. J’ai de la chance, et j’ose dire que ça me convient parfaitement. Je ne suis pas une fille qui est trop « sorties ».
Je suis curieux de savoir s’il a été facile pour toi de trouver ta place – au sein du paddock – aux côtés de Benoît. Savoir quand être plus présente pour le soutenir ou l’aider, mais aussi savoir quand être plus en retrait pour le laisser gérer. Il y a aussi les bons et les mauvais jours. Comment en faire assez, ne pas en faire trop ?
Sincèrement, ce n’est pas facile. J’ai toujours été très mature, et heureusement. À 16 ans, j’en avais probablement déjà 25 dans ma tête. C’est sûrement ce qui a fait que ça a fonctionné. Je me suis toujours dit que c’était son travail. On a aussi vécu des moments dans sa carrière qui ont été vraiment difficiles, où j’ai dû prendre sur moi-même, et ça a été très compliqué. On n’a pas le même caractère avec Benoît. Je suis plutôt du genre à dire ce qui ne me plaît pas rapidement, j’arrive à cerner rapidement des situations. Benoît, lui, est très posé. Il a besoin d’analyser. Je respecte cette différence de caractère. Je n’ai jamais pris aucune décision pour lui. Il me demande toujours mon avis, mais la décision finale, c’est lui et lui seul qui la prend. Je l’admire pour ça. Il a réussi à respecter des gens qui ne l’ont pas respecté en retour. Je lui dis bravo pour ça, et je le lui dis souvent.

On les admire souvent, on les critique parfois. Qui qu’il soit, le sportif de haut niveau n’en reste pas moins un homme, un fils, un frère, un compagnon de vie… Bref, une personne parmi tant d’autres.
En dehors de tout ce milieu de la moto, qui occupe forcément une grande partie de ta vie, l’épanouissement personnel, c’est quelque chose d’important pour toi ?
Oui, c’est quelque chose de très important pour moi. Je suis quelqu’un de vraiment très simple, et même solitaire. J’ai besoin de mes moments à moi, tranquilles. Mais on va dire que je m’épanouis assez facilement. Un pique-nique au bord de l’eau, une balade à cheval, et je suis heureuse.
L’aspect vie privée, c’est important pour vous ? Benoît ne fait pas partie de ces pilotes très présents sur les réseaux sociaux. C’est quelque chose que vous avez décidé ensemble, de vraiment dissocier la vie privée de la vie professionnelle ?
Non. Honnêtement, c’est juste que Benoît n’est pas du tout réseaux sociaux, et moi non plus. Moi, je ne suis pas une pilote professionnelle, donc je ne dois rien à personne de ce côté-là. Benoît essaie quand même de faire attention par exemple, aux USA, il lui était imposé dans son contrat de poster X fois sur les réseaux sociaux. Donc j’essaie de surveiller tout ça pour lui. Si Benoît pouvait déconnecter totalement et ne plus être sur les réseaux, je pense qu’il s’en passerait volontiers.
Concrètement, au sein du “team Benoît Paturel”, combien de casquettes tu portes ? J’ai beaucoup rigolé quand il est parti aux USA et que tu m’as dit qu’il ne devait plus avoir le temps de me répondre car il devait s’occuper de ses propres lessives [rires].
Disons que je donne mon maximum pour qu’il ne manque de rien. En ce qui concerne les séances de sport et la moto, je ne m’en suis jamais mêlée. Je n’ai d’ailleurs aucune capacité pour savoir lui dire si ce qu’il fait est bien ou non ; chacun son rôle. C’est aussi ce qui est important avec un sportif : chacun sa place. Concernant les lessives, oui, il était débordé [rires]. On en rigole, mais c’est la vérité. Quand je ne suis pas avec lui, c’est sûr que c’est différent.
Tu as forcément vécu les intersaisons de l’intérieur : les entraînements hivernaux, la préparation physique, les journées interminables à Lommel… Avec tout ce que ça implique en termes de rigueur et de contraintes. Tu penses que les gens ont conscience de la réalité des efforts et des sacrifices que ces mecs font pour leur sport ?
Non. Les gens n’ont pas la moindre conscience de ce qu’est réellement la vie d’un sportif de haut niveau, des entraînements à Lommel par -5 degrés, des entraînements sous la pluie. Quand il rentre à la maison, il lui reste sa récupération à faire, il doit bien manger, bien dormir, tout laver, se préparer pour le lendemain. Il y a les journées physiques où il passe 6 heures sur le vélo, c’est intense. Encore une fois, il y a un programme à respecter à la lettre.
Benoît a connu de très belles années en MX2 : des victoires, des podiums, le feu des projecteurs… En tant qu’athlète, il faut savoir être adulé comme être critiqué, parfois du jour au lendemain — on le voit encore avec Jorge Prado cette année. Ça doit être difficile de lire certaines critiques ou certains messages, surtout venant de personnes qui n’ont qu’une vision très partielle de la réalité. Il faut apprendre à faire la part des choses, voire à faire abstraction des gens ? On a parfois l’impression que le sport déshumanise un peu, que les gens oublient que sous le casque, il y a juste un mec comme eux.
C’est exactement ça. Sous le casque, il y a des humains et les gens ont parfois tendance à l’oublier. J’ai eu beaucoup de mal à un certain moment sur les réseaux sociaux. J’ai lu beaucoup de choses complètement dérisoires sur Benoît, sur certains de ses choix. C’est à ce moment-là que je me suis dit que les gens étaient méchants. Je pense que l’humain se sent plus fort quand il critique, pourtant, il n’a aucune idée de ce que le sportif peut vivre à ce moment-là, et même aucune idée de ce qu’est la réalité du sportif de haut niveau, tout simplement. Je pense que la plupart des gens ne seraient pas en capacité de supporter ce qu’un sportif de haut niveau encaisse en une année. Jorge, je ne le connais pas personnellement, mais quand je l’ai vu aux USA, il était triste : je parle en tant qu’humain. Il m’a vraiment fait de la peine. C’est un champion et j’espère pour lui qu’il va rebondir ; je lui souhaite.
Est-ce que tu dirais que tu as un rôle de support et de pilier mental aujourd’hui ?
Oui, c’est sûr. Je pense que Benoît a un très gros mental. Peu de personnes connaissent finalement le vrai Benoît, et il a vécu des choses compliquées. Je pense que d’être à ses côtés, ça l’a aussi renforcé. Face aux difficultés, on ne s’est jamais laissés tomber à terre, on ne s’est jamais effondrés. On a toujours su relever la tête.

Aux US comme en GP, Amélie est présente aux côtés de Benoit
En tant que sportif de haut niveau, la visibilité et la médiatisation sont importantes. Beaucoup de gens connaissent Benoît le pilote, mais très peu connaissent Benoît l’homme. Qui est Benoît Paturel ?
Au final, quand il n’y a pas de moto, Benoît reste un sportif de haut niveau. Honnêtement, ça ne nous quitte pas souvent. Il a été conditionné comme ça : il a commencé la moto à 4 ans. Il faut que tout soit carré à ses côtés, ça demande beaucoup d’énergie. Il faut aussi être fort dans les périodes où il est en attente de contrats, où notre vie est comme mise sur pause du coup. Ce n’est pas toujours facile, mais Benoît est une personne incroyable, gentille, avec un respect que j’ai rarement vu. Il est toujours de bonne humeur, et ça c’est aussi très important pour moi. Comme tu le dis, quand les gens le croisent, ils voient Benoît Paturel le pilote. C’est sympa, mais parfois, les gens sont déplacés ; ils pensent tout savoir. Ça peut être pénible.
Tu as dû en vivre, des Grands Prix, aux côtés de lui. C’est un milieu de passionnés, avec du beau et du moins beau, comme partout. Avec ton expérience, comment décrirais-tu ce monde qu’est le haut niveau en Motocross ?
Je le décrirais comme étant un milieu magnifique mais difficile, très difficile parce que le motocross – et je pense comme tout sport de haut niveau en général – est un monde de business avant tout. Tu ne peux faire confiance à personne, même à ceux qui te regardent dans les yeux avec un grand sourire. Du coup, je me suis fermée. Sur les épreuves, je me dis que je suis au travail. Évidemment, il y a bien quelques affinités, heureusement d’ailleurs; j’ai fait de belles rencontres, mais ça reste très limité. Benoît me dit souvent que de l’extérieur, je peux paraître comme étant une personne sauvage [rires]. Mais je préfère, c’est une façon de me protéger.
Quel a été ton plus beau souvenir à ses côtés ?
Mon plus beau souvenir, sans aucun doute, c’est à Ernée, quand il gagne la manche du GP de France. Les gens hurlaient, j’étais dans les bras de Pascal Finot, c’était le jour de la fête des mères et ce jour-là, il pleurait avec moi.
Et à l’inverse, ton plus mauvais souvenir ?
Le pire, c’est bien évidemment le jour où Benoît a perdu sa maman. Ce jour-là, sa vie a changé, mais la mienne aussi. Il a perdu sa moitié, son bras droit. Il avait une relation fusionnelle avec sa maman ; c’était la personne la plus importante pour lui. Le jour même, Benoît est parti courir deux heures. Tout le team Kemea était présent à l’enterrement qui s’est déroulé le jeudi. Le vendredi, on était au GP de Loket. Moi, je n’arrivais même plus à tenir sur mes jambes.
Ce week-end-là, Benoît termine quatrième du Grand Prix de Tchéquie. Tout le monde me demandait comment il faisait. Il nous a fait des choses incroyables après avoir vécu le moment le plus difficile de sa vie. À partir de ce moment-là, je lui ai dit que plus rien ni personne ne devait l’atteindre, c’est un champion, et je lui répète souvent.
Qu’est-ce que tu ressens pendant une course ? Les spectateurs ont un certain détachement, ils n’ont pas d’affect direct avec les pilotes… Pour toi, c’est forcément différent.
J’essaie d’être la plus sereine possible. Je suis très concentrée parce que c’est moi qui lui prépare tout avant la course. Je ne veux en aucun cas qu’il ressente du stress de ma part. Je sais exactement à son attitude s’il va bien ou non. Quand il est devant et que je le vois tout donner, c’est vraiment super. Par exemple, cette année, je le voyais se battre tous les week-ends aux USA avec Malcolm Stewart. C’était vraiment fou.
Dans un avenir plus ou moins proche, Benoît mettra un terme à sa carrière sportive. Arriver au haut niveau en motocross, c’est commencer très tôt et consacrer toute sa vie à ce sport. Et forcément, une carrière se termine assez jeune. Au-delà du fait de tourner une page majeure de sa vie, raccrocher les gants, c’est aussi devoir trouver un nouveau sens, une nouvelle voie professionnelle. Or, les options sont souvent limitées : beaucoup n’ont pas de diplômes, ayant arrêté les études très tôt, et n’ont jamais connu autre chose que la moto. Est-ce que “l’après” est quelque chose auquel tu penses, qui vous inquiète, un sujet dont vous parlez entre vous, ou plutôt un sujet un peu tabou ?
Non, ce n’est pas un sujet tabou. Mais il faut être réaliste aussi. Pour ma part, je ne le vois pas dans une vie normale, avec des horaires de bureau, etc. Benoît n’a jamais travaillé dans une entreprise, seulement un peu dans le restaurant de ses parents quand il n’était pas encore professionnel. Son père me disait qu’il arrivait à midi parce que le matin, c’était sport. Il faisait des cafés aux clients, et il s’installait à table pendant des heures avec eux pour parler moto. Son papa pourra confirmer : certains clients ont attendu les cafés un bon moment [rires].
Sa maman m’a également raconté qu’à l’école, quand il était petit et qu’on lui demandait le métier qu’il voulait faire, il répondait « pilote de moto ». On lui répondait que ça n’existait pas, alors il leur disait qu’il voulait faire facteur en mobylette, pour pouvoir faire de la moto tous les jours !
Pour ma part, l’après ne m’inquiète pas trop. Je sais qu’il y a quelque chose de beau qui nous attend. On a quelques idées, mais pour l’instant rien de bien définitif.

Depuis plus d’une décennie, Amélie suit Benoît dans les paddocks, animée par un objectif commun.
Toi, tu le verrais bien faire quoi par la suite ?
Honnêtement, je ne sais pas. Benoît, c’est un vrai compétiteur. Il ne fait pas de la moto pour faire de la moto, il en fait pour la performance. C’est comme ça dans tout ce qu’il fait. Quand il fait du vélo, c’est avec un but en tête. Quand il fait du sport, il a toujours un objectif. S’il rentre sans avoir atteint les performances qu’il s’était fixées, il n’est pas content.
J’ai beaucoup rigolé une fois en le voyant faire des allers-retours devant la maison pendant son footing. Je me demandais pourquoi il faisait ça. La raison ? Il lui restait une minute de footing à faire, et il ne voulait pas s’arrêter avant, donc il faisait des allers-retours. S’arrêter après, ce n’est pas grave, mais avant ? Jamais. Quant à savoir quel métier lui conviendrait bien, je n’en sais trop rien. Je pense que lui, il ne se voit pas dans un travail conventionnel de toute façon.
Le jour où il arrêtera, il devra se détacher complètement de tout ça ? Il arrêtera complètement la moto, il arrivera à se détacher du sport, de la performance — selon toi ?
Je pense qu’il n’arrêtera jamais le sport, parce que ça, c’est dans son ADN. Le jour où Benoît arrêtera la moto, il ne reviendra pas pour faire un Grand Prix ou une pige de temps en temps. Avec lui, ça a toujours été tout ou rien. Mais je pense qu’il ne serait pas contre aller faire un coup d’enduro, quelque chose comme ça. Pour moi, le jour où il arrêtera, il ne fera plus de compétition ; mais je peux me tromper.
Avec le recul, et après avoir vécu les hauts comme les bas de sa carrière, quelle est la saison où tu as senti Benoît le plus heureux, le plus épanoui ? Et à l’inverse, celle où il l’était le moins, selon toi ?
Le plus heureux, je pense que c’était chez Kemea Yamaha, en MX2. C’était son premier team professionnel, et c’est avec eux qu’il a gagné ses premiers Grands Prix. Je dirais aussi qu’il y a eu cette année aux USA. Il a décroché ce contrat tout seul, en faisant un test au milieu de nulle part.
À l’inverse, et pour les saisons où il était le moins bien, il a eu un virus pendant presque 4 ans après son passage chez Yamaha. Les docteurs me disaient que c’était une dépression, qu’il avait subi un choc émotionnel après la perte de sa maman. On m’a aussi dit que c’était mental. On m’a sorti tout un tas de trucs, mais dans le fond, je savais que ce n’était pas ça. Il est très fort physiquement, mentalement aussi, il ne se plaint jamais, donc je savais qu’il y avait quelque chose de grave. Il était essoufflé en montant des escaliers… Jusqu’au jour où on a enfin trouvé un docteur qui a décelé ce virus, qui était très fort et bien installé. Ça a été très dur de le soigner, mais enfin, on savait qu’on n’était pas fous. Aujourd’hui, ce virus est beaucoup plus connu, mais il y a encore 8 ans, c’était un sujet tabou.
De ton côté, as-tu des projets ou des passions que tu aimerais développer, peut-être en parallèle ou après la carrière de Benoît ?
Bien sûr, j’en ai même beaucoup trop. On va dire que je ne suis jamais à court d’idées.
Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de te dire, à un moment donné, que tu aimerais que Benoît arrête ? Que ce soit face à ces désillusions, après une blessure, etc. ?
Non, jamais. Jamais je ne me permettrais de lui dire d’arrêter, ni même de continuer. Mon rôle, c’est de l’épauler et cela, peu importe sa décision. Quand il se blesse, évidemment, c’est horrible. J’ai vécu des moments vraiment difficiles. En Lettonie, il s’est blessé aux vertèbres. On a été dans des conditions extrêmes. J’ai été toute seule avec lui à l’autre bout du monde pendant une semaine parce qu’il n’était pas transportable. Personne n’a pris de ses nouvelles. Il était soigné sur un brancard : une planche en bois. Je n’ai jamais eu aussi peur. Dans ces moments-là, je ne suis plus la petite Amélie gentille. Il faut se pousser de mon chemin. On a fini par rentrer en jet privé à Lyon, l’hôpital nous attendait. Mais cette histoire m’a traumatisée, vraiment. Mais – bien évidemment – à peine remis, il était déjà sur son vélo.
Pour Benoît, le motocross est une passion, mais c’est aussi un métier. Il faut gagner sa vie, payer les factures… Et finalement, c’est un peu comme vivre en CDD permanent : ta valeur sur le marché dépend de tes résultats. Est-ce que c’est pesant de ne jamais vraiment savoir de quoi l’avenir sera fait, financièrement parlant ?
Bien sûr, comme une personne normale qui n’est pas embauchée, tu ne sais jamais de quoi sera fait la suite.

Le récit de toute l’histoire de Benoit et Amélie n’a pas – encore – sa place sur le papier.
Gérer l’aspect financier dans ce sport, c’est quelque chose d’important selon toi ?
Oui, c’est très important. Je pense qu’à ce moment-là, il faut être très bien entouré, et savoir gérer son argent. Je pense aussi que c’est un trait de caractère, mais Benoît n’est pas quelqu’un de dépensier.
Si tu pouvais revenir en arrière, y a-t-il quelque chose que tu aimerais changer dans ces dix dernières années ?
Oui et non. D’un côté, sûrement, mais je pense que vivre en ayant des regrets n’est pas une bonne chose. Je pense que toutes les mauvaises expériences de Benoît, celles que j’ai pu vivre avec lui, nous ont fait grandir tous les deux. On a changé. C’est sûr qu’on se serait bien passé de quelques histoires, mais que faire aujourd’hui ? C’est comme ça.
Comment as-tu vécu l’expérience américaine avec Benoît cet été ? As-tu découvert un Benoît différent ?
C’était incroyable. Pour la vie de tous les jours, on va dire que je suis très « France ». Les USA, ce n’est pas ce que je préfère pour vivre, mais pour le sport et la mentalité, j’ai vraiment aimé. Il n’y a pas de jugement. Là-bas, pour le coup, je n’ai pas fait grand-chose : même pas un casque à laver ! Tout était fait pour lui et moi, j’avais même une assiette prête le midi ! Le team était vraiment top. J’ai rencontré des gens que je n’oublierai jamais. Benoît était tellement heureux de vivre tout ça.
En partant, le manager du team HEP — Larry Brooks — m’a remerciée pour mon travail durant la saison. Je me suis demandé ce qu’il m’arrivait. Je n’avais rien fait de plus que sur les GP, j’en avais même fait beaucoup moins puisque l’équipe s’occupait de tout. Mais ça m’a fait vraiment plaisir venant d’une personne comme lui.
S’il y avait un sujet sur lequel tu aimerais que les gens ouvrent les yeux concernant la vie de pilote professionnel, ce serait lequel ?
Ce serait concernant le travail que ça leur demande au quotidien. Je me dis souvent que celui qui n’a pas été sportif de haut niveau ne peut pas se rendre compte, et encore moins juger. Ce n’est probablement pas difficile de tenir une semaine avec eux. Mais faire ça pendant 11 mois dans l’année, c’est autre chose.
Avec le recul, en quoi Benoît est-il différent de celui que tu as rencontré à l’époque ?
Il a forcément mûri face à certaines situations, mais sinon, il n’a jamais changé. C’est ce que je préfère chez lui. Benoît est quelqu’un de très humble. Il ne parle pas souvent de lui. C’est quelqu’un qui s’intéresse aussi à beaucoup de choses, et à tout le monde.
Où te vois-tu dans cinq ans, avec Benoît ?
Je ne suis pas trop du genre à faire des plans sur la vie, ce n’est pas dans mon caractère et je suis persuadée que tout est déjà écrit. J’espère juste avoir une maison en France, où je me sens bien, avec ma famille en bonne santé et tous mes animaux !
Benoît a été pilote d’usine, il a gagné des manches, des Grands Prix, il est monté sur des podiums… S’il décidait d’arrêter demain, il dirait sûrement qu’il aurait aimé être champion du monde. Ces gars-là n’en ont jamais assez, de toute façon. Toi, tu es fière de lui ?
Exactement. Comme tu dis, ils n’en ont jamais assez. Il aurait dû être champion du monde en MX2, mais la chance n’était pas avec lui cette année-là. Je suis persuadée qu’il y en a qui auraient arrêté bien avant lui. Je suis la seule à savoir par où il est passé, et je suis fière de lui.