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Kaspars Reisulis « J’ai quitté mon travail, et j’ai dédié tout mon temps à mes garçons »

Images: Ray Archer

Europe Open, Europe 2T, Europe 125, Europe 250, Mondial MX2, Mondial MXGP… Les pilotes lettons ont animé de nombreux championnats cette année, parmi lesquels les frères Reisulis. S’il n’est jamais simple d’amener sa progéniture au plus haut niveau, accompagner deux fils relève presque de l’exploit. La famille Reisulis, originaire d’un petit village letton, a pour l’instant réussi cet exercice, dans les traces des jumeaux Coenen : Karlis évolue avec un guidon d’usine en mondial MX2, tandis que Janis est double champion d’Europe 125/250 et s’apprête à le rejoindre dans la catégorie MX2 l’an prochain. Derrière le succès des frères Reisulis – issus d’une grande fratrie – se cache une famille unie et un père dévoué à 120 % : Kaspars Reisulis. Un micro de notre correspondant Andy McKinstry.

Kaspars, pour commencer, comment Karlis et Janis se sont-ils mis au motocross ?

Depuis tout petit, j’ai toujours été fasciné par la mécanique. Mais comme j’ai grandi sans père, je n’avais personne pour m’aider à m’impliquer dans cette merveilleuse discipline qu’est le motocross. Karlis a très rapidement appris à faire du vélo – il n’avait que trois ans. Il adorait franchir toutes sortes d’obstacles, toujours de plus en plus vite. J’ai rapidement vu qu’il était attiré par la vitesse et, peu avant ses cinq ans, je lui ai acheté une petite 50cc d’occasion. Voilà comment tout a commencé. Janis n’a pas vraiment eu le choix, car il devait nous accompagner sur les courses et regarder. Au début, il n’avait que deux ans. Puis un jour, à la fin d’une saison, il a récupéré une des motos de son frère et a pu – à son tour – apprendre à rouler. Il avait quatre ans à l’époque.

Dans notre famille, personne n’avait jamais été impliqué dans le sport moto. C’était quelque chose de complètement nouveau pour nous. Mes garçons apprenaient à se forger en tant que pilotes, et moi en tant que papa de pilotes.

Comment se sont passées les premières années, sur les courses régionales, à soutenir vos fils et à gérer une vie de famille en parallèle ?

Les deux premières années ont été les plus simples, car seul Karlis roulait en compétition. Je n’avais qu’à m’occuper d’un pilote et d’une moto. Au début, ma femme ne venait pas souvent sur les courses, elle se disait que c’était ma passion à moi. Petit à petit, j’ai commencé à l’intégrer dans le programme. Plus tard, quand Janis a commencé à rouler à son tour, toute la famille a dû s’investir car il fallait désormais s’occuper de deux pilotes. Je me souviens qu’en 2013, avec Karlis, on a fait 35 courses en une seule saison. C’était dingue pour moi, mais Karlis ne voulait qu’une chose : rouler, encore rouler. Évidemment, ça a fini par impacter le budget familial. Je remercie ma femme pour son soutien et sa compréhension, car la famille entière a dû faire des sacrifices pour en arriver là.

C’était comment de gérer Karlis et Janis au début, alors qu’ils ne roulaient pas dans la même catégorie ?

Ce n’était pas simple. Entre les manches, il fallait tout préparer rapidement parce qu’on voulait pouvoir les regarder rouler à chaque fois, mais vu qu’ils étaient dans des catégories différentes, on n’avait pas beaucoup de temps. Mais c’était aussi difficile quand ils se sont retrouvés dans la même catégorie. Karlis se battait pour le top 3 alors que Janis venait tout juste de débuter. Du coup, à la fin des courses, je ne savais même pas en quelle position Janis avait terminé, ni ce qu’il avait fait. C’était compliqué. Plus tard, j’ai appris à suivre les deux. Puis c’est de nouveau devenu difficile parce qu’ils ont fini par se battre tous les deux pendant les courses ! Je me suis arraché tous les cheveux. Doucement mais sûrement, je m’y fais.

Karlis Reisulis est aujourd’hui pilote Factory Yamaha en MX2; sur le point de se faire rejoindre par son cadet Janis @Ray Archer

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Au début, l’objectif est de prendre du plaisir. Vous souvenez-vous du moment où vous vous êtes dit qu’ils avaient peut-être ce qu’il fallait pour en faire une carrière ?

Oui. Au début, c’était pour les occuper, pour les intéresser à de nouvelles choses. Quand Karlis a commencé à rouler en 65cc, j’ai senti qu’il avait un certain talent. Tout venait de façon naturelle, et relativement facilement pour lui. De là, je me suis dit qu’il fallait qu’on dédie plus de temps à la moto, et qu’on aille aux Pays-Bas parce que c’était la Mecque du motocross pour les jeunes pilotes. J’ai quitté mon travail, et j’ai dédié tout mon temps à mes garçons. On a beaucoup voyagé, on s’est beaucoup entraîné. De là, on a rencontré Willem Hamstra aux Pays-Bas. Il nous a beaucoup aidés, et il nous aide toujours à ce jour.

Karlis est désormais pilote Factory en MX2. Ça a dû être un sacré accomplissement pour la famille.

L’un des moments clés pour notre famille, ça a été la signature de Karlis avec Yamaha, quand il a commencé à rouler pour le team MJC. D’un coup, tout était plus simple car de bonnes motos étaient fournies, et la logistique était gérée. Aujourd’hui, on peut dire que le rêve de Karlis s’est réalisé car il roule en mondial MX2 avec un team factory, et c’est incroyable. Peu de pilotes auront un jour cette opportunité et cette chance, alors merci à Yamaha de croire en lui et de le soutenir. Quand on a débuté en motocross, on ne rêvait même pas de ça. Je ne pensais pas qu’il serait possible d’aller aussi loin en venant d’un aussi petit village letton.

Janis a déjà deux titres de champion d’Europe – 125 et 250. Vous devez être fier de ce qu’il a déjà accompli à son âge ?

Je suis très fier car son éthique de travail est exceptionnelle. Sa passion pour ce sport est phénoménale. Il a travaillé très dur pour revenir après une blessure sérieuse, et c’était vraiment spécial à voir. Je suis aussi très fier de Karlis – il brise en quelque sorte la glace pour Janis. On fait beaucoup de tests avec Karlis, et de là Janis est en mesure de suivre les bonnes traces. Toutes ces réussites sont aussi possibles grâce à leur coach, Roberts Justs, qui nous épaule depuis 2016 et qui – chaque jour – réfléchit à des façons de s’améliorer.

Janis Reisulis détient désormais 2 titres de champion d’Europe: un en 125, et un en 250 @Ray Archer

Le motocross, c’est un sport et une passion qui est exigeante pour la vie familiale. Quel a été le plus gros sacrifice que vous ayez fait ?

Le plus gros sacrifice, c’est le temps, parce que je ne suis pas en mesure de passer autant de temps que je voudrais avec le reste de ma famille. J’ai aussi trois autres enfants. Comme je l’ai dit, j’ai quitté mon travail et j’ai dédié tout mon temps au motocross. Et, comme pour tout le monde, on a dépensé énormément d’argent pour que nos garçons en soient là aujourd’hui. Mais je ne regrette rien.

Il faut aussi faire face aux blessures, aux déconvenues, aux périodes où rien ne se passe comme prévu.

Oui. Gérer les blessures, c’est parfois plus dur mentalement que physiquement – autant pour les pilotes que pour les parents. Janis a été celui qui a connu les blessures les plus sérieuses. Sa première grosse blessure, c’était en 2019 quand il a été victime d’une grosse commotion cérébrale. On a pensé à arrêter le motocross à l’époque. On a de la chance que leur mère soit docteur – ce qui est d’une aide précieuse pour gérer les pépins de santé de Janis et Karlis. C’est aussi difficile quand ils contractent de petites blessures qui les empêchent de rouler à 100 %. Ça peut vraiment mettre un gros coup au moral quand les résultats ne sont pas ceux espérés. De là, toute la famille se serre les coudes pour passer outre.

Financièrement et logistiquement, ça a dû être difficile pour vous de leur offrir les mêmes chances et opportunités ?

C’est pour ça qu’on se doit de remercier la famille de Roberts Justs, surtout son père Ilmars. Quand Janis a débuté en 65cc, Ilmars m’a dit de me concentrer sur Karlis, de lui apporter tout ce dont il avait besoin, et qu’il allait se concentrer sur Janis. Ça nous a vraiment aidés. Willem Hamstra aussi a joué un rôle important. Au début, on a aussi reçu un très gros soutien de Tomass Cirulis et de BalticMotoParts. C’est très important que des personnes croient en vous quand vous êtes au plus bas de l’échelle.

Comment sont Janis et Karlis en dehors du milieu de la moto ? Ils arrivent à déconnecter, parfois ?

La moto, ça s’arrête quand ils reviennent de l’entraînement. Ils n’en parlent pas spécialement. Ils sont très différents. Karlis aime être entouré, il est très sociable. Janis préfère être seul, il est un peu plus réservé. Ils ne se disputent jamais. Si un pilote se frotte à l’un d’eux sur la piste, vous pouvez être sûr que l’autre frère ne laissera pas passer et se vengera pour lui.

Est-ce qu’il y en a un qui se repose plus sur son talent naturel et l’autre sur son travail ?

Comme je l’ai mentionné, Karlis est doté d’un talent naturel, il a ce feeling sur la moto. Il y a un style de pilotage et une position très spéciale sur la moto. Janis a accompli plus de choses grâce à son travail que grâce à son talent. Il a aussi eu de la chance d’avoir Karlis à ses côtés lors des entraînements, pour pouvoir apprendre de lui. La force de Janis, c’est le mental. Rien ne peut le faire dérailler. Parfois, je rigole en disant que si on pouvait combiner Janis et Karlis en un seul et même pilote, Herlings aurait des soucis à se faire [rires].

Quatrième en Espagne, vainqueur en France, Janis s’est emparé de la plaque rouge de leader de l’Europe 250 en Italie, et ne l’a plus jamais lâché @Ray Archer

En Suède, vous aviez également un troisième garçon (Augusts) en piste puisqu’il a roulé lors de la Blu Cru Cup à Uddevalla. Ça a dû être stressant !

Avec lui, c’est beaucoup plus simple car je suis déjà passé par tous les états de stress avec mes autres garçons. Parfois, je me sens mal de ne pas pouvoir lui accorder autant de temps qu’aux autres. Mais ça change petit à petit, parce que Yamaha prend de plus en plus Janis et Karlis en charge, ce qui veut dire que j’ai plus de temps pour Augusts.

Quelles sont vos aspirations pour lui ?

Je pense que si on peut lui dédier un peu plus de temps, les résultats suivront. Il s’entraîne aussi au sein du programme des frères Justs, donc il dispose de bonnes fondations. Il faut juste qu’on travaille pour qu’il trouve de la vitesse.

Janis va rouler en MX2 l’an prochain. Est-ce que le fait de se retrouver en piste va les aider à progresser ?

Je pense que la clé de leur succès, c’est qu’ils se repoussent tout le temps à l’entraînement. Le processus d’entraînement est bien plus productif de cette manière. Pas besoin de regarder bien loin pour voir des exemples : il y a les Coenen, les Lawrence. S’entraîner ensemble, ça produit du résultat.

Quel conseil pourriez-vous donner aux parents qui ont des enfants qui rêvent d’une carrière en motocross ?

Le principal, ce serait de rester patient pour les parents, car chaque enfant est différent. Aussi, croyez en vos petits, et ne les accablez pas quand ils n’y arrivent pas.

Depuis Pauls Jonass, de plus en plus de talents émergent de Lettonie. Vous devez être fier de voir que Janis et Karlis contribuent à mettre le sport en avant en Lettonie ?

Pauls en a inspiré plus d’un, et a montré qu’en travaillant dur, il était possible de faire beaucoup de choses. Depuis que les frères Justs ont monté leur programme, de plus en plus de jeunes pilotes émergent de Lettonie et sont prêts à se battre pour les avant-postes sur l’Europe et le mondial. Cela représente des années de travail. Les premiers fruits de ce travail, ce sont les frères Reisulis – mais il y en aura d’autres. Aujourd’hui, je suis très fier que mes deux fils aient réussi à intégrer l’équipe nationale pour le Motocross des Nations. Avec Pauls, ils porteront fièrement les couleurs de la Lettonie.

Kaspars Reisulis « J’ai quitté mon travail, et j’ai dédié tout mon temps à mes garçons »
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