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Michele Doro – l’homme de l’ombre de Jeffrey Herlings

Images: Ray Archer

Depuis trois ans, l’Italien Michele – Miki – Doro occupe un rôle clé dans les coulisses du team Red Bull KTM. Mécanicien d’usine, il a eu à sa charge l’un des hommes les plus rapides de la planète : Jeffrey Herlings. Le Néerlandais étant sur le départ pour rejoindre Honda HRC, Michele officiera pour l’Italien Andrea Adamo en 2026. Qu’est-ce que ça fait d’œuvrer dans l’ombre d’un des meilleurs pilotes du monde ? C’est que que notre confrère Andy McKinstry a voulu savoir. Micro.

Michele. Commençons par le commencement. Quelle est ton parcours dans le sport, et qu’est-ce qui t’a poussé à devenir mécanicien ?

Le motocross, c’est une passion de famille pour moi. Mon grand-père, mon père, ma mère et même ma sœur, tous ont roulé. Je suis quasiment né sur une moto ! J’ai participé au championnat d’Italie jusqu’en 2004, et j’ai dû prendre mes distances après une mauvaise blessure au dos. À l’époque, je m’occupais déjà de ma propre moto. Faire la mécanique et rouler, ça faisait partie de ma passion ; j’aimais vraiment faire toute la mécanique sur ma moto moi-même.

J’ai commencé à travailler comme mécanicien un peu par hasard. J’étais à Mantova en 2011 pour une course, et mon père discutait avec un ami de la famille. Ce dernier lui a dit que la structure dans laquelle roulait son fils cherchait un chauffeur de camion/mécanicien pour la saison 2012. Je n’ai pas hésité une seconde : je les ai appelés, on a fait un essai, et à la fin de l’année 2011 j’ai rejoint l’équipe !

Comment as-tu fini par travailler pour Jeffrey Herlings, et quelles ont été tes premières impressions de Jeffrey, aussi bien en tant que personne qu’en tant que pilote ?

En 2022, j’ai décidé de faire une pause et de m’éloigner du milieu pendant un an. Puis j’ai reçu un appel de Harry Norton [alors coordinateur technique de l’équipe Red Bull KTM] qui m’a demandé si j’avais des plans pour 2023. J’ai mis quelques mois à décider ce que je voulais faire, puis je l’ai rappelé Horton m’a dit : « On a besoin d’un mécanicien pour Jeffrey Herlings ». Wow ! Jeffrey est l’un des meilleurs pilotes de la planète, je savais très bien que c’était le genre d’opportunité qui ne se présentait qu’une fois dans une vie, alors je l’ai saisie à deux mains. J’ai commencé à travailler avec lui en 2023. Je savais évidemment qui était Jeffrey, mais je ne lui avais jamais parlé. C’est un mec sympa, on arrive à déconner, parfois même jusqu’au tour de reconnaissance avant une course ! Pour voir le “vrai” Jeffrey, il faut réussir à gagner sa confiance. Autour de lui, il a un petit cercle de personnes en qui il a vraiment confiance.

C’est comment de travailler – au quotidien – avec quelqu’un d’aussi déterminé que Jeffrey ?

Travailler avec Jeffrey, c’est un honneur et un privilège pour moi. C’est quelque chose qui est très motivant. Avec lui, tout doit être parfait à chaque fois. Si on a cinq options, il faut être prêt à lui proposer les cinq à n’importe quel moment ! En tant que mécanicien, on a beaucoup de responsabilités, donc il faut être à 110 % en permanence. J’adore le regarder rouler, surtout quand il est au sommet de son art. À chaque fois, Jeffrey me surprend par ce qu’il est capable de faire sur une moto.

Est-ce qu’il intervient souvent au niveau des réglages ?

Jeffrey est très bon pour régler sa moto. Au sein du team, on a de très bons techniciens qui ont énormément d’expérience et qui travaillent ensemble. On fait toujours notre maximum pour lui permettre d’avoir la meilleure moto possible.

Mécanicien de Jeffrey Herlings, un job rêvé, qui s’accompagne tout de même d’une certaine pression @Ray Archer

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Durant ces trois ans avec lui, est-ce qu’il y a une course qui t’a marqué plus que les autres ?

La course la plus intense sur le plan émotionnel – pour moi – avec Jeffrey, c’était Riola Sardo en 2023. C’est là qu’on a remporté notre premier GP ensemble. Le GP d’Argentine, cette même année, était aussi un moment important, parce qu’il revenait après une blessure difficile. Le plus gratifiant avec Jeffrey, c’est quand il revient au camion après une course et qu’il me dit : « Bon boulot aujourd’hui, Miki. Merci ». Là, tu sais que tout le travail effectué a porté ses fruits.

Jeffrey a-t-il des spécificités bien à lui au niveau des réglages  de sa KTM ?

Oui, il roule avec des leviers de frein et d’embrayage très bas. Un peu comme les pilotes dans les années 80. Chaque pilote est différent quand vient l’heure de régler sa moto. Mais Jeffrey est du genre à rouler avec des suspensions très fermes, c’est principalement dû à la vitesse qu’il est capable d’afficher – et de maintenir – lors des courses. Le plus difficile, quand on prépare une moto Factory, c’est de parvenir à trouver le bon réglage pour les suspensions à chaque GP. Après, en ce qui concerne les différences entre la moto de Jeffrey et une moto d’origine, c’est la qualité des matériaux et des pièces qui va changer – et c’est pareil pour toutes les motos Factory dans le paddock.

C’est quoi, la durée de vie des pièces sur la moto d’un pilote comme Herlings, et  quels sont les changements les plus fréquents ?

[Rires]. Disons simplement que quand Jeffrey est dans un bon jour, on passe pas mal d’embrayages ! Pendant les grands prix, on ne fait pas énormément de changements sur la moto. Parfois, il nous arrive d’ajuster de quelques clics les suspensions, mais c’est à peu près tout.

Finalement, à quoi ressemble un week-end de GP type pour toi ?

On commence dès le jeudi en arrivant sur le lieu du GP, en installant le camion et l’auvent dans le paddock. Le vendredi matin, je fais un contrôle de la moto pour m’assurer que tout va bien. On emmène les roues chez Pirelli pour y faire monter des pneus neufs. L’après-midi, on fait les tests de départ, et ensuite, la dernière étape de la journée, c’est une réunion d’équipe lors de laquelle on organise tout notre week-end de course.

Le samedi matin, je refais un contrôle de la moto avant les essais libres. L’après-midi, après la manche qualificative, on fait l’entretien de la moto et on vérifie que tout soit parfait. Le dimanche matin, il y a un énième contrôle de la moto – c’est toujours mieux afin de s’assurer que tout est prêt. Une fois le GP terminé, tout dépend. Si on doit disputer un autre GP le week-end suivant, on fait un entretien complet sur place. Sinon, on démonte tout, on range le matériel, et on retourne à l’atelier pour finir de s’occuper de la moto de course.

Et pendant la semaine ? Jeffrey a son mécanicien d’entraînement pour s’occuper de lui. Et toi, tu fais quoi ?

Pendant la semaine, c’est Dave – le mécanicien d’entraînement – qui est avec Jeffrey pour ses entraînements. En général, je suis à l’atelier pour m’occuper des motos, nettoyer tout le matériel, le camion, préparer les pièces de rechange dont on pourrait avoir besoin pour les prochaines courses, etc.

Est-ce qu’il y a une fausse idée que les gens se font au sujet de ton métier ?

J’ai vu beaucoup de gens critiquer – sur les réseaux sociaux – le fait qu’on soulève la roue arrière de la moto pour aller jusqu’à la grille de départ après le tour de reconnaissance, en disant que ça ne servait à rien. Pour nous, c’est la seule façon de s’assurer que le pneu est immaculé, et c’est aussi une façon pour nous de fournir 110 % pour notre pilote en tant que mécanicien. C’est pour donner à notre pilote la meilleure chance de faire un bon départ; ce n’est pas pour rien.

Avec Michele Doro, Jeffrey Herlings a remporté 13 GP de depuis 2023 @Ray Archer

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Selon toi, quelles sont les qualités à avoir pour réussir à ce niveau en tant que mécanicien ?

Je pense qu’il faut vraiment être passionné par ce métier, et surtout rester humble. On apprend toujours quelque chose de nouveau à chaque fois ! Il faut aussi savoir rester calme dans les moments où on se retrouve sous pression. La pression fait partie du sport, mais elle aide à rester concentré d’un certain côté. Il faut aimer ce métier, parce qu’il prend beaucoup de place dans ta vie. Mais je suis bien conscient que peu de gens ont la chance de pouvoir faire de leur passion leur métier, alors je me dis que je suis vraiment chanceux de pouvoir faire ça.

Comment abordes-tu les éventuels problèmes mécaniques pendant une course ?

Si quelque chose ne va pas pendant la course, il faut être en mesure de réfléchir rapidement à toutes les options qui s’offrent à toi. Il est important de rester calme et de penser clairement. Une erreur n’est pas censée arriver, mais on est humains, sous pression, donc c’est une possibilité. Si je fais une erreur, je m’excuse et j’essaie d’en tirer des leçons.

Comment on fait pour construire une relation de confiance entre mécanicien et pilote ? Tu disais que Jeffrey avait un cercle très réduit.

La confiance, la communication et le respect entre le mécanicien et le pilote sont parmi les choses les plus importantes. Il faut rester humble. Quand tu donnes 110 % pour ton pilote, il le voit. Avec Jeffrey, je donne toujours tout ce que j’ai, comme lui le fait sur la piste. Il y a une forme de respect mutuel qui s’installe.

Comment c’est, d’être sous l’auvent du team Red Bull KTM pendant un week-end de grand prix ?

Dans l’équipe, il y a vraiment une bonne ambiance. On se donne toujours à fond pour atteindre nos objectifs. D’habitude, on fait un barbecue avec tout le staff chaque jeudi soir avant un GP. Je pense que le secret, c’est qu’on prend beaucoup de plaisir et qu’on prend aussi le temps de déconner de temps en temps.

Tu vas travailler avec Andrea Adamo en 2026. Tu le côtoies déjà, donc j’imagine que la transition sera relativement simple.

C’est ça, je vais travailler avec Andrea la saison prochaine. On se connaît, mais il faudra se connaître encore plus en détail pour établir cette relation pilote/mécanicien. Andrea a un caractère très marqué, et il travaille dur. Bien sûr, je suis content à l’idée de travailler avec lui l’année prochaine. J’espère pouvoir l’aider lors de sa transition vers la catégorie MXGP.

Je crois savoir que l’un de tes rêves, c’est d’aller travailler aux USA un jour. C’est l’objectif final ?

Travailler dans le paddock américain, sur le Supercross US, c’est l’un de mes plus grands rêves. J’espère pouvoir le réaliser bientôt. Je ne sais pas vraiment d’où ça vient, mais j’ai grandi en regardant le Supercross à la télévision, dès que j’ai eu ma première moto pour mes trois ans. Chaque matin avant l’école, je regardais les cassettes VHS du Supercross US – Ricky Johnson, Jeff Ward, Jeff Stanton, Mike Kiedrowski, Jeremy McGrath, etc. Le Supercross m’a toujours fasciné.

Pour finir, quel conseil pourrais-tu donner à quelqu’un qui rêverait de faire ton métier un jour ?

Mon conseil, ce serait de travailler dur, de ne jamais arrêter d’apprendre et de progresser. Également, de rester humble, d’être respectueux et de ne jamais cesser de rêver ! C’est ce rêve qui fait que tu te sens vivant et que tu es passionné par ce sport !

Ex mécanicien chez HRC, désormais chez KTM, Michele s’occupera d’un nouveau pilote en 2026: Andrea Adamo @Ray Archer

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