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Trey Canard: « on a besoin d’anciens pilotes qui s’investissent, qui donnent leur opinion »

Interview: Marco Kamper / DailyMotocross

Champion SX (2008) et MX US (2010) 250 , Trey Canard a longtemps été un acteur majeur de la catégorie reine avant de raccrocher les gants fin 2017, après une carrière marquée par des hauts et des bas. Mais loin de s’éloigner du milieu, Trey joue depuis plusieurs années un rôle clé chez Factory Honda, testant et développant les CR-F officielles. Homme de l’ombre, il contribue activement aux succès d’Honda aux côtés des frères Lawrence. Il était de fait présent à Ironman, à l’occasion du Motocross des Nations. Micro.

Trey, ça fait un petit moment que tu bosses à la mise au point chez Honda. Ça a été un bon week-end pour vous aux Nations. Tu dois être content ?

Oui. Disons que ça a été un long parcours depuis mes débuts dans ce rôle en 2018, tu sais. C’est vraiment cool de voir l’évolution du programme et des motos. Tous nos pilotes — même ceux venant du mondial — ont très bien roulé ce week-end. Donc je suis fier de ça, fier de Honda dans son ensemble, et j’espère qu’on pourra continuer à grandir, évoluer et progresser à l’avenir.

Vous avez les frères Lawrence, Jo Shimoda aussi. Mais tu es Américain. Tu étais de quel côté, finalement, pour ces Nations ?

On va dire que j’ai fait en sorte de rester neutre, j’étais surtout là pour soutenir nos pilotes. Mais c’est sûr qu’en tant qu’Américain, il y a toujours une partie de moi qui va encourager l’équipe des États-Unis, c’est évident. J’étais content de voir qu’ils ont fait une belle course aux Nations. Honnêtement, ils ont fait mieux que ce à quoi je m’attendais. C’était assez clair dès le début que les Australiens allaient être très difficiles à battre. Je suis aussi vraiment super fier de Jo. Il s’est adapté très vite à la 450cc. Il n’a passé que quatre ou cinq jours dessus avant Ironman, et il n’a vraiment fait qu’une seule journée de testing dessus. Franchement, c’est cool de voir ce qu’il a été en mesure de faire.

Jo Shimoda a assuré aux nations sur la 450 du team HRC @Ray Archer

Cette adaptation rapide, c’est dû à son style de pilotage selon toi ? Il roule un peu comme les frères Lawrence, en finalité.

Je pense que c’est surtout du fait que les motos sont très similaires, et qu’on a beaucoup appris ces dernières années pour justement réussir cette transition. En fait, ça se recoupe parfaitement. Il y a quand même pas mal de similitudes entre la 250 et la 450, notamment au niveau de la gestion de la poignée de gaz, et je pense que c’est ce qui a facilité sa transition. On a aussi amélioré la moto pour Jo tout au long du week-end aux Nations. Après, il y aura encore forcément des choses à améliorer pour qu’elle lui convienne mieux, une fois qu’il fera sa transition à temps plein sur la 450cc. Mais c’est sûr que pour une première course sur la 450, c’était top.

Pour les Nations, la réglementation autour du carburant est différente. Il y a aussi les nouvelles normes sonores. Est-ce que ça vous a compliqué la tâche pour ce week-end en particulier ?

Honnêtement… on n’a pas fait le moindre testing à ce niveau-là. Notre agenda est complètement booké, c’est la folie. On roule tellement sur une saison. Notre chef d’équipe, Grant Hutchinson, s’entend bien et fait le lien avec GET ou encore ETS [racing fuel] qui font le job, donc ça nous facilite les choses de ce côté-là. Même si, au niveau du bruit, c’est forcément un peu plus de travail. On sait aussi qu’en venant sur cette épreuve, nos motos sont toujours un peu moins puissantes, et qu’on doit faire face à certains nouveaux challenges. Pour nous, je ne dirais pas que c’était trop difficile de s’adapter.

Tu dis que les motos sont de fait moins puissantes aux Nations. Ça se compare comment avec un round comme Thunder Valley, en altitude ?

C’est encore différent. Aux Nations, tu es encore à peu près dans une fourchette correcte. À Thunder Valley, tu te retrouves vraiment en dehors de ta zone de confort, et tu n’es pas habitué à perdre autant de puissance. Je ne saurais pas te dire combien de chevaux on perd là-bas, mais d’après le ressenti, on en perd un paquet. Les premières séances d’essais sont toujours un peu compliquées dans le Colorado, même si on s’est plutôt bien adapté. En général, on fait en sorte d’adoucir un peu nos 450, donc on peut toujours trouver un peu de puissance pour Thunder Valley. C’est plus compliqué en 250cc. En finalité, il est bien plus simple de s’adapter aux Nations qu’à Thunder Valley.

Les Australiens ont dominé le MXDN 2025 à Ironman @Ray Archer

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Quand tu as raccroché les gants, tu as un temps essayé de faire bouger les choses en termes de sécurité. Si tu regardes où on en est aujourd’hui, et comment c’était il y a 15 ans, tu dirais que ça a évolué ?

Honnêtement, je ne pense pas que beaucoup de choses aient changé. Surtout du côté des pilotes. Ils n’ont toujours pas essayé de se regrouper pour porter leurs opinions, et je pense que ce serait dans leur intérêt. On voit que l’AMA essaye de faire des efforts, mais ils sont encore marginaux. Le plus dur, c’est de réunir tout le monde sur la même longueur d’ondes. Tout le monde a des points de vue différents sur la sécurité, tout le monde a des points de vue différents sur le niveau de difficulté des pistes… Rien que le fait de réunir les acteurs dans une seule et même pièce, c’est difficile en soi. Tout le monde est vraiment très occupé toute l’année, c’est difficile de dégager du temps. On est en octobre, on enchaîne les courses depuis janvier. D’ici deux semaines, on va commencer le testing pour la prochaine saison de Supercross. Personne n’a vraiment de temps en rab’ pour s’occuper de ces sujets annexes. Cette année, il me semble qu’Ezra Lusk s’est penché sur la question avec l’AMA, avec Mike Pelletier. Je pense qu’ils voient bien qu’il faut se préoccuper de la sécurité, et j’espère qu’ils vont continuer dans ce sens.

On voit qu’il y a désormais des airbags. Certains pilotes de GP en portent. Est-ce que tu penses que rendre certaines protections obligatoires pourrait être une avancée ?

Je le pense, oui. Mais c’est toujours délicat, car il faut prendre en compte les préférences personnelles. Il faut aussi prendre en compte le fait que ça pèse un certain poids, c’est plutôt lourd, ça donne chaud. Il faut peser le pour et le contre, surtout sur l’outdoor où il fait souvent très chaud. Il faut savoir si ça va vraiment t’apporter un plus au niveau de la protection, ou si ça va au contraire te mettre dans une situation plus dangereuse. Mais j’applaudis les entreprises comme Alpinestars qui se penchent sur le sujet et qui développent ces alternatives. Je pense qu’il faut que certains équipementiers se penchent là-dessus.

Moi, ce que j’aimerais, c’est voir les promoteurs et les pilotes s’investir un peu plus du côté des pistes. Il y a beaucoup de choses qui pourraient être mises en place pour limiter les risques de blessures. Il sera de toute façon impossible d’éviter l’inévitable. Le sport est comme ça. On pourrait nous faire rouler dans des champs tout plats qu’on continuerait de tomber, parce qu’on repousse les limites pour essayer de gagner. Mais on pourrait éviter certaines chutes. Regarde Glenn Coldenhoff samedi. Il n’a rien fait de mal ; sa chute aurait pu être évitée.

La sécurité, Trey Canard pourrait vous en toucher deux mots. Son incident avec Ryan Morais – ici à L.A en 2012 – reste en mémoire @DR

Au niveau des pistes, il y a déjà eu des modifications : moins de whoops, suppression des Dragon’s Back en Supercross. Ce serait quoi, la prochaine étape selon toi ?

Difficile à dire. Moi, je voulais pouvoir récolter un maximum de données, afin de pouvoir mettre le doigt sur ce qui causait le plus de chutes, par exemple. Visiblement, ils font en sorte de pouvoir récolter ces données. Je pense que bientôt, on aura plus d’indications sur les problématiques de sécurité. Je pense quand même que ce qui est le plus important, c’est d’avoir l’avis des pilotes à l’approche de l’épreuve. En tant que pilote, je suis capable de dire qu’il y a un problème ici, que ce serait mieux comme ça, qu’il y a un danger, etc. Au lieu de ça, on se pointe sur une épreuve qui se déroule sur une seule journée, et de fait, on ne dispose pas d’assez de temps pour pouvoir effectuer le moindre changement.

Pour moi, on a besoin d’anciens pilotes qui s’investissent, qui donnent leur opinion. Si tu n’as jamais roulé à ce niveau-là, tu ne peux pas avoir le recul et voir certaines choses. Mais enfiler ce genre de casquette, ça ne va probablement pas bien payer, ce ne sera pas hyper attractif non plus. Il nous faudrait des mecs qui veulent s’investir parce qu’ils aiment vraiment le sport, et qu’ils se soucient des pilotes. Mais ce ne serait probablement pas un travail très glorieux dans le fond.

Pour moi, les décisions devraient être prises par plusieurs personnes. Les décisions ne devraient pas reposer sur l’avis d’une seule personne, d’un promoteur. C’est ce à quoi j’aspirais à l’époque. Mais disons que je suis content de voir qu’aujourd’hui, on fait quelques pas dans la bonne direction. J’aimerais simplement qu’on en fasse plus.

Pour finir, lors d’un week-end comme celui-ci à Ironman, est-ce que ça démange parfois, d’être de l’autre côté — du mauvais côté — de la barrière ?

Aujourd’hui, je suis cool avec ça. J’ai le même sentiment d’accomplissement de ce côté-ci de la barrière, tu sais. Quand nos pilotes sont contents, que la moto leur convient, je me dis que tout va bien. Je prends le même plaisir que quand je roulais. Maintenant, je vois à quel point tous les mecs ont progressé, et je me dis juste que je n’ai aucune envie d’aller aussi vite sur une moto ! Donc dans un sens, la compétition ne me manque plus vraiment.

Le niveau a augmenté; Jett l’a repoussé. Les jeunes arrivent, ils repoussent tous les limites. Mais tu arrives à un point — surtout dans la trentaine — où tu te dis que tu ne veux plus repousser ces limites, et rouler aussi vite. Peut-être que je pourrais, mais je ne le veux pas. J’ai passé ce cap. Les premières années, quand j’ai raccroché, je me disais encore que je pouvais rouler à ce niveau-là, mais désormais, c’est non merci [rires].

Trey Canard: « on a besoin d’anciens pilotes qui s’investissent, qui donnent leur opinion »
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