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Valentin Guillod « Au sein du team, personne ne me connaissait; ils se sont demandé ce que je foutais là »


À quelques jours de l’ouverture de l’outdoor US, Valentin Guillod a fini par craquer. Un billet d’avion booké à la dernière minute, et voilà que le pilote Suisse s’envolait pour Los Angeles afin de tenter sa chance sur le championnat de Motocross US. Un rêve de longue date pour le garçon qui avait débuté la saison 2025 sur le mondial MXGP dans l’espoir de décrocher un guidon; en vain. Le fusil a depuis changé d’épaule. Un programme monté à la dernière minute, un coup de main des Verhaeghe, de Rock River Yamaha et de quelques sponsors plus tard, Valentin Guillod vient de terminer 11ème de sa première course sur le sol Américain à Fox Raceway. Il raconte.

Valentin. Depuis ta fameuse chute de Frauenfeld et ta fracture de la clavicule, tu étais plutôt resté discret sur tes plans. Tu m’avais dit hésiter entre un retour à Ernée ou un départ aux US. Finalement, qu’est-ce qui t’a décidé à partir comme ça, au dernier moment, sur l’outdoor ?

Depuis que je suis gamin, j’ai toujours dit qu’un jour, j’irais aux États-Unis pour faire une fois l’outdoor. J’avance aussi dans l’âge, et je me suis vraiment dit qu’il allait falloir y aller rapidement parce que je n’avais pas envie d’avoir de regrets à la fin de ma carrière ; même si ce n’était que pour une course. Je voulais juste pouvoir vivre cette expérience. J’ai toujours eu ça dans un coin de ma tête.

Depuis le mois de novembre — quand j’ai repris l’entraînement — je me suis dit que j’allais faire les Grands Prix jusqu’au GP de Suisse, et de là, je verrais s’il y avait des pilotes d’usine blessés à remplacer. Sinon, pourquoi ne pas faire l’outdoor ? On est arrivés à Frauenfeld, et c’est moi qui me suis blessé. Le déroulement des choses a favorisé un départ pour les USA. Si je ne m’étais pas blessé, j’aurais peut-être continué le championnat du monde et je ne serais pas parti pour les États-Unis. Cette blessure m’a vraiment fait me demander : « Qu’est-ce que je fais maintenant ? ». Au championnat, je ne jouais plus rien, j’avais loupé deux GP ; la balance a penché pour les US.

Il y a aussi eu une réponse négative d’un team d’usine, qui m’a dit qu’ils n’allaient pas remplacer leur pilote blessé avant son retour en août. J’ai été vraiment déçu parce qu’avec mon petit budget, j’avais montré que je pouvais rouler entre les 5 et 10 avec une moto d’origine tous les week-ends. Je ne demandais pas le full package factory ni une moto d’usine, mais au moins une moto pour la faire rouler dans les 10 sur les GP. Je dois avouer que la réponse négative m’a déçu, compte tenu des investissements qu’ils font et des millions qu’ils mettent dans le team. Pendant ce temps-là, la moto du pilote blessé reste au garage, les mécanos sont à l’atelier ; dommage. Je comprends que les teams ne veuillent pas remplacer leur pilote si c’est pour que la moto roule en 20e ou 25e place, mais avec moi, je pense pouvoir dire qu’on sait que la moto va rouler autour de la 10e place tous les week-ends.

Je ne suis ni team manager ni agent, mais j’imagine que les teams ont des sponsors qui payent pour faire rouler deux motos, et là, ils ne font rouler qu’une moto. Il n’y a pas une histoire de pénalités ?

Voilà, exactement. Je me disais aussi que la structure complète était de toute façon déplacée sur les GP, donc ça n’allait pas représenter un budget supplémentaire. Les mécaniciens ne sont pas responsables quand un pilote se blesse, et j’imagine qu’ils sont payés qu’il y ait un pilote qui roule ou non. Là, ils doivent être à l’atelier ou faire le helper sur les courses. Avec 110 kg de fret, Valentin a fait une manche 5 en Argentine alors que les gros teams envoient 1 000 kg par pilote… Enfin bon. J’ai été déçu, et je ne voulais pas avoir de regrets. J’ai reçu la réponse négative dudit team le jeudi, et juste après, j’ai pris mon billet pour partir aux US. Il ne restait qu’une semaine avant Fox Raceway, je ne pouvais pas traîner.

On n’arrête pas de dire que tu n’as pas eu de guidon. Mais en fait, tu as reçu des offres.

J’ai reçu beaucoup de propositions pour faire les championnats nationaux, que ce soit l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, l’Australie ou même le Brésil, mais ma réponse a été non pour l’instant. Je me concentre vraiment sur les deux plus gros championnats : le MXGP et l’Outdoor.

Les championnats nationaux, je pourrai les faire quand je serai plus vieux. Les gars comme Aranda, Van Horebeek et Nagl montrent qu’il est possible de performer sur ces championnats nationaux même quand tu es un peu plus vieux.

C’est pour ça que je les laisse de côté pour l’instant et que je me concentre à 100 % sur ces gros championnats. J’ai eu une ou deux offres pour faire les Grands Prix, mais ce sont des teams qui ne m’intéressaient pas vraiment. Donc, c’est pour ça que j’ai préféré être libre comme l’air, et pouvoir gérer comme je le voulais.

Du coup, tu reçois cette réponse négative du team, tu prends ton billet d’avion, et quoi ? Tu avais des contacts aux USA ? Tu n’es pas arrivé à l’aéroport là-bas en pleine nuit à devoir te chercher un motel quand même [rires].

J’ai regardé un peu les hôtels avant de partir, puis un pote m’a dit que Scotty Verhaeghe était là-bas, qu’il avait une maison, qu’il fallait que je discute avec lui. Je n’avais pas son numéro, alors je l’ai contacté sur Instagram. Il m’a répondu, et il m’a dit qu’on pouvait s’arranger. Le vendredi soir, 24 heures avant que je ne monte dans l’avion pour les US, j’avais trouvé un logement, donc un grand merci à Scotty pour ça.

Ça me retire une belle épine du pied ; il a une grande maison et surtout, un garage avec tout ce qu’il faut pour s’occuper d’une moto d’entraînement. Scotty a son véhicule, on va à l’entraînement ensemble. Je n’ai pas non plus eu besoin de louer un pick-up, etc.

Je lui ai aussi demandé : « Tu n’as pas une moto en rab ? » parce qu’évidemment, je n’en avais pas. Là, il m’a proposé de me louer sa deuxième moto ; c’était parti. Avant même d’être arrivé, c’était réglé. J’avais un logement, une moto pour rouler, mon billet d’avion, une voiture de location, et c’était parti.

Ça s’est bien goupillé pour toi quand même, parce que tout le monde ne peut pas décider de partir sur l’Outdoor une semaine avant, et se retrouver dans ce genre de situation en quelques heures.

Ouais, grave. C’est cool. C’est déjà assez dur de quitter la maison, la famille et les amis pour se retrouver tout seul de l’autre côté du monde, dans une chambre d’hôtel… Là, on parle français, il y a de la vie, on est ensemble, franchement c’est top.

Et puis en fait, mon ami de Kehrli Moto – qui m’a filé un coup de main pour les GP – avait déjà fait affaire avec Rock River Yamaha par le passé. Il leur a glissé un mail en leur expliquant ma situation. Quand je suis arrivé à Los Angeles, j’ai ouvert mes mails et j’ai vu que le gars de Rock River avait répondu. Il disait qu’il était OK pour me prêter deux motos – une pour les courses, et une pour les entraînements – et qu’ils allaient me mettre à côté de leur auvent, sous une petite tonnelle, et puis voilà.

Alors, ce deal avec Rock River, c’est quoi ? Beaucoup de gens pensent que tu as signé chez Rock River Yamaha, alors que non.

Le deal, c’est qu’ils me prêtent deux motos, me mettent une petite tonnelle, et me prêtent un mécano pour quelques courses parce qu’ils ont actuellement un pilote blessé [Grant Harlan]. Quand il va revenir, je n’aurais plus de mécano [rires]. Ils continueront de m’amener la moto sur les courses, de me mettre une petite tonnelle à côté, il faudra juste que je trouve un mécano pour les courses.

En fait, ils me mettent à côté de leur structure officielle parce que j’ai mes propres sponsors. En fait, tout s’est fait à la dernière minute, donc on n’a même pas eu le temps de tout finaliser avant la première épreuve. J’ai pu aller chercher la moto d’entraînement le lundi, mais on n’a rien conclu avant le mercredi. On n’a pas pu faire les décos, etc. J’ai un soutien matériel, logistique, rien de plus, mais ça m’enlève une énorme épine du pied.

Finalement, tu es peut-être mieux loti en 3 jours aux États-Unis en arrivant en touriste que tu ne l’étais sur le Mondial.

Et encore, je ne t’ai pas tout dit [rires]. Avec ce deal, je dois juste payer mes pièces. Ils prennent en charge le transport de la moto pour les courses, l’essence de la moto pour les courses aussi. Je n’ai pas de salaire, mais ils me laissent toutes les primes de l’AMA, les contingencies de Yamaha, Dunlop, des petits sponsors, etc. Je dois juste payer mon mécano sur les courses, le samedi. On peut dire que je suis pilote privé, mais le team me met une structure à disposition.

Donc c’est acté, tu fais tout l’outdoor ?

En fait, j’ai réservé mon billet aller-retour pour faire les 4 premières de l’outdoor. Je me suis dit que j’allais louer la moto de Scotty, voir combien ça allait me coûter, combien j’allais pouvoir gagner ; faire des calculs. Puis, suite au deal avec Rock River Yamaha, je me dis que c’est parti pour toute la saison ! Je vais juste rentrer après High Point, faire 5 ou 6 jours à la maison parce qu’on est toujours bien à la maison. Revoir ma famille, passer du bon temps, couper un peu, ça m’apportera plus que de rester là-bas.

Si on t’avait dit que ça se passerait comme ça avant que le team de GP ne te réponde, tu n’aurais peut-être même pas attendu leur retour pour prendre ta décision de partir aux États-Unis, non ?

J’aurais attendu quand même, parce que c’est vraiment un beau team. Mais je m’étais quand même dit « Si c’est positif, qu’est-ce que je fais ? ». Imagine, s’ils me demandaient de venir faire des tests, je faisais quoi ? J’aurais vraiment galéré à prendre une décision car elle n’aurait pas été facile. Est-ce que tu vas signer dans un gros team, ou tenter ta chance et vivre une expérience incroyable aux États-Unis ? D’un côté comme de l’autre, il n’y avait pas de regrets à avoir, mais quand même. Disons qu’ils m’ont facilité la tâche. Je suis parti avec deux sacs et mon vélo, j’ai trouvé un deal sympa rapidement, donc c’est cool.

Sur place, je devais rouler avec les tenues de mon pote, 175 Racing, mais mon cousin m’a parlé des contingencies pour les équipementiers. Mon pote ne pouvait pas me donner de l’argent ; il faisait ça pour le plaisir. Je suis donc rentré en contact avec O’Neal et les mecs m’ont dit « Pas de souci, Valentin. On peut te donner tant par course, et puis tant en bonus pour les résultats ». J’étais sur le cul.

On reviendra sur l’aspect financier un peu plus tard. J’aimerais qu’on développe un peu ce premier round. Tu fais 10-13 en te mettant le nez par terre en seconde manche. Tu es revenu dans la roue de Jason Anderson en première manche, il pensait même que tu étais un retardataire [rires]. Quand on regarde, tu arrives là-bas avec une clavicule neuve, comme un cheveu sur la soupe et avec peu de moto dans les jambes. C’est un nouveau championnat avec un nouveau format. Il y a une belle marge de progression. On ne va pas dire que 11e, ça casse la baraque, mais ce sont des débuts plus que corrects, compte tenu des circonstances et des noms qui sont devant toi, non ?

Oui, ça ne faisait que quatre semaines que je m’étais fait opérer de la clavicule. En fait, j’avais roulé en Suisse 16 jours après l’opération. La réalité, c’est que j’avais juste fait trois ou quatre tours et posté une vidéo sur Instagram pour montrer que j’étais de retour sur la moto, donc on ne peut pas compter ça comme un entraînement.

C’était du flan, genre « hello les teams, je suis dispo » ?

Voilà, parce qu’il y avait ce team d’usine qui avait un pilote blessé, et je voulais montrer que j’étais de retour sur la moto. Alors, la chance que j’ai eue, c’est que j’ai quand même pu tester la clavicule et que ça s’est super bien passé. Donc, je me suis dit « C’est bon, je peux reprendre l’entraînement. »

Une semaine après ça, j’ai fait 3 fois 20 minutes, tranquillement. On peut dire que c’était le premier entraînement. Je suis parti aux États-Unis, j’ai roulé mardi et mercredi tranquillement pour prendre un peu de feeling, et j’ai fait le press day de Fox Raceway le vendredi où on a pu faire 5 tours.

La course, c’était le samedi. Je suis arrivé là-bas avec 3 heures de moto dans les jambes sur le dernier mois. Je m’étais dit que si je faisais deux top 15, je serais vraiment content compte tenu des circonstances. Je n’avais pas envie d’aller m’en coller une à la première course.

Je suis parti 19ᵉ en première manche et je suis remonté 10ᵉ. Il y avait un pilote Kawasaki devant moi, j’ai d’abord cru que c’était Prado. On est de l’autre côté du monde, mais il y a la course des Européens avec Guillod, Paturel et Prado [rires]. J’avais vu Benoît devant moi, et ma motivation, c’était de le doubler. De là, j’ai vu la Kawasaki, je pensais que c’était Prado et je me suis dit que j’allais tenter de faire premier Européen, donc j’ai mis du gaz. Puis finalement, c’était Anderson. Il se retournait sur chaque saut pour voir qui c’était ce con avec un numéro à 3 chiffres derrière lui [rires].

En deuxième manche, je dois partir de nouveau vers la 18ᵉ place. Je remonte 12ᵉ, mais j’étais un peu court physiquement quand même. Je ne me suis pas levé au bon moment dans une section, j’ai fait droite-gauche, et je suis tombé. Je suis reparti 16ᵉ, et j’ai terminé 13ᵉ en étant dans le dur en seconde manche. J’étais limite…

Un mot sur la piste. Les exter’ de Fox Raceway que tu prends à fond, ça doit te changer de Frauenfeld et de Cozar.

Oui. Vraiment. Je galère avec ça pour l’instant parce qu’en fait, en Europe, tu n’as vraiment qu’une trace qui va vite. Le niveau est aussi très homogène, mais vu que les terrains sont plus petits, les écarts sont plus faibles. Donc, tu restes derrière et tout d’un coup, il y a peut-être un endroit où tu peux attaquer, ou tu attends que le mec fasse une erreur pour en profiter.

L’outdoor, c’est différent de ce point de vue-là, et je galère parce que je me retrouve à rester derrière les mecs. Tu peux vraiment te permettre de tenter un extérieur dans un virage. Le mec sera à 20 m de toi à l’intérieur, et tu pourras quand même ressortir du virage à côté de lui, sinon devant. Il faut vraiment que je m’habitue à ne pas avoir peur de changer complètement de trace.

En GP, quand tu cherches une trace, tu te décales de 50 cm. Sur l’outdoor, tu te décales de 20 m. Ce n’est pas vraiment habituel pour moi…

Un format sur un jour, tu as moins de temps en piste qu’en GP. En plus de ça, les mecs connaissent Fox Raceway comme leur poche, ce qui est forcément à leur avantage.

Oui et surtout, ils ont roulé pendant deux semaines à Fox Raceway avant l’épreuve pour faire du testing. J’ai été impressionné, franchement. Dans le premier tour des essais, tu n’as pas le droit de sauter les sauts. Du coup, tu fais ton premier tour en genre 3 minutes. En gros, il ne te reste plus que 12 minutes pour faire un tour chrono. Et en fait, à la fin du premier tour, les mecs sont à bloc. Ils sont chauds ; c’était impressionnant.

Heureusement que j’ai pu faire 5 tours le vendredi lors du press-day, histoire de me caler un peu sur les sauts. Le truc, c’est que pendant le press-day, le terrain est dur et sec. Le samedi matin, c’était hyper arrosé, limite de la boue. Si tu sors de la trace ou que tu te poses un peu long, tu peux t’en coller une facilement. Après deux tours, il y avait des mecs qui revenaient avec le guidon en bas, en vrac. Moi, j’y suis allé tranquille.

En GP, tu as des mecs qui y vont aussi à bloc dès les premiers tours aux essais, mais d’autres sont plus comme moi, on va y aller tranquillement dans les 5 premiers tours ; on se chauffe. Là, c’est à fond direct.

Le matin, il y a les séances et la première course est à 14 h. Après, entre les deux manches, tout s’enchaîne très vite et tu n’as pas beaucoup de temps.

On parle de cette journée de presse du vendredi. Tu te dis que tu vas la faire à chaque fois, pour apprendre les pistes la veille du coup ? Si tu fais 5 tours, c’est presque une séance d’essais supplémentaires en fait.

Oui, je vais essayer de toutes les faire. Si je peux gagner 5 tours sur la piste la veille, c’est déjà ça. Ça me permettra au moins de me caler sur tous les sauts. Les tours sur l’outdoor font 2 minutes 30, tu dois avoir 12 minutes pour faire un chrono puisque tu ne peux rien sauter lors du premier tour. On doit faire 5 tours lors des qualifs, donc c’est toujours 5 tours de plus quand tu roules au press-day.

Un mot sur Jett Lawrence. Il est d’une facilité assez déconcertante quand on le voit rouler. On a l’impression qu’il ne force pas et pourtant, il emplâtre. C’est à se demander ce qu’il est capable de faire que les autres ne sont pas capables de faire. Loin de moi l’envie de te démoraliser, mais quand tu vois qu’il te colle 5 secondes… tu te demandes ce qu’il fait de plus ?

En fait, ce mec a une intelligence de lecture de piste supérieure aux autres. Ça, c’est le premier truc. L’autre point, c’est qu’il n’a pas peur de ralentir pour aller plus vite.

Et en fait, ce n’est pas logique d’aller moins vite lors d’une course, pour finalement aller plus vite. C’est même une contre-logique et ça fait peur aux pilotes. Moi, je sais que mon problème, c’est que je rentre trop vite dans les virages. Je freine hyper tard. Pour moi, c’est une course, donc il faut que j’aille le plus vite possible du début à la fin. J’ai peur de rentrer moins vite pour essayer de ressortir plus vite dans les virages, par exemple.

Jett, il ne pense pas comme ça. Il est capable d’aller moins vite que toi à un endroit, pour aller beaucoup plus vite que toi juste après. Je pense que ce sont deux de ses avantages. Il a une sacrée lecture de piste, et il n’a pas peur d’aller lentement pour aller vite.

En GP, tu vas avoir plus de petits serpents, de virages cassants, d’intérieurs serrés ; tu fais beaucoup plus de stop & go que sur l’outdoor où on voit que les mecs gardent quand même vachement de vitesse.

Oui. Et on en revient à ce que je disais tout à l’heure. Les pistes sont tellement grandes qu’il y a une plus grosse marge d’erreur au niveau des chronos. C’est aussi homogène qu’en GP, mais en GP c’est homogène sur une demi-seconde. Là, c’est homogène sur 2 secondes parce que les pistes sont énormes. Si tu fais une erreur sur l’outdoor, tu ne vas pas tout de suite avoir un mec qui va te doubler. Le mec va revenir dans ta roue, mais il aura peut-être fait une erreur aussi avant la fin du tour. C’est là que ça change, avec la longueur de la piste. Si tu roules une seconde moins vite sur un tour d’une minute, tu seras deux secondes moins vite sur un tour de deux minutes. Les écarts sur l’outdoor sont plus grands en piste, mais ça reste le même niveau, en fait. Tu retrouves toujours ce gros noyau dur devant, avec 3/4 mecs. Et dans les 15, ça roule grave.

Parlons caillasse. 11ᵉ de l’outdoor. Il a pris combien, Valentin ?

Franchement, je ne sais même pas, je n’ai pas encore fait les calculs. En fait, l’AMA te paye toutes les deux semaines, donc je serai payé pour Fox Raceway et Hangtown en même temps. J’ai aussi les contingencies Yamaha, O’Neal, je dois avoir Dunlop ; il faut que je voie avec le team.

Je pense que pour Fox Raceway, j’ai dû prendre dans les 2.000$.

C’est marrant parce que le lundi matin, Jeffrey Herlings m’a écrit. Il m’a demandé « alors, t’as pris combien ? » et je lui ai répondu « plus que toi ». Il était au fond du trou, parce qu’il avait fait 4ᵉ du GP et il avait pris 0 euro, ça lui avait même coûté 500 € d’aller à la course. Bon, après, on ne prend pas en compte son salaire annuel [rires].

Chez Honda SR, tu étais payé au point, directement par le team. Tu avais un salaire annuel aussi. On ne va pas rentrer dans le détail, mais si tu faisais 11ᵉ d’un GP, tu ne repartais pas avec 4 000 € en poche, j’imagine ?

On marque combien de points quand on fait onzième ?

Onzième d’une manche, c’est 10 points. Deux fois onzième, c’est 20 points.

Donc ça faisait 600 €. Après, j’avais un salaire à l’année. C’était du bonus.

Ce système de contingency qui rémunère les pilotes non-officiels qui représentent les marques, ça prend tout son sens quand même. Tu fais de la promotion d’une marque au plus haut niveau sans être soutenu officiellement ; c’est normal que tu sois rétribué à minima. Sinon tu prends une Yamaha, tu enlèves les logos, tu mets des plastiques verts, et basta. Un peu à l’image de F&H dans leur dernière année, d’ailleurs.

Voilà, et ce que tu dis, c’est exactement ce que je n’ai pas voulu faire. C’est pour ça que j’ai gardé ma Yamaha bleue, avec les logos Yamaha YZ-F dessus. Je portais même un t-shirt Yamaha sur les courses, parce que je ne voulais pas qu’on puisse me faire le moindre reproche. Et puis je me suis dit que ça pourrait peut-être m’aider à ouvrir des portes. Peut-être que j’allais recevoir un e-mail, un coup de fil, pour me dire « Bravo Valentin. » Peut-être qu’on aurait pu me filer 2 embrayages pour m’aider. Mais ça n’a pas été le cas.

11 épreuves de l’outdoor, il y a de grandes chances que tu finisses par te qualifier directement pour les épreuves du SMX en fin de saison…

Oui, c’est l’objectif. Je ne sais pas trop comment ça marche, mais vu que je suis là, l’idée c’est de se qualifier pour les play-offs et puis ensuite, il y aura le Motocross des Nations aux USA.

On parlait d’argent. Là, tu peux en prendre un paquet aussi… Après, j’imagine que ce n’est pas ton objectif principal vu que tu as refusé de belles offres pour faire des championnats Nationaux.

Voilà. Je suis venu aux USA pour l’expérience. Je m’en fous un peu de l’oseille, même si c’est toujours plus simple quand tu peux payer tes factures. Je ne veux pas avoir de regrets, je vais faire l’outdoor, ce ne sera que du bonus.

Je suis un compétiteur. Je veux faire le meilleur résultat possible à chaque course. Mais je suis venu là pour vivre l’expérience du Motocross US. Là, je fais 10 & 13, et je suis heureux. C’est une expérience magnifique. C’est vraiment ce qui m’importe le plus. Après, si je peux faire des gros résultats, prendre de l’argent, alors c’est cool.

Si tu fais une belle saison d’outdoor, le championnat SMX, tu auras peut-être des opportunités pour envisager de rester là-bas, qui sait. C’est quelque chose qu’on envisage ?

On m’a demandé si la porte en GP était fermée. Non, elle est toujours ouverte. Je peux revenir en Grand Prix. Mais la porte aux US n’est pas fermée non plus. Si j’ai une proposition pour faire du Supercross et du Motocross, pourquoi ne pas la saisir ? Je n’ai pas fait beaucoup de Supercross, mais j’ai gagné Genève en 250, j’ai fait 4 à Genève en 450 et 4 à Paris-Lille aussi même si le SX US n’a rien à voir avec le SX Européen. J’ai toujours pris du plaisir à en faire.

C’est probablement encore trop tôt pour en parler. Mais avec le recul, je me dis que tu as plus de chances de te faire repérer sur l’outdoor en rentrant dans les 10 qu’en GP. Tu as montré ce que tu savais faire, et ça n’a pas payé en GP cette année. Aux US, les mecs ne te connaissent pas et risquent rapidement de te repérer. Après, il faudrait faire du Supercross…

C’est pour ça qu’il faut faire des journées de testing. C’est pourquoi je dis que je ne ferme aucune porte. Peut-être que je vais recevoir une offre pour revenir en GP au mois d’août, et que je retournerai en GP. Ça peut aller dans n’importe quelle direction pour l’instant. Le but, c’est de continuer encore 2 ou 3 ans, que ce soit en GP ou aux US.

L’autre pilote du team Rock River Yamaha, c’est Grant Harlan. Il fait 12 à Fox Raceway. Tu fais 11… Quand ils te voient arriver en short, tongs, une clavicule neuve, une moto d’origine et un numéro à trois chiffres pour finir par rouler dans le top 10, ils doivent se demander d’où tu sors, non ?

Ils ont halluciné [rires]. Mais ils étaient heureux, vraiment. La différence avec l’Europe, c’est que tout le monde était content pour moi: même les autres pilotes qui ne me connaissaient pas. Au sein du team, il y avait juste un jeune du 250 qui doit avoir 21/22 ans, qui me connaissait. Il est fan de l’Europe, il suit tous les Grands Prix, il se lève le matin pour les regarder, donc il savait qui j’étais. Le reste ? Personne ne me connaissait, donc c’était drôle.

En fait, je n’ai pas changé ma façon de faire. Quand je suis arrivé à Pala vendredi pour le press-day, je suis arrivé avec une moto full origine. Les mecs se demandaient qui était ce guignol qui arrivait avec ça sur un national. J’ai dû mettre le pot Akra’ pour l’épreuve, parce que la moto ne passait pas au sonomètre avec le pot d’origine. Au sein du team, personne ne me connaissait; ils se sont demandé ce que je foutais là [rires].

C’est quoi, le mot de la fin ?

Il y a toujours ce débat de qui est le meilleur en Motocross. Ça va tout aussi vite en GP qu’aux US. C’est juste différent. Il ne faut pas essayer de comparer.

Rien qu’entre le paddock des GP et celui des US, on est à 4 années-lumière. Déjà, le championnat US est un championnat National ; il ne faut pas l’oublier. On retrouve donc ce qu’on retrouve quand on va faire le Dutch Master ou même l’Elite en termes d’ambiance et d’atmosphère. Ce sont deux mondes différents qu’il faut arrêter de vouloir comparer.

En Europe, on fait avec ce qu’on a en Europe. On peut bien sûr s’améliorer sur certains points comme je le dis depuis quelques années, et notamment en créant une catégorie pour les pilotes indépendants comme en MotoGP.

Aux USA, l’économie est plus grosse, il y a plus d’argent, donc ça se développe aussi différemment, mais ils devraient probablement améliorer certains trucs — comme les paddocks, par exemple — comme nous on pourrait être meilleurs sur certains trucs en GP.

Je peux vraiment confirmer que ce sont deux mondes différents, sur des pistes différentes, mais que ça met du gaz des deux côtés.

Valentin Guillod « Au sein du team, personne ne me connaissait; ils se sont demandé ce que je foutais là »
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