Solide deux années de suite – et présent dans le top 10 final du championnat du monde MXGP – Valentin Guillod n’a pas trouvé de guidon pour la saison 2025. Le pilote Suisse s’est donc mis en tête de disputer le début de saison en privé, avec une 450 YZ-F quasi-stock, dans l’espoir de prouver sa valeur auprès des équipes officielles. Le garçon a mis l’accent sur le physique, mais aussi sur le sable, durant l’hiver. Ce dimanche, Valentin Guillod a d’ailleurs livré une belle prestation lors de l’international de Lierop, juste avant de s’envoler pour l’Argentine. Un projet, une passion, un objectif. Micro.
Valentin, tu pars en privé cette année. On sait que quand tu as une équipe, la vie est beaucoup plus simple, mais j’aimerais qu’on parle des détails à l’intersaison. Là, personne ne s’occupe de gérer certains aspects pour toi, tu te débrouilles. Elle a ressemblé à quoi, cette période d’intersaison ?
Il faut savoir qu’après les Nations, j’ai pris un mois de vacances, tout le mois d’octobre. Ensuite, en novembre et décembre, je n’ai fait que du physique, pas de moto. D’habitude, tout le monde remonte sur la moto autour du 5 novembre. Mais là, pour limiter les frais, j’ai fait deux mois d’entraînement physique à la place. Je suis remonté sur la moto le 6 janvier.
Mi-décembre, j’ai acheté ma moto chez un concessionnaire, chez un copain à moi, Kehrli Moto. De là, j’ai attaqué à Redsand. J’ai fait une semaine en Espagne avec Arnaud Tonus, c’était cool. À partir du 12 janvier, j’étais en Sardaigne pour trois semaines. Et je n’ai fait que du sable.
En fait, je suis tellement motivé dans mon projet de montrer que je peux encore faire des choses que ça ne me dérange pas du tout de me démerder, de faire une heure de sport le matin, une heure de moto l’après-midi, 45 minutes de vélo le soir pour récupérer, et puis la mécanique. J’ai quand même le temps de tout faire et en plus, il y a eu de bonnes conditions.
Et puis, il n’y avait pas grand-chose à faire sur la moto. Sur un mois, je l’ai lavée deux fois. Je n’ai pas perdu de temps à changer de kit déco, à laver la moto pour que ça brille. Je me suis concentré sur le fait d’avoir une moto qui marchait, avec laquelle je pouvais m’entraîner.
Bien sûr, j’ai aussi adapté un petit peu mon style de pilotage avec mon budget, avec mes moyens. Quand tu ne payes pas tes pièces, tu t’en fous si tu fais des rupteurs, tu t’en fous de taper dans l’embrayage et de tout cramer. Quand c’est toi qui payes les pièces, tu fais un peu plus attention, tu prends un peu plus le temps. J’ai fait 15 heures d’entraînement sur la moto, cet hiver, et je n’ai pas changé l’embrayage [rires].
J’ai aussi organisé mes entraînements différemment. Je faisais un jour de moto, un jour off, un jour de moto, deux jours off. En fait, je roulais trois fois par semaine, en me laissant du temps. Comme ça, après un entraînement, j’avais toute une journée pour refaire ma moto. Donc en fait, ce n’était pas si compliqué que ça. Des fois, je faisais des sorties de 4 heures de vélo le matin, et puis de la mécanique l’après-midi et ça allait très bien.
Mais quand tu fais deux fois neuvième du championnat du monde, tu ne devrais pas devoir faire ça pour te préparer pour la saison 2025. Mais c’est parce que je crois en mon projet, je veux montrer que je ne suis pas fini. Voilà pour ça que je m’investis comme ça, que je paye tout mon matériel.
Tu dis que tu as fait 15 heures de moto cette intersaison. En temps normal – en 2024 par exemple – ça aurait représenté combien d’heures de moto, une préparation hivernale ?
Je pense qu’avec Yves, on était autour de 50 heures de moto, à la louche. Du moins pour les dernières saisons qu’on a faites ensemble. On commençait à partir de début novembre, et on terminait mi-février.
L’an dernier, on avait discuté et tu m’avais dit: «j’ai moins mis l’accent sur la préparation physique pour être moins cramé pour la saison». Finalement, tu as fait l’inverse cet hiver, moins de moto et beaucoup plus de physique ?
Oui. C’était quelque chose que j’avais demandé à Yves. J’avais demandé à ce qu’on fasse un peu plus de moto, parce qu’on avait bien travaillé les deux saisons d’avant, puis je me sentais prêt à pouvoir passer un peu plus de temps sur la moto. Pour cette année, j’ai fait un peu l’inverse. J’ai fait un peu plus de physique et beaucoup moins de moto.

Valentin Guillod se lance sur le mondial MXGP dans le plus simple appareil cette année @Michol Vargiu
Je vais avoir quelques questions qui fusillent. La première, c’est que tu te retrouves sans guidon pour la saison 2025 après avoir intégré le top 10 du mondial MXGP deux ans de suite. Est-ce que tu as une mauvaise réputation dans le paddock ?
Oui, pour sûr. Le truc, c’est que dès le premier jour où tu arrives dans le paddock, on te colle une étiquette. Quand je suis arrivé en 2011, je sortais du milieu amateur et pour moi, le milieu MXGP était pareil. Je faisais un peu le con. Les gens se sont tout de suite dit que j’étais un guignol, un clown, que je n’étais pas un bosseur. Ce n’était pas forcément faux au début; je n’étais pas super bon sur mes premières saisons.
Et puis, la deuxième mauvaise image, c’est que Guillod n’aime pas le sable. Alors qu’en fait, c’est faux. J’adore le sable, c’est vraiment technique. Il faut vraiment jouer avec la piste. Mais c’est très dur physiquement, et il faut passer du temps dedans pour progresser et c’est ce que j’ai mis de côté toute ma carrière.
C’est pour ça que j’ai fait du sable cet hiver, je me suis dit «mieux vaut tard que jamais». J’ai été en Sardaigne trois semaines, j’ai fait des séjours en Belgique, tout ça.
Comment ça va se détailler, ce programme 2025 ? Tu vas être basé où, tu vas tirer jusqu’à quel GP, qui va te filer un coup de main ?
Je suis basé chez moi, en Suisse. J’ai mon ancien mécano – qui m’aidait en 2022 & 2023 – qui vient avec moi en Argentine, et on aura un helper sur place, c’est un sponsor qui voulait venir faire le voyage avec nous.
Mon objectif pour cet hiver, c’était de montrer que j’étais prêt physiquement, que j’avais la vitesse pour faire de beaux résultats. Si un team a besoin de moi, je serai là pour remplacer au besoin. J’aimerais bien que ça ne dure pas trop longtemps, parce que j’ai le compte qui commence à devenir sec [rires]. Et puis je n’ai pas vraiment de rentrée d’argent. Il faut que je paye mes factures, comme tout le monde.
Moi, je n’ai pas peur ni envie de me cacher. Je dis ouvertement que je suis là pour remplacer un pilote blessé. Oui, c’est malheureux pour eux, mais on sait que ça fait partie du business: il faut que les motos roulent pour que les teams ne perdent pas trop d’argent.
Là, on va en Argentine. La moto revient directement à Cozar, on va faire l’entretien et on va rouler sur le second GP en Espagne. J’ai prévu de faire Saint-Jean aussi, puis Riola Sardo, Trentino et enfin la Suisse en full privé si personne n’a besoin de moi d’ici là. Pour la suite … on verra.
Pourquoi ne pas avoir participé aux épreuves de l’International d’Italie pour te préparer cette année ?
En fait, j’étais parti depuis le 6 janvier de la maison, puis je rentrais le 5 février de Sardaigne. J’aurais pu aller directement à Mantova, mais j’avais envie de rentrer chez moi. Et puis quand j’ai vu les conditions à Mantova, j’étais bien content de ne pas y avoir été [rires]. Ça coûte un certain budget quand c’est dans la boue comme ça, car ça ruine bien la moto. Rouler à Montevarchi, ça aurait été sympa, ça s’est déroule dans de belles conditions.
Je me disais que j’allais faire Lacapelle-Marival, mais je n’étais pas trop motivé. Le problème, c’est que la plupart du temps, c’est gelé le matin, on retrouve de la boue l’après-midi, et on finit avec le soleil dans la tronche. C’est un peu spécial là-bas. Et puis cette année, la météo a été vraiment bonne, ils ont eu du bol et ça s’est vraiment bien passé. Tant pis, c’est comme ça, ça fait un week-end de récupération en plus.
Tu as décidé de repartir sur Yamaha en tant que privé cette année après deux saisons sur une Honda. Tu étais sur Yamaha par le passé, notamment avec Hostettler. Pourquoi avoir fait le choix de la 450 YZ-F ?
Parce que je me suis toujours bien senti sur la Yamaha. J’ai gagné des grands prix avec une Yamaha, en MX2. Pour moi, c’est la meilleure moto d’origine. Tu peux la sortir de la caisse, et aller faire des grands prix avec. C’est pour ça que j’ai choisi une Yamaha.
Et concrètement, depuis qu’elle est sortie de la caisse cette 450 YZ-F, tu lui as mis quoi ? Tu m’as dit que tes parents t’avaient offert une ligne ?!
Ouai ! Dommage parce que je voulais être full origine [rires]. Mes parents m’ont dit «Pour l’Argentine quand même, il te faut un Akrapovic». Alors ils m’ont offert un pot [rires]. C’est très gentil, c’est super, ça me fait plaisir.
J’ai ce pot, et j’ai fait préparer les suspensions d’origine. C’est pour ça que j’ai pris une 450 YZ-F, parce que c’est monté sur du Kayaba. C’est exactement la même chose que les kits factory. Il n’y a juste pas les traitements dessus, mais ça fonctionne très bien. Sinon, j’ai un moteur d’origine, et toutes les pièces d’origine.
Tu ne changes pas les disques, les étriers, etc ?
Non, tout est d’origine ! Les plaquettes de freins sont d’origine, c’est ce qui freine le mieux. Je me dis vraiment que c’est le mec qui est sur la moto qui va réussir à faire la différence, plutôt que le fait de rajouter des pièces.
Je pense qu’on va trouver des motos plus préparées que la tienne en ligue cette année.
Oh oui [rires]. En fait, je me dis que c’est bien de partir du principe que c’est le mec sur la moto qui peut faire la différence. Après, je me trompe peut-être totalement et rien ne va aller pour moi en Argentine … Mais tu vois, j’ai roulé à Lierop hier. En première manche, si je n’avais pas freiné aussi tard et que j’avais pris à la corde, je faisais le holeshot devant les motos d’usine avec ma moto d’origine. On verra bien !
Parlons de cet objectif de décrocher un guidon si quelqu’un a besoin d’un remplaçant. J’imagine que tu ne veux pas évoluer dans n’importe quelles conditions. Je suis peut-être à côté de la plaque, mais si un team Factory a besoin de toi, ils vont peut-être se dire «Valentin il est dispo, il est cool, mais vu qu’il n’a pas trop d’autres options, il va rouler pour nous gratos». Être pilote privé, ce n’est pas dire amen à tout non plus, dans un sens.
C’est sûr. En fait, tous les teams Factory sont au courant de ma situation. Je leur ai fait un e-mail pour les prévenir, et tout le monde a répondu comme quoi ils avaient bien reçu l’information.
Après, c’est sûr que je pense qu’il faut quand même être correct dans la vie. Un team Factory qui ne fait pas rouler une deuxième moto va perdre de l’argent. En tant que sponsor, si tu payes pour deux motos – et donc deux fois plus de visibilité – tu n’acceptes pas qu’il n’y ait qu’une moto qui roule, et de payer deux fois.
En fait, il faut se mettre autour de la table et discuter. Je me dis que si je fais de bons résultats en tant que privé dès le début de saison, ça peut quand même changer la donne pour moi. Les teams vont peut-être se dire qu’ils ont un coup à jouer avec moi.
Est-ce que tu as prévu de faire des épreuves nationales à côté, pour prendre un peu d’argent et financer ton programme MXGP ?
Non. Au début, je voulais faire le championnat de France pour me battre avec Josse [rires]. Mais au final, non. Je ne sais pas trop en fait. Pour l’instant, je reste concentré sur les grands prix. J’ai eu des propositions pour aller rouler en Allemagne. En fait, ça ne m’intéresse pas vraiment de faire des courses pour gagner de l’argent. C’est con à dire parce que là, j’ai mon compte qui est dans le rouge, j’ai des factures à payer, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse.
10 ans après, j’y crois encore. J’ai encore envie de monter sur un podium. La dernière fois, c’était à Glen Helen en MX2 en 2015. Je me dis que 10 saisons après, ce n’est jamais trop tard.
Et puis, je n’ai pas envie d’avoir de regrets à la fin de ma carrière. C’est peut-être con. Mais oui, ça me coûte de l’argent, j’investis beaucoup, mais dans 3-4 ans, je veux pouvoir me retourner et me dire que je n’ai pas de regrets. J’ai suivi la voie en laquelle je croyais. C’est ma vision des choses, je pense peut-être aussi comme ça parce que j’ai des sponsors qui me permettent de faire ça. C’est aussi la chance que j’ai.
Tu n’es pas en train de sortir 200 000 euros de ta poche pour un programme MXGP non plus, entre guillemets.
Non. J’ai dû acheter deux motos. En fait, au début ce n’était pas prévu et je voulais en acheter une seule. Mais vu que la moto partait mardi pour l’Argentine, je n’avais pas de quoi m’entraîner cette semaine, ni faire la course de Sommières ou de Lierop, donc il a fallu en acheter une deuxième.
Tu comptais faire les grands prix avec une seule moto ?
Oui. En fait, la moto qui est dans la caisse en Argentine, c’est ma moto d’entraînement avec laquelle j’ai fait la Sardaigne. Il n’y a pas vraiment de moto de course ou d’entraînement pour moi.
Les deux motos, les frais, l’appartement en Sardaigne et les déplacements, ça a dû me coûter 20.000€, par là. Ensuite, les frais vont être un peu moins conséquents. On partira le jeudi sur les GP, et on reviendra le dimanche soir ou le lundi. Ça ne coûtera pas beaucoup plus, même si ça coûte toujours un billet.
Alors c’est sûr que pour l’instant, le calcul n’est pas bon. J’ai dépensé 20.000€, et j’ai gagné 500€ à Lierop. Le compte n’y est pas |rires]. Oui, je vais aller en Argentine pour gagner zéro mais au final, j’y vais pour faire un joli résultat. Et c’est ça l’histoire que je veux écrire.
De l’argent, tu as tout le reste de ta vie pour en gagner. Par contre, rouler à moto à très haut niveau …
C’est ça, c’est ce que je me dis. Le but, c’est de pouvoir payer mes factures, et ne devoir d’argent à personne. Peut-être qu’en travaillant bien, il y aura une porte qui s’ouvrira et la fin de carrière sera différente. Dans quatre ans, s’il faut monter un business pour vivre, faire un truc hors de la moto, il y aura de quoi faire. Tout ce que je fais là, c’est pour ne pas avoir de regrets plus tard, c’est le principal.
Tu viens de terminer 5ème à Lierop ! Ça y est, tu es un grand spécialiste du sable. Tu peux nous dresser un bilan de ce week-end aux Pays-Bas ?
C’est la première fois que je roule aussi bien dans le sable de toute ma carrière. Je suis vraiment content de la façon dont j’ai roulé. Oui, c’est sûr que je suis le 5e pilote de GP de la journée, derrière 4 pilotes d’usine. Mais je ne suis pas tombé, je n’ai pas fait de fautes. J’ai fait de bonnes sorties de grille, je n’ai pas trop galéré physiquement. J’étais vraiment content. C’était cool. C’était une belle course de préparation et je vois que le travail effectué cet hiver paye, et que les choses ont été faites correctement.
J’ai vu passer ta story sur Instagram. C’est quoi cette discussion que tu as eue avec Jeffrey ?
Je lui ai dit que j’allais rouler à Lierop et qu’on devait se voir pour boire un café, et au passage j’ai demandé s’il avait un conseil pour moi. Il m’a demandé ce que j’allais faire à Lierop, et il m’a conseillé d’aller plutôt rouler dans le sud de la France [rires]. C’était marrant. J’étais obligé de le mettre sur Insta parce que sur les photos et les vidéos, on ne se rend pas compte des trous qu’il y avait en bas des appels. C’est simple, en bas de l’appel, ça tape encore plus qu’à la réception d’un gros saut. C’était complètement débile cette course [rires].
La dernière fois que j’avais roulé à Lierop, c’était sur l’Europe en 2013, et j’avais gagné. C’était encore pire à l’époque parce qu’il avait plus toute la nuit et c’était devenu de l’Enduro. Cette fois-ci, on a eu de bonnes conditions. Il y avait de la vitesse, il y avait des gros trous, des ornières de malade … et pourtant il y avait du monde qui mettait du gaz.
Pour moi, c’était plus défoncé que ce qu’on retrouve en Grand Prix. Ils avaient fait des sauts … les appels, c’est simple, c’étaient des murs. Même en Grand Prix, on n’a jamais des sauts qui t’envoient autant.
Je crois qu’il y a beaucoup de pilotes qui ont dit que ça devenait vraiment dangereux. Ils ont refait un peu les sauts, lissé les ornières pour les deuxièmes manches. Mais il y avait déjà eu deux catégories avant nous, alors c’était quand même défoncé de partout.
On en a parlé avant: tu as mis l’accent sur le sable à l’intersaison cette année, mais si je reprends le calendrier que tu prévois faire en tant que privé, tu n’aurais que Riola Sardo à disputer dans le sable. Pourquoi avoir mis l’accent sur le sable maintenant ? Tu n’as pas peur que cette préparation sable te desserve pour le dur ?
Pour être honnête, je n’ai fait qu’une journée dans la terre, lors de ma deuxième journée en Espagne. Sinon, je n’ai fait que du sable. Après, je ne pense pas que 15 jours de sable vont tuer mes 28 ans d’expérience sur la terre.
Peut-être que je me trompe, je ne sais pas. Si ça se trouve, je vais être perdu en Argentine. Je ne saurais pas combien de clics je vais devoir mettre sur mes suspensions parce que je n’ai pas trop roulé dans la terre. Je vais peut-être avoir mal aux bras aussi; mais ça va aller.

La collaboration avec Honda SR s’est stoppée fin 2024. Depuis, Alberto Forato a rejoint les rangs de l’équipe de Josse Sallefranque @DailyMotocross
Tu n’est plus chez Honda SR, mais tu n’es pas obligé d’être chez Honda SR pour travailler avec Yves Demaria. Ma question, c’est pourquoi ne pas avoir continué à travailler avec Yves ?
Disons qu’avec Yves, ça a toujours été quelque chose de spécial. C’est plus qu’un entraîneur, vraiment. On avait un lien. Je le remercie vraiment pour toutes ces heures d’acharnement avec moi. Malheureusement, on est arrivé à un point où on n’était plus sur la même longueur d’onde. On a pris la décision d’arrêter de travailler ensemble. Mais on est resté en bons termes, et puis c’est pareil avec Josse. Je remercie vraiment Yves, parce que c’est lui qui m’a permis de revenir dans le top 10 du championnat du monde.
Est-ce que cette séparation avec Honda SR était vraiment commune, ou plutôt unilatérale ?
Le deal que Honda SR a avec Yves Demaria, c’est pour entraîner deux pilotes. Vu qu’on n’était plus exactement sur la même longueur d’onde, c’est aussi pour ça que je n’ai pas pu continuer avec le team pour 2025. L’association s’arrêtant avec Yves, elle s’arrêtait avec Honda SR. Personnellement, j’ai vraiment voulu terminer en bons termes. Ce n’est pas parce qu’on ne s’entend pas sur quelque chose que ce doit être la guerre, parce qu’on ne sait pas de quoi la vie sera faite.
Tu intègres le top 10 final MXGP en 2023 et 2024 avec un team qui tient bien la route. Malheureusement pour toi, les résultats n’ont pas débouché sur un guidon en 2025. Comment on espère faire mieux que ça, tout en étant privé, finalement ?
On a une chance dans ce sport, c’est que ce n’est pas trop la structure et pas trop la moto qui peut faire la différence. C’est vraiment le mec qui est sur la moto. Donc, c’est en ça que j’ai cru depuis le 1er novembre, date à laquelle j’ai commencé mon entraînement. Tous les matins, je me lève en me disant que c’est moi qui peux faire la différence. Peut-être que je me trompe complètement et que je vais passer au travers, on verra, mais je ne pense pas me tromper sur le constat.
Si tu n’as toujours pas d’opportunités après le GP de Suisse, tu envisagerais de partir pour l’outdoor ou tu n’auras de toute façon pas le budget pour ?
Ça, c’est une bonne question. Quand on regarde les US, c’est sûr que ça fait plaisir d’entendre que le mec prend sa prime quand il finit sa course. On entend tous les amateurs qui disent qu’ils gagnent de l’argent là-bas. Le problème, c’est qu’aller là-bas, ça coûte quand même un sacré billet. Donc voilà, il faut peser le pour et le contre. Mais c’est vrai que j’aimerais au moins faire une fois une épreuve de l’outdoor. Est-ce que c’est la saison pour faire ça ? Peut-être. Je ne sais pas du tout. «L’avantage» de ne pas avoir de contrat, c’est que je peux faire comme je veux, quand je veux. Le seul petit problème, c’est que je n’ai pas un rond, mais si je fais de beaux résultats en début de saison, les gens vont continuer à croire en moi et ce sera un peu plus simple de trouver des sponsors et de continuer l’aventure. C’est sûr que si je fais 20ème, ça sera un peu plus compliqué. Mais si je continue à travailler comme je le fais, que je roule en course comme je roule à l’entraînement, je pense que les gens seront contents de m’aider et de me suivre.
Donc, l’objectif c’est de se pointer en Argentine sur le 450 d’origine en tant que privé pour finir dans le top 10 et aller serrer la main des patrons des teams usine en leur disant rendez-vous à Cozar ?
Ouais, c’est exactement ça.
En fin de saison passée, mon collègue Andy a fait une interview avec David Luongo, et ses propos avaient fait fortement réagir. Au fil des discussions, j’ai l’impression que tu es moins critique que certains, et que tu comprends ces déclarations, que tu arrives à les expliquer aussi. C’est le cas ?
En fait, je suis du côté privé maintenant donc j’ai aussi un oeil différent. Exemple: tous les teams privés ont le droit à 300 kilos de frets gratuits pour envoyer la moto et du matériel sur les GP oversea. Moi, j’envoie 180 kilos: une moto, deux paires de roues, le pot d’origine de réserve, une caisse à outils, quelques pièces de rechange. L’aide d’Infront me permet d’aller sur cette course sans que ça ne me coûte trop cher.
Puisque Honda SR est un team privé, ils ont droit à 2x 300 kilos. Ça ne doit pas leur coûter trop cher de faire l’Argentine, peut-être même que ça leur coûte moins cher que de devoir déplacer le camion en Lettonie ou en Suède. Il faudrait lui demander.
Tout dépend de quel côté tu regardes les choses. Oui, le mec qui fait 8ème du GP ne gagne pas d’argent, mais s’il a un bon contrat … bah il gagnera de l’argent, c’est ça qu’il faut voir. Chez Honda SR, on avait des primes au point marqué, et des primes pour le top 10 du GP. Au final, on gagnait notre argent, et tous les pilotes ont un petit quelque chose comme ça dans leur contrat.
Pour les teams usine, le bonus est souvent pour le top 3 de la manche, ou peut-être le top 5 même. À l’époque, c’était un bonus Grand Prix. Mais on fait un sport mécanique. Tu peux gagner la première manche, mener la deuxième manche et casser sur un problème moteur à deux tours de l’arrivée. Ils ont changé les bonus de GP en bonus de manches. Il me semble qu’une victoire de manche, c’est 7.500€ si tu fais partie d’un team usine. Ça, c’est pour 30 minutes de travail. C’est énorme …
Moi, je n’ai pas de contrat, mais si je fais un podium en Argentine, est-ce que Yamaha va jouer le jeu ? Je représente quand même leur marque, j’ai la moto, les logos. Logiquement, ils devraient me payer un bonus en tant que pilote privé. Je pense qu’ils joueraient le jeu.
En résumé, et si j’essaye de comprendre ton point de vue, le promoteur du championnat a quand même mis en place un système structuré qui permet aux pilotes de gagner leur vie, même si ce n’est pas le promoteur qui paye directement ?
Oui. En fait, ce sont les teams et les constructeurs qui payent, pas le promoteur. Tout ce que fait le promoteur, ça permet aux teams de demander plus d’argent aux sponsors, afin de pouvoir aussi mieux rémunérer les pilotes.
Après, ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. On pourrait peut-être créer une catégorie «privée» comme en MotoGP. Un gars comme Paturel, Pancar, moi-même, on pourrait avoir des avantages, toucher des primes parce qu’on est présents en tant que pilotes privés. La Dorna reverse de l’argent aux teams et pilotes privés en MotoGP, à la catégorie «independent rider». Ça pourrait permettre à quelques privés de continuer à rouler, et aux grilles de se remplir.
Quand tu discutes avec Herlings, Prado, Gajser, ces histoires de mecs qui mangent des cailloux, ça ne les touche pas. On a des gars qui gagnent 500.000€, 1 million et même plus par an. Tu as aussi des gars qui jouent le top 6 qui prennent 200.000€ ou 300.000€ par an, ce n’est pas un problème pour eux. Même quand tu prends 120.000€ par an, ce n’est pas un problème. Tu connais beaucoup de personnes qui gagnent 10.000€ par mois ?
Encore une fois, tout dépend du côté depuis lequel tu regardes la chose.
Je connais des gens qui gagnent la moitié de ça, en étant assis sur une chaise au chaud, en ne prenant aucun risque de l’année. Des gens qui n’ont pas la moindre connaissance en anatomie, parce qu’ils n’ont pas passé ces 15 dernières années à visiter les hôpitaux à force de se fracasser sur une moto.
Alors ça, c’est le problème de notre sport. On dit tout le temps que le joueur de foot prend moins de risques que nous. Par contre, le joueur de foot, je peux te dire qu’il fait tourner une sacrée économie. C’est pour ça qu’ils ont des aussi gros salaires.
Peut-être qu’au lieu de dire à Infront d’aider les teams usine, il faudrait peut-être demander à créer des aides pour les pilotes indépendants. Peut-être que ça permettrait d’avoir plus de pilotes sur l’intégralité de la saison, et donc aussi plus de visibilité puisque c’est un problème qu’on a avec notre sport.
Et pourquoi ne pas demander aux constructeurs de participer ? Aux USA, il y a bien un programme de «contingency» qui récompense les pilotes non-factory. Tu peux prendre 10.000$ de la part de Yamaha si tu gagnes une épreuve sur leur moto, par exemple. Non pas que le mec va gagner une épreuve, mais les primes sont distribuées pour tout le top 20 …
Exactement. Tu vois, beaucoup de monde critique Infront, mais si on regarde ce qui se fait aux USA, pourquoi ne critiquerait-on pas les constructeurs en Europe ? Ce serait aussi quelque chose qu’on pourrait mettre en place, et ça ne leur coûterait pas grand-chose.
Ils pourraient dire «À chaque fois qu’un pilote rentre dans le top 10 d’une manche du mondial sur notre moto, on lui donne 1.000€». Ça donne une bonne image de la marque, ça leur fait du bien à eux, et à moi aussi !
