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Alexis Fueri « Je suis passé par tellement de choses difficiles que ça fait du bien au moral »

Images: DailyMotocross

Ce week-end en Italie, Alexis Fueri est revenu d’outre-tombe. En difficulté depuis un an et demi, le pilote Français s’est rappelé à l’intégralité du plateau Européen en montant sur son premier podium en championnat EMX250. Hors des points en Espagne et en France, le pilote Ghidinelli KTM a fait face à ses démons en Italie et s’est défait d’un poids ô combien pesant en signant deux grosses manches. L’aspect mental du sport, Alexis Fueri pourrait vous en parler longuement … Micro.

Alexis. Tu termines second à Arco ce week-end. Quelles sont les réactions à chaud, c’était quoi ce week-end de folie ?

Déjà, ça fait du bien, ça fait plaisir. Mais pendant les deux manches, mentalement, c’était un peu compliqué. Je me disais «mec, t’as pas marqué un point depuis le début de la saison et là, tu te retrouves devant. Ne fais pas d’erreur, ne brûle pas les étapes». Mais j’étais aussi là à me dire que non, il ne fallait pas que je pense comme ça, qu’il fallait que je donne tout jusqu’au drapeau à damier et en seconde manche, ce que j’ai fait.

Je voulais la gagner, mais c’était quand même dur et je crois que je me suis fait passer à deux ou trois tours de la fin de la manche. Et c’est toi qui viens de m’apprendre que si j’avais gagné la manche, j’aurais gagné le général, donc ça me fait un peu chier. Mais on va se contenter de ça, on va continuer de bosser pour gagner des manches maintenant et surtout, ce que j’ai envie de faire, c’est de trouver un peu de vitesse pour ne pas avoir à dépendre d’un bon départ pour faire une bonne course.

C’est ce qui me gêne un peu parce que je suis critique. Ce que j’ai fait, c’est très bien, ça fait du bien. Je suis passé par tellement de choses difficiles que ça fait du bien au moral. Mais pour être objectif, si je n’avais pas pris de bons départs, je n’aurais pas fait cette place. Bien sûr, il faut prendre de bons départs, ça fait partie de la course, mais j’aimerais trouver de la vitesse pour pouvoir, si je prends un mauvais départ, remonter et faire cette place là.

Tu fais cinquième de la première manche. Skovjberg te double dans les derniers mètres. Cinquième quand tu vois ton début de saison, tu dois te dire que c’est du positif. Corrige-moi si je me trompe, mais je me dis que c’est aussi le genre de résultats que tu attends de toi sur l’Europe.

C’est ça, exactement. Après la manche du samedi, j’étais content, mais en même temps déçu parce que je me suis fait doubler dans le dernier tour un peu bêtement. Mais avec tout ce que j’ai enduré l’année dernière, tout ce que j’ai traversé; c’était du positif.

Cet hiver aux internationaux d’Italie, je n’ai pas roulé car je me suis fait mal à l’épaule, et j’ai repris l’entraînement il y a peu de temps. Du coup, je sais que je manque encore de vitesse. Vu les circonstances, c’était top. J’ai beaucoup parlé avec mon entraîneur le samedi au téléphone et j’ai commencé à être critique. Je disais que je trouvais que je n’avais pas réussi à changer de rythme quand mes concurrents sont revenus sur moi, que j’aurais voulu mettre plus d’intensité et tout ce qui va avec. Il m’a répondu «Hey Alexis, après la deuxième manche à Saint-Jean, si je t’avais dit que tu ferais 5 à Arco, est-ce que t’aurais signé ?». Et j’ai dit oui. En fait, j’ai besoin d’avoir des gens positifs autour de moi qui me montrent que je suis capable parce que j’ai tendance à beaucoup m’enterrer et être beaucoup critique, mais dans le mauvais sens. Même après la première manche, je me suis dit que j’étais parti 2/3 pour finir 5ème. Je n’avais doublé qu’un mec, ce n’était pas top. Il y a des mecs qui sont tombés au départ et qui sont revenus sur moi… Mais j’ai quand même réussi à garder le positif, à tromper mon esprit pour me dire «Non, je suis bon, j’ai ce qu’il faut.» Et franchement, je n’ai pas trop les mots pour cette deuxième manche.

Tu as l’air très critique et finalement, j’ai envie de te demander si ce n’est pas toi qui te mets les plus gros freins depuis le début de saison ?

Oui. Maintenant que je muris, je commence à me rendre compte qu’une part de moi-même est comme ça. Même lors de ma première année d’Europe 250, je n’étais pas assez content de moi alors que pour une première saison – avec le recul – je finissais quand même dans les 5-6-7; c’était quand même correct. Mais vu que je voulais gagner, je m’enfonçais, et c’était pareil la saison passée. Je m’enfonçais tout seul, et dès que je me faisais doubler par un mec, je m’enfonçais encore plus.

Le fait que je n’ai pas réussi à avoir la même évolution que mes concurrents ne m’a pas aidé non plus. Je vois un Cas Valk qui est capable de rouler devant en GP par exemple… Je pense qu’être critique, c’est bien pour pouvoir progresser mais je pense aussi que je m’enterre trop, et c’est aussi ce qui a été difficile pour moi ces deux dernières années. Même si l’an dernier, il y avait la moto et le team à prendre en compte. Je sais aussi que beaucoup vient de moi.

Tu dis vouloir chercher un peu de vitesse parce que tu ne te sens pas capable de faire ce genre de résultats sans partir devant. Mais, en seconde manche, tu as tenu 10/11 tours en tête et il y avait du monde derrière toi, et pas n’importe qui non plus. Est-ce que tu ne réfléchis pas trop dans ta tête, à ce moment-là, en fin de compte ?

J’analyse beaucoup, on va dire que quand je suis dans cette position, je suis un peu plus à l’aise que dans le paquet et franchement, j’ai réussi à trouver des traces, à m’amuser avec des trous, je ne sais pas si ça se voyait, mais j’arrivais un peu à sauter des trous, j’avais un ou deux endroits où personne ne mettait les roues et où j’ai réussi à trouver un peu de meuble. J’essayais d’être le plus créatif possible et de mettre de l’intensité quand je sentais que c’était possible. Pourtant, je n’étais pas super confiant donc mentalement, c’était très dur. Je pense que j’avais besoin de me retrouver plusieurs fois dans cette situation pour pouvoir, quand je sens que l’opportunité est là, en mettre un peu plus parce que j’en ai encore un peu sous le coude. Il y a des entrées de virages où je me disais «mais tu te traînes, mec».

Tu es probablement le seul mec qui se retrouve en tête de l’Europe 250 et qui se dit «je suis à chier.»

C’est exactement ça. J’étais en tête et je me disais que je me traînais, qu’il fallait que je change de trace, que j’accélère plus tôt. Maintenant, j’arrive quand même un peu plus à me dire que je suis bien, que ça marche, qu’il faut que je continue à faire ce que je fais. Il faut surtout y croire; c’est plus une bagarre mentale qu’une bagarre avec les autres, en fait.

Tu n’as pas marqué de points dans les deux premiers rounds. La question qu’on se pose c’est: qu’est-ce qu’il s’est passé ?

J’ai repris la moto deux semaines avant l’Espagne sur le championnat italien, après m’être fait l’acromio-claviculaire aux internationaux d’Italie, donc je manquais cruellement de vitesse cet hiver. Je n’avais pas d’entraîneur; c’était un peu compliqué au niveau du programme. Je n’ai pas beaucoup travaillé sur la vitesse et c’est ce qui me manquait. J’étais motivé en début de saison, quand même confiant, mais rien ne s’est goupillé comme il fallait. Le fait de me retrouver dans la boue, de ne pas avoir de feeling, ça m’a vraiment fait me poser beaucoup de questions. J’étais vraiment tendu.

Honnêtement, quand je vois des photos des deux premières courses, je n’ose même pas les poster tellement j’étais tendu comme un balai. Ce n’était pas moi sur la moto. Donc là, ça fait plaisir pour ma famille, pour mon entourage. Je n’ai pas fait de résultats depuis un an et demi. Quand tu passes complètement à côté lors des courses, le retour en camion n’est pas simple. Tout le monde est déçu, ça jette un froid, ça m’impacte mais ça impacte aussi mon entourage qui met toute sa vie là-dedans. Même si je suis en train de parvenir à prendre mon envol mentalement, ils sont toujours présents. Je suis content pour moi, mais aussi pour eux. Ça fait du bien de partir d’une course et d’être content.

Qu’est-ce qui a changé pour toi entre l’Espagne, la France, et l’Italie ? Les résultats sont drastiquement différents.

Ce qui a changé c’est qu’entre les courses, j’ai pu rouler contrairement à avant l’Espagne. Quand je me suis blessé, j’étais au fond du trou la première semaine. Ça a été vraiment dur; je suis vraiment passé par des moments compliqués. Je me suis remis à rouler entre les courses, j’ai repris l’entraînement avec mon entraîneur à distance. On a fait un peu de vitesse, des pyramides, j’ai repris confiance. Il m’a souvent appelé pour discuter. Mes proches étaient là pour me répéter que je pouvais le faire. Après la France, j’ai roulé sur le National Italien à Mantova, j’ai eu un petit déblocage. J’ai fait 6-6, et c’était correct, car il y avait de bons pilotes.

Après ça, j’avais un week-end off mais au lieu de me reposer, j’ai été au charbon comme dirait Vuillemin. J’ai demandé au team de me passer deux pneus, un kit-chaîne et je suis allé chez mon entraîneur pendant trois jours. Je suis aussi allé à Neurovision à Lyon avec Romain Bordas, j’ai fait un petit travail comme l’avait fait Thibault Benistant à l’époque, un travail sur les yeux, le cerveau. Ça faisait longtemps que je voulais le faire, mais je n’avais pas le temps, et ce n’est pas donné car je ne gagne pas d’argent. Je me suis dit que c’était un investissement sur moi-même. Après quoi, je suis allé chez mon entraîneur et on a bien bossé. Il m’a accueilli chez lui avec ses enfants, je suis retourné aux sources en dormant dans le camping-car dans le froid au fond du jardin. Je pense que je suis arrivé ici dans un bon état d’esprit.

On avait fait un sujet avant le début de l’Europe. Ça m’avait un peu interpellé. Je m’étais dit «Alexis n’est pas du tout dans le bon état d’esprit cette année.» Avec le recul, à tort ou à raison ?

Non, tu avais raison. Après les internationaux d’Italie, je n’étais clairement pas dans un bon état d’esprit. J’étais toujours là à m’enfoncer, à me dire «je ne vais jamais réussir à remonter la pente». Même aujourd’hui, je suis encore dur avec moi-même, mais dans ma tête, je repasse en boucle et je vois des Valk, des Lata … Je me bataillais avec eux et ça me fait un peu de mal de voir où eux en sont. Mais je me dis qu’il faut que je garde le positif. L’année dernière, c’était l’enfer. Le début de saison était difficile donc ce week-end, c’est vraiment super positif. Il faut que je continue comme ça. Je sais aussi que je suis un peu vieux pour la catégorie, et que les places sont chères pour pouvoir monter en Grand Prix. Je me dis que ça va être chaud pour que ça devienne mon métier, de pouvoir en vivre. Je me force à ne pas trop y penser pour le moment, et à profiter.

Si tu pouvais parler à l’Alexis Fueri du début de saison aujourd’hui, celui qui était plein de doutes, tu lui dirais quoi ?

Je lui dirais d’arrêter de se poser 1.000 questions. Je le dirais «ne lâche pas, tu es capable». Franchement, j’essayais de me le dire à l’époque mais au fond de moi, je n’y croyais pas vraiment. Il y a eu des soirs où je n’arrivais pas à dormir, et je regardais des vidéos du 125cc et je me demandais «est-ce que j’ai déjà été capable de rouler vite ?». Ça a été remise en question sur remise en question.

Tu vois là, je me dis qu’il faut aussi me remettre en question. J’ai manqué un peu de vitesse ce week-end, mais il faut que je sois capable de voir le positif, d’aller de l’avant, et j’espère que ça va me faire un boost de confiance et que je vais être capable d’être présent en Suisse dès les essais. Si j’ai fait de bonnes courses ce week-end, j’étais quand même loin aux essais. J’ai un petit peu de mal à mettre tout bout à bout; le manque de vitesse, le manque d’intensité …

Ce podium, on va quand même le fêter ?

Je pense que je vais me faire un repas libre, parce que j’adore la nourriture. Sinon, dès lundi, on va tout laver, faire la récup’, du vélo et c’est reparti. J’aimerais pouvoir rouler mardi et mercredi, mais ils ont annoncé une tempête la semaine prochaine. En tout cas, je vais retourner au boulot. Je ne lâche rien, car les courses vont s’enchaîner.

Faire un bon résultat, moi, ça me motive encore plus à travailler. Je ne suis pas du genre à me dire que je vais en profiter pour faire n’importe quoi par la suite. Je vais profiter du moment présent avec la famille, me faire plaisir avec un peu de nourriture et surtout, rester dans une bulle positive. Rentrer d’une course en sachant que j’ai fait quelque chose de bien, c’est déjà quelque chose. Tu sais, rentrer de Saint Jean d’Angely en voiture après avoir fait deux manches en dehors des points alors que tu viens pour jouer un podium, ça fait vraiment mal. L’ambiance est tout de suite négative et je ne veux plus de ça.

Alexis Fueri « Je suis passé par tellement de choses difficiles que ça fait du bien au moral »
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