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Grégory Aranda « Le Brésil, c’est un autre monde »

Image: 595 Racing

En 2025, Gregory Aranda a pris son baluchon pour s’expatrier au Brésil, et endosser un statut de pilote officiel KTM en Amérique du sud au sein de la structure 595 Racing. Engagé sur le championnat de Motocross et d’Arenacross, le pilote Français nous propose de revivre son expérience au travers un récit pour le moins exotique. Un franc parlé, du bon sens, et une bonne dose de passion. Micro.

Greg, quand l’annonce de ta participation aux championnats du Brésil est tombée, je me suis dit que ça allait vite être plié, au moins sur l’Arenacross. Puis, il y a eu Dean Wilson et Enzo Lopes en Arenacross, mais aussi Rubini et Van Horebeek en Motocross. Est-ce que tu t’attendais à ce que le niveau soit aussi relevé, finalement ? Je crois que tu as aussi eu des pépins de santé; ça n’a pas simple pour toi. Raconte.

C’est sûr. Après, je me suis blessé à l’épaule avant de partir. Tous les chirurgiens en France voulaient m’opérer. Quand j’ai envoyé mes résultats d’IRM au Brésil, ils m’ont demandé de venir parce qu’ils avaient un chirurgien sur place. J’y suis allé, c’était trois semaines avant l’ouverture de la saison. Je n’arrivais même pas à lever le bras, je m’étais déchiré le tendon supra-épineux. J’avais aussi trois côtes cassées. Je leur ai dit que ça allait être compliqué, mais j’y suis allé quand même. Le chirurgien au Brésil m’a fait des infiltrations à l’épaule, il a fait des trucs avec mon nerf ; je ne sais pas trop s’il l’a dévitalisé. Mais en tout cas, il me faisait des injections tous les 10 jours pour que je n’aie pas de douleurs.

J’ai attaqué la saison comme ça, sans entraînement. Ça faisait déjà un mois que je ne roulais plus, parce que je pensais que j’allais me faire opérer. De là, j’ai commencé la saison, avec la première course en MX dans la boue. Ce n’était pas trop physique, plutôt technique. Un terrain glissant, mais aussi béton, parce qu’ils avaient enlevé toute la merde sur le dessus. Ce sont des conditions que j’aime bien. J’ai déraillé en première manche, et j’ai gagné la seconde. C’était pas mal pour une ouverture, dans ces conditions. Le problème, c’est que je n’arrivais pas trop à m’entraîner avec mon épaule ; c’était un peu galère.

Et puis, les gars là-bas roulent bien, il ne faut pas croire. Il y a Fabio Santos qui est un local et qui roule fort, et les autres Brésiliens roulent franchement bien aussi. Ils sont à fond axés sur le physique. Tout le monde a une condition physique de malade. Il fait super chaud, humide, et même si tu mets trois secondes à un mec aux chronos’ le matin, il est capable de te bouffer l’après-midi juste avec sa condition physique. Disons que ça met du gaz. Van Horebeek a débarqué aussi, et il ne se baladait pas devant non plus – mis à part sur les deux épreuves un peu plus sablonneuses. Stephen Rubini, on sait comment il roulait avant d’arrêter les GP et d’aller au Brésil. Il y avait des gros noms.

Après, il faut aussi se méfier, je savais que ça n’allait pas être facile. On a déjà vu des mecs de GP venir faire de l’Élite à Castelnau et se faire tourner autour, faire deux fois sixième parce qu’ils n’ont pas l’habitude du championnat de France et des mecs qui roulent dessus, qui sont à l’aise et qui roulent fort. Si tu vas en Allemagne, ou en Tchéquie, tu as toujours un mec qui va être capable de te plier parce qu’il connaît bien les pistes, son championnat, etc.

En Arenacross, il y avait Dean Wilson. Un gars qui peut rouler entre 8 et 12 tous les week-ends aux USA. Enzo Lopes, pareil. Il y a encore peu de temps, il avait un contrat chez Star Racing Yamaha. On parle de mecs qui mettent du gaz. Donc jouer devant sur les deux championnats, finalement, c’est assez difficile. Surtout que là-bas, les championnats se disputent en même temps. J’étais l’un des seuls à faire les deux. Quand tu dois aller faire une course en SX, tu n’es jamais prêt, car tu roulais en MX, et inversement. C’était assez difficile pour moi, finalement.

Contraint de louper des épreuves en AX comme en MX suite à ses pépins d’épaule, Grégory Aranda a tout de même goûté aux victoires au Brésil. Il termine 3ème de l’Arenacross, et 5ème du MX @595 Racing

Il y a eu cette blessure à l’épaule avant, et cette blessure à l’épaule pendant, finalement.

C’est ça. Il y avait une moto au milieu de la piste, pas de drapeau jaune, et je suis de nouveau tombé pendant la saison. Je me suis fait l’autre épaule. Acromio-claviculaire de stade 4. Opération, pas opération ? On ne savait pas, et j’ai tenté de la jouer sans opération. Finalement, je n’ai plus de douleur, mais l’épaule n’est vraiment pas jolie. Ça a tenu comme ça. Le team voulait absolument que je revienne faire les courses. J’ai roulé 15 jours, j’ai fait le SX de Lunel, et je suis retourné au Brésil pour faire les trois dernières. J’ai gagné la dernière épreuve de l’Arenacross là-bas, j’ai aussi bien roulé sur la finale du Motocross, même si j’étais un peu malade : je fais 1-2 derrière Van Horebeek.

Depuis, on a bien bossé avec mon kiné Cyril. J’ai repris l’entraînement sur la Yamaha, et je me sens bien. Ce n’est pas mal du tout. Parfois, ça me gêne un peu, mais pas plus que ça sur la moto. Là, on est plus sur une question d’esthétique au niveau de l’épaule, mais ça fait longtemps que cette partie-là est mise de côté, donc ça restera comme ça [rires].

Du coup, tu as roulé pour le team 595 Racing. Il me semble que c’est le team officiel KTM au Brésil. J’ai du mal à m’imaginer le niveau de professionnalisme d’un team officiel au Brésil. Ça se passe comment ?

Franchement, tu hallucinerais du team, de tout d’ailleurs. Le Brésil, c’est un autre monde. En France, on est à des années-lumière d’être au niveau de ce qui se fait là-bas en termes de championnat. Là-bas, il y a le team Factory KTM, le team Factory Yamaha, Factory GasGas, Factory Honda, Factory Kawasaki… Tu as des Japonais qui sont présents tous les week-ends, parce que le marché de la moto est conséquent au Brésil. Je pense qu’après les États-Unis, c’est là-bas que ça se passe pour eux sur le continent américain. C’est hallucinant.

Quand tu débarques dans l’atelier de mon team – 595 Racing – tu te demandes si tu es chez Star Racing ou au Brésil. C’est un truc de malade. On m’avait dit que c’était comme ça, mais je n’y croyais pas trop. On me disait que j’allais être officiel KTM… On a tout reçu de l’Autriche ! Je n’ai pas le moteur d’un Herlings, mais j’ai le moteur B, le même qu’un Jan Pancar par exemple, qui a un soutien de KTM en GP.

Au sein de mon team, il doit y avoir 15 ou 20 personnes qui travaillent. Cette année, il y avait 6 pilotes, donc 6 mécanos. Hugo Basaula est team manager là-bas. Il parle français, il roule aussi, il met tout en place pour que ça se passe bien, et c’est top.

En France, on occupe quand même à une place centrale du MX en Europe. On a du mal à imaginer ce que ça peut donner au Brésil, et je ne m’attendais pas spécialement à ce genre de retour.

Sur l’Élite MX1, tu vas avoir GSM, Honda SR, un peu de TMX. Tu n’as réellement que les 4 ou 5 premiers de l’Élite qui sont dans un team. Le reste, ils paient pour venir rouler, ils n’ont pas de teams, ils galèrent un peu plus. Au Brésil, même le petit pilote 85cc de notre équipe est payé pour rouler. Ils sont tous payés pour rouler… Ce ne sont pas forcément des salaires énormes, mais les mecs ont un salaire, des motos, des contrats, et ils évoluent dans des structures officielles. Chez Yamaha, par exemple, ils prennent des jeunes. Il y a beaucoup de catégories. Si un jeune roule bien en 125cc, ils peuvent avoir des contrats, que ce soit chez Yamaha ou chez KTM, pour rouler en Junior, puis pour rouler en MX2 ; c’est dingue.

Franchement, il faut venir voir. Quand Van Horebeek est venu, il a halluciné. Je pense qu’il va revenir la saison prochaine. J’entends même dire qu’il y a des pilotes de GP qui ont discuté avec les teams ici pour la saison prochaine, des Geerts, des Coldenhoff. Dans deux, trois ans, quand ils en auront marre, tu vas voir qu’on va les retrouver au Brésil [rires]. Glenn, il fait 3 du mondial MXGP cette année, et il n’a rien… Quand ils vont recevoir des offres à 100 000 $ ou 150 000 $ pour faire 8 courses, les mecs vont préférer venir au Brésil que de s’entraîner comme des malades pour espérer scorer en MXGP sur 20 épreuves, pour prendre 200 000 $.

À 36 ans, Grégory Aranda vadrouille, découvre, et prend du plaisir tout en performant. La retraite ? Quelle retraite ? @595 Racing

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C’est quoi le schéma, finalement, au Brésil ? Est-ce qu’on est sur le même système qu’en GP avec des usines qui refourguent leurs programmes officiels à des gars fortunés ?

Je pense que du côté de chez Yamaha et Honda, les marques donnent énormément pour les teams, et il y a vraiment beaucoup de sponsors à côté. Nous, on a l’aide de KTM, mais je ne sais pas s’ils fournissent tant de financier que ça. Après, on a de très, très gros sponsors dans l’équipe, comme Protork. Les tenues que je porte au Brésil, c’est un très gros sponsor du team, par exemple. Je pense qu’ils donnent énormément par rapport à nos sponsors en Europe. Les montants ne doivent rien avoir à voir. Et puis, ça passe aussi à la télévision là-bas. Mes parents arrivent mieux à me suivre quand je suis au Brésil que quand je fais l’Élite, parce qu’il y a les lives sur YouTube. C’est vraiment un tout qui fait que ça marche bien, et le championnat est médiatisé à bloc, je ne m’y attendais pas. Ça passe à la télévision, tu fais des conférences de presse la veille, il y a énormément de journalistes, tu fais des vidéos, des interviews de partout. C’est fou.

D’accord. J’ai suivi la première épreuve. Ce qui m’a surpris, c’est de voir – effectivement – tous les moyens mis en œuvre, pour si peu de pilotes présents.

Ils faisaient des superfinales l’année dernière, c’était MX1 et MX2 mélangés. Ils ont ensuite dit qu’ils allaient faire deux catégories, et tout le monde s’est engagé en MX2, ils ont même dû refuser du monde. Du coup, on s’est retrouvés à 15 derrière la grille du MX1 en début d’année. Le truc, c’est qu’il y a une catégorie 125cc, une catégorie MX2 moins de 18 ans – les Juniors – puis une catégorie MX2 normale, après le MX1, et même le MX3, que je pourrais faire en plus puisque c’est pour les vétérans à partir de 35 ans [rires]. Il y a aussi les filles, il y a beaucoup de catégories. Ce serait peut-être bien de regrouper le MX3 avec le MX1, par exemple. C’est vrai que lors des premières courses, il n’y avait pas forcément grand monde derrière la grille, on se serait cru au GP de Chine [rires].

Au niveau de l’adaptation, est-ce qu’il y a quelque chose qui t’a posé plus de problème qu’une autre ? Tu étais parti prendre la température en amont, il me semble, mais une fois que les choses sérieuses ont commencé, est-ce que tu t’es retrouvé face à des difficultés ?

J’étais en permanence en train d’essayer de m’habituer à la chaleur. J’habitais à São Paulo, et de mai à septembre, c’est l’hiver là-bas. On parle de leur hiver, donc il fait frais le matin, et 17 ou 20 degrés l’après-midi. T’es toujours bien, en fait. Sauf que quand je prenais l’avion pour aller sur les courses, je me retrouvais à rouler sous 40 degrés, avec une humidité à fond, et franchement, c’était super dur pour moi. Je n’aurais pas pensé que je serais autant en difficulté avec la chaleur, surtout que j’ai fait toute ma saison sans entraînement, à essayer de rattraper le temps perdu. Il y avait aussi les douleurs à l’épaule, parce que je prenais peu de repos. C’était dur. Franchement, c’était quand même une saison difficile.

Tu la décris comment, la culture Motocross au Brésil ? Ça reste un sport de niche, ou c’est assez développé ? J’avais parfois du mal à me rendre compte du nombre de spectateurs présents sur les épreuves.

Il y a énormément de spectateurs. Je crois même que les entrées sont gratuites, donc c’est ouvert à tout le monde, et les gens viennent. Je ne sais pas comment ils financent ça. Avec la TV, les sponsors peut-être. Chez nous, les motoclubs ont besoin de faire des recettes avec les entrées pour organiser des courses et s’y retrouver financièrement. Là, je pense que c’est le promoteur qui doit organiser, et c’est lui qui se débrouille pour trouver les sponsors, mais aussi des accords avec les municipalités, par exemple. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il y a vraiment du monde. Et puis, les Brésiliens aiment les Brésiliens. Vu qu’ils ont Santos qui se bat à chaque fois pour le titre, ils sont à bloc derrière lui.

Grégory a déjà acté sa prolongation au Brésil pour la saison 2026 @595 Racing

Alors, comment ça se passe en piste quand on est un étranger et qu’on se tire la bourre avec Santos, justement ? J’ai vu des images de certains accrochages entre Santos, Rubini et Van Horebeek cette année. Ça avait l’air chaud, parfois. Les Brésiliens ne sont pas trop tendus vis-à-vis de ça ?

Je sais que c’était surtout chaud entre Rubini et Santos. Mais Stephen est quand même apprécié là-bas. Ils aiment bien ce genre de rivalité, les Brésiliens. Ils ne seront pas du genre à te faire des doigts d’honneur depuis le bord de la piste, comme on a pu le voir aux États-Unis. C’est de la petite guéguerre, mais ça reste correct. On est bien accueillis par les locaux. Jeremy Van Horebeek était là pour faire le jeu de Stephen, pour qu’Honda essaie d’avoir le titre. Il a pas mal aidé Rubini, mais Yamaha a aussi pris des mecs pour essayer d’aider Santos. C’était pareil d’un côté comme de l’autre. Moi, j’étais spectateur de tout ça, et franchement, c’était drôle.

La rivalité entre Yamaha et Honda a l’air d’être très présente en Amérique du Sud, et de durer depuis des années. Finalement, en te signant, est-ce que KTM n’essaie pas de venir se mêler à cette bataille ? Je n’ai pas souvenir d’avoir vu un pilote KTM capable de jouer le titre au Brésil ces dernières années.

C’est sûr. Je crois que c’est la première année où un team est directement aidé par KTM via l’Autriche. Avant, ils n’avaient pas vraiment de pilote pour jouer la gagne. Malgré mes blessures et le manque d’entraînement, je jouais le top 3 sur les courses cette année, et même la gagne. J’étais bien revenu en forme avant de me re-blesser, donc c’était un peu décevant. Mais KTM a clairement envie de s’installer dans le championnat et de jouer devant. C’est top pour le championnat : ça fait trois marques à fond et, en plus, les teams sont blindés. Ils ont au minimum quatre pilotes par équipe. Ça fait du monde, c’est cool.

Un mot sur les pistes. J’ai regardé une poignée d’épreuves. La texture avait l’air d’être hyper particulière : une terre rouge, grasse, hyper glissante, car ça semblait vraiment humide, et ça bétonnait direct. Tu as pensé quoi de ces tracés ?

Franchement, c’est ça. Moi, j’aime bien, parce qu’on est quand même habitués au glissant par chez nous. Ils préparent bien, mais ce qu’ils arrosent, mon pauvre… Ils arrosent comme des fous, et souvent juste avant les manches. Du coup, ça durcit au fur et à mesure, et ça devient glissant. Il fait 40 degrés, humide à fond, et tu te retrouves à rouler dans la boue [rires]. Les conditions sont spéciales, et il faut s’habituer un peu. J’ai pris du plaisir quand même. En plus, ils font de grosses pistes, avec des sauts énormes. On saute des sacrés triples, là-bas !

On m’avait laissé entendre qu’il était impossible pour Serge Guidetty de s’aligner face à l’offre que tu avais reçue du Brésil. Sans rentrer dans les détails, tu penses qu’un team français serait en mesure de te faire une offre qui puisse rivaliser ?

Franchement, je ne pense pas. Vu comme on est en bons termes avec l’ensemble de l’équipe GSM, si la différence n’avait pas été aussi grosse, je serais resté en France. Franchement, GSM, c’est le top comme équipe. Dès que j’ai reçu la proposition du Brésil, j’en ai parlé à Serge. Même lui, il m’a dit : « Vas-y, direct. » Quand tu vois un Coldenhoff qui fait 3 du mondial MXGP et qui discute avec des teams au Brésil pour rouler là-bas l’an prochain, ça veut dire ce que ça veut dire.

Grégory n’en reste pas moins engagé sur le WSX avec « la famille , le team GSM Yamaha, cette année @DailyMX

La suite du programme, c’est quoi ? De base, tu devais faire les SX indoor, mais Grenoble est passé à la trappe, Douai a été annulé, le SX de Paris fait concurrence de date avec le WSX sur lequel tu es engagé. Il reste Lyon. On va te voir en France prochainement ?

À Lyon, oui. Pour l’instant, je roule avec GSM sur le WSX et à Lyon. Je pense que je vais faire Dortmund avec la Yamaha aussi. Après, je reprendrai la KTM pour commencer à m’entraîner en Motocross pour le début de saison 2026 au Brésil.

Tu as prolongé avec 595 Racing pour rouler au Brésil en 2026. Le programme restera le même ? On a des plans en France, avec GSM, pour l’an prochain ?

J’ai prolongé. Pour l’instant, le programme, c’est 2026 au Brésil sur l’Arenacross et le Motocross. Pour le reste, on verra.

Tu t’es inscrit sur le championnat de Supercross indien. Tu tentes tous les nouveaux trucs. On a l’impression qu’en ce moment, tu prends ton barda comme un petit jeune et que tu te dis : « Allez, on va kiffer un peu ! »

Bah ouais ! [rires] Les gens se disent souvent : « Ils vont en Inde, ils vont au Brésil, ils vont là-bas. » Mais tu vois, le team avec lequel on a signé avec Maxime [Desprey] a vraiment l’air de tenir la route. Ils ont même contacté Serge pour récupérer des pièces de GSM pour qu’on soit bien là-bas ! Donc tu prends un bon petit chèque, tu kiffes l’expérience, tu découvres, tu sais que tu vas avoir des motos correctes et tu roules, alors pourquoi pas ?! Dans le team, il y aura Max, mais aussi Mickaël Lamarque et Calvin Fonvieille. On va kiffer, découvrir l’Inde, essayer de performer. C’est bonnard !

Et l’Australie, ça ne t’a jamais branché ? On voit Cédric Soubeyras là-bas cette année. Il y a pas mal de bons pilotes. Si tu performes en Australie, les contrats ne devraient pas être mauvais non plus.

C’est clair. L’an dernier, ils m’avaient contacté, mais il y avait — de mémoire — le SX de Lyon qui tombait en même temps qu’une course en Australie, et j’étais sous contrat avec Serge et le team GSM. Un peu pareil cette année : soit tu fais le WSX, soit tu fais le Supercross australien, car il y a des concurrences de dates. Je suis engagé avec GSM, et je ne peux pas tout faire non plus : le Brésil, le WSX, l’Inde, la France ! En tout cas, c’est top pour Soub’. Ça lui fait découvrir un nouveau championnat, et j’ai vu qu’il avait fait podium là-bas. Ça montre aussi que le niveau est bon en France ; c’est top.

À ce rythme-là, vous allez tous partir. On va devoir prendre des billets pour le Brésil, l’Australie ou l’Inde pour vous voir rouler.

C’est ça. À la place de l’Élite, tous les pilotes vont à droite, à gauche. Tu prends Soub’ qui fait l’Italie, Tixier qui fait l’Allemagne, Bourdon qui fait les USA, Rubini avec moi au Brésil, Maylin, Pape et les autres… Ça fait déjà quelques pilotes qui pourraient mettre du gros gaz à l’Élite et qui sont sur des championnats étrangers. C’est facile de critiquer, je sais, mais c’est aussi la réalité des choses : le championnat n’arrive pas à garder ses pilotes.

Aujourd’hui, tu fais un 4-4 à l’Élite, tu repars avec 900 €. Si tu es sudiste et que l’épreuve est à Rauville-la-Place, tu perdras moins d’argent à rester sur ton canapé en t’achetant 4 pains au chocolat pour ton petit-déj’. Je le dis en rigolant, mais c’est malheureux parce que l’Élite, c’est quand même ce qui te permet de signer dans de très bons teams, comme GSM, quand tu roules devant. Les places sont rares et valent très cher dans les très bons teams. Si tu te retrouves tout seul avec ton petit budget et ton petit camion, même si tu fais une course de dingue — c’est-à-dire 4-5 derrière les pilotes de GP du team Honda SR, derrière Desprey et Malaval — tu es perdant, même en ayant roulé comme un malade. Tu vas prendre 700 ou 800 balles, alors que tu auras traversé la moitié de la France, que tu te seras entraîné pendant 15 jours à 20 balles l’entraînement. Les calculs sont vite faits, et tu es perdant. Et aujourd’hui, personne ne peut se permettre d’être perdant à chaque fois.

Le mec qui se déchire et qui fait des top 5, qui fait 5ᵉ du championnat Élite, il va aller voir les sponsors pour l’année d’après, et personne n’en aura rien à faire. Il se retrouvera obligé d’aller au magasin du coin pour espérer un petit pourcentage de remise sur sa moto. Le réel problème qu’on a en championnat de France, il est là.

Brésil, à qui le tour ? C’est la question … @595 Racing

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Après, il y a aussi ce côté où on se dit que le championnat de France a permis à des pilotes de se créer des carrières, d’avoir des opportunités.

Et c’est réel. On en parlait avec Nico Aubin la dernière fois. L’Élite qu’on faisait à l’époque, c’était un championnat qui permettait d’aller rouler devant en GP. À l’époque, on roulait dès le samedi : on faisait une séance d’essais libres, une séance d’essais chronométrés, une manche qualificative, un warm-up et 3 manches de 25 minutes plus deux tours le dimanche. Tu faisais un vrai week-end, et tu arrivais en forme sur les GP. Aujourd’hui, tu ne roules presque plus sur l’Élite. Après, je comprends qu’en France, c’est compliqué de trouver du sponsoring. Je pense que le moindre club qui veut organiser se retrouve face à des galères, c’est dur pour tout.

Tu as dû recevoir un paquet de messages de bons pilotes français qui essayent de se faire pistonner pour le Brésil, non ?

C’est clair. Tout le monde m’a écrit ! Tu verrais le nombre de pilotes qui ont envoyé un message à Hugo Basaula, qui est manager du team. On parlait de Coldenhoff tout à l’heure, il a carrément appelé Hugo quand il a vu que je roulais pour le team KTM, pour lui poser des questions, pour savoir si le team avait du budget pour lui, parce que ça avait l’air d’être du sérieux et que ça le bottait. Il a vu que c’était un bon team, il a contacté Hugo pour lui dire qu’il cherchait un plan, parce que Fantic lui avait fait une offre au rabais. Il voulait aller aux USA, mais les mecs ont arrêté de lui répondre. Il fait 3ᵉ du MXGP, et il est en discussion pour aller rouler au Brésil…

Un mot sur le WSX. Le World Supercross et le SX de Paris ne semblent pas tendre vers une prochaine coopération. Cette année, il y aura carrément une concurrence de date, c’est dommage. On aurait pu avoir un plateau de dingue, mais tu n’y seras pas, Maxime non plus, Tixier non plus, et quelques gros bonnets du SX US iront également sur le WSX au Canada au lieu d’être à Paris à cette date-là. On y perd tous un peu dans l’histoire.

C’est clair. Je ne connais pas les histoires des uns et des autres, mais c’est sûr que nous — en tant que pilotes français — c’est toujours un plaisir de rouler à Paris. C’est un peu rageant, mais on a signé pour faire le WSX, donc on est obligés d’aller là-bas. Tant pis pour le sport et le spectacle.

Aranda, Desprey et Tixier ne seront pas au SX de Paris cette année, cause concurrence de date avec le WSX du Canada @DailyMX

À chaque fois qu’on en parle de ce WSX, c’est critique sur critique. Cette année, on va quand même retrouver du Roczen, du Savatgy, du Anderson, du Hill, du Craig, du Friese, des piges de Vialle, Tomac, Deegan, Webb, Cooper…

Les gens ne sont jamais contents. Ça fait combien d’années que tu entends : « Paris, ce n’est plus le Paris d’avant » ? Au bout d’un moment, ils attendent quoi de plus, quand tu vois le plateau que le SX de Paris propose ? Les gens se régalent de critiquer à chaque fois, et c’est pareil avec le World Supercross. Pourtant chaque année, il y a un peu plus de monde, un beau plateau, mais les gens aiment critiquer.

Le WSX ouvre les portes à Stark Future, qui alignera sa Stark dans les deux catégories, face aux thermiques. Un sujet… clivant. Tu en penses quoi, toi ?

C’est une moto comme une autre, ils ont bien bossé dessus, elle est compétitive. Je n’ai pas d’avis négatif sur la Stark. Ça fait un team en plus, des guidons en plus, de nouvelles opportunités pour les pilotes de pouvoir rouler, ça fait du bien à tout le monde et pour le championnat. Le seul truc, c’est que tu ne l’entends pas arriver sur la piste. Ça va être chaud, surtout avec un Vince Friese qui est un tendu du block pass.

C’est la question qu’on te pose chaque année. Mais tu as 36 ans aujourd’hui, tu auras 37 l’an prochain. Tu performes toujours. Ce n’est pas idéal pour la vie de famille, mais je me dis que si tu te fais un programme Brésil, WSX, ADAC et quelques SX Tours à ton niveau, tu serais capable de rouler encore quelques années… Jusqu’à quand, c’est la question ?

Je ne sais pas, mais ce serait beau d’arriver à faire de belles saisons à 47 ou 48 ans, pas vrai ? [rires] Chaque année, je me dis : « allez, encore deux ans et je plie l’affaire ». Puis regarde, j’ai eu l’opportunité d’aller sur le WSX, d’aller au Brésil. Avec Serge et l’équipe GSM, on se marre, on s’entend super bien avec tout le monde, les mécanos, les pilotes. C’est la famille. Tant que je prends du plaisir, que j’ai l’envie et que je fais des résultats en continuant à m’entraîner comme je le fais, je roule ! Quand tu t’entraînes dans la bonne humeur, que ça marche le week-end, tu n’as qu’une envie : continuer. À un moment donné, ton corps, ta tête, vont te dire qu’il faut arrêter. Certains mecs se retrouvent à avoir peur d’un coup, ou alors ils n’ont plus envie de s’entraîner, et ils arrêtent. Pour moi, je sais que c’est bientôt fini. Ça me stresse, mais j’essaie de profiter à bloc, car je ne sais pas combien de temps ça va durer.

Physiquement, tu le sens ?

J’ai des douleurs de partout. J’ai fait les deux épaules cette année. Je n’avais pas encore fait le haut du corps ! J’ai fait une arthrodèse à la cheville, donc j’ai une cheville bloquée, qui n’a plus de mobilité. Là, j’ai les épaules en carton, je le sens. Mais dès que tu montes sur la moto et que tu mets le casque, tu as l’impression que les douleurs s’en vont. C’est un échappatoire à la douleur, la moto.

Arrêter, ça te fait peur ?

Un peu. J’ai l’impression que c’est comme une première vie qui est bientôt finie pour moi. J’ai commencé à mettre des choses en place, qui font que ça ira par la suite. Mais je me dis toujours que j’ai vécu toute ma vie dans l’adrénaline, à aller à droite, à gauche. Il y a eu les courses, le stress, les gens qui attendent que tu fasses du résultat. Tu te dis que tu vis des choses de malade devant des milliers de personnes à Paris par exemple, et d’un coup, tu te retrouves dans une petite vie tranquille loin de tout ça. Et encore, pour nous, c’est à une petite échelle. Pour les très grandes stars du sport, j’imagine que c’est encore pire.

Grégory participera – aussi – au Supercross Indien avec le team indewheelers motorsports, qui a pris 4 Français pour cette nouvelle année: Aranda, Desprey, Lamarque & Fonvieille @DailyMX

Grégory Aranda « Le Brésil, c’est un autre monde »
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