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Livia Lancelot: entre flashback et nouvelle vie (2/2)

Image: Honda 114

Pilote accomplie, team-manager respectée, Livia Lancelot a quitté le monde des compétitions fin 2022 après un baroud d’honneur sur le World Supercross. Que retient-elle de sa saison 2018 avec Hunter Lawrence ? Que pense-t-elle du mondial ou encore des championnats de France ? Quelle a été son expérience avec les contrôles antidopage en Motocross ? On avait des questions, Livia avait les réponses. Opinions, vérités, souvenirs, coulisses. Récit d’une femme épanouie; un œil dans le rétroviseur, l’autre sur l’avenir. Un second chapitre qui fait suite à notre premier volet. Micro.

Livia. Tu nous disais que lors de l’année avec Hunter, tu n’avais pas de soutien de l’usine et juste un budget pièce. J’imagine que tu ne pouvais pas espérer lui préparer une 250 CR-F de folie avec ça ?

C’est ça. On avait très peu de budget. On avait un budget de fonctionnement dérisoire, donc on ne pouvait pas forcément s’acheter des moteurs de folie. Hunter avait signé avec Geico, et il avait du mal à comprendre que Geico ne nous aidait pas. Ils nous ont bien vendu quelques pièces, mais plein pot… c’était très compliqué.

Au début, Hunter s’est plaint – comme 99 % des pilotes – de la puissance de la moto, il voulait des évolutions sur plein de choses, mais dans l’ensemble, ils ont quand même été compréhensifs. Avec son père, ils se rendaient bien compte qu’on faisait le maximum pour eux. On n’était pas le team officiel, on n’était pas un team capable de jouer le titre mondial.

À l’origine, quand les discussions ont commencé avec Giacomo, on devait partir sur l’Europe 250 en 2018 ! Donc on avait le budget pour l’Europe. C’était un concours de circonstances ; une chose en a entraîné une autre. Il y avait le fait que ce soit Gariboldi, que j’avais quand même un nom dans le paddock et de l’expérience en tant que pilote, mais aussi un peu en tant que manager. Ça manquait un peu de teams Honda en GP, ils avaient du mal à trouver un team de confiance… Voilà comment on s’est retrouvés avec deux pilotes en MX2 alors qu’on devait partir pour de l’Europe. Hunter venait en plus de faire des Nations de folie : il était à la rue, sans guidon pour 2018. Tout est parti d’un coup de poker de Giacomo, d’une occasion qui s’est présentée. D’un coup, on se retrouvait à pouvoir potentiellement jouer les podiums en mondial.

Finalement, Hunter, c’est le pilote que tu aurais dû avoir au sein de ton team quelques années plus tard ?

Voilà. On aurait dû l’avoir deux ans plus tard, en 2020, quand on a commencé à avoir plus d’expérience. En soi, le budget de fonctionnement ne change pas. Mais l’investissement de départ est énorme la première année, car tu n’as absolument rien : il faut tout acheter. Et ces dépenses, cette partie du budget que tu perds, ça te freine forcément. C’est vrai qu’Hunter, il aurait fallu qu’on le signe deux ans après, finalement.

Il y avait deux pilotes chez 114 — Hunter et Bas Vaessen. Deux pilotes qui affichaient un niveau différent et des ambitions différentes. Hunter a dû prendre un peu plus de “place”, j’imagine ?

Oui, bien sûr. C’est quelque chose qu’il faut apprendre à gérer, il y a le côté humain. Tu dois l’expliquer aux pilotes, mais aussi aux mécaniciens. Parce que les mécaniciens n’ont pas forcément les mêmes consignes en fonction des pilotes, en fonction des budgets.

Quand tu signes un Hunter Lawrence ou un Mitch Evans qui font des podiums, et que le deuxième pilote peine à marquer des points, les consignes ne sont pas les mêmes. Rien qu’au niveau des sponsors, tu n’as pas les mêmes demandes. C’est à toi de gérer tout ça en interne. Tu es obligé d’expliquer comment ça va se passer, s’il y aura des différences de matériel. Nous, on a toujours essayé de traiter tout le monde à la même enseigne.

L’année avec Hunter, Geico nous a envoyé des arbres à cames. Pas cinquante, une seule paire. En gros, on l’a monté sur la moto de course d’Hunter, et il ne l’avait même pas sur sa moto d’entraînement alors qu’il était demandeur. Évidemment, le second pilote n’avait rien du tout. Parfois, tu n’as pas le choix. La plupart du temps, les pilotes ont quand même l’intelligence de comprendre que si un pilote fait des podiums et que l’autre fait 20e, le matériel ne sera pas le même. Quelque part, c’est “presque normal”, même si c’est toujours dur à avaler. Derrière ça, on ne faisait pas de différence sur les pièces d’usure entre nos deux pilotes.

Autre exemple : quand Fox se pointe au camion, il n’y a pas toujours la même quantité de fringues pour les deux pilotes. Ça ne dépend pas que du team et du manager, ça dépend aussi des partenaires. C’est défini par ta valeur sur le marché, quelque part.

Chez nous, Hunter avait un deal perso avec Monster. Du coup, ils venaient de temps en temps le voir pour lui filer des cadeaux : un nouveau casque, un nouveau machin, un nouveau bidule. En tant que team, tu ne peux pas lutter face à ça. Ton deuxième pilote est là, il voit tout ça et lui, il n’a rien.

@Honda 114

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Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, dans une équipe factory, un Gajser et un Fernandez se retrouvent dans le même genre de situation ?

Non, parce que dans une équipe factory, tu n’as pas le problème de matériel. Normalement, ils sont tous logés à la même enseigne. Par contre, comme dans tout sport mécanique, tu as toujours un pilote numéro 1 et un pilote numéro 2. Donc tu en auras toujours un qui aura plus de pouvoir que l’autre. Ça existe en Formule 1, ça existe en MotoGP, ça existe en Motocross. Tout le monde sait très bien que chez Red Bull, la voiture est réglée pour Verstappen ; le deuxième pilote, il se débrouille et il fait avec. Ils ont le même matériel, mais c’est le matériel qu’a choisi Verstappen.

Après, tu as forcément des teams où c’est mieux que dans d’autres, il y a parfois un peu plus ce côté « humain. À l’intersaison aussi, tu auras le pilote numéro 1 qui aura une “priorité” au moment de choisir les courses de préparation. On parle des Gajser, des Herlings, des Coenen aujourd’hui. Ce sont des pilotes qui ont de l’influence dans un team. Si le pilote numéro 1 veut aller à Hawkstone au lieu de rouler sur l’International d’Italie, généralement, le pilote numéro 2 doit suivre.

Ça fait partie de la hiérarchie. En haut, il y a celui qui est capable de se battre pour un titre mondial. Généralement, le pilote numéro deux est un peu plus jeune. S’il fait le taf correctement, il sera numéro 1 au sein de son team quelques années plus tard.

On a envoyé des questions à David Luongo. Je ne sais pas s’il va répondre. Je lui ai demandé comment des jeunes de 13 à 17 ans étaient censés suivre une scolarité en disputant 12 épreuves sur l’Europe 125. Parce qu’il y a encore quelques années, on était à 8, et c’était déjà beaucoup. Est-ce que, finalement, on ne leur demande pas de faire un choix entre sport et études, quitte à suivre un rêve qu’un pilote sur 500 réussira vraiment à toucher du doigt ?

C’est clair. C’est sûr qu’aujourd’hui, on devient pilote professionnel très jeune. On parle de l’Europe 125, mais les meilleurs pilotes d’aujourd’hui sont arrivés en Grand Prix très, très tôt. Des Roczen, Herlings, Gajser, Coenen… Sans même parler de l’Europe 125, en championnat du monde aussi, ils arrivent très jeunes. C’est sûr que, malheureusement, à un moment donné, il y a un choix à faire, un risque à prendre. Choix que j’ai dû faire moi aussi, à mon époque.

Comme tu dis, quand il y en a un sur 500 qui réussit, le choix est quand même compliqué à faire. Mais je pense qu’on ne peut pas demander à David Luongo de faire en fonction de ça. Aujourd’hui, dans tout sport professionnel, les athlètes arrivent de plus en plus jeunes au haut niveau. Par contre, il faut faire les bons choix, c’est sûr. En tant que parent, il faut avoir les épaules solides. Je pense que douze épreuves, c’est beaucoup. Surtout qu’il y en a deux ou trois qui sont très loin. Pour l’Europe 250, c’est un peu différent parce que les jeunes sont déjà pas mal dans des teams. En EMX125, on a encore beaucoup de pilotes privés.

Et puis aujourd’hui, on parle des enfants qui ne vont plus à l’école, mais est-ce qu’on parle des parents qui ne vont plus au boulot ? Une saison d’Europe 125, ça te coûte les deux bras et, en plus, tu ne peux pas travailler parce que douze fois dans l’année, tu pars le mercredi et tu rentres le mardi en ayant conduit toute la nuit avec le camion familial… Je pense que pour l’Europe 125, il y a matière à réfléchir.

Après, chaque personne voit les choses comme il l’entend. Je peux aussi dire que je trouve que l’Europe 250 est devenu trop concurrent du mondial MX2, et la grille du MX2 n’est pas pleine. Est-ce qu’on ne pourrait pas revoir ça, aussi ?

Il y a aussi cette nouvelle mode depuis dix ans de mettre toutes les catégories le même week-end ; ça devient un peu n’importe quoi. Les conditions de roulage pour l’Europe ne sont pas terribles : ça roule le dimanche matin sur une piste qui a été ultra-arrosée pendant la nuit. C’est pareil pour le WMX. Je pense que beaucoup de personnes passionnées de moto, qui ont fait des courses, se disent « moi, je ne ferais pas comme ça ». Mais ce n’est pas aussi simple que ça, et ce n’est pas nous qui décidons. C’est Infront.

J’ai tenté de faire un sujet sur les contrôles antidopage l’an dernier; ce n’était pas simple. Du coup, j’ai décidé d’en parler un peu plus avec les pilotes et les membres de l’industrie. J’aimerais connaître ton point de vue sur le sujet en tant qu’ancienne pilote et team manager. Est-ce que, d’après toi, dans ce sport, le dopage et les contrôles antidopage sont des choses auxquelles on devrait prêter un peu plus attention ? Dans de nombreux sports où des millions sont en jeu, il y a des affaires de dopage depuis … la nuit des temps.

Je pense qu’effectivement, il n’y a pas autant de contrôles que dans d’autres sports. C’est même une certitude. Moi, j’ai été contrôlée pas mal de fois, mais je ne saurais pas te dire combien de fois, honnêtement.

J’ai été contrôlée après pas mal de Grands Prix. J’ai été suivie pendant deux ans par le système ADAMS qui s’appelait WADA à l’époque, quelque chose comme ça. C’est l’appli sur laquelle tu dois donner ta localisation tous les jours, pour qu’ils puissent venir te faire des contrôles inopinés. J’ai été contrôlée cinq ou six fois dans l’année à chaque fois. Des contrôles, oui, il y en a. Est-ce qu’il y en a assez ? Je ne sais pas. Est-ce que quelqu’un aurait à y gagner du fait qu’aucun pilote ne soit contrôlé positif ? Je ne sais pas. Je ne peux pas t’assurer à 100% qu’il y ait du dopage, je n’en ai jamais vu. Mais je pense qu’on est quand même dans l’un des sports les plus difficiles au monde.

Le dopage, ça fonctionne pour pas mal de choses. Pour la préparation, pour la condition physique, pour la récupération, par exemple. Comme tu dis, avec les millions qu’il y a en jeu, c’est possible que le dopage soit une réalité. C’est quand même bizarre que jamais personne ne se soit fait attraper.

En tant que team manager, on avait des contrats – par exemple avec Honda – qui disaient que le pilote ne devait pas se doper, que s’il était testé positif, son contrat serait annulé, qu’il devrait rembourser X fois la somme de son contrat, etc. Ça, c’est de la clause « bateau » que toutes les marques incluent. Les usines ne veulent pas être impliquées dans tout ça. Tous mes pilotes ont signé ce genre de clauses, mais on n’était pas en train de vérifier qui prenait quoi et ce qu’ils buvaient dans les gourdes. Après, ce n’est pas forcément notre rôle non plus en tant que team manager.

C’est vrai que chez les filles, à mon époque, on a parfois eu quelques doutes. Il m’est arrivé de me dire « Attends, ça, ce n’est pas normal ». Ils venaient nous chercher à l’arrivée de la manche quand on faisait des contrôles en GP, mais la liste était déjà établie depuis le début du week-end, donc il était possible de savoir qui allait y passer et ce n’était pas normal selon moi. Parfois, tu te demandes s’il n’y a pas quelqu’un qui protège un pilote. Je ne dis pas que les autres filles étaient dopées, loin de là, mais à haut niveau tu as toujours des raisons de te poser des questions. Parfois, je me disais « C’est toujours les mêmes qui sont contrôlées ». Moi, j’ai été contrôlée un nombre incalculable de fois.

Là, tout le monde soupçonne Pogacar, et on aura probablement la réponse dans vingt ans. En moto, je pense que personne ne cherche réellement plus loin que ça. Je pense aussi qu’il y a des choses à faire en restant dans les clous, sans être dopé aux yeux du règlement. Tu peux faire plafonner tes taux au maximum autorisé. Ce sont des choses qui se font dans d’autres sports, ça doit certainement se faire dans le milieu de la moto. Comment, avec quoi, pour quoi faire ? Je n’en ai aucune idée.

Tu le disais, la dernière fois qu’on a entendu une histoire, c’était Josh Coppins en 2002. Dans un sport comme le nôtre, je trouve ça quand même assez étonnant.

@Honda 114

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On va fermer cette parenthèse. En ce moment, on parle des transferts de Jeffrey, de Tim, de X, de Y. Dans les faits, à part se refourguer les pilotes d’une équipe à l’autre, je n’ai pas l’impression qu’il y ait une réelle évolution. Gajser en rouge, en bleu, en orange, ça va faire de beaux articles, de belles photos, mais ça restera Tim Gajser. Il y a 17 guidons factory en MXGP, désormais beaucoup de trentenaires. Heureusement que Lucas est monté, finalement, parce que sinon, je dirais qu’on peine à voir la relève arriver.

Pour ne rien te cacher, je ne regarde pas tous les Grands Prix. J’en regarde même peu. Je regarde surtout les résumés, les résultats. Mais entre l’époque où j’étais manager – disons il y a 5 ans – et aujourd’hui, j’ai l’impression que ça n’a pas changé. J’étais à Ernée cette année : on prend les mêmes, et on recommence.

Comme tu dis : ils ont changé de numéro, certains de couleur, de marque de tenue, mais c’est toujours un peu pareil. Je pense que la nouvelle génération a du mal à sortir les anciens. Les très bons pilotes partent aux USA, et ça n’aide pas à renouveler le contingent en Europe. Quand tu prends les résultats aux USA, il y a quasiment plus de non-Américains que d’Américains devant, finalement. Je pense que ça joue, et puis les frères Coenen, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne partent pour rejoindre Prado; et je pense que d’autres suivront.

Si je te dis Tixier, Soubeyras, Maylin, Pape, Aranda, Rubini, Verhaeghe et il doit y en avoir d’autres. Ça t’inspire quoi ?

Ce sont des expatriés.

Tu travailles auprès de la fédération, à toi de prêcher pour ta paroisse [rires]. La tendance, c’est de voir que nos Français partent et que les étrangers ne se bousculent pas pour venir rouler chez nous. Comment on explique ça ?

Je pense qu’il y a beaucoup de choses en interne qui sont difficiles à comprendre. Un peu à l’image d’Infront et de l’Europe 125 dont on parlait plus tôt.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait que beaucoup de pilotes français partent à l’étranger, au même titre que les pilotes du mondial partent aux USA ? C’est l’argent, c’est le nerf de la guerre. Oui, aujourd’hui, quand tu vois les primes de l’élite, ce n’est pas que ça ne fait pas rêver, c’est que tu ne rentres même pas dans tes frais. Donc je pense que c’est là qu’il y a un souci. La moto, c’est un sport qui coûte très cher et, en termes de primes, tu ne rentres pas forcément dans tes frais si tu n’as pas – à côté – des partenaires extra sportifs. Aujourd’hui, les partenaires moto ne mettent plus forcément assez d’argent sur la table pour que les pilotes puissent en vivre correctement.

Parlons du championnat de France aujourd’hui, en admettant que tu t’appelles Monsieur Tout-le-Monde. Tu t’achètes tes motos, tu vas t’entraîner, tu vas sur toutes les épreuves de l’élite. Rien qu’avec ça, il te faut un budget de fonctionnement qui est énorme si tu pars du principe que, pour faire les choses correctement, il te faut un mécano. Un pilote qui fait l’élite et qui part laver sa moto lui-même au Karcher après la manche, normalement, ça n’existe pas. Si tu n’as pas un papa motivé qui te lave la moto alors que tu as presque 30 ans, et que tu payes un mécano à l’année, tu ne peux plus faire l’élite, parce que les concessionnaires français et les marques de tenue françaises ne sont pas en mesure de proposer le soutien financier.

Aucun pilote français ne peut subvenir aux besoins d’une saison sans rouler à l’étranger. Les pilotes vont chercher les courses primées, le fameux championnat indien dont on parlait plus tôt, etc. Je ne suis pas persuadé que faire une épreuve de Supercross en Inde, ce soit plus beau qu’un Supercross en France. La différence, c’est l’argent qui est posé sur la table.

@Infront Moto Racing

On doit bien se rendre compte que, disons, dans cinq ans, on risque d’avoir un problème. En France, on est assez tranquille pour l’heure: on a Romain Febvre, Maxime Renaux, Thibault Benistant, Mathis Valin … Sauf que le jour où Romain s’en va, si Mathis met du temps à trouver sa place et si Thibaut ne fait pas une bonne montée en MXGP, ça risque de se compliquer. Quand je regarde l’Elite, je vois que le champion MX2 c’est Boisramé qui a quitté le mondial. Le deuxième, il est Espagnol, le troisième, il est Australien. Le champion en MX1 est Norvégien, le vice-champion ce doit être Maxime Desprey qui a plus de 30 ans …  On fait quoi ?

Je suis d’accord avec toi, mais est-ce que la fédération a réellement le pouvoir d’y faire quelque chose ? Aussi, le championnat de France Élite n’est pas forcément considéré comme un tremplin vers les Grands Prix aujourd’hui.

On a quand même encore énormément de bons pilotes. La France a quand même gagné à Romagné, la France est quand même championne du monde par équipe. Mano Faure a gagné en 125cc, Rafael Mennillo en 85cc, et ce n’est pas passé loin en 65cc non plus. On voit qu’au niveau des jeunes, ça tient la route malgré tout. Peut-être un peu moins qu’il y a quelques années, mais est-ce que le nombre de pratiquants n’a pas baissé aussi, ces dernières années ?

Est-ce que le sport mécanique n’est pas en perte de vitesse aussi ? Je pense qu’on veut mettre beaucoup de choses sur le dos de la fédération, mais est-ce que la fédération est à 100 % responsable de tout ça ? On dit que les pilotes ne sont pas payés au championnat de France, oui, mais je ne vois pas beaucoup de gros partenaires venir s’investir sur le championnat pour payer les pilotes.

Est-ce qu’il n’y a pas un promoteur qui pourrait reprendre le truc, s’occuper de l’Élite un peu mieux, aller trouver des partenaires ? Après, on a aussi un problème, c’est qu’on est en France. Moi, je l’ai vécu en tant que team manager par rapport à nos voisins : en France, on a quand même beaucoup plus de difficultés à trouver des sponsors extra-sportifs, parce qu’on a un régime fiscal qui est quand même très compliqué. Ça, la fédération, elle n’y peut rien, par exemple. Je sais qu’en Belgique et en Hollande, ils ont beaucoup moins de charges pour les salariés. Il y a plein de petits détails comme ça qui jouent.

Oui, on peut toujours taper sur la fédération. On peut toujours dire : « Ils devraient faire ça comme ça ». Oui, c’est sûr qu’aujourd’hui, il n’y a pas assez de primes à l’Élite, et ça, c’est une évidence. On est quand même sur un championnat de France avec des pilotes professionnels, pour la plupart. Ceux qui roulent devant, ils sont obligés d’être professionnels, ils sont quand même obligés de faire de la moto toute la semaine. Ils ne vont pas au boulot la semaine pour finir par gagner les courses le week-end, ça, ça n’existe pas. Donc oui, il devrait y avoir plus de primes, mais je ne pense pas qu’il n’y ait que la fédération qui soit responsable de ça non plus. Comme je l’ai dit, dans tous ceux qui râlent parce qu’il n’y a pas de primes, je ne vois pas beaucoup de sociétés dire : « Nous, on voudrait défiscaliser, on va donner de l’argent au championnat de France Élite ».

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Je pense qu’ils sont aussi conscients que, vu que c’est le haut de la pyramide, c’est vers eux qu’on se tourne quand vient l’heure de rendre des comptes, entre guillemets. Un mot sur l’impact des réseaux sociaux. Je pense que tu as fait partie de cette génération qui a connu le sans, et l’avec. L’époque où ça n’existait pas, et celle où c’est devenu un must-have. Quel genre d’impact tu dirais que ça a sur la carrière d’un pilote aujourd’hui ? Autant ça peut vraiment t’aider à exploser, à avoir une image, à être connu. Autant ça peut te desservir, non ?

Franchement, aujourd’hui, c’est hyper compliqué parce qu’effectivement, comme tu dis, ça peut être tout l’un ou tout l’autre. Ça peut te faire du bien, comme ça peut te faire du mal.

Dans le milieu de la moto, on a quand même beaucoup de chance car, dans l’ensemble, les gens sont quand même respectueux. Alors oui, il y aura toujours le mec caché derrière son ordinateur qui mettra des commentaires à la con sur certains posts, mais dans l’ensemble, ça va.

C’est à double tranchant : ça peut te servir comme te desservir. Ça peut t’aider, parce qu’on voit des pilotes qui s’en sortent mieux sur les réseaux sociaux qu’au niveau de leurs résultats et qui, finalement, ont plus de sponsors et gagnent plus d’argent que d’autres avec un meilleur palmarès. À l’inverse, tu peux voir de très bons pilotes qui n’utilisent pas les réseaux sociaux.

Je pense que ce n’est pas une science exacte, en fait. Je pense qu’il faut voir ce qui te correspond le plus et apprendre à le gérer. Et je pense que ce n’est pas simple pour les nouvelles générations non plus. C’est sûr que, là, aujourd’hui, il y a quand même un réel souci à apprendre à gérer tout ça. C’est quand même compliqué. Quand tu vois ce qui passe sur les réseaux, dans les groupes créés par les gamins – même sans parler de la moto finalement – juste les gamins avec les réseaux sociaux: c’est un stress potentiel. Pour un jeune athlète, je pense qu’il faut s’en servir, mais que c’est important de déléguer cette fonction.

Dans un premier temps, c’est forcément quelqu’un de ta famille ou un ami qui gère ça. Moi, mon Instagram, il a toujours été géré par d’autres personnes. C’est Haudiquert qui s’occupait de tous mes posts, que ce soit sur Facebook ou Instagram. J’avais ma meilleure amie qui surveillait un peu les messages, les commentaires, et qui supprimait de temps en temps quand il y avait besoin. Donc oui, je pense que c’est important de le faire gérer par quelqu’un et de pouvoir rester un peu détaché de tout ça.

Dernièrement, je regardais un reportage sur Tom Vialle, et j’avais été surprise parce qu’à un moment, quelqu’un relève que – malgré tous les commentaires sur ses posts disant qu’il devrait gagner – Tom avait la force de s’en foutre. J’ai trouvé ça presque bizarre qu’on dise ça. On parle de Tom Vialle : il est deux fois champion du monde MX2, deux fois champion aux USA… Encore heureux qu’il se fiche des commentaires de Pierre, Paul et Jacques sur les réseaux sociaux ! J’espère bien qu’il s’en fout. À la limite, il n’a déjà plus rien à prouver à qui que ce soit vu son palmarès.

Avec les réseaux sociaux, il faut prendre le positif quand il y en a et essayer de laisser le négatif de côté. Ce n’est pas simple.

Pour finir, un peu d’introspection, Livia. Qu’est-ce que toutes ces années dans la moto et le sport de haut niveau t’ont apporté aujourd’hui dans ta vie de femme, au quotidien ?

Plein de choses. Je dirais une certaine énergie, en fait. Une énergie générale qui me pousse à ne pas abandonner, à toujours voir le positif aussi. Parce qu’une carrière de pilote, c’est des hauts et des bas, et il faut savoir se relever quand ça ne va pas, avancer quand même et trouver des solutions. Si tu broies du noir, tu ne te relèves jamais. Donc je pense que ça m’a aidée, même dans ma vie de tous les jours aujourd’hui, à ne pas rester sur un échec, une mauvaise expérience ou un truc qui ne m’a pas plu. Je pense que j’ai cette faculté de positiver, d’aller de l’avant, et ça, c’est clairement la moto qui me l’a apportée. Avec mon éducation, bien sûr, mais mon éducation m’a fait devenir la pilote que j’ai été, donc c’est un peu lié.

Qu’est-ce que tu aimerais que les gens retiennent de toi dans 20 ans ?

C’est une bonne question, ça. Je ne sais pas… Ce qu’ils veulent ? C’est difficile de répondre comme ça, je n’y ai jamais pensé en fait. J’ai envie de te répondre qu’en fait, ça m’importe peu. J’aimerais que ce soit du positif, c’est sûr, mais franchement, ça m’importe peu.

Ça, c’est parce que tu fais partie de l’ancienne génération, qui ne se soucie pas constamment du regard des autres.

Oui, peut-être. Je ne peux pas te dire que j’aimerais qu’ils se rappellent de mes titres mondiaux ou de résultats dont je suis fière, parce que je pense que Livia Lancelot ne se résume pas qu’à ça. Il y a aussi beaucoup de choses que les gens ne connaissent pas de moi, parce qu’au final, ils ne connaissent que le côté compétition, pilote, résultats. Est-ce qu’ils vont se rappeler que j’ai cassé la moto au tour de reconnaissance une fois et que j’ai perdu un titre mondial à cause de ça ? En tout cas, moi, je m’en souviendrai [rires].

Quand tu repenses à la petite Livia qui découvrait la moto, qui avait des rêves et des aspirations, est-ce que tu penses qu’elle serait fière de la femme que tu es devenue aujourd’hui ?

Oui.

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