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Simone Furlotti, l’ombre mécanique de Tim Gajser


Si le nom de Simone Furlotti vous est familier, c’est probablement parce que le garçon a écumé les paddocks – en tant que pilote – pendant de nombreuses saisons, s’illustrant notamment sur le championnat d’Europe 250 en 2017 en accrochant une place de vice-champion devant des pilotes de la trempe d’Alberto Forato, Ruben Fernandez ou encore Jago Geerts.

Malheureusement pour l’Italien, sa carrière sportive prendra une tournure inattendue après une blessure, mais aussi suite à l’instauration de la limite d’âge à 23 ans sur l’Europe 250. Un âge revu à la baisse (21 ans) dès la saison 2023. Quasiment contraint de se retirer des compétitions, Simone Furlotti a su rebondir et rester dans le paddock en endossant le rôle de mécanicien de course; d’abord pour Kevin Horgmo, puis pour Tim Gajser. Rencontre …

« Mettre fin à ma carrière de pilote a été une décision assez difficile pour moi » admet Simone Furlotti « Difficile, parce que je savais que j’avais un certain potentiel. Et puis, il y a eu une blessure, ainsi qu’un problème d’argent – disons un souci de budget. C’est pour cela que j’ai choisi d’arrêter la compétition. Lors de ma dernière blessure, je me suis cassé la clavicule et le bras. Quand je suis revenu, je ne me sentais plus vraiment à l’aise sur la moto ; ce n’était plus comme avant, ce n’était plus aussi naturel. Ça a été une décision importante dans ma vie. J’ai dû arrêter les compétitions majeures après la saison 2018, car j’avais fêté mes 24 ans. À l’époque, le championnat EMX250 n’imposait pas encore de limite d’âge, c’est pour ça que j’avais essayé de redescendre de la catégorie MX2 vers l’Europe 250. Mais en novembre ou décembre, juste avant le début de la saison 2019, ils ont modifié le règlement et ont imposé une limite d’âge sur l’Europe aussi. C’était plutôt injuste, aussi bien pour les pilotes que pour les équipes. Tout le monde avait déjà des contrats. À ce moment-là, mon équipe – avec Matteo Bonini – m’a soutenu pour que je puisse participer à quelques courses en 450. Je dois vraiment le remercier, car il a essayé de m’aider à continuer à rouler. »

Avant de manier la clef de 10, Simone Furlotti tournait la poignée dans le bon sens. Il terminait vice-champion d’Europe 250, en 2017 @DR

Après avoir tourné la page de sa carrière de pilote professionnel, Simone Furlotti n’a pas tardé à envisager une reconversion dans le milieu. Fort de ses connaissances de l’industrie et de son intérêt de longue date pour la mécanique, le garçon a tout simplement changé de casquette au sein du team SM Action. En 2021, Simone ne roulait plus, mais allait s’occuper de Kévin Horgmo qui débarquait au sein de la structure Italienne après une année 2020 compliquée chez Marchetti.

« Quand j’étais plus jeune, mon père avait un atelier. J’ai un peu touché a tout avec lui, puis j’ai commencé à travailler sur des motos, des scooters, etc. » nous explique Simone à propos de son bagage en mécanique. « En 2020, quand je participais seul au championnat d’Italie avec mon père, j’étais mon propre mécanicien. Je m’occupais de ma moto après les courses, mais aussi après les entraînements. J’ai préparé ma moto moi-même pendant quasiment toute la saison. Même quand je roulais encore à haut niveau, il m’arrivait souvent de faire l’entretien après les entraînements. En fait, j’ai toujours aimé l’ambiance du paddock, j’ai toujours voulu y rester impliqué. Alors je me suis dit : « Pourquoi ne pas essayer de rester ici, avec SM Action, après ma carrière de pilote ? » J’avais passé trois ans avec eux, je connaissais bien le patron, c’était quelqu’un de bien. C’est à ce moment-là que j’ai commencé une nouvelle vie, en devenant le mécanicien de Kevin Horgmo. Ça a duré un an. »

Au terme d’une année de collaboration avec Kevin Horgmo, Simone a tenté sa chance chez Honda 114; mais l’association ne durera pas. « Ensuite, j’ai demandé à Giacomo Gariboldi si je pouvais intégrer 114 Motorsports avec Livia Lancelot. Je connaissais Ciro Franzon, un Italien qui était responsable de l’équipe en Italie cette année-là. J’ai donc été essayer le poste chez Honda 114, mais seulement pour une semaine. À ce moment-là, il n’y avait pas vraiment de moto attitrée. Ils avaient Ruben [Fernandez], mais ils ne savaient pas encore s’il allait rester en MX2 ou monter en MXGP. J’étais là pour démonter la moto, la remonter, la laver… J’apprenais, car c’était une moto différente pour moi. Il y avait déjà un mécanicien au sein du team… Après une semaine, on ne savait pas vraiment ce qu’on pouvait envisager ensemble avec 114 Motorsports, alors je suis rentré chez moi. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu un autre coup de fil de Ciro. Il m’a demandé : « Est-ce que ça te dirait d’être le mécanicien de course de Tim Gajser ? » J’étais là: « Quoi ? Pardon ? ». Voilà comment, en 2022, j’ai commencé à travailler avec Tim Gajser en tant que mécanicien officiel. À ce moment-là, je n’avais vraiment été mécanicien de course que pendant un an, avec Kevin Horgmo. »

Si vous croisez Gajser dans les paddocks d’un grand prix, Simone Furlotti n’est jamais bien loin @Ray Archer

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Tim Gajser, Simone Furlotti l’avait déjà croisé par le passé, dans un tout autre contexte. En 2012, le pilote slovène s’adjugeait les six premières épreuves du championnat d’Europe 125 et décrochait le titre avant la finale. Il faisait alors l’impasse sur le dernier round à Faenza pour effectuer ses débuts en MX2, disputant ainsi le tout premier Grand Prix de sa carrière. En l’absence de Tim, la finale de l’Europe 125 avait été remportée par… Simone Furlotti ! Dix ans plus tard, le destin les a réunis sous l’auvent du team Honda HRC.

« Je connaissais Tim seulement parce que j’avais déjà roulé contre lui par le passé, mais je ne lui avais jamais vraiment parlé en face à face » se remémore Simone. « Bosser avec lui, ça s’est bien passé dès le début, parce que Tim est quelqu’un de sympa. Mais cette première année a été très stressante pour moi. C’était seulement ma deuxième année en tant que mécanicien de course à temps plein, et là, on parlait d’une équipe usine… Tim n’est pas du genre à jouer la 10e place non plus, il y avait une moto factory aussi. Il y a énormément de choses à faire dessus. On démonte entièrement la moto à chaque Grand Prix. Il faut sortir le moteur pour que les motoristes puissent bosser dessus, on doit s’occuper des freins, du cadre, de tout l’électronique… c’est un travail énorme. Ce n’est même pas comparable avec ce que je faisais l’année d’avant sur la moto de Kevin Horgmo. Oui, Tim a remporté le titre cette année-là, mais pour moi, ce n’était vraiment pas une saison facile pour autant. »

Travailler avec l’un des meilleurs pilotes du monde, c’est aussi apprendre à construire une relation de travail et de confiance dans la durée, et derrière les portes fermées. Avec Tim Gajser, Simone Furlotti a du apprendre à composer avec la personnalité réservée du Slovène.

« Il faut aussi savoir que Tim, c’est quelqu’un qui aime rester dans sa bulle. Il aime être seul, faire les choses à sa manière, rester en Slovénie par exemple. Quand il est sur les courses, il passe beaucoup de temps dans son camping-car, il prépare ses masques lui-même, il est dans sa zone. Il ne vient pas très souvent au camion du team. Au début, c’était un peu difficile pour moi, parce que j’étais son mécanicien, et je ne le voyais quasiment qu’avec le casque vissé sur la tête [rires]. Il arrivait au camion du team en pit-bike, il montait direct sur sa moto de course et partait pour aller sur la piste [rires]. Mais ensuite, on a commencé à parler davantage, à construire une vraie relation. J’allais le voir à son camping-car, on discutait aussi au camion du team. C’est important d’avoir confiance l’un en l’autre. »

Tim est un garçon qui aime être dans sa zone @Ray Archer

Blessé en Suisse alors qu’il était leader du mondial MXGP, Tim Gajser a dû tirer un trait sur ses espoirs de sixième titre mondial. Alors que l’officiel Honda HRC se prépare pour son retour en piste pour finir la saison 2025, Simone Furlotti a endossé le rôle de mécanicien secondaire de Ruben Fernandez, afin d’épauler Federica Sezzi qui officie pour le pilote Espagnol au sein de la structure de Giacomo Gariboldi. Les moments forts sont partagés en équipe: les bons, comme les mauvais.

« Les mauvais moments pour nous, c’est toujours une blessure, comme à Arco où Tim s’est fracturé le fémur en 2023. Sa dernière course et sa blessure en Suisse, c’était aussi un vrai coup dur. Surtout parce qu’on peut voir dans les yeux de Tim – dans son regard – qu’il traverse un moment difficile. Quand un pilote se blesse, c’est beaucoup de souffrances, et pas seulement physiques. Car derrière, il y a tout le travail qui a été fourni qui s’envole. Et puis il y a les plus beaux moments. Quand il est titré champion du monde. Même si la dernière journée est très stressante, décrocher un titre, c’est toujours un bon moment. La veille, l’avant-course, la dernière manche, les quelques instants avant le titre sont très stressants. Après, c’est la délivrance. »

Si la 450 CRF du quintuple champion du monde bénéficie évidemment de l’attention et du développement qu’exige un programme factory, le véritable secret réside ailleurs : ce secret, c’est Tim Gajser lui-même. Être le mécanicien du pilote slovène, c’est faire preuve d’une rigueur absolue pour permettre à l’homme de faire la différence, au guidon d’une machine réglée au millimètre près.

« Tim n’a pas de réglage spécifique ou de chose très inhabituelle sur sa moto. » tient à préciser Simone. « Mais il veut que tout soit parfait, absolument parfait. Le guidon doit être parfaitement réglé, le placement des leviers dois être parfait aussi. Une fois, les rainures de sa poignée n’étaient pas exactement au bon endroit. Tim l’a remarqué, et j’ai dû changer les grips [rires]. Maintenant, après quatre ans ensemble, disons que tout est devenu plus naturel, et que je le connais suffisamment bien. Au final, la moto de Tim Gajser est une moto normale qui est très entretenue. C’est une moto factory avec des pièces usines, oui, mais elle a deux roues comme les autres. N’importe quel pilote pourrait rouler avec sa moto. Bien sûr, elle sera plus puissante, mais la différence n’est pas non plus énorme par rapport à une moto d’origine. Il y a des différences, mais elles ne sont pas drastiques. Regarde Kevin Horgmo, il roule avec une moto d’origine, et il roule très bien. Une moto factory, ce n’est pas magique. »

Sur les GP oversea, la moto arrive en caisse … @Ray Archer

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Mécanicien, oui. Homme à tout faire, non. Simone Furlotti n’intervient que sur des opérations de maintenance basique concernant le moteur de Tim Gajser. Les suspensions sont gérées par des techniciens dédiés, tout comme la cartographie et l’électronique. Dans la pratique, Simone assure l’entretien de la machine de Tim Gajser; un boulot à plein temps avec un pilote de la trempe de Tim Gajser. « C’est Massimo Castelli qui s’occupe des moteurs de Tim Gajser. Il y a aussi un technicien japonais qui s’occupe de toute la cartographie et de l’électronique sur sa moto. Il y a également des techniciens qui s’occupent des suspensions. Le moteur et les suspensions, ce n’est pas mon domaine. Moi, je m’occupe de l’embrayage et de petits travaux sur le moteur, mais si le moteur doit être ouvert, on a des spécialistes pour ça. » 

Cette saison, Tim Gajser a troqué ses suspensions Showa pour passer sur KYB. Un sujet rarement abordé, souvent éludé d’un simple revers de main. On comprend aisément que Simone doit, lui aussi, mesurer ses propos. Il nous livrera tout de même quelques informations à propos de la durée de vie des pièces sur la 450 CR-F Factory. Non, la moto de Tim Gajser n’est pas exactement la moto de monsieur tout le monde …

« Honnêtement, on ne sait pas vraiment combien de temps dure un embrayage avec Tim, parce qu’un embrayage ne fait qu’une seule session avec lui. Tim a un embrayage neuf sur sa moto à chaque fois qu’il entre en piste sur les Grands Prix. Essais libres, essais chronos, manche qualificative, warm-up, manche 1 et manche 2 : on monte un embrayage neuf à chaque fois parce que c’est ce que Tim veut. Ça représente six embrayages par GP. On ne les jette pas pour autant, on les utilise ensuite sur ses motos d’entraînement. On suit précisément les heures d’utilisation de chaque pièce sur la moto et on change les pièces en adéquation. Par exemple, on va régulièrement changer le cadre de sa moto de course – après un certain nombre d’heures – avant de le monter sur la moto d’entraînement. »

Plus de Showa, mais pas de sticker KYB non plus sur la 450 de Tim Gajser @Ray Archer

Vous l’aurez donc compris, Simone Furlotti a troqué le casque pour la caisse à outils. S’il a trouvé dans son rôle de mécanicien un équilibre entre amour pour le sport et carrière professionnelle, l’appel de la compétition reste toujours présent. Dans sa routine exigeante, les heures ne se comptent plus, mais c’est cette routine qui lui permet de rester au plus proche de sa passion.

« Est-ce que la compétition me manque ? Oui, énormément. Je roule de temps en temps, mais je n’ai pas vraiment le temps en réalité. Ce travail, disons que c’est un bon compromis pour vivre ma passion, mais il faut être prêt à beaucoup travailler. On ne compte pas nos heures chaque semaine. Je ne sais même pas combien d’heures je fais. En hiver, on a généralement un peu de temps libre. Après la dernière course de la saison, on a quelques jours de repos, puis on commence les essais. Novembre arrive vite, et moi, par exemple, je dois travailler sur les motos pour l’EICMA, et les préparer pour la saison suivante. »

Au plus haut niveau mondial, le métier de mécanicien exige bien plus qu’un simple savoir-faire mécanique. Il demande de la précision et une implication totale. Simone Furlotti en sait quelque chose. Fort de son expérience du paddock, l’Italien met aujourd’hui sa connaissance du terrain au service de Tim Gajser. Pour lui, pas de place à l’ego : seule la passion justifie de pouvoir se faire ouvrir les portes d’un team Factory sur le championnat du monde.

« En fait, quand on fait ce métier, il faut être très investi. Il faut que tout soit parfait, car chaque session est très importante pour le pilote. Quand il pleut et qu’on a un Grand Prix boueux, ça devient assez compliqué pour nous. On sait aussi que le départ est crucial, et maintenant avec la grille de départ en métal, on doit s’assurer que tout est parfait, notamment au niveau des pneus. Il faut vraiment rester concentré, parce que si on fait une erreur quelque part, Tim peut rater son départ et tout s’enchaîne ensuite très vite. Veiller à ce que tout soit parfait, c’est essentiel dans ce métier. Je n’ai pas un grand bagage en tant que mécanicien, mais je connais bien le paddock, l’industrie, et comment tout fonctionne. Je pense que ça m’a facilité la vie. Et puis, passer de pilote à mécanicien, ce n’est pas si compliqué. Mon conseil à quelqu’un qui voudrait devenir mécanicien à son tour dans le paddock, ce serait de rester humble, de bosser, et de garder les pieds sur terre. Il ne faut pas être là pour pouvoir dire aux autres que tu es mécanicien d’un team usine. Non, il faut être passionné par le métier. »

Simone Furlotti, l’ombre mécanique de Tim Gajser
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