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Thibault Benistant “Depuis Lommel, je faisais tout pour limiter la casse”

Image: Yamaha Racing

Champion d’Europe 125, champion d’Europe 250, Thibault Benistant est l’un des plus gros prétendant au titre de champion du monde MX2 en 2023. Depuis son arrivée dans la catégorie en 2021, le pilote Français n’a pas été épargné par les pépins physiques lors des différentes intersaisons mais, à un mois et demi du début de la nouvelle saison, l’officiel Factory Yamaha s’avoue confiant, et – enfin – en bonne forme physique. Depuis la Sardaigne, Thibault Benistant s’est prêté au jeu de l’interview et nous a donnés de ses nouvelles à l’aube d’une saison qui s’annonce d’ores et déjà disputée. Micro.

Thibault. Entre le moment où tu participes à ton dernier GP en Turquie en septembre dernier, et le moment où tu reprends la préparation pour la saison 2023: c’est ta période OFF après avoir bourriné toute la saison. Tu fais quoi, pendant cette période ?

En soi, ce n’était pas simple car j’avais eu un problème à l’épaule l’an dernier, j’avais dû être opéré en fin de saison, pas de chance car après l’opération, j’avais des points de suture donc partir en vacances ou faire des trucs, ce n’était pas facile donc je suis resté chez moi. J’ai profité avec la famille, les amis. Sans cette blessure, j’aurais rattaqué un peu plus tôt mon entraînement d’intersaison pour 2023, mais je serai prêt à temps.

C’était quoi exactement, le problème avec cette épaule ? Tu as roulé la fin de saison 2022 dans quelles conditions ?

En fait ça faisait un moment que j’avais mal à l’épaule, j’avais déjà ces soucis depuis un an. Avant, ça me posait problème une fois tous les trois mois mais depuis Lommel l’an dernier, quand je roulais un peu trop détendu, sur l’arrière, à bout de bras, j’avais l’impression que mon épaule se déboîtait; c’était limite. Du coup, c’était extrêmement douloureux pendant quelques tours si j’étirais trop et si je me tirais l’épaule plusieurs fois dans le même tour, j’étais fini pour toute la manche car j’avais mal, et beaucoup moins de force.

Dans le sable, c’était le pire. Dans la terre – comme à Saint Jean d’Angely – j’arrivais à bien rouler sans trop tirer dessus. Dans le sable, on est tout le temps en arrière et dans les gros trous. Donc avec l’épaule, c’était compliqué. Les chirurgiens m’ont mis une butée et m’ont retendu tous les ligaments pour que ça ne soit plus un problème. J’ai mis 3 mois et demi à récupérer car j’ai choppé une infection au bout d’un mois et demi, donc re-opération, ce n’était pas top pour moi. Mais physiquement, là, je suis bien !

Je me posais une question, peut-être bête, mais dans un contrat de pilote usine, est-ce qu’il y a des clauses qui t’empêchent de pratiquer certaines activités durant l’intersaison ?

Il ne me semble pas, mais certaines choses ne sont pas forcément conseillées. J’ai eu envie d’aller faire du ski pour le jour de l’an avec des collègues mais sachant que j’avais repris la moto deux jours avant, je n’avais pas trop envie de risquer de me faire les croisés donc je me suis retenu. Ça fait deux années de suite que j’attaque avec des blessures donc j’ai envie de te dire que cette saison, j’aimerais bien attaquer en ayant eu le même nombre d’heures à l’entraînement que les autres, et sans louper d’épreuves.

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“J’ai mis 3 mois et demi à récupérer car j’ai choppé une infection au bout d’un mois et demi” @Yamaha Racing

Depuis que tu es chez Factory Yamaha, tu suis le programme de Kenny Van Dueren. Le bootcamp d’intersaison, il ressemble à quoi quand tu attaques ?

C’est vachement varié. Au début de la préparation on travaille sur du long, sur du 3 heures de vélo et des séances de musculation lourdes, pour faire de la force. Quand on reprend la moto, on fait également du long comme du fractionné, du 3*10 minutes et une manche de 30 minutes, du 2×15 minutes, des trucs comme ça. En début d’année, on fait un test à l’effort, par rapport à ces résultats l’entraînement est réglé. On en refait un en général plus tard. En soi, en début d’année on fait plus sur de la longueur avec moins d’intensité, et plus la saison approche, moins on fait des entraînements longs, mais ils sont plus intensifs.

La dernière fois qu’on a parlé, tu venais d’intégrer ce programme. Tu disais qu’avant, tu avais tendance à en faire trop en pensant que ça allait être bénéfique alors que ce n’était pas forcément le cas. Comment on gère pour ne pas en faire trop et – a contrario – ne pas en faire trop peu pendant l’intersaison ?

Je pense que c’est compliqué à gérer, encore maintenant, et pour tout le monde. Il y a certes les entraîneurs, mais ça dépend aussi de la personne. Il faut assez bien connaître son corps pour savoir où sont les limites, et quand on commence à être en souffrance. Il faut être assez mature. Un gars comme Glenn Coldenhoff, avec l’expérience, il sait. Moi, petit à petit, je commence à connaître mon corps. Quand je fais quelque chose, je veux savoir pourquoi je le fais, je cherche à m’investir et à comprendre les raisons du pourquoi je le fais et aussi comment être meilleur. J’arrive à me gérer aussi, je peux désormais dire à Kenny Van Dueren “Je peux aller courir, mais je doute que ce soit bénéfique parce que demain, je serai moins bien à l’entraînement moto”.

Il adapte ton programme par rapport à ça ? Vous êtes un collectif, mais comme tu l’as dit, des individus différents.

Au début, c’est vrai que c’était compliqué et qu’il fallait simplement suivre le programme. Aujourd’hui, il voit que je commence à connaître mon corps et que quand je dis quelque chose, il faut le prendre en compte. Il y a également mon entraîneur moto, Herjan Brakke. Ce sont deux personnes qui ont fait du haut niveau, qui s’y connaissent beaucoup en ce qui concerne le physique et tous les deux se complètent bien, ils travaillent ensemble pour m’aider et je pense qu’on trouve un bon équilibre.

” Il faut assez bien connaître son corps pour savoir où sont les limites”@Niek Kamper

En 2022, tu loupes les trois premières épreuves à cause de cette blessure au genou survenue fin 2021. Quatre victoires de manches et ta première victoire de GP, quel bilan tires-tu ?

J’ai continué à apprendre, j’ai travaillé sur mes points faibles. J’ai réussi à m’améliorer et j’ai engrangé de l’expérience sur les courses. C’était toujours à prendre. Ça m’a aidé à me construire. C’est dommage d’avoir loupé les premières épreuves car je pense que j’aurais pu faire un bon résultat final mais c’est comme ça. Au final, en 2022, j’ai montré que j’étais quand même présent.

Concrètement, avant de te lancer dans la saison 2022, tu avais passé combien d’heures sur la moto ?

C’est simple. Je suis allé au premier GP au Portugal avec 6 entraînements moto dans les jambes, même pas 10 heures. Physiquement, j’avais eu un mois de préparation.

Normalement, je ne suis pas du genre à avoir mal au bras mais là … m’aligner derrière les grilles face à des mecs qui avaient déjà fait plusieurs GP et avec mon peu d’entraînement, j’ai eu vraiment mal aux bras. Il y avait la pression, le manque de roulage, c’était obligé.

J’ai fait le GP du Portugal, puis je me suis entraîné une fois avant de prendre la direction d’Arco Di Trento et à Arco, j’ai gagné ma première manche qualificative; je crois que c’était la seule cette année. On était content, j’ai loupé le podium à Arco pour un point parce que Rick Elzinga s’est fait doubler dans le dernier tour. Après, j’ai enchaîné quelques podiums lors des courses suivantes donc je pense qu’avec une bonne préparation cette saison, il n’y a pas de raison !

Il y a eu cette épaule gênante et cette opération en fin de saison. À l’époque, beaucoup de gens se sont demandé pourquoi ne pas avoir retardé cette opération pour faire les Nations de Red Bud, deux semaines plus tard. Aujourd’hui, on répond quoi à ces interrogations ?

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En fait, ça aurait pu bien se passer, comme mal se passer. L’épaule, ça allait tant que je ne l’étirais pas trop, je pouvais rouler à ma vitesse. Si je me faisais mal en début de week-end aux Nations, c’était terminé et je n’aurais jamais pu être à 100%. Moi, j’aurais aimé faire mes premières nations, surtout aux USA car je n’y suis jamais allé. Le problème c’est que j’avais besoin de me faire opérer.

En Turquie, je me suis étiré l’épaule, et on a pu voir que je n’ai pas bien roulé. À saint Jean d’Angely, je n’avais pas eu de problèmes et j’avais bien roulé. Par exemple, en Finlande, je me suis fait mal tout le week-end et c’était horrible, j’ai terminé super loin [ndlr: 7ème]. Au final, est-ce que ça valait le coup de prendre ce risque pour l’équipe de France, mais également de prendre le risque de ne pas être prêt à temps pour 2023 ? Je pense que je suis jeune et que j’ai encore le temps de faire les nations. Voilà les raisons mais j’aurais vraiment aimé y être.

“Je pense que je suis jeune et que j’ai encore le temps de faire les nations” @DailyMotocross

J’imagine qu’en 2023, pour le MXDN en France, si le téléphone sonne, on compte sur toi ?

Exactement. En fait l’an dernier je me suis beaucoup posé la question mais j’en étais arrivé à un point ou je ne roulais même plus entre les grands prix. J’allais simplement chez le kiné pour travailler sur l’épaule et je me pointais sur les épreuves, je n’allais même plus à l’entraînement.

J’ai l’impression que tu as fini la saison 2022 sur les rotules.

Vraiment ! C’était compliqué. Depuis Lommel c’était vraiment la cata’. Entre Lommel et la Suède, je n’ai pas roulé. Entre la Suède et la Finlande on avait 2 semaines donc j’ai roulé 1 fois. Entre la Finlande et Saint-Jean-d’Angély j’ai roulé une fois, et avant la Turquie une fois également. Depuis Lommel, je faisais tout pour ne pas me faire mal et limiter la casse. C’est vrai que de base, en Turquie, je ne devais même pas y aller.

C’est ce qui me semblait. Pourquoi y avoir roulé et ne pas avoir encore plus anticipé cette opération ?

En fait, quand Yamaha ont vu comment j’ai roulé à Saint-Jean deux semaines plus tôt … [rires]. Ils se sont dit que j’aurais pu bien rouler en Turquie, et pourquoi ne pas aider Jago en m’interposant entre lui et Tom. Il fallait tenter sa chance.

En parlant de Jago. Deux coéquipiers qui vont probablement se tirer la bourre pour jouer le titre mondial en 2023, est-ce que ça créé des tensions ?

Jago et moi, on n’est pas proche de base. Il est assez réservé et on ne parle quasiment jamais. Jago, pour moi, c’est comme si c’était un concurrent “normal”. Je ne m’entraîne jamais avec, je ne parle jamais avec, je ne le vois jamais, donc au final c’est comme si c’était un concurrent d’une autre marque; on a juste les mêmes couleurs. Je n’ai pas plus de relations avec lui qu’avec un autre pilote du paddock comme un Laengenfelder chez GasGas par exemple. On se voit le jour de la course et ça s’arrête là. La concurrence pour le titre, qu’elle soit avec lui ou un autre, ça ne change rien. Je n’ai pas plus de pression, mais pas non plus de tensions avec lui.

“La concurrence pour le titre, qu’elle soit avec lui ou un autre, ça ne change rien”@Yamaha Racing

Un mot sur le calendrier 2023. Sur les 20 GP que vous allez disputer, 14 se disputeront sur des tracés que vous avez déjà visités en 2022. Tu te dis plus “cool, on connaît bien ces tracés” ou plus “ce serait bien d’avoir un peu de diversité” ?

C’est sur qu’on roule sur les mêmes terrains, mais ce n’est que l’espace d’un week-end, ce n’est pas comme si ça faisait 10 ans que je faisais le mondial et que je roulais dessus chaque saison. C’est sûr que je commence à connaître certains terrains plus que d’autres mais ça ne me dérange pas forcément. S’il y avait de nouveaux tracés, ça ne me dérangerait pas non plus.

Tu fais partie de cette nouvelle génération. 20 ans, un gros potentiel, un guidon factory, un statut de prétendant au titre, de belles années devant toi. Quand tu vois les plus anciens qui ont la trentaine, qui ont de l’expérience et qui commencent à partir du mondial, critiquer le championnat ou même faire grève pour se faire entendre comme on l’a vu en 2022, est-ce que ça t’inquiète pour l’avenir  ?

C’est vrai que le nombre de pilotes derrière les grilles commence à se réduire, les terrains sont un peu monotraces. Ça ne devient peut-être pas de pire en pire mais on pourrait trouver des solutions. Je ne vais pas cacher que je me pose la question de partir aux USA d’ici quelques années.

Du coup ma prochaine question c’était: tu te vois où dans 5 ans ? J’imagine que tu m’as donné la réponse.

Je m’en doutais ! Je pense que je serais aux USA dans 5 ans.

Tu es sous contrat avec Yamaha jusqu’en 2024 ?

Je suis sous contrat avec Yamaha pour cette saison 2023, ainsi qu’une autre en 2024 et une option pour 2025. J’ai des options; que ce soit en MXGP, ou pour les US.

Tom Vialle est parti aux USA. C’est quelque chose que tu vas suivre ? Il vient du mondial, tu t’es mesuré à lui pendant deux saisons, tu l’as battu avec quelques reprises. Ça pourrait être – dans une certaine mesure – un indicateur pour toi, pour plus tard.

Forcément, je vais suivre ça. Tom est Français, et tout le monde suit un peu le Supercross US. Je sais qu’il roulera bien et qu’il sera devant, je n’en ai aucun doute.

Tu as un bagage en Supercross ?

Pas forcément, j’en ai fait quand j’étais plus jeune mais on sait qu’avec les contrats qu’on a en Europe, c’est un peu compliqué de pouvoir en faire.

“J’ai des options; que ce soit en MXGP, ou pour les US.” @Niek Kamper

Si tu pouvais revenir 5 ans en arrière, à l’époque de ton titre en Europe 125, et te donner un conseil avec ton expérience d’aujourd’hui, ce serait lequel ?

De travailler dur pour ce que je veux. Que si je le veux vraiment et que je me donne les moyens, je peux y arriver. C’est vrai qu’à cette période-là, j’avais un peu de pression sur les épaules sur la fin du championnat car je pensais au titre. Si je pouvais, je me dirais de prendre les choses épreuve par épreuve, et de ne compter les points qu’à la fin du championnat. Aujourd’hui, j’arrive relativement bien à gérer la pression. Je suis quelqu’un qui n’est pas forcément stressé, on peut venir me parler normalement avant le départ derrière la grille même si en fin de saison, la pression se fait un peu plus présente.

Si je te demande l’aspect de ton métier que tu aimes le plus, tu vas me dire que c’est quand tu gagnes. Si je te demande celui que tu aimes le moins, tu me réponds quoi ?

Je dirais que c’est quand tu dois partir le matin faire du vélo en Belgique par deux degrés sous la pluie [rires].

Ton plus gros point fort, et ton plus gros point faible ?

Je pense qu’un de mes points forts, c’est que je ne fais pas énormément d’erreurs et que je roule plutôt coulé. Du côté d’un point faible, j’ai du mal à être assez agressif.

Deux questions d’opinion pour terminer: mettre des points en manche qualificative, ce serait une bonne où une mauvaise chose ?

Honnêtement, je n’ai pas vraiment réfléchi à la question. Je pense que tout le monde essaye de bien rouler en manche qualificative pour avoir une bonne place sur la grille pour les manches donc je ne sais pas si le fait de mettre des points en manche qualificative changerait grand-chose.

À prendre avec des pincettes: j’ai lu sur un site sud-Américain qu’ils évoquaient l’idée d’intégrer l’épreuve de Neuquen au championnat national, histoire de remplir les grilles. Avec un peu d’imagination: voir ce genre de scénario se mettre en place sur l’intégralité d’un championnat du monde, ce serait utile ?

Je pense que ce serait plus dangereux qu’autre chose. Encore, si on le faisait en France avec le championnat Elite où le niveau est assez élevé, pourquoi pas. Mais dans certains pays où il n’y a pas forcément de très bons pilotes, je ne pense pas que ce soit la meilleure solution. Pour remplir les grilles, honnêtement, je ne sais pas quelle serait la solution. Mettre des primes, faire des engagements moins cher, aider les teams un peu plus petits ? Je ne sais pas trop …

Thibault Benistant “Depuis Lommel, je faisais tout pour limiter la casse”

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