Dans l’ombre du succès de Jett et Hunter Lawrence se cachent deux parents qui ont pavé la route des deux frangins Australiens: Emma & Darren Lawrence. Les 5 membres de la famille (Tate étant le 3ème de la fratrie) ont tout abandonné en Australie pour tenter leur chance en Europe, avant de se voir ouvrir la porte des US. La suite, on la connaît désormais: les Lawrence cumulent (déjà) 10 titres AMA, et ont décroché la première victoire de l’Australie au MXDN de Matterley Basin cette année. Au soir du Supercross de Paris, notre confrère Andy McKinstry s’est entretenu avec le patriarche de la famille Lawrence: Darren Lawrence. Un micro instructif.
Darren, malgré l’abandon de Jett le samedi et la petite chute d’Hunter le dimanche, tu dois être satisfait de ce qu’ils ont fait ce week-end à Paris ?
Oui. Ces épreuves sont bonnes à prendre pour nous. Beaucoup de gens ne le savent pas, mais on a beaucoup de nouvelles pièces à essayer. Showa a sorti de nouvelles pièces à tester, des pièces qui sont sur nos motos et qui termineront peut-être sur le marché d’ici 4 ou 5 ans.
Le châssis de la CR-F 2025 est nouveau en Supercross, il y a également beaucoup à apprendre de ce côté-là, et on voulait aussi permettre à Jett et Hunter de prendre un peu de repos cette année, parce qu’on ne leur a pas vraiment donné de répit ces 4 ou 5 dernières années. Donc ils se sont reposés. Ils n’ont pas passé beaucoup de temps sur la moto dernièrement; ils ont juste fait un peu de testing et on s’est dit qu’on avait réussi à trouver un bon compromis sur la moto. Du coup, on est allé en France pour prendre du plaisir, faire quelques courses et voir où on se situait avec la moto.
Le truc, c’est qu’ils ont tellement l’habitude de rouler sur leur piste qu’à un moment, il te faut un terrain différent pour vraiment être en mesure de voir comment la moto réagit, car ils compensent vachement les défauts à la maison. Ce week-end, on s’est rendu compte qu’on était beaucoup trop souple au niveau des suspensions. On a un peu cherché des réglages tout le week-end et on a réussi à trouver quelque chose de correct, donc ça a été. Tout ça, c’est de l’information pour nous, histoire de se préparer pour Anaheim 1.
Qu’est-ce que tu as pensé de la piste ? Un terrain comme celui de Paris permet il de se préparer pour le Supercross aux USA ?
À 200%. Si on vient ici, c’est pour la piste. Si c’était le Bercy d’il y a 15 ans, avec les pistes de Bercy d’il y a 15 ans, on ne viendrait pas. Les pistes qu’ils font au Supercross de Paris ces derniers temps sont incroyables; ils font vraiment un bon boulot de ce côté-là.
Quand on y repense, vous étiez encore dans les paddocks des grands prix il y a quelques années de ça. Jett était sur la Suzuki, à se battre avec Liam Everts. Le temps passe vite. Ça te surprend de voir à quelle vitesse Jett est devenu l’un des meilleurs du sport ?
Surpris ? Oui et non. Jett apprend très vite. Ce qui me surprend le plus, c’est d’en être arrivé là. Je ne pensais pas qu’on arriverait jusqu’à ce niveau de compétition, mais en tant que père, j’ai adoré cette phase d’apprentissage avec mes garçons. Si tu veux t’améliorer, il faut que tu travailles pour être meilleur, c’est simple. C’est pour ça qu’on vient en Europe durant l’intersaison, bien qu’on roule énormément aux USA pendant l’année. Ici, c’est différent. On n’a pas la pression de devoir gagner un championnat. C’est toujours un peu plus fun. On vient, les membres du team amènent leur femme, leurs enfants, ils prennent du plaisir, il y a un peu plus d’interactions sociales. Le feeling est différent des Etats-Unis, où tu travailles pour gagner les gros dollars.
On parle souvent de la famille Everts qui vous a aidé en Europe. Mais Greg Moss vous a aussi aidé en Australie. Quel a été leur impact, réellement ?
Greg Moss m’a appris toutes les bases du pilotage, les petits rudimentaires que j’utilise toujours aujourd’hui pour apprendre aux jeunes; être capable d’être bien équilibré sur la moto, tout ça. Greg m’a appris les bases. L’une des choses les plus importantes, c’est qu’il m’a appris qu’il fallait que je sois également en mesure de coacher Jett et Hunter. Il faut toujours apprendre pour évoluer, et c’est l’une des choses que Greg m’a apprises car il a coaché des milliers de jeunes par le passé. On a écouté tout ce qu’il nous disait. Pour nous, c’était comme une bible pour pouvoir aller de l’avant.
Il y a aussi Mike Ward de Yamaha, qui a pris Hunter sous son aile et s’en est occupé quand j’ai dû aller bosser dans les mines, en Australie. Il y a aussi Heiko Klepka, le père de Ken Roczen, qui nous a aussi aidé. Il y a beaucoup de personnes qu’on n’oubliera jamais parce qu’ils nous ont aidé.
La dernière fois, on est allé manger à Las Vegas avec Paul Sexton, qui avait été le tout premier sponsor d’Hunter en Australie quand il roulait en 50cc. Il nous avait donné une tenue complète pour Hunter. On ne l’a jamais oublié, et on s’est assuré de l’inviter pour manger. Il était là “pour de vrai ?”. Il nous avait donné une tenue à l’époque, et ça avait été important pour nous. Il ne faut jamais oublier d’où on vient.
Il y a quelques Australiens qui rouleront en Europe la saison prochaine, dont Jake Cannon. Quels conseils pourrais-tu lui donner, pour parvenir à marcher dans vos traces ?
De faire la même chose que nous. On a suivi les traces de Chad Reed, et ils suivront les nôtres. Quand Chad est parti pour l’Europe, je savais qu’il y avait quelque chose à faire là-bas. Je ne connaissais absolument rien du sport à l’époque, et ne te méprends pas: je ne connais toujours pas tout mais plus tu fais, plus tu apprends. Je savais juste que Chad avait appris certaines choses en Europe. Je ne savais pas vraiment ce que c’était, mais je savais qu’il fallait qu’on passe par là, nous aussi. Voilà pourquoi je pense que pour les jeunes Australiens, la marche entre l’Australie et les USA est trop haute. L’Europe, ça va t’user, t’endurcir, te permettre d’être meilleur. Il y a tellement de défis à relever en Europe, rien qu’au niveau de la barrière de la langue. C’est pourquoi je pense que pour les Australiens, l’Europe, c’est là qu’il faut aller en premier.
Ce week-end, Hunter était un peu en deçà; c’était mieux le dimanche que le samedi. Dommage qu’il soit tombé lors de la dernière soirée.
Je suis content d’Hunter. Il n’a pas les mêmes longueurs de jambes et de bras que Jett. Jett peut compenser. Vu qu’on était trop souple au niveau des réglages, Jett était en mesure de se reculer, et d’asseoir la moto dans les whoops, ce que ne peut pas faire Hunter. Il est obligé d’avoir une position un peu plus neutre que Jett sur la moto, car il sait que s’il se déplace trop vers l’arrière, il va se faire envoyer sur l’avant. Hunter ne peut pas compenser comme Jett. Sa moto doit être bien plus pointilleuse pour qu’il puisse aller plus vite. Mais sur notre propriété, Hunter est aussi rapide que Jett. Je ne suis pas inquiet pour lui, car on n’a réellement fait que 5 ou 6 jours d’entraînement sur la nouvelle moto. Je suis déjà très satisfait de ce qu’Hunter est en mesure de faire.
Un mot sur le Motocross des Nations. Vous êtes rentrés dans l’histoire, c’était un week-end incroyable. Pensais-tu que l’Australie remporterait un jour le Motocross des Nations ?
En tout cas, je ne m’attendais pas à ce qu’on gagne ce week-end-là, car on a vraiment galéré. Jett et Hunter voyaient bien qu’ils essayaient de rouler à Matterley comme ils roulaient aux USA; ils étaient trop agressifs et ça ne fonctionnait pas, il fallait qu’ils ralentissent le rythme pour finalement parvenir à rouler plus vite. Il leur aura fallu tout le week-end pour retrouver leurs automatismes et leur jeu de jambes à l’Européenne. Je ne m’attendais pas à ce que l’Australie gagne, mais ce qui est vraiment top avec Hunter et Jett, c’est qu’une fois que la moto est à peu près correcte, ils sont en mesure de faire le reste du boulot en s’adaptant.
Quand vous êtes arrivés en Europe, la vie n’était pas facile pour vous. Ce doit désormais être bien plus simple aux USA ?
C’est certain. On est vraiment pourris gâtés aux USA, honnêtement. En Europe, j’étais mécanicien d’entraînement pour les garçons, et je bossais jusqu’à 20 ou 21h le soir, parce qu’en Europe tu roules l’après-midi. C’était un travail difficile, sept jours sur sept; c’était non-stop.
Aux USA avec le Supercross, on se contente parfois simplement de laver la moto, les roues, les pneus, le dessous du châssis après l’entraînement et on met la moto dans le garage … On est gâtés de ce-côté là, mais il ne faut pas oublier que pour les pilotes, le Supercross, c’est vraiment exigeant.
Ce que Jett fait aux US est incroyable. Hunter roule également très bien, mais peut-on dire qu’il évolue un peu dans l’ombre de son frère cadet ? Est-ce que c’est une situation difficile pour lui ?
Hunter sait très bien que si Jett en est là aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui. Quand Jett gagne, Hunter sait qu’il y est toujours pour quelque chose. Et comme Hunter aime le dire, quand il ne gagne pas, il essaie de faire en sorte que Jett gagne. Du moment qu’il y a un Lawrence sur la plus haute marche du podium, Hunter est content. Évidemment, mon objectif est d’aider Hunter à retrouver sa condition physique de l’Europe; on travaille encore là-dessus. Je suis très content de lui, saison après saison, quoi qu’il arrive. Il bosse dur, et il revient au niveau doucement. Jett, c’est juste un garçon à part; il est différent.
Aux USA, le championnat compte désormais 31 épreuves. C’est brutal, même si aucun pilote n’a encore participé à toutes les épreuves. Malgré tout, vous faites également ces courses d’intersaison. Est-ce que vous avez le temps de vous reposer, en fin de compte ?
Oui. On a pris du repos cette année, contrairement aux années précédentes. On a enchaîné pendant 4 ou 5 saisons pour atteindre ce niveau. On n’était pas assez compétitifs, donc on a continué à travailler sans se reposer.
Après les Nations de Matterley, on a dit aux garçons de ne pas toucher à la moto et de faire autre chose. Voilà pourquoi on est un peu en retard sur le planning par rapport aux autres années. On a repris plus tard. Là, on va partir pour l’Australie. On va de nouveau prendre un peu de repos là-bas avant de rouler sur l’AUSX Open. Ces épreuves, c’est parfait pour nous, on n’y va pas les mains dans les poches pour autant, on y va pour faire quelques tours, prendre quelques départs, voir comment on se sent, où en est la moto. De là, et une fois à la maison en décembre, on commencera le vrai du boulot.
Tu sais, Jett et Hunter, ce n’est pas tant les courses qui les fatiguent. C’est plus tout les à côté, les avions pour aller et venir, les obligations ici et là; ils sont souvent sollicités pour des interviews et ça les fatigue. J’essaie de leur expliquer que ça fait partie du job.
Un charpentier construit une maison parce qu’il aime construire des maisons, mais il doit aussi faire ses déclarations d’impôts. Pour un athlète, c’est pareil; les interviews, c’est comme les impôts. Le charpentier ne s’est pas mis à faire ce boulot parce qu’il aime remplir de la paperasse, mais ça fait partie du job et il doit le faire. C’est ce que j’essaie d’expliquer à Jett et Hunter. Je sais qu’ils sont parfois fatigués, ou pas spécialement intéressés par les interviews, mais ça fait partie de leur boulot désormais.