Double champion du monde MXGP, Jorge Prado a tourné les talons au terme de la saison 2024 pour ouvrir une nouvelle page de sa carrière aux Etats-Unis, avec Monster Energy Kawasaki. Attendu comme l’une des attractivités de la saison AMA en 2025, le pilote Espagnol a été l’invité de Jase Macalpine – et du podcast Gypsy Tales – pour un entretien XXL de 3 heures. Lors de cet entretien, Jorge Prado est revenu sur la gestion du championnat du monde MXGP, et sur son attractivité tant pour les pilotes, les spectateurs que les organisateurs. Extraits, ci-dessous.
“En MXGP, un organisateur doit payer Infront pour organiser un Grand Prix.” explique Jorge Prado. “Infront gagne aussi de l’argent sur les tickets vendus aux spectateurs et nous, pilotes, on ne gagne rien. Heureusement, on est payés par nos teams. Si j’avais été un pilote privé, avec mon père, ma mère et ma sœur, que j’avais été sur les courses avec ma propre moto et que j’avais gagné le championnat du monde MXGP, je n’aurais pas gagné un Euro. J’ai été champion du monde MXGP cette année, je n’ai rien reçu d’Infront. De mon équipe, oui, mais pas du promoteur. Donc quand un gars comme Jeffrey Herlings fait des piges sur des épreuves nationales, il gagne finalement plus d’argent que quand il roule en grand prix. C’est la réalité des choses, ce qu’on dit, c’est la stricte vérité. Ça ne va pas plaire à Infront, mais ce n’est pas comme si on mentait.”
“Moi, j’avais mon contrat avec mon team, j’étais payé par mon team, donc pas de problème. Mais j’ai vu des pilotes privés qui roulaient vraiment bien cette année, et qui n’ont rien gagné. Imagine, tu es privé, tu fais une belle manche proche du top 5, voire même top 5. Imagine tu fais une course dans la boue, et tu gagnes en tant que privé. Tu rentreras chez toi en ayant perdu des milliers d’Euros parce que ta moto sera ruinée; ce n’est pas juste et cette situation ne permet pas au sport de se développer.”
“Les pilotes qui font entre 15 & 40 ne viennent plus sur les grands prix parce que … quel est l’intérêt ? Ils font mieux de rester sur des championnats Nationaux pour prendre des primes sur certains championnats, pour se faire un peu d’argent. Sur les GP, les pilotes privés perdent de l’argent à chaque épreuve rien qu’en payant les frais d’inscriptions.” (NDLR: Infront a rabaissé les frais d’inscriptions à 300€ pour les pilotes dits ‘widlcards’ en 2023).
Du haut de ses 23 ans, Jorge Prado affiche un palmarès déjà bien chargé de ce côté-ci de l’Atlantique. Champion d’Europe 65 mais aussi champion du monde dans la catégorie en 2011, le pilote Espagnol ira chercher le titre de champion d’Europe 125 quatre ans plus tard. Il ne fera qu’une saison sur le championnat d’Europe 250 – en 2016 – avant de monter sur le mondial MX2 dès 2017. Septième de son premier mandat en MX2 – année lors de laquelle il remportera 3 GP – Jorge Prado décrochera son premier titre de champion du monde MX2 en 2018, puis un second en 2019, avant de faire une montée anticipée en MXGP. Il décrochera deux titres (2023 & 2024) dans la catégorie et quitte finalement le championnat du monde avec 49 victoires de GP à son actif.
“Moi, j’ai fait ce que j’ai pu ces dernières années pour essayer de faire changer certaines choses avec d’autres pilotes. Ce n’est pas que moi, car Jeffrey (Herlings) en parle aussi, Jeremy (Seewer) également. On a essayé quelques trucs pour que les terrains soient plus sécurisés, mais ils n’écoutent rien. En 2022, on a été une poignée de pilotes à tirer la sonnette d’alarme en ne participant pas à une manche qualificative. Pour nous, c’était la seule façon de nous faire entendre, de pouvoir leur dire “hey, il faut que ça change”. Ils ont utilisé ça contre nous, en disant qu’on avait peur de rouler dans la boue, peur des conditions, qu’on n’était pas aussi bons que ce qu’on pensait. Ils nous ont dit “on n’est pas ici pour faire du golf”. Nous, on voulait juste une meilleure piste, plus sécurisée. On a essayé, et rien n’a changé. Les pistes ne sont pas mieux pour autant.”
“Infront devrait penser un peu plus au sport, il faut essayer de faire grandir le sport, le développer, ramener des nouvelles personnes” commente le nouvel officiel Monster Energy Kawasaki quant aux changements à effectuer pour améliorer les choses en mondial. “Il faut faire des courses sur lesquelles les gens peuvent venir et arrêter d’aller au milieu de nulle part. En Turquie, on roule littéralement au milieu de nulle part, on est à 5h30 de voiture d’Istanbul et il n’y a aucune grande ville à côté d’Afyonkarahisar. Par exemple, au GP de Madrid et de Lugo, il y avait du monde car ce n’était pas loin des grandes villes; les fans pouvaient venir facilement. Il faut se rapprocher des grandes villes mais le problème, c’est que les clubs n’ont pas l’argent pour s’offrir les grands prix. Par contre, Infront gagne toujours de l’argent lors des grand prix. Pour eux, ça marche tout le temps.”
“Ces dernières années, ils ont également fait une erreur. Selon moi, ils ont besoin de superstars en MXGP et ils ne se concentrent que sur un pilote à la fois. Tu prends un gars comme Tim Gajser, il a gagné de nombreux titres mondiaux, mais il n’est pas mis en valeur à hauteur de son niveau selon moi, en termes de médiatisation. Ces dernières années, ils ont beaucoup misé sur Jeffrey, et un peu sur mon groupe. Mais on ne peut pas se reposer seulement sur Jeffrey car il y a des années où il n’est pas là, et des années où il n’est plus dans la course au titre avant la dernière épreuve. Infront doit parvenir à faire sortir les stars du MXGP comme ils le font aux USA avec Haiden Deegan, ou Jett Lawrence. Ce sont des personnalités que les fans aiment, les fans viennent aux courses pour les voir et les soutenir. En Europe, on a le sentiment que les fans viennent pour voir du Motocross, pas pour soutenir un pilote en particulier.”
74 pilotes ont été classés sur le championnat du monde MXGP cette année. Sur ces 74 pilotes, seulement 23% ont participé à plus des 3/4 des épreuves (17 pilotes). 60% de ces pilotes classés ont participé à moins de 5 grands prix en 2024 (44 pilotes). 7 de ces 74 pilotes (9%) ont participé à toutes les épreuves du calendrier 2024.
“Pour en revenir aux pistes, les terrains en MXGP ne sont pas fun” avoue le pilote Espagnol alors que le calendrier MXGP 2025 s’est défait d’une poignée de tracés iconiques. “Je n’ai jamais pensé “j’aime rouler en MXGP”. J’ai roulé en MXGP parce que je voulais décrocher le titre, pas parce que je prenais du plaisir en roulant sur les terrains du mondial. Quand tu vas à Red Bud, Ironman, Millville, Unadilla … ça, ce sont des pistes cool sur lesquelles tu te fais plaisir et ça, les fans peuvent le voir. Neuquen, Lugo, c’étaient de belles pistes. Lommel et Arnhem – les pistes de sable – sont très différentes du reste, donc ça apporte quelque chose de nouveau et c’est cool. Le problème, c’est que c’est cool de voir les trois premiers dans le sable, parce qu’après, on met un tour au dixième; la différence de niveau est énorme.
“Moi, je viens aux Etats-Unis pour rouler en Supercross, mais j’ai aussi vraiment hâte de disputer l’outdoor. Tout le monde me dit que les terrains sont cool, et à chaque fois que je regarde un replay je me dis que les pistes sont tops. J’ai hâte d’enfin pouvoir passer la 4ème sur ma moto et ouvrir en grand pendant plus de 4 secondes [rires]. En Europe, le seul endroit où tu es à fond c’est en l’air parce que dès que tes roues touchent le sol, tu dois sauter sur les freins ! Il va falloir que je m’adapte à ces terrains US, car ils sont beaucoup plus rapides, et mon style de pilotage va devoir changer […]”
L’intégrale, ci-dessous.