Matos

Le guide de la suspension avec Goby Racing


Spécialiste de la suspension depuis plus de 20 ans, Stéphane Goby nous avait présenté son parcours et son métier à l’occasion d’un entretien réalisé dans ses ateliers de Saint-Galmier. La rencontre visait aussi à proposer un guide de la suspension, regroupant le béaba tout en explorant quelques aspects techniques plus pointilleux. Un peu d’histoire, de mécanique, de théorie et de pratique pour ceux qui sont désireux d’approfondir et d’étoffer leurs connaissances sur le sujet.

Stéphane. On a présenté ton parcours et ton métier. On va pouvoir embrayer sur le vif du sujet. Pour commencer, quelles sont les limites des suspensions d’origine aujourd’hui ?

Je dirais qu’il n’y a pas de limites. À partir du moment où on les retravaille, on peut vraiment les mettre au point. C’est valable pour des pilotes qui roulent en championnat du monde. Aujourd’hui, une suspension d’origine reste du matériel qui est très performant; il faut juste la retravailler. On est sur une technologie qui est dérivée de celle utilisée en compétition à haut niveau. Ce qui fait la différence entre du matériel factory et de l’origine, ce sera au niveau des matériaux utilisés, des tolérances de fonctionnement, des traitements antifriction. Sur les amortisseurs, les bouchons de réglages compression lente/rapide sont plus gros en diamètre.

Une suspension semi-usine ou usine aura un fonctionnement qui sera beaucoup plus linéaire sur la longueur d’une manche. Le matériel d’origine aura tendance à chauffer, à faire de la friction, et donc à perdre de l’efficacité sur l’absorption des chocs. Ce sont des plus petits détails pour les pilotes amateurs.

Les Kayaba et Showa Pro Circuit que j’ai ici, ce sont des sets semi-usine, autrement dit compétition client. On est donc sur un corps moulé avec un traitement Kashima antifriction. Si on prend un Showa Factory A kit, le corps est taillé dans la masse avec un traitement Kashima dessus, c’est donc beaucoup plus droit au niveau de l’alésage. Avec de l’aluminium taillé dans la masse, il y aura moins de déformation et de dilatation qu’avec du matériel d’origine qui aura été moulé. Voilà ce qui fait qu’il y aura une meilleure tenue dans le temps sur une manche de 30 à 40 minutes, et un fonctionnement linéaire.

C’est comme ça qu’on explique le fait que le matériel factory coûte beaucoup plus cher, parce qu’il est fabriqué en petite quantité. Chez Showa, c’est 30.000€ la fourche, 20.000€ l’amortisseur. Chez Kayaba, 20.000€ la fourche, et 10.000€ l’amortisseur. Ces éléments sont dotés, pour la fourche chez Kayaba, de réglages de compression et détente supplémentaires.

Kit cartouche Showa / KYB pour fourche WP

Si on prend Jeffrey Herlings, qu’on le met sur une 450 SX-F avec des suspensions d’origine, ce sera toujours le même Jeffrey ?

Il ira toujours très vite. Par contre, il sera un peu limité à cause de sa vitesse. Dès qu’il rentrera dans les vitesses rapides de ses réglages, la moto va s’enfoncer. Il ne pourra pas pousser son pilotage à 100% parce qu’il sera limité par la fermeté des suspensions, qui par définition seront finalement trop souples. Tu mets Jeffrey sur une moto d’origine sur l’Elite, je suis persuadé qu’il gagne. Il sera tout de même limité par la suspension d’origine car sur ses suspensions d’usine, il va rouler vraiment beaucoup plus ferme. En fait, un réglage de suspension aussi ferme que ceux d’un top pilote de grand prix, ça conviendrait à un pilote d’un niveau inférieur qui veut débuter en Supercross.

Comment la technologie de ces suspensions a-t-elle évolué durant ces dernières années ?

Ils n’ont pas tout réinventé. Depuis les années 80 ou 90 sur les amortisseurs, c’est le diamètre des tiges, des corps et des pistons qui a changé, ainsi que les traitements de surface. Les volumes d’huile sont également plus importants. Mais le concept comme le fonctionnement est resté le même.

Pour les fourches, de la traditionnelle à la fourche inversée, le diamètre des tubes chromes a augmenté de 41 à 43, à 46 à 48 pour Kayaba. Pour Showa, de 41 à 43 à 45, 47, 49 …

La grosse évolution sur les amortisseurs, c’est au niveau des bouchons de réglage de compression, donc l’ajusteur de compression à basse et haute vitesse. Il y a un réglage de la haute vitesse maintenant, qu’ils ont sorti en 96′ de série chez Honda (KYB) et 97′ (Showa) sur la nouvelle 250 CR alu. Ils ont sorti le double réglage de compression, chose qu’il y avait tout juste sur le matériel factory de l’époque, puisqu’il n’y avait qu’un simple réglage de compression. C’est surtout ça l’évolution.

Les diamètres de tiges, avant c’était du 14, c’est passé à 16 voire à 18. Les diamètres de corps, de 44 à 46 et même maintenant à 50. Et depuis, ça n’a pas beaucoup changé. Le principe de fonctionnement reste le même.

Sur les fourches, la grosse évolution, c’était l’apparition de la fourche double cartouche en 97 chez Honda avec la Showa 47. Chez Kayaba, en 2005. C’était la grosse évolution parce que c’est comme si tu avais un amortisseur à l’intérieur de la fourche. Ce sont des cartouches qui sont montées sous vide; le fonctionnement hydraulique n’est fait qu’avec de l’huile, sans air. Le gain, c’est une meilleure qualité d’amortissement.

Est-ce qu’on met le doigt sur des grosses différences qu’on prenne une suspension chez Kayaba, chez Showa, chez WP ?

Chez Showa et Kayaba, ça reste le même moule. Ça se ressemble fortement sur les diamètres, les côtes. Chez Showa, dans les fourches depuis 2018 (49 à ressort), on utilise des diamètres de clapets et tige rebond différents de ceux de Kayaba.

Sur du WP, c’est différent avec le système cône valve, c’est le même matériel utilisé sur les suspensions factory. Il n’y a pas de setting au niveau du mid-speed, c’est un cône avec un ressort. Il y a quatre cônes différents avec des angles différents, et un ressort (4 duretés) derrière qui retient la pression. Les diamètres de pistons de détente sont quasiment les mêmes, mais pas ceux de compression.

Après, ce sont les diamètres des pistons de compression qui diffèrent. Sur Showa et Kayaba, on va être sur du 38 et 34, mais sur du WP, avec les clapets, on doit être sur du 28 ou du 30 de mémoire.

Chez Öhlins, la fourche comme l’amortisseur, c’est encore un peu différent parce qu’ils ont un système bi-tube avec leur version TTX pressurisée. C’est une technologie où les pistons de détente sont sensiblement au même diamètre que sur du Showa, Kayaba ou WP, mais au niveau de la compression, c’est plus petit, on a des plus petits pistons. Techniquement parlant, ça reste une cartouche, c’est un peu le même système. La différence se fait surtout au niveau de la technologie bi-tube pressurisée, au lieu d’avoir un ressort. Chez Öhlins, il y a un piston diviseur et du gaz pour mettre la cartouche sous pression.

Chez Goby, on baigne dans la suspension depuis plus de deux décennies.

À la base, c’est quoi qui fait le réglage d’une suspension ? Des ressorts, des clapets, un niveau d’huile, les vis de détente, de compression …

C’est tout ça. Ce qui est important premièrement, ce sont les ressorts. Il faut avoir des ressorts adaptés au poids du pilote, à la machine et à l’utilisation. Si ça roule dans le sable, si ça roule en Motocross, si ça roule en supercross.

Les ressorts gèrent la force d’enfoncement de la machine et sont très importants; il y a des tarages différents, des précharges différentes en fonction de ton poids, ta taille et utilisation; ces paramètres sont à prendre en compte.

Ensuite, tu as les réglages hydrauliques, qui gèrent la vitesse de compression et la vitesse de rebond sur la fourche comme l’amortisseur. C’est un peu plus compliqué sur la fourche, parce que tu as un setting de compression principal, tu as un setting basse vitesse, un setting qu’on va appeler mid-speed valve, et un setting de détente, et un pressure spring, pour résumer.

Aujourd’hui, je suis un pilote loisir. Je fais 1m82 pour 90 kilos. Si je vais dans une concession m’acheter une moto, il va y avoir un réglage d’origine sur ces suspensions. Un jeune qui va avoir 16 ans, qui va mettre du gros gaz en 250, qui va faire 20 kg de moins que moi va s’acheter la même moto, et il aura donc par définition les mêmes réglages d’origine sur ses suspensions. La question c’est: quand une moto sort de l’usine, le réglage d’origine, il est destiné à quel type de pilote et/ou de profil ?

Elles sont faites pour un poids dit moyen, on parle généralement de 70 à 75 kilos sans équipement. Mais les constructeurs, dans leur revue technique, indiquent un poids de 75 à 85kg, ce qui est quand même une plage très – trop – large. La première chose à faire est d’ajuster les ressorts à son poids s’ils ne conviennent pas; c’est la base.

Si tu prends une 250 CR-F, elle sort avec des ressorts de fourche qui sont quand même relativement durs d’origine. Il y a du 4.8 dans la fourche. Un tarage en 4.8 pour un pilote qui fait 60 kg, même s’il met du gaz, c’est quand même un peu dur.

Le tarage, on l’exprime en newton ou en kilo, soit en newton par millimètre, soit en kilogramme par millimètre. En règle générale, c’est +0.1 point de tarage tous les 5kg supplémentaires ou l’inverse. Exemple: 5.0, 5.1, 5.2 pour +5, +10, +15 kilos. Pour faire simple, soit tu montes, soit tu descends d’une taille de ressort, et donc de tarage.

Ces dernières années, que ce soit sur une Kawasaki, une Suzuki, une Honda ou une Yamaha – bien que les Yamaha soient un peu plus souples – sur les 250 4T c’est bien souvent monté en 4.7 ou en 4.8 dans la fourche. On est sur du 4.8 sur Honda, du 4.9 ou 5.0 sur Suzuki/Kawasaki. Sur les dernières KX-F 2025, on part sur du 5.0 sur la fourche, et 54 sur l’amortisseur. C’est assez dur.

Pourquoi ? Parce que c’est fait pour le marché américain, et qu’ils ont des pistes qui sont assez rapides avec de beaux appels de saut. C’est assez roulant, pas trop défoncé. Il n’y a pas trop de virages cassants. En France, on va avoir des pistes qui sont défoncées avec des appels de saut qui ne sont pas très propres. C’est beaucoup de tourniquets, beaucoup de virages. Donc, ce n’est pas forcément toujours adapté d’origine.

Si tu prends un gabarit comme le tien à 90 kilos, ça va dépendre de ton niveau mais sur une 250 CR-F, il faudra que tu montes au moins 4 tailles de plus que l’origine au niveau de l’amortisseur. La fourche d’origine pourrait te convenir, ça dépendra de ton engagement, de ton niveau. Si tu es du genre à débuter, j’aurais tendance à descendre la taille des ressorts de la fourche pour que tu aies une moto qui soit un peu plus plongeante, vu que tu n’auras pas le même engagement qu’un bon pilote qui ferait le même poids. Tu vas couper tes accélérations bien plus tôt, freiner moins fort, laisser la moto aller, elle ne s’enfoncera pas trop. Je te monterais donc des ressorts plus souples pour faciliter le transfert de poids, que la moto vienne virer plus facilement, et t’accompagner.

Donc on ne se fie pas qu’à son poids pour définir le type de ressort qui nous convient ?

Sur l’amortisseur, on se fie au poids. Sur la fourche, c’est plus délicat. On va prendre en compte le poids, mais aussi le niveau du pilote, son engagement, sa taille joue aussi un rôle important. Plus un pilote est grand, plus le transfert de poids est important et plus il faudra penser à monter des ressorts plus durs; il y a une poignée de paramètres à prendre en compte.

La première des choses à faire sur son jeu de suspension, c’est quoi ?

La première chose à faire, c’est de contrôler le SAG de l’amortisseur avec le poids du pilote. Le SAG, c’est la différence entre la moto posée sur le trépied – poids total à vide – moins la moto posée par terre avec le pilote dessus – poids total en charge. Ce SAG est normalement compris entre 100mm et 105mm. Aujourd’hui, et avec tous les tests que j’ai pu faire, j’ai trouvé que les machines fonctionnaient mieux en dessous de 100 mm de SAG, surtout sur les KTM, les GasGas, et même certaines Honda.

Au niveau du SAG de la fourche, on ne peut pas le modifier depuis l’extérieur. Si on n’a pas les bonnes valeurs, il faut la démonter et faire du réglage en interne. Sur l’amortisseur, ça se fait parce que tu as l’écrou qui comprime le ressort; tu le desserres ou le resserres selon tes besoins. Sur la fourche, c’est un peu plus compliqué. Il n’y a que sur les fourches WP, les XACT Pro, que tu as le réglage de pression du ressort sur le haut, dit preload. Sur une WP, si tu as trop d’enfoncement, tu peux précharger via ton écrou hexagonal. Sur les autres marques, si le SAG de fourche n’est pas dans les bonnes valeurs, il faut démonter, et c’est un peu plus compliqué.

Réglage d’un SAG

Concrètement, ça fonctionne comment ?

Ce sont des cales. Encore une fois, c’est en fonction du poids du pilote. Chaque marque a une certaine précharge de ressort de fourche, c’est-à-dire sa longueur libre. Une fois monté, ce ressort se comprime. En moyenne, c’est 5 millimètres; ça va jusqu’à 10 millimètres sur une Yamaha. C’est chez Yamaha que les ressorts de fourche sont le plus préchargés par rapport aux autres marques. Sur la Honda, jusqu’en 2024, on était à 3mm, 4mm, 5mm. Sur la CR-F 2025, la fourche est préchargée de 10mm. Ils ont énormément changé ce réglage d’origine, c’est très différent des années précédentes.

Quelle est l’erreur la plus commune que tu rencontres en termes de réglages quand un pilote t’amène des suspensions ? Tu dois voir de tout et n’importe quoi ?

C’est un peu ça. On voit des pilotes qui roulent avec des choses qu’il faudrait mieux éviter de faire. Comme par exemple fermer la détente de l’amortisseur à fond parce que la moto a tendance à pousser au cul. Plus tu freines ta détente, plus ça va influencer sur la compression. Donc il va fermer la détente, pour ouvrir la compression afin d’équilibrer. Ce n’est jamais bon, et l’inverse non plus. Si tu ouvres ta détente, tu vas avoir un amortisseur qui sera très – trop libre. Il faut toujours rester dans les milieux de réglages, c’est-à-dire 2 à 4 clics par rapport au milieu de réglage. Il faut éviter de sortir de cette tranche. Si on en sort, c’est que la suspension n’est pas bien réglée à la base: il faut l’ouvrir et la retravailler dans ce cas.

On voit aussi des pilotes qui font des SAG à la louche. Ils font le free SAG avec la moto posée par terre, et ils montent dessus pour faire le « rider SAG ». Quand tu leur demandes s’ils ont mis la moto sur le trépied, ils te répondent que non. Si tu fais ça, c’est impossible d’avoir une valeur de SAG correcte étant donné que la moto s’enfonce déjà de 35 ou 40mm une fois posée sur ses roues.

Pour le commun des mortels, à quelle fréquence on doit faire les opérations d’entretien, et qu’est-ce qu’on fait, finalement ?

En termes de compétition, le préventif, c’est toutes les 15 à 20 heures. On fait un service complet: remplacement d’huile, pièces d’usure. Quand on fait un service suspension ici, on remplace toujours les pièces d’usure. Si on veut faire les choses correctement, on remet tout à neuf pour éviter les problèmes. On démonte complètement la fourche, on fait un nettoyage, une vidange, le remplacement de l’huile, les cache-poussière, les joints spi, les bagues de guidage, on polit les tubes chrome, la tige d’amortisseur, on contrôle l’usure interne dans les fourreaux, au niveau du traitement interne, on s’assure que les tubes chromes ne soit pas déformés ou tordus, de même pour l’amortisseur. C’est ça, un entretien.

Le pilote amateur ou loisir ne va pas faire ce genre d’entretien toutes les 15 heures. S’il le fait une fois par an – et encore – c’est déjà bien. Il va voir que ça fuit, il va faire les joints spi et on s’arrête généralement là. Je dirais que ce serait bien de faire un entretien de ses suspensions – à minima – au bout de 70h, maximum 80h. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de pilotes qui roulent en loisir qui font plus de 100h par an de toute façon.

Une bonne suspension, c’est avant tout une suspension entretenue et correctement réglée …

Une suspension qui a trop d’heures, finalement, ça se traduit et se ressent comment ?

Au niveau de l’amortisseur, il travaillera moins au niveau hydraulique. Il deviendra plus souple car il y aura moins de frein hydraulique. Si tu atterris un peu de travers, ça va avoir plus tendance à raquetter par exemple; ça va venir taper dans le garde-boue arrière.

Une fourche qui a trop d’heures, c’est le même principe. Elle devient plus souple, trop souple. Après, tu peux avoir les effets inverses car si tu roules dans la boue, de la terre peut passer à l’intérieur. Ta fourche risque de devenir très dure sur le début de course parce que cette microparticule de terre va venir abîmer le traitement antifriction des bagues; elles vont devenir rugueuses au lieu d’être lisses, et ça va se ressentir. 50% du fonctionnement d’une fourche en basse vitesse vient en partie de sa friction, de son coulissement.

La qualité de l’huile a-t-elle une importance ? C’est mieux de la changer régulièrement avec n’importe quelle huile que de ne pas le faire du tout ?

Voilà, on va dire que c’est mieux de le faire avec n’importe quelle marque d’huile, que de ne pas le faire du tout. Nous, pour notre part, on utilise les huiles des constructeurs. Il y a deux huiles Showa différentes. Il y a l’huile de fourche de montage standard, la SS-05, et après il y a l’huile factory, la A1500. Pour l’amortisseur, la SS25.

Chez Kayaba, on a l’huile K2C pour l’amortisseur et la 01M pour la fourche.

Chez WP, l’huile de fourche, c’est la WP4W T01, qui vient du Japon, et qui ressemble fortement à la KYB 01M.

Un mec un peu débrouillard pourra faire son entretien de fourche, mais c’est tout de suite plus compliqué sur l’amortisseur, non ?

Niveau amortisseur, si tu n’as pas une bouteille d’azote et un détendeur pour pouvoir le regonfler après, tu ne peux pas t’en occuper toi même, à moins d’y mettre de l’air. Mais l’air, c’est un gaz qui s’échauffe en pression, alors que l’azote est neutre. Si tu le fais toi même, à la main, il faut savoir que c’est spécifique. Chez nous, on purge avec une machine qui fait le vide pendant 2 minutes 30, et qui injecte l’huile ensuite. De cette façon-là, tu es sûr d’avoir vidé tout l’air à l’intérieur, et rempli correctement.

Une fourche, un gars qui va s’acheter un peu de matos et qui va regarder des tutoriels va pouvoir se débrouiller pour faire l’entretien basique; il y a quand même pas mal de gars qui font leurs joints spi eux-mêmes. Il n’y a rien de vraiment compliqué dans cette étape-là, mais il y a quand même quelques spécificités que je ne dévoilerais pas.

J’aimerais qu’on fasse un détour par les symptômes les plus courants histoire que ce soit parlant pour les pilotes. Quel serait le symptôme d’un mauvais SAG ?

Niveau amortisseur, un pilote qui serait trop léger par rapport à la dureté du ressort d’origine n’aura pas assez de SAG. Par exemple, il sera vers les 90 ou 85mm de SAG. Dans ce cas, la moto aura tendance à travailler trop haut. Dans les trous de freinage, elle aura tendance à pousser de l’arrière, à donner des à-coups. L’amortisseur ne s’enfoncera pas assez, et il y aura un mauvais transfert des masses. À l’inverse, si le pilote est trop lourd pour le ressort et que la moto travaille trop basse, ça va avoir tendance à cogner dans les phases d’accélération, sur les réceptions. Le pilote aura de mauvaises sensations en entrée de virage, il sera un peu en position « chopper ».

Niveau fourche, si le pilote est trop léger et le SAG trop faible, il n’y aura pas assez de transfert de poids et la fourche ne s’enfoncera pas assez. Le pilote aura par exemple du mal à virer. Inversement si le pilote est trop lourd, l’avant va beaucoup s’enfoncer, et il aura tendance à plus perdre l’avant.

Solutions aux problèmes courants – Fourche

Quel est le symptôme d’un mauvais niveau d’huile ?

Le symptôme d’un niveau d’huile trop bas, c’est le talonnage. Sur une fourche double cartouche comme simple cartouche, la hauteur d’huile durcit la fourche près de la compression complète. Donc on talonne si on manque d’huile. Dans la technique, ça se traduit par un volume d’air plus important que le volume d’huile. En fait, c’est le volume d’air qu’on rétrécit quand on rajoute de l’huile. Plus ton volume d’air est faible, plus tu durcis la fourche. Si tu as trop d’huile dans la fourche, elle va s’arrêter bien avant la fin de sa course, et donc de sa compression complète. Tu ne vas pas utiliser tout ton débattement.

Et le symptôme d’un mauvais réglage de détente ?

Une détente trop lente sur l’amortisseur va impacter sur la traction lors des accélérations par exemple. L’amortisseur n’absorbera pas correctement les chocs rapides et successifs. Quand ça pousse au freinage, c’est que la détente n’est pas assez vive. Il faut que l’amortisseur puisse revenir assez vite, mais selon ton niveau; c’est toujours la même histoire.

Plus tu seras ferme en compression, plus tu pourras avoir une détente vive: ça va s’enfoncer lentement, et il faudra une détente plus vive pour que l’amortisseur reprenne sa position initiale. Inversement, plus tu seras souple en compression, plus il faudra avoir une détente plus freinée, pour compenser cette souplesse car ça va s’enfoncer rapidement, et ça va avoir tendance à revenir rapidement également; il faudra donc freiner la détente.

Après, en Supercross aujourd’hui, on voit des motos très dures en phase de compression, et très vives en détente pour les enchaînements, les jump-on/jump-off, et les whoops.

Sur une fourche, une détente trop fermée peut te faire guidonner sur les freinages parce que tu manqueras de vivacité pour absorber les trous successifs. Inversement et en phase d’accélération, quand la fourche se déleste – et donc qu’il y a un transfert de masse sur l’amortisseur – une détente trop ouverte peut te faire guidonner aussi. Il faut trouver le juste équilibre. Une colonne de direction trop libre peut aussi favoriser le guidonnage, et/ou le manque de stabilité du train avant.

Et pour finir, au niveau des compressions haute et basse vitesse, quels sont les symptômes courants de mauvais réglages ?

Si tu es trop souple en compression rapide sur des grosses réceptions, l’amortisseur ne sera pas assez freiné, et ça va se traduire par une moto qui s’écrasera de trop sur les gros chocs. À l’inverse, si tu es trop dur en compression rapide, ça peut influer en phase de ré-accélération dans les trous en basse vitesse. Sur les freinages la moto peut faire des droite-gauche. On parlera d’un amortisseur qui cogne un peu trop, qui aura du mal à absorber, parce qu’il sera réglé trop dur en compression rapide.

Concernant la compression lente, si elle est trop ferme, pareil. En phase d’accélération, tu auras un amortisseur qui sera un peu trop dur, qui aura tendance à cogner un peu. Et à l’inverse, si tu es trop souple, trop ouvert en compression lente, tu auras une moto qui aura tendance à travailler bas, à s’enfoncer un petit peu trop; tu auras une sensation de dureté. C’est pour ça qu’il faut toujours être – à peu près – dans les milieux de réglage.

Solutions aux problèmes courants – Amortisseur

Comment on s’assure du bon équilibre de ses suspensions finalement ; c’est quoi la règle générale ?

La base, c’est que quand tu appuies sur tes cale-pieds, la fourche et l’amortisseur s’enfoncent en même temps. Pour la fourche, ça viendra surtout du fait que tu as une bonne friction mécanique. Tu as une partie hydraulique, une partie mécanique, tout ce qui est bagues de guidage, tubes chrome, fourreaux … Si ça coulisse bien et que tes bagues sont en bon état, l’ensemble va travailler en harmonie. Si tu as des bagues de friction abîmées, l’arrière va s’asseoir et l’avant va rester beaucoup plus statique; ce ne sera pas pour autant un problème hydraulique.

Pour l’amortisseur, si c’est très dur et que ça bloque, tu peux avoir des biellettes grippées et là, même le meilleur amortisseur ne pourra pas fonctionner. En fait, tu peux te faire une préparation suspension au top, mais si tes biellettes sont grippées et que tu serres tes tés de fourche trop fort sans respecter le couple de serrage, tu vas perdre énormément en efficacité.

Donc, si je ne respecte pas les couples de serrage, ça va influencer le comportement de mes suspensions ?

Pour l’amortisseur, au niveau des fixations supérieures et inférieures, non. C’est l’écrou central du setting dont il faut respecter le couple de serrage. Bien souvent d’ailleurs, il n’est pas respecté, je le vois lorsque je refais des amortisseurs préparés par d’autres: c’est vraiment serré très fort.

Si tu ne respectes pas les couples de serrage au niveau des tés de fourche, tu vas avoir tendance à écraser les fourreaux, surtout au niveau des tés inférieurs. Ça va créer de la friction quand la bague de guidage va coulisser dans le fourreau et arriver proche du té, car ça va se resserrer. La tolérance est assez limitée, il n’y a pas énormément de jeu de ce côté-là. C’est pour ça qu’il faut respecter les couples de serrage. Une clé dynamométrique, c’est un impératif, c’est le premier outil qu’il faut avoir.

Il y a un marché de l’occasion assez conséquent dans notre sport. Dans le cas où j’achète de l’occasion, comment je m’assure du bon état de mes suspensions ?

En premier lieu, il faut faire travailler l’amortisseur, voir si les biellettes ne sont pas grippées. Si l’amortisseur est dur ou qu’il bloque, il y a de grandes chances que les biellettes soient grippées. Si les biellettes ne sont pas grippées mais que l’amortisseur a tendance à faire pompe à vélo, c’est qu’il est fatigué. Il faut sentir que l’hydraulique fait son job, aussi bien en compression qu’en détente, et qu’il n’y a pas de bruit interne. Si on entend du bruit, comme une fuite hydraulique, il y a un problème et l’amortisseur aura besoin d’être reconditionné.

Ensuite, on fait travailler la fourche. Si la fourche fonctionne bien sur le début de course, c’est que les bagues sont en bon état. On vérifie qu’il n’y ait pas de fuites au niveau des joints spi. Si la fourche semble bloquée, coulisse mal ou de façon irrégulière, il faudra la reconditionner aussi.

Stéphane Goby nous a ouvert ses ateliers, et dévoilé les coulisses de son métier

J’imagine que le meilleur conseil que tu peux donner à un gars qui veut acheter une moto d’occasion, c’est au moins faire vérifier ses suspensions une fois qu’il l’a achetée. Parce que finalement, quand tu débutes et que tu ne sais pas quel est le comportement « normal » d’un jeu de suspensions, ton jeu fatigué peut devenir la normalité pour toi.

C’est exactement ça. Généralement, les mecs roulent entre potes et se prêtent les motos, et tu en as toujours un qui se dit « putain, ma suspension elle est bizarre par rapport à la tienne ». De là, ils viennent nous voir. Il arrive aussi qu’on nous envoie des suspensions préparées chez des confrères, parce que les gars trouvent que ça ne leur convient pas vraiment.

Je me souviens d’un gars de Grenoble, qui avait racheté une 450 KX-F avec des suspensions préparées chez un concurrent dont je ne citerais pas. La moto est venue en butée sur une table en Italie dès sa première sortie, il est passé par-dessus le guidon et s’est sattélisé. J’ai démonté le tout. Déjà que sur la KX-F, ce n’est pas très dur de base, là, c’était encore plus souple aussi bien devant que derrière. À mon sens, ce n’était pas le réglage le plus adapté, même si le pilote avait un niveau loisir.

Après, c’est toujours pareil. Tu prêches pour ta propre paroisse. Soit tu es plus Goby, soit plus 4.42, soit plus HRS, Clickair, Reptil, BOS … C’est à la confiance. On ne travaille pas tous de la même façon.

C’est facile d’aller critiquer son confrère ou son concurrent. Devant mon client, je ne critique jamais quand un pilote vient avec des suspensions préparées chez quelqu’un d’autre. Je ne vais pas leur dire que c’est de la merde – comme certains peuvent faire – pour tirer la couverture de mon côté. Je défends mon métier, notre métier, pas mon business. La préparation suspension, c’est comme de la cuisine. Tu peux avoir 4 chefs étoilés, mais 4 cuisines différentes. Il y aura toujours ton steak, mais la sauce et la petite poudre qu’il va mettre, c’est ce qui fera la différence.

Demain, si un mec qui fait du Motocross veut s’essayer au Supercross mais qu’il n’a pas les moyens de se payer un deuxième jeu, c’est plié ou c’est faisable ?

Si un pilote veut rouler en Supercross et en Motocross avec un seul jeu de suspensions, on peut essayer de faire un compromis, partir sur un setting Supercross Souple, ou un setting Motocross ferme. Tu gères ensuite avec les vis de réglage pour pouvoir en quelque sorte jongler entre les deux. Ça reste valable à un certain niveau. Après, si tu me dis que tu veux faire du Supercross, du Motocross et de l’Enduro comme avait pu le faire Anthony Bourdon, ça va être très compliqué.

On était en pleine de la saison de sable. Quelles sont les spécificités liées au sable ?

Pour le sable, tu cherches à avoir une moto plus haute de devant, on sort les tubes au maximum et on fait en sorte que la moto soit un peu plus basse de l’arrière. Dès que tu coupes les gaz, la moto a tendance à plonger dans le sable. Si tu as une assiette neutre, tu vas piquer de l’avant. Quand tu coupes les gaz, idéalement, tu veux que le transfert des masses te fasse retrouver une assiette neutre et non plongeante.

Dans le sable, tu es toujours en train de t’accrocher au guidon pour soulager l’avant, et asseoir l’arrière, donc tu vas rouler plus souple sur l’amortisseur, et plus ferme sur la fourche. Ça, c’est dans les grandes lignes.

Là encore, il y a un compromis à trouver, parce que ton amortisseur doit rester un minimum ferme pour les enchaînements de trous, de vagues. Il ne faut pas qu’il comprime trop vite, ni trop lentement. Si tu es trop ferme, tu vas te prendre du verrouillage hydraulique et tu auras l’impression que ta moto s’arrête au fond des trous. Tu peux jouer sur les basses vitesses pour contrer ça.

Après, il y a plusieurs textures de sable: Loon, Grayan, Magescq, Saint-Léger, ce sont des tracés qui nécessitent des réglages différents.

Quelle est la règle générale pour définir la hauteur idéale de ses tubes dans les tés de fourche ?

Tout dépend de ta discipline. Pour le sable, étant donné que tu veux un avant qui soit haut, tu roules avec les tubes le plus sortis possible, jusqu’à avoir l’écrou de la cartouche qui soit à l’intérieur du té.

En Motocross, tu vas rouler moins haut – généralement entre 3 & 5 mm – et encore plus bas si tu tombes sur une piste avec beaucoup de virages, sur laquelle tu as un peu de mal à virer. En remontant les tubes dans le té, tu raccourcis l’empattement. Ça se fera au détriment de la stabilité.

En Supercross, on roule avec la fourche assez ressortie du té également, principalement pour les whoops.

À chaque discipline sa spécificité …

Un mot sur ce té de fourche. Quelle différence je vais noter si je passe de l’origine à, disons du X-trig ?

Il y a plusieurs aspects, le té X-trig est taillé dans la masse. C’est donc un aluminium de meilleure qualité que ce que tu retrouveras sur un té moulé. Ceci dit, un té moulé sur une Yamaha ou une Honda, ça va très bien. Disons que si tu prends un té X-Trig, tu auras une meilleure rigidité, avec légèrement de flexibilité, et plusieurs positions de pontets sur le té supérieur.

Aussi, tu as plusieurs options chez X-Trig: le Roctech et le Rocpro. Le Roctech est en offset fixe. L’offset, c’est la distance que tu as entre l’axe de ta colonne et l’axe de tes tubes de fourche. Changer l’offset, ça revient à changer l’empattement sans changer l’angle de chasse. Tu peux avoir un offset de 25 ou de 23 avec le Rocpro, suivant la marque de la moto.

L’avantage de décaler l’offset vers l’avant, c’est de mettre du poids sur l’avant, comme pour rouler dans le sable. Ça augmente l’empattement, la stabilité, car plus c’est long, plus c’est stable. C’est toujours au détriment de la maniabilité mais dans le sable, tu es souvent debout et accroché au guidon et tu vires rarement à la corde dans de petits virages.

De là, tu as les pontets fixes, avec silent-blocs, le PHDS, mais on risque de perdre pas mal de monde [rires].

J’ai du coup envie de te poser à peu près la même question pour les biellettes, qu’est ce qui va changer dans le comportement de ma moto ?

Ton amortisseur est fixé sur un basculeur, et ce basculeur est raccordé au arm link qui part du châssis. C’est la pièce en forme de U. Plus tu rallonges ton arm link, plus tu baisses l’arrière de ta moto. Tu augmentes donc un peu le bras de levier, et ça travaille plus bas. Ça peut éviter le kicking sur les freinages, éviter que la moto ne pousse de l’arrière car elle est un peu plus basse, tu auras un peu moins de transfert de poids. Raccourcir ce dernier aura l’effet inverse.

Changer le système de biellettes au complet peut vraiment modifier le fonctionnement de ta moto. Quelques millimètres peuvent influer sur le fonctionnement hydraulique, comme sur l’assiette de ta moto. Voilà pourquoi les ressorts sont très importants. Mon conseil, c’est qu’avant de t’occuper de tous ces petits détails, commence à t’inquiéter d’avoir les ressorts adaptés à ton poids parce que sinon, tu vas te perdre inutilement.

En hiver, on voit les mecs rouler dans le sable par des températures négatives, avec des motos qui dorment dehors. Quel impact la température extérieur peut avoir sur le fonctionnement des suspensions ?

C’est un facteur qu’on peut prendre en compte. Sur les premiers tours – et ça ira car on parle de sable – les suspensions seront plus fermes. Ça va fonctionner, s’échauffer, monter en température et rapidement retrouver son fonctionnement normal.

Un amortisseur peut faire des pointes de température à plus de 100 degrés. Avec des settings plus fermes comme en Supercross, qui vont forcer sur l’huile, tu ne pourras même plus toucher à l’amortisseur au bout de 4 tours tellement il sera chaud.

Inversement, quand il fait très chaud, tes suspensions vont plus vite monter en température aussi. Normalement, si tu as un bon setting et une bonne qualité d’huile, tu n’auras quasiment pas de déperdition hydraulique. Quand ça chauffe, ça va s’assouplir un peu car il y aura une dilatation, donc un peu moins d’étanchéité. C’est pour ça qu’il faut vidanger, et qu’on vidange bien plus souvent en Supercross qu’en Motocross. En Supercross, il faudrait idéalement vidanger toutes les 3 ou 4 heures. C’est tellement de contraintes que l’huile émulsionne. L’émulsion, c’est de la mousse, et donc de l’air, et donc ça fonctionne moins bien.

D’où la nécessité de purger l’air de la fourche.

Oui. Déjà, tu as la pression atmosphérique à l’intérieur de la fourche. Donc ton huile est mélangée à l’air dans les fourreaux. Cette huile se brasse, émulsionne. Quand tu vas tout remonter à neuf, tu n’auras pas d’émulsion et après quelques heures de fonctionnement, tu auras bien plus d’air, car l’huile aura travaillé.

On a d’autres pièces au niveau des suspensions qui vont venir influencer le fonctionnement, et les réglages en général ?

Sur les fourches, il y a les collar springs. Ils sont taillés dans la masse avec des passages d’huile plus ou moins petits. On change le diamètre du trou pour laisser passer plus ou moins d’huile, ce qui fait que tu durcis la plongée de la fourche, surtout en vitesse rapide. On a aussi des pistons spéciaux, avec des passages d’huile différents. Après, tu as les traitements anti-friction qu’on peut faire sur les fourreaux, sur les tubes chromes. Qui dit moins de friction, dit meilleur fonctionnement mécanique, plus de souplesse aussi en basse vitesse car tu réduis le coefficient de friction.

Sur l’amortisseur, on peut avoir des extenseurs pour augmenter le volume d’azote. Ce qui permet d’avoir moins d’échauffement. Dans l’absolu, c’est une bonne chose car plus tu as un gros volume d’azote, moins tu auras d’échauffement. Quand ça chauffe, l’huile se fluidifie et assouplit le fonctionnement. Là aussi, on a des pistons spéciaux, des bouchons Kayaba triple set, avec réglages compression lente, rapide, et Ten (détente rapide)

Pour le reste, les gens peuvent venir chez Goby, et on se fera un plaisir de leur expliquer tout ça en détail [rires].

www.gobyracing.com

Le guide de la suspension avec Goby Racing
Retour