Voilà déjà plus de deux décennies que Stéphane Goby – propriétaire de Goby Racing – s’est spécialisé dans le domaine de la suspension. Dans les années 90′ et après un passé de pilote semi-pro, Stéphane a été l’un des précurseurs de la préparation suspension en France. Depuis, les années sont passées, mais la passion est restée intacte. À l’intersaison, Stéphane nous a ouvert les portes de son atelier basé à Saint-Galmier (42) pour nous raconter son histoire, nous expliquer son métier, et nous en apprendre plus sur le fonctionnement et la préparation des suspensions. Dans cette première partie, on s’intéressera au parcours de l’homme, ainsi qu’à son métier. Dans un second temps, on abordera les aspects de la préparation suspension en long, en large et en travers. Rencontre.
Stéphane. J’aimerais commencer par ton histoire dans le milieu du Motocross, mais aussi savoir ce qui t’a amené – sinon motivé – à finir dans le business de la suspension.
J’ai commencé à faire de la moto en loisir avec une petite Z50R quand j’avais 10 ans et demi, c’était en 1985-1986. J’ai débuté la compétition en 80cc, et j’ai été champion de ligue dans les années 1987 à 1989. En 1990, je suis passé en 125cc, j’avais donc 16 ans. À partir de là, j’ai commencé à démonter mes suspensions, à m’y intéresser. J’avais un copain qui roulait et qui avait un petit peu plus approfondi le sujet que moi; il m’a fait des suspensions pour la première fois. De là, je m’y suis intéressé plus sérieusement. C’est parti comme ça. Vers les années 1991 – 1992, je travaillais vraiment sur mes propres suspensions. À cette époque là, je roulais en championnat de France inter, et en Supercross aussi. Je testais, je faisais des réglages, je voyais ce que ça donnait. À l’époque, démonter ses suspensions, c’était tabou; il n’y avait pas grand monde qui en faisait. Ce n’est pas comme aujourd’hui, il n’y avait aucun tutoriel, aucune documentation.
En 1995, je commençais déjà à faire pas mal de suspensions pour de bons pilotes Français, mais ce n’était pas encore une activité professionnelle. Je le faisais pour moi, pour quelques copains, et puis ça s’est vite su dans le paddock. Bud Racing a embrayé sur le marché également, à peu près à la même période. Je roulais toujours en compétition, j’étais devant en national 250. J’évoluais aussi toujours sur l’Elite et en Supercross. J’étais pilote semi-pro, en quelque sorte. En parallèle, je continuais à travailler sur les suspensions. J’ai débuté avec des pilotes comme Manu Troux, Xavier Fabre, Serge Guidetty. De bons pilotes commençaient à venir me voir pour faire leurs suspensions.
À l’époque, quand les pilotes viennent te voir, ils roulent sur des suspensions d’origine ?
Oui. C’était de l’origine. Dans les années 80-90, la mode, c’était un amortisseur Öhlins et la fourche WP, la 4054. Quand on a commencé à faire des suspensions, moi comme Bud Racing, ça s’est vite démocratisé. Le matériel Japonais n’était pas de si mauvaise qualité.
J’ai arrêté de rouler en compétitions fin 1998, car je m’étais blessé à Thomer-La-Sogne. En 1999, j’ai fondé Goby Racing. Là, j’ai commencé à plus travailler, à moins faire de moto, et je réglais les motos pour les pilotes. Vers la fin des années 1990 début 2000, c’est monté crescendo. J’ai travaillé pour des pilotes Nationaux de bon niveau, Nambotin, Charpillet, Casrouge. J’ai décroché quelques titres de champion de France en tant que préparateur, chez les juniors aussi. Après, à partir de 2002, j’ai suivi les championnats de France en faisant du racing service.
En 2002, j’ai travaillé avec le team FreeX sur l’Elite 125 et le Mondial 125 avec Ben Coisy et Serge Guidetty. En 2003, le team a changé de nom (TSM) et de marque (Kawasaki), team ou évoluaient Sébastien Pourcel et Serge Guidetty. Ça roulait donc devant sur le championnat Elite, et ça faisait des bonnes perf’ en GP. En 2004 je ne travaillais plus pour le team qui avait trouvé un accord financier avec BOS Suspension. Christophe Pourcel était monté en 125 et avait intégré le Team. Les pilotes avaient rencontré des problèmes de suspensions qui n’avaient pas été solutionnés, ils avaient donc fait appel à mes services, en sous-marin : il n’y avait pas mes stickers sur les suspensions. À cette époque-là, il y avait Goby, BOS & Bud Racing qui étaient sur le créneau des suspensions. Christophe Pourcel était resté chez BOS car il touchait un beau chèque, mais j’ai fini par faire ses suspensions.
Vers 2003-2004, j’étais présent un peu partout : sur l’Elite, le Junior, le Supercross, le cadet aussi. J’ai connu une grosse année 2009, lors de laquelle je m’occupais de Pierre-Alexandre Renet, qui a été champion du monde MX3. Cette année-là, Goby a décroché 7 titres nationaux et internationaux. Et puis j’ai fait mon chemin avec un paquet de pilotes dans les années 2010. J’ai travaillé avec Xavier Boog, Maxime Desprey, Valentin Teillet, Mathys Boisramé, Romain Febvre, Calvin Vlaanderen, etc. J’ai décroché une fois les titres dans toutes les catégories, j’ai aussi été champion d’Europe 250 avec Steven Lenoir, mais aussi Mathys Boisramé (2018) à l’époque où il roulait chez Assomotor Honda sur l’Europe, et SR en France.
J’ai travaillé avec le team Dafy Enduro, Honda SR, le team GSM également. J’ai arrêté volontairement avec GSM fin 2022, parce que ça me prenait beaucoup de temps, et que je commençais à avoir des problèmes de santé. J’avais commencé par perdre la vue d’un œil pendant 45 minutes lors d’un GP en Allemagne en 2019, puis un an plus tard j’ai connu un épisode étrange où j’étais complètement incapable d’aligner des mots et des phrases pendant 30 minutes. Encore un an après, je me plaignais d’avoir comme des tensions dans la tête, et je n’arrivais pas à comprendre ce que je lisais sur mon téléphone. J’ai eu des épisodes de ce type, les examens ne décelaient rien; on en a déduit que c’était des migraines vicariantes, que mon corps m’envoyait des signaux, il fallait que je me calme avant de me retrouver bloqué dans une mauvaise phase. Travailler avec le team GSM, ça me prenait beaucoup de temps, parce que ça représentait beaucoup de suspensions et j’ai préféré arrêter. J’ai enlevé tout ce qui était vraiment synonyme de gros stress.
Avec le team Dafy Enduro, ça s’est arrêté par la force des choses. Eric Bernard, responsable de la compétition, a imposé que les teams officiels KTM travaillent avec un service center officiel WP, chose que je ne suis pas. Depuis lors, j’ai arrêté de travailler avec des teams directement, et je travaille exclusivement pour les pilotes.
À partir de quel moment la préparation suspensions a commencé à se démocratiser ? On peut dire que tu as été l’un des précurseurs en France, non ?
Oui, j’ai été l’un des premiers. Difficile de dire quand ça a commencé à se démocratiser, il y a une dizaine d’années peut-être. En 2014, il commençait déjà à y avoir un peu plus de préparateurs. Ça fait 5-6 ans que ça se démocratise de plus en plus, ça pousse de partout. Dans la région Rhône-Alpes, ici, on doit être 20.
Ça va très vite. Il y en a qui le font depuis pas mal d’années, il y en a qui ont commencé depuis peu. Il y a des nouveaux ateliers qui sont sortis, des mecs qui sortent des écoles. Là-bas, tu apprends à faire de la suspension, mais tu n’as pas l’expérience de savoir développer un setting sur circuit. Ces mecs-là te feront la base et tu te démerderas de ton côté par la suite. Je ne connais pas leurs compétences exactes, ils savent très certainement très bien démonter et remonter. Après, savent-ils vraiment ce qu’il faut faire sur une suspension pour correspondre à un pilote ? Je ne suis pas persuadé. S’ils n’ont pas passé des années sur les pistes et qu’ils parviennent à être dans le vrai, ça veut dire qu’ils sont vraiment forts. C’est une chose de connaître le fonctionnement d’une suspension sur le point de vue mécanique, c’en est une autre de mettre au point un setting adapté au pilote.
Finalement, on devient plus préparateur de suspensions par une expérience qu’un cursus ?
Pour ma part, et depuis 30 ans, je me suis formé par l’expérience. Aujourd’hui, il peut y avoir des cursus qui apprennent le métier de la suspension. Il y a des bancs d’essai dans les écoles pour apprendre la partie théorique. Tu as aussi l’école de la performance, par exemple, à Nogaro. Là aussi, ils t’apprennent le métier de la suspension, à démonter, remonter, voir des courbes, comprendre des données. Moi, à mon époque, il n’y avait pas ça. C’était un peu tabou au début des années 90. Il y avait Pro Circuit qui faisait des suspensions, mais c’était aux USA. Pour moi, ça a commencé un peu plus tard.

Mathys Boisramé roulait avec des suspensions préparées par Goby, lors des succès décrochés avec Assomotor Honda
Donc tu as ouvert tes suspensions, testé quelques bricoles, tu remontais et tu regardais ce que ça avait changé dans le comportement de ta suspension ?
Exactement. J’ai fait des choses qui étaient beaucoup trop dures à l’époque. Il faut savoir qu’il y a plusieurs aspects. Démonter et remonter une suspension correctement, c’est une chose. Savoir modifier ou créer un setting, c’est autre chose. Faire du développement de setting pour les besoins spécifiques d’un pilote, c’est encore une capacité à part entière et ça s’acquiert avec l’expérience, plus que sur les bancs de l’école. Selon si le pilote est grand, petit, lourd, léger. Selon s’il charge l’avant, s’il charge l’arrière, selon son type de pilotage, sa morphologie. Il y a tout un tas de données et de paramètres qui rentrent en compte et ça, c’est le métier de préparateur de suspensions.
Je suis technicien, pas ingénieur. Je ne fabrique pas la suspension. Par contre je la développe, c’est une expérience que j’ai acquise en plus de 20 ans à faire du racing service sur les courses. Ça signifie donc être sur les terrains tous les week-ends, faire du testing en semaine, afin de pouvoir déterminer les changements qui correspondront le mieux au pilote. Bien souvent, les pilotes – même les tops – ne savent pas forcément ce qu’il faut faire. Ils savent dire ce qu’ils ressentent, mais pas ce qui crée directement ce ressenti, et donc comment corriger ou faire évoluer le setting.
Mickael Pichon est quelqu’un qui arrive a donner beaucoup d’informations, car il a appris. Quand il bossait aux US, ils lui ont appris comment fonctionnaient des suspensions. Ça lui permettait de savoir exactement ce qu’il se passait quand il roulait, et de comprendre ce qu’il ressentait. Ce que le pilote te dit, il faut être capable de le retranscrire – techniquement – au niveau de la suspension.
Ça se destine à qui la préparation suspension ? Le pilote qui n’aura jamais roulé avec des suspensions préparées ne connaît pas le gain, avant d’avoir sauté le pas finalement.
Il verra la différence parce que ce sera vraiment adapté à ce dont il a besoin. Je vais définir vraiment ce dont il aura le plus besoin, que ce soit aussi bien sur une suspension d’origine préparée qu’une suspension semi-factory ou 100% factory. Souvent, on me di:t « si j’investis dans un jeu Kayaba, je ne vais probablement pas voir la différence ».
Moi, je réponds que si. Parce que je vais la régler en fonction des besoins du pilote. Il m’arrive de revendre des suspensions factory à des pilotes qui ont un niveau national ou Elite. Pour un pilote débutant, il y a de grosses chances que ces suspensions soient trop dures, et pas adaptées.
Du coup, il verra la différence, mais ça n’ira pas dans le bon sens car ces suspensions ne seront pas faites pour son niveau de pratique. Tout est une question de besoins et d’adaptation. En fait, peu importe le matériel, qu’il soit d’origine ou factory, il y aura une efficacité et un rendement qui seront bien meilleurs.
Ce rendement, un pilote débutant ne l’exploitera pas comme un pilote de bon niveau de ligue, de national ou d’Elite, mais il y verra une différence, parce que les réglages seront adaptés à ses propres besoins.
Rapidement, est-ce que tu peux me présenter l’équipe de Goby Racing aujourd’hui ?
L’équipe Goby Racing est composée de quatre personnes avec moi-même. Moi, Stéphane Goby, le maître des clés. C’est moi qui ouvre tous les matins. Après, il y a Kirinamany Goby, mon épouse, qui est secrétaire de direction. Ensuite, il y a Jean-Philippe qui s’occupe principalement des suspensions vélo, et Paul qui fait de la suspension moto.
Demain, si je veux faire un jeu de suspension chez toi, ça se passe comment ?
Tu peux venir directement à la boutique. On va te créer une fiche client qui nous servira à recueillir les informations dont on a besoin: ta taille, ton poids, ton niveau, ta pratique. Tu peux nous envoyer tes suspensions. Il faut au préalable aller sur notre site internet, télécharger la fiche atelier, l’imprimer, la remplir et la joindre dans le colis. Une fois qu’on reçoit le tout, on aura toutes les informations pour pouvoir travailler sur tes suspensions.
Il faut compter combien ? Il doit y avoir plusieurs prestations, et donc plusieurs tranches tarifaires ?
Oui. Il y a deux prestations principales: le reconditionnement et la préparation. On peut reconditionner la fourche, l’amortisseur ou les deux. On parle là d’un entretien avec toutes les pièces d’usure. Dans la plupart des cas, on remplace tout.
Du côté de la préparation, il va y avoir de la modification hydraulique, de ressort si besoin, et des modifications du setting de la fourche et de l’amortisseur.
On fait d’abord un devis complet, et on l’envoie au client avant de faire les travaux pour qu’il soit informé de tout. On ne fait rien avant d’en avoir informé le client. On préfère faire comme ça car souvent, les gens pensent au prix de la préparation, sans penser aux pièces.
Pour une préparation de base fourche et amortisseur, hors pièce d’usure et hors ressort, c’est 399€ TTC, huile comprise. Un entretien / service fourche & amortisseur, c’est 260€ TTC, huile comprise, hors pièces d’usure et ressort s’il y a besoin d’un remplacement.
Si je t’amène un jeu de suspension, ça va te représenter combien de temps de travail, quel délai ?
Entre le moment où tu commences et le moment où tu finis, il se passe généralement 3 heures. Ça peut prendre plus de temps si la suspension arrive dégueulasse, qu’elle a roulé pendant un nombre incalculable d’heures, que tout est vraiment usé dedans. Quoi qu’il en soit, on démonte tout, on nettoie tout de fond en comble. On a une laveuse, une fontaine avec des produits bio. On repolit les tubes chromés, on contrôle pour vérifier que rien n’est tordu dans les tubes, les fourreaux, etc. En tout et pour tout, il faut compter trois heures.
Niveau délai, ça dépend de la période dans la saison. Il faut compter d’une semaine à 10 jours. Quand on est vraiment débordés, on préfère allonger les délais plutôt que de travailler vite, et mal travailler. Des fois, ça nous est arrivé de dire non à des clients car les délais n’étaient pas tenables. Tu ne peux pas rallonger les journées, sinon tu attaques à 5h pour finir à 23h. Ça, je l’ai fait pendant des années, c’est d’ailleurs ce qui m’a usé, je pense. Quand on a plus de volume d’activité, le délai passe à 15 jours, parfois à 3 semaines. S’il y a des urgences, on est en mesure de répondre.
De ton expérience, quel est le niveau de connaissance général des pilotes sur le fonctionnement et le réglage des suspensions ?
Dans la globalité, ils sont assez loin du compte. La connaissance n’est pas très élevée. Si je devais la graduer de 1 à 10, je dirais que c’est 3/10, au maximum 4/10. C’est quand même un travail assez particulier. Déjà, rares sont les pilotes qui savent vraiment comment fonctionne une suspension. Il y en a qui savent à quoi servent les vis, la compression, qui ont des notions sur la détente, l’amortisseur, qui savent faire un SAG. Mais en ce qui concerne le fonctionnement mécanique en interne, je ne pense pas que beaucoup connaissent.
Parfois, certains pilotes essaient de faire des travaux eux-mêmes, parce qu’ils sont allés se renseigner, ont regardé des tutoriels. Ça peut arriver. Ça nous arrive de recevoir des coups de fil de gars qui nous disent qu’ils ont essayé de faire des opérations eux-mêmes, et que leur fourche ne comprime plus, ou que son comportement n’est pas bon. Il faudrait que je passe 30 minutes à leur expliquer ce qu’il faudrait qu’ils fassent. Gentiment, je leur réponds que je n’ai pas le temps de leur expliquer mon métier. S’ils veulent se débrouiller seuls, ils peuvent. Ils peuvent aussi m’amener leur matériel. Ça en étonne certains … Pourtant, tu te verrais aller chez BMW pour leur demander des conseils parce que tu t’es planté en remontant tes plaquettes ? J’ai parfois l’impression que ce métier n’est pas assez pris au sérieux. Certaines personnes pensent qu’elles peuvent appeler un professionnel qui va leur expliquer comment faire leur métier eux-mêmes. Moi, ça ne me viendrait même pas à l’idée.
Quand on te dépose une fourche, un jeu de suspensions, un amortisseur, j’imagine qu’il doit y avoir un feeling ou une demande qui revient assez souvent ?
Dans l’absolu, que ce soit un amateur ou un très bon pilote, il faut qu’une suspension soit confortable.
En Motocross, ça se traduit en étant un peu plus souple sur le début de course – les basses vitesses de fonctionnement – tout en ayant de la progressivité sur la seconde partie de course dans les hautes vitesses. À savoir que plus un pilote va aller vite, plus ces hautes vitesses arriveront tôt, mais on gardera quand même un petit peu de confort sur le début de course et les basses vitesses.
En Supercross, on peut mettre de côté la notion de souplesse ou de confort sur les basses vitesses, parce que c’est une discipline dans laquelle il n’y a que des gros chocs. Il faut en garder un peu quand même. Ça dépend des pistes. Sur une piste comme le supercross de Lyon, il ne faut pas être si dur que ça, parce que sinon tu n’arrives plus à virer dans les virages.
Je sais qu’avec l’ouverture du WSX au Canada, les pilotes Français étaient tous un peu embêtés avec les suspensions. La piste était molle, avec beaucoup d’ornières. Les pilotes Français roulent sur des suspensions qui sont dures, mais il y a quand même de la souplesse pour apporter du confort. Quand tu roules sur une piste molle avec beaucoup d’ornières, la moto travaille beaucoup, et s’assied tout de suite si tu es trop mou. C’est là qu’on voit la différence avec les Américains, qui roulent sur des motos moins confortables, et beaucoup plus dures. Ils passent un peu n’importe où, et ça va bien parce que c’est plus ferme, ça comprime plus lentement, un peu moins, et ils ont un timing plus rapide. Les Français, en étant plus souples, ils étaient tous un peu déroutés. Il y a tout un tas d’éléments à prendre en compte.
Dans le milieu de la moto, le syndrome des loges est très répandu. Est-ce que le premier moyen de limiter le mal de bras, c’est déjà de partir avec de bons réglages ?
Oui, ça peut. Après, il y a aussi un aspect physionomique. À force de rouler, de faire travailler les muscles avec les années, tu peux te déclencher des problèmes aux avant-bras. L’exemple type, c’est Eli Tomac qui se fait une rupture du tendon d’Achille. À force de tirer dessus pendant toutes ces années, ça a fini par péter.
Tout dépend, tu peux avoir de mauvais réglages, mais aussi des prédispositions, voire une mauvaise technique. Si tu as un mauvais feeling, que tu n’as pas roulé depuis longtemps, tu pourras rouler sur les meilleures suspensions; tu te crisperas et tu auras mal au bras.
Mais pour te répondre, oui. S’il y a un transfert de poids trop important, tu vas avoir tendance à t’accrocher au guidon et à avoir mal aux bras. Avec une suspension bien adaptée, tu peux éviter le mal de bras. Une suspension bien adaptée permet un meilleur feeling; le pilote force moins, et donc il a moins de chance de se retrouver avec des bras béton. Ceci dit, même les tops pilotes sont confrontés au mal de bras.
Tu bosses avec Sleny Goyer qui a été champion d’Europe 85 en 2024. Ça représente quoi, en volume de travail sur une saison, de travailler avec un jeune Espoirs du sport Français ?
Sleny, je lui ai prêté des jeux de suspensions qu’on a mis au point. Un jeu pour le cross, un jeu pour le sable qui est plus spécifique. Il a fait un peu de SX aussi, avec des suspensions qu’il a également utilisées en Motocross. Il y a Sleny, mais aussi son frère Eydan. Donc il faut compter deux jeux par pilotes, plus les suspensions d’origine, ça peut vite représenter quelques heures de travail. Sur une saison, tu comptes 12 à 15 jeux de suspensions à refaire.
Chez GSM ou le team Honda SR à l’époque, c’était différent car il y avait 3, voire 4 pilotes. Chaque pilote avait 3, voire 4 motos. Ça pouvait représenter 16 motos, et donc 16 jeux de suspension à faire, à développer, à entretenir. Tu te retrouves vite à faire 40 fois les suspensions du team sur une saison. Chez GSM, il devait y avoir pas loin de 25 motos entre celles pour l’Elite, la France, le WSX, la course, les entraînements.
Tu développes, tu testes, tu fais de l’entretien. Quand on avait fait le développement pour le World Supercross, on a passé 2 fois 16 heures non-stop à faire des settings suspensions. Pour le World Supercross, ils envoyaient 6 motos: 1 par pilote, plus une moto de réserve par cylindrée. Tu comptais 10 à 16 jeux de suspensions de ce côté-là pour le WSX seulement. Après, tu avais les motos du France, de l’Elite, du SX … J’estime que ça me prenait 150, sinon 200 heures par an de préparer les suspensions chez GSM.
Par le passé, tu as aussi travaillé avec des teams en GP. Comment ça fonctionne, le milieu de la suspension, au niveau des grands prix ?
Il y a des techniciens indépendants qui sont prestataires de services, par exemple des prestataires Showa pour Kawasaki. Chez Kawasaki, tu as le choix de rouler Showa ou Kayaba. J’ai bossé avec Romain Febvre quand il faisait ses premières armes en grand prix. Jeremy Seewer roulait Kayaba cette année (2024), et Romain Febvre, Showa.
Je ne connais pas Jeremy Seewer personnellement, mais je l’ai vu évoluer sur les grands prix depuis les années 2010, et il a toujours roulé avec du Kayaba, que ce soit chez Suzuki, chez Yamaha; son souhait était donc de rester sur du Kayaba avec Kawasaki. Romain lui préfère Showa. Chez American Honda, ils peuvent également choisir Showa ou Kayaba. Tomac chez Kawasaki roulait sur du Kayaba, et Cianciarulo sur du Showa.
Lors de mes années à faire du racing service, j’ai pu voir du matériel full-factory. Sur un amortisseur Kayaba Factory, le piston était le même que celui d’origine; ce sont les réglages qui sont différents et les matériaux utilisés, avec un corps en deux parties. En fait, ils ne réinventent pas tout. Certains systèmes peuvent exister, comme le système ESA, un système d’amortissement électronique qu’on retrouve déjà un peu au niveau du vélo. Il y a aussi le système cône valve de chez WP, c’est un cône sous pression d’huile qui vient pousser un ressort. C’est un système très spécifique à WP. Au niveau de l’amortisseur, c’est le même système que les japonais : un piston, des trous de passage d’huile, une compression, une détente … Après, ils ont un système de séparateur de valve, c’est-à-dire que l’huile ne passe pas par le centre de la tige en phase de compression, ça ne passe qu’en retour de détente.

Champion d’Europe 85 en titre, Sleny Goyer roule aussi avec des suspensions préparées chez Goby Racing
On a une idée du coût que représente un pilote de GP sur une saison, rien qu’au niveau des suspensions ?
Chez Kayaba par exemple, pour 3 pilotes, 3 jeux de suspension par pilote, 6 séances de test, il faut compter entre 36.000 et 40.000€ la saison. En fait, les suspensions sont louées. De mémoire, ils font l’entretien complet des suspensions à chaque GP. J’en avais discuté avec Livia Lancelot quand elle était encore à la tête de son team, 114 Motorsports.
À l’époque où je bossais avec Mathys Boisramé, on faisait ça tous les 3 ou 4 GP, maximum, c’est-à-dire toutes les 9h-10h, on vidangeait fourche et amortisseur. On remettait des pièces neuves, on remplaçait tout.
Chez Kawasaki, ils ont le technicien Showa payé directement par le Japon. Il doit être payé 120.000 ou 130.000€ à l’année pour ne faire que les suspensions de Febvre. Ceci-dit, chez Kayaba pour les teams usine, c’est peut-être encore plus cher que ça.
Pour tout ce qui est WP, il y a beaucoup de techniciens car il y a beaucoup de teams officiels ou satellites qui roulent en Europe et en mondial. Généralement, dans les teams officiels, tu as un technicien dédié à un pilote. S’il y a 4 pilotes, il y a 4 techniciens.
Si tu ne t’entends pas avec le mec qui fait tes suspensions, c’est compliqué. C’est ce qui était arrivé en 2008 à Pierre-Alexandre Renet, quand il était pilote d’usine chez Suzuki. Pela est grand, dès qu’il prenait les freins, la moto s’enfonçait. Il ne pouvait pas attaquer. Le technicien ne comprenait pas bien ce qu’il voulait sur la moto.
On entend assez régulièrement des pilotes dire qu’ils n’ont pas trouvé « les bons réglages ». Pourtant, ils passent un temps fou à faire du testing, et à s’entraîner. En fait, c’est leur métier que de se préparer et de se faire une moto sur laquelle ils seront à l’aise. Finalement, ça veut dire quoi, quand on entend ça ?
Quand tu roules en Grand Prix, le niveau est élevé et les pilotes sont vraiment à la limite tout le temps dans leur pilotage. Le feeling est vraiment important, et il faut savoir que le technicien qui s’occupe d’eux est vraiment en mesure de trouver des solutions, de leur apporter ce dont ils ont besoin pour qu’ils se sentent bien. Parfois, ils n’arrivent pas à trouver le bon réglage pour que le pilote ait un bon feeling, et ça peut devenir difficile. Il faut savoir que le temps est quand même imparti, tu ne peux pas tout réinventer sur un GP.
Tu fais des tests tout l’hiver, disons que ça se passe bien durant les premiers GP. Tu te pointes sur la 5ème épreuve et tu es à côté de la plaque, tu as mal aux bras, tu n’es pas dedans. Là, il faudrait presque avoir le temps de tout reprendre depuis le début. J’ai été confronté à ce genre de situations. Il faut réfléchir, analyser la chose. Quand je bossais avec Boisramé en 2019, j’étais allé sur 5 GP. Je faisais le racing service, et je redéveloppais les settings quand il le fallait. En Angleterre, je lui avais refait le setting de l’amortisseur par rapport à ce que j’avais vu de Lacapelle. C’était trop souple, je devais durcir, mais dans quelles proportions ? Tu n’as pas 5 heures pour trouver le bon compromis, donc tu fais ce qui te semble être le plus juste, et c’est à ce moment précis que l’expérience prend tous son sens.
La configuration des pistes joue aussi. Fin 2024, sur une épreuve SMX, Jett Lawrence a dit qu’il avait vécu l’enfer avec sa moto tout le week-end, qu’il roulait sur un marteau-piqueur. Les mecs ont fait du testing en SX, ils ont décidé de partir avec ces réglages pour finalement se pointer sur une épreuve plus roulant MX que SX. Sauf que dans ce format, si tu pars sur les réglages MX, tu seras trop souple. Il faut faire un entre-deux, tu ne peux pas tout reprendre de A à Z. En tant que technicien, c’est de ta responsabilité d’apporter des solutions, tu te retrouves sous pression.
Le pilote te dit qu’il ressent un truc, et finalement, ce n’est pas exactement ce qu’il ressent, il galère à t’expliquer ce qui ne va pas, et tu dois te débrouiller avec ça.
Les gars en GP roulent souvent sur les mêmes terrains, saison après saison. On pourrait penser qu’un terrain = un jeu de suspension ou un setting particulier, et qu’ils réutilisent le même à chaque fois ?
Aujourd’hui, quasiment tous les tests qu’ils font se passent dans le sable de Lommel, ensuite ils testent sur la terre. C’est simple. De là, ils durcissent ou assouplissent un peu les réglages. Sur certaines pistes un peu plus spécifiques, c’est là que ça peut coincer. Je me souviens d’une course après le Covid-19, à Lacapelle. Ludovic Bottazzini – qui s’occupe des suspensions chez Yamaha – me disait que ça n’allait pas du tout, parce que les 450 avaient des problèmes de suspensions. Le terrain, c’était quasiment de l’enduro à certains endroits, et Seewer a tendance a rouler vraiment béton. Il cognait de partout, il n’avait aucun feeling. Quand tu n’as pas de feeling et que tout le monde va vite, toi, tu vas moins vite.
Est-ce que ça t’est arrivé, d’avoir le sentiment qu’un pilote utilisait un peu l’excuse de mauvaises suspensions pour blâmer le technicien, alors que le mec était simplement dans un mauvais jour ?
Oui et non. C’est ce qu’on retrouve plus à des petits niveaux de compétition qu’à des hauts niveaux. Après, j’ai toujours fait ce qu’il fallait – j’espère en tout cas – pour que ça fonctionne au mieux. Quand le pilote est dans un mauvais jour, tu as beau faire tout ce que tu peux, il sera dans un mauvais jour. Si tu es à côté de la plaque, tu essaies de rectifier. J’ai toujours – je pense – été assez estimé quand même. Même si j’ai le sentiment que tu es plus estimé en travaillant avec des étrangers, qu’avec des français. C’est fou. Le Français, il est du genre râleur. S’il peut éviter de te payer, il le fera [rires]. Les autres, non. Tu fais du bon boulot, ils t’estiment. J’ai bossé avec des Allemands, des Belges, des Suisses, des Américains, c’est une mentalité différente.
Est-ce qu’il y a une course qui t’a marqué, en tant que préparateur de suspensions ?
Oui. C’était en 2015 ou 2016 avec Valentin Teillet quand il était chez Honda SR et qu’il jouait le titre sur l’Elite MX1. On avait monté un set de Showa Factory sur sa moto, ça fonctionnait au top. La moto, c’était un rail, un truc de fou. Un jour, une poignée de motos ont été volées à Thomer la Sôgne, dont celle de Valentin ; c’était juste avant une course de l’Elite. Je lui avais refait un jeu de suspensions en urgence, le même kit, exactement le même, Valentin avait récupéré ses suspensions à temps. Avec ce nouveau jeu de suspensions, Valentin n’a jamais réussi à avoir le même feeling, on n’a jamais réussi à avoir le même comportement. Pourtant, tout était pareil, je n’ai jamais su pourquoi. Le premier jeu était béni des dieux. C’est une histoire qui m’a marqué, c’était le karma, inexplicable.
Le pilote le plus pointilleux avec lequel tu as travaillé, ce serait qui ?
Oh, il y en a eu quelques uns … Je dirais que c’était – encore une fois – Mickael Pichon, il est exigeant, mais avec son fils Zach dans les années 2014-2015 quand il sortait du Cadet, et qu’il roulait en 125. On développait beaucoup. On y a passé beaucoup de temps. Il fallait beaucoup peaufiner. Plus récemment, ce serait Emerick Vergotte. Quand il est passé en 85cc, j’ai passé pas mal de temps sur les Öhlins car le père était très pointilleux aussi. Une fois que ça lui convient, ça va, mais il faut que ça lui convienne dans un premier temps, et il faut y passer pas mal de temps. En fait, il ne faut jamais aller dans les extrêmes. Si tu lui fais un setting et que tu roules fermé à fond sur la compression, aussi bien sur la fourche que l’amortisseur, tu te dis que c’est trop souple. Il te faut donc refaire un setting, et trouver le juste équilibre pour rester dans une plage correcte dans le milieu des réglages. Le but est de trouver un juste milieu ; la position des vis de réglage est un bon indicateur de ce côté-là.
Y a-t-il déjà un pilote avec qui tu as refusé de travailler ?
Oui, en Enduro. Je l’avais comme client depuis des années, je lui filais un coup de main, je lui faisais des tarifs. Un jour, sur une épreuve, un joint spi a merdé sur la fourche. La lèvre extérieure s’est coupée, s’est retournée et est rentrée dedans. Le gamin, au lieu de m’appeler pour me prévenir, il a fait un post sur les réseaux sociaux pour me descendre puisqu’un autre mec les avait dépannés sur place. Imagine, ça faisait 10 ans que je travaillais avec lui.
Un peu plus tard, son père m’a appelé pour me dire qu’ils allaient passer chez un autre préparateur en fin de saison. Okay, pas de problèmes. Il se passe deux ans, et entre-temps, j’ai fait les suspensions d’un jeune qui roulait en Enduro. On avait développé un kit Kayaba Factory sur sa 125 Fantic, et ça fonctionnait bien. Lors d’un stage de l’équipe de France, le pilote en question a testé la moto de ce pilote et, bingo, le gamin n’en revenait pas. C’était un canapé, il ne sentait plus les trous … De là, le père m’a rappelé pour savoir si je pouvais lui faire des suspensions parce que ce n’était pas le top avec l’autre préparateur.
Je réponds que je ne sais pas, que je suis blindé de boulot, que ça va vraiment être compliqué. Il me dit qu’il faudrait que ce soit fait rapidement, car il partait à l’Europe. Dommage, mais je n’allais pas prolonger mes soirées, même pour de l’argent. J’aurais pu lui prendre 1.000€, mais l’honneur et le respect ont plus de valeur que l’argent. Il m’a appelé 10 ou 15 fois les jours suivants. J’ai fini par lui dire que je n’avais pas le temps. Il m’a dit que ses gamins allaient être déçus. Je lui ai répondu qu’ils ne seraient jamais aussi déçus que moi, le jour où il avait mis le post sur les réseaux sociaux à cause d’un pauvre joint spi. De là, il dit à tout le monde que Goby les avait foutus dehors [rires].

L’équipe Goby Racing vous donnez rendez-vous sur son site internet, ou à l’atelier, au 11 Rue de la Richelande, à Saint-Galmier ( 42330)
