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Steven Frossard “En Grand Prix, la balance s’est complètement retournée”


Autrefois sous le feu des projecteurs en mondial, Steven Frossard travaille désormais dans l’ombre. Coach de jeunes pilotes prometteurs – et notamment de Maxime Grau, August Frisk ou encore Tim Edberg – l’ex vainqueur de grands prix (et vice-champion du monde MX1 en 2011) écume toujours les paddocks et transmet son expérience à la plus jeune génération. On s’est entretenu avec Steven en Espagne afin d’en savoir un peu plus sur son rôle auprès des pilotes, sur son travail avec Maxime Grau, mais aussi savoir ce qu’il pense de l’évolution des grands prix depuis qu’il a raccroché le casque, fin 2015. Micro.

Steven, donne nous de tes nouvelles. Tu n’es pas le plus actif sur les réseaux et certains ne sont peut-être pas au courant de ce que tu fais ces derniers temps. Parle nous de ton activité de coaching. Avec qui travailles-tu, ces temps ci ?

C’est vrai que je suis quelqu’un qui reste très discret, on va dire que je suis un peu l’homme de l’ombre. J’essaye d’aider un maximum de pilotes. J’ai entraîné Quentin Prugnières pendant près d’un an et demi, j’ai mis un peu en stand-by le côté sportif de haut niveau. J’ai eu Marc-Antoine Rossi qui est également venu quelques mois à la maison, avant qu’il ne se blesse. C’est dommage car on n’a pas pu finir la saison ensemble. Ensuite, j’ai enchaîné sur Maxime Grau, qui habite chez moi. J’ai d’autres pilotes, mais ils viennent principalement l’hiver chez moi, du côté de Lyon. C’est pas mal pour s’entraîner car il fait meilleur que dans le nord. J’entraîne pas mal de jeunes. J’avais aussi August Frisk qui faisait des tops 5 sur l’Europe 125, il avait énormément progressé, mais il s’est gravement blessé lors du mondial Junior; il est toujours chez moi et il reprend du poil de la bête. J’ai hâte qu’il reprenne car c’est un jeune qui part de loin mais qui – selon moi – peut vraiment faire quelque chose dans la moto. Voilà, c’est mon métier; j’encadre surtout des jeunes.

Tu bosses toujours avec Tim Edberg ?

Oui, le problème c’est que Tim a pris des décisions qui n’étaient pas forcément les meilleures. Il prend des décisions un peu trop rapidement et il a loupé des opportunités qui auraient pu changer sa carrière. Il est plus en train de se demander s’il va arrêter de rouler pour aller travailler; c’est quand même dommage car on était en Sardaigne cet hiver et il a montré qu’il savait encore faire de la moto et surtout dans le sable. Moi, je ne suis pas Jesus non plus, je ne peux pas faire de miracles. Si je peux aider, j’aide.

On s’attend au retour de Tim Edberg d’ici peu. Le pilote Suédois aurait signé un contrat avec JM Honda Racing pour remplacer Brent Van Doninck en MXGP @KadestamsPhoto

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Certains coachs travaillent pour des teams; ce n’est pas ton cas visiblement. Ça te botterait, où tu préfères rester libre ?

Ça me botterait, oui et non. J’ai déjà eu des opportunités dans ce sens là, que je n’ai pas saisies. Comme beaucoup d’autres, j’ai déjà pas mal voyagé dans ma carrière. Le problème, c’est que beaucoup de teams sont aussi basés en Belgique ou en Hollande. C’est devenu compliqué de vivre là -bas. Déjà en étant pilote c’était dur, alors je ne me vois pas habiter là-haut aujourd’hui. Là, ça commence à bouger pas mal du côté de l’Espagne, c’est quand même un peu plus sympa. Je cherche surtout l’envie, et je ne veux pas que ça devienne une contrainte pour moi d’aller à la moto. Alors oui, ça me botterait probablement, mais je ne le fais pas parce que j’aime bien être libre aussi. Là, je fais un peu ce que je veux.

Le souci que j’ai aujourd’hui, c’est que j’ai eu des pilotes comme Quentin ou Marc-Antoine qui sont de jeunes espoirs pour moi – comme Maxime aujourd’hui – mais ils partent dans des teams usines et c’est toujours compliqué de les garder avec toi. Ceci dit, je ne suis pas du genre à garder les pilotes à tout prix pour faire du résultat. Ce que je veux, c’est qu’ils y arrivent. À l’époque, j’avais discuté avec les parents de Marc-Antoine Rossi, je leur avais dit qu’aller chez VRT KTM était la meilleure opportunité, malgré le fait que j’étais déçu de ne pas pouvoir continuer à travailler avec lui. C’était l’opportunité pour lui d’évoluer dans le bon sens, ça a fait ses preuves et il a réussi à être dans un team usine; il le mérite largement.

Moi, j’ai fait mon boulot, et c’est le but du jeu: que les jeunes qui passent chez moi y arrivent. C’est sûr que c’est toujours un peu frustrant pour moi, car certains sont plus mis en avant que moi, alors que le plus gros du boulot est fait beaucoup plus en amont que ce que pensent la plupart des gens.

Qu’est-ce qui différencie, selon toi, un bon coach d’un mauvais coach ?

Je pense qu’un bon coach ne fait pas en fonction de lui-même, mais en fonction de ce que le pilote est capable de faire. J’ai été pilote, je ne reproduis pas ce que j’ai fait. J’ai commis des erreurs pendant ma carrière, et je fais en sorte qu’elles ne soient pas reproduites. Je cherche aussi à faire ressortir mes points forts et le positif, j’en avais sinon je n’aurais jamais fait ce que j’ai fait. J’avais aussi de gros points négatifs, et j’essaye de faire en sorte qu’ils ne fassent pas ces mêmes erreurs.

Après, c’est aussi forcément savoir être à l’écoute, savoir pousser au bon moment, guider dans la bonne direction. Comme je l’ai dit, être un bon coach, c’est aussi ne pas bloquer un pilote en cherchant absolument à le garder quand ils ont besoin d’évoluer dans d’autres structures. Certains veulent briller, ils savent qu’ils ont de bons pilotes entre les mains à un moment donné et ils font tout pour les garder. Moi, ce n’est pas du tout le cas, il faut travailler dans le bon sens et prendre les bonnes décisions pour qu’ils puissent toujours évoluer positivement.

Désormais chez VHR GasGas, Maxime Grau est coaché par Steven Frossard. Le pilote Français a affiché un gros rythme en première manche en revenant depuis les dernières places. Il sera devant en seconde manche, avant de rencontrer un pépin mécanique.

Est-ce que le travail avec Maxime Grau consiste principalement à le canaliser sur la moto ?

Non, c’est bien le contraire en fait. Beaucoup de gens peuvent penser que les erreurs de Maxime sont dues à de la précipitation, car même moi je le pensais au début. Mais j’ai compris d’où venait le problème. Aujourd’hui, on essaye de travailler dessus. En fait, c’est plutôt le contraire. C’est toujours facile à dire mais à l’entraînement, Maxime est toujours impressionnant. La difficulté, c’est qu’il ne reproduit pas ce qu’il fait à l’entraînement lors des courses. Canaliser Maxime ? Non. Aux chronos, il arrive à s’approcher de ce qu’il est capable de faire à l’entraînement, mais il en est encore loin en course, très clairement. Il faut travailler sur son endurance. Il a un problème de stabilité sur les manches, un problème quand il faut aligner les tours en étant régulier. Il est capable d’aller très vite, mais pas encore capable d’aller très vite longtemps. C’est surtout sur ça qu’on travaille beaucoup.

Qu’est-ce que tu penses de l’évolution des grands prix depuis que tu as mis un terme à ta carrière ?

Il y a du bon et du moins bon. Ce qui est vraiment regrettable, c’est qu’il n’y a plus personne en 450. Attention quand je dis ça, il y a un gros niveau et surtout devant. Le problème est surtout financier, les premiers gagnent énormément d’argent et ceux de derrière payent. En Grand Prix, la balance s’est complètement retournée. Avant, on va dire qu’on gagnait un petit peu d’argent quand on arrivait sur les grands prix. Les mecs qui roulaient dans les 20/25 gagnaient un peu d’argent et aujourd’hui ils payent; c’est le gros souci.

Aujourd’hui, c’est aussi compliqué au niveau des budgets. La vie de tous les jours est de plus en plus chère, tout a augmenté, il y a moins d’argent. Dans ce sport, on a de la chance d’avoir de gros patrons de sociétés qui sont passionnés par la moto et qui, grâce à ça, font vivre le motocross.

Ce qui a aussi évolué, de ce que je vois, ce sont les salaires des mécaniciens. Les salaires ont augmenté dans les équipes factory. Avant, les mécanos montaient la structure de course, préparaient le camion. Maintenant, ils arrivent en avion et la structure est déjà montée; ça a quand même bien changé. Ça s’est plus professionnalisé qu’avant, grâce à l’argent, car l’argent est forcément la vitrine qui permet à ces équipes de se mettre en avant.

Chez Triumph, on débarque avec une structure XXL sur le mondial @Niek Kamper

On parle beaucoup de l’Elite ces derniers temps, et notamment du nombre de pilotes en MX1. Est-ce qu’on se dit qu’il est temps de faire quelque chose en France ?

Je ne suis pas rentré dans les détails, mais je pense que le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de primes joue. Il y a aussi le prix des engagements. Le mec qui doit payer un engagement à 120€ ou 140€ pour faire 15ème ou 20ème n’a plus forcément envie d’aller sur l’Elite. C’est plus compliqué de trouver des pilotes et encore une fois, tout coûte plus cher et les mecs se déplacent moins. Je pense qu’on pourrait aussi instaurer une limite d’âge en 250 pour faire monter quelques pilotes en 450. En 250, il y a quelques pilotes qui sont presque retraités. Là encore attention: ce n’est pas une critique, c’est simplement pour aider la catégorie 450.

La règle des US est très bien, pourtant il n’y a pas de limite d’âge. Ça fonctionne très bien. En France, je mettrais une limite d’âge pour pousser un peu plus des pilotes vers le 450. Moi, je ne dis pas ça parce qu’un Boisramé à gagné à Basly, au contraire, je trouve que c’est une bonne chose que certains mecs viennent mettre du gaz et bottent le cul des jeunes. Ça leur permet de voir quand ils ne sont pas au niveau, et c’est l’un des points positifs. Ce constat est plus pour aider la catégorie 450. C’est vraiment dommage de voir ça, des grilles à 15 ou 16. Après, quand tu prends les GP, on voit parfois que les grilles sont maigres mais la finalité, c’est qu’on regarde les cinq premiers à la TV. Une fois que la course est lancée, on ne voit plus qu’ils ne sont que 15. C’est comme en MotoGP, ils ne sont pas 50 sur un départ.

Steven Frossard “En Grand Prix, la balance s’est complètement retournée”
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