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Wim Van Hoof « la fermeture du team n’était pas vraiment dans nos plans »


Le succès des pilotes repose bien souvent sur le travail d’une poignée d’hommes de l’ombre. Wim Van Hoof fait partie de ceux dont l’influence, bien que discrète, n’en est pas moins essentielle. Au fil des années, le technicien Belge s’est imposé comme l’un des spécialistes les plus respectés du paddock. Son parcours, Wim Van Hoof l’a débuté dans l’atelier familial en Belgique et, bien des années plus tard, le voilà au sein de l’une des structures les plus prestigieuses du championnat AMA. Après avoir fait ses débuts chez Diga KTM en 2012, Wim Van Hoof a rapidement trouvé sa place sur le circuit mondial, avant de devenir un pilier de la réussite du team Standing Construct de Tim Mathys, qui a largement contribué à façonner son avenir professionnel. Désormais intégré au team HRC Honda aux États-Unis, où il travaille en étroite collaboration avec Jett et Hunter Lawrence, Wim van Hoof revient sur son parcours au sein de l’industrie avec notre confrère Andy McKinstry.

Wim, pour commencer, qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le milieu du Motocross ?

En fait, André Vromans était un ami d’enfance de mon père – et ils sont toujours très proches. André roulait sur le championnat du monde à l’époque, il est même devenu vice-champion du monde [500cc – 1982]. Donc, quand j’étais enfant, on est allés à beaucoup de Grands Prix, et pour moi, c’était déjà quelque chose de très spécial. Quand j’ai grandi et qu’on m’a autorisé à me balader tout seul dans le paddock, je me souviens que j’allais toujours voir le team Factory Suzuki de Sylvain Geboers pour les observer travailler.

J’ai fait toute ma vie dans le milieu du sport motorisé. Ma famille était déjà fan de course automobile et de Motocross avant même que je ne sois né. J’ai grandi dans l’atelier de réparation de mon père, et j’ai commencé à rouler tout seul dans des compétitions amateurs. Après quelques années, j’ai compris que je préférais travailler sur les motos plutôt que rouler. Un ami à moi était proche du propriétaire du team Diga KTM à l’époque, et il m’a présenté à lui. C’était un nouveau monde qui s’ouvrait à moi.

Après ton passage chez Diga, tu as travaillé au sein du team Standing Construct avec Tim Mathys, et tu y es resté jusqu’à la fermeture de l’équipe.

Oui. On était à Fermo, en Italie, pendant la saison 2012, et Tim Mathys était là. Il m’a rapidement repéré. Après quelques épreuves, il m’a fait une proposition pour le rejoindre. On est devenus de bons amis à partir de là, et on est toujours de bons amis. On s’est assurés de vraiment mettre l’accent sur la qualité du team Standing Construct. On a vraiment passé des moments formidables ensemble. Tim est très bon dans les affaires, et c’est une personne qui sait ce qu’elle veut. C’est aussi pourquoi sa société – Standing Construct – a pris autant d’ampleur alors qu’il l’avait démarrée seul, de zéro. Sa société est très importante pour lui, il bosse 24 heures sur 24 ! Le Motocross, c’est une grande passion pour lui, et c’est pourquoi il a débuté son team à l’époque.

Mais Tim était toujours pris par son entreprise, et il cherchait quelqu’un en qui il pouvait avoir confiance pour l’aider au maximum avec la structure. C’est l’une des personnes qui a été la plus importante dans ma carrière. Il savait ce dont j’étais capable, il m’a donné ma chance de le démontrer, et de me développer. À l’époque, on avait 5 mécaniciens – 2 de course, 2 d’entraînement et moi – pour deux pilotes. C’était l’un des points forts de Tim. Gérer moins de personnes, c’est moins de stress, mais il faut pouvoir payer tout le monde convenablement. Aujourd’hui, on voit de nombreux teams avec beaucoup de membres, et c’est vraiment le chaos. Quand j’apprends ce qu’ils sont payés, je me dis que c’est mieux de rester sur son canapé à la maison. Parfois, ils feraient mieux d’échanger deux membres de leur staff contre un mec capable, et ça se passerait beaucoup mieux.

Le team Standing Construct a fermé ses portes fin 2024. Ça a dû être une grosse déception pour toi.

Oui, et la décision a été prise assez tard parce que la fermeture du team n’était pas vraiment dans nos plans. Tim est une personne très correcte, mais malheureusement, tout le monde ne l’a pas été avec lui. En tant que team privé, il faut vraiment beaucoup d’argent pour faire une saison complète en mondial, plus que nécessaire… Certaines personnes ont fait des promesses à Tim, mais ne les ont pas tenues après des années de collaboration. Tim aurait pu continuer pendant encore de nombreuses années, mais trop de personnes ont pensé qu’il avait assez d’argent et qu’elles pouvaient continuer à profiter de lui. Au bout d’un moment, tu te rends compte que l’argent pour lequel tu travailles si dur ne doit pas partir au profit de gens qui ne sont pas corrects avec toi. Évidemment, j’étais très déçu, comme tout le monde, et comme Tim l’était. Mais il a pris la bonne décision, j’aurais pris la même.

Wim Van Hoof & Tim Mathys ont fait des merveilles avec le team Standing Construct, qui a depuis fermé ses portes @Bavo

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À quel moment as-tu décidé de délaisser ton job de mécanicien pour t’occuper de la partie développement moteur ?

Depuis tout petit, j’ai toujours été très intéressé par le fonctionnement des moteurs. Un jour, mon père a échangé un moteur de Suzuki contre trois Honda Amigo. Sur les trois, il n’y avait qu’une mobylette qui démarrait. J’avais 10 ans à l’époque, et mon père m’a dit que j’aurais le droit de les utiliser à partir du moment où les trois étaient en état de rouler. Ça m’a pris du temps, mais j’ai réussi. Un peu plus tard, j’ai fait ma première modification de moteur sur une 50cc Amigo. En grandissant, j’ai préparé de plus en plus de moteurs pour des pilotes belges, puis plus tard, pour des pilotes dans toute l’Europe. Avant même de travailler sur les Grands Prix, j’en connaissais déjà un rayon niveau moteur.

Quels ont été les plus gros challenges pour toi, lors de cette transition ?

Passer de mécanicien de Grand Prix à préparateur moteur et cartographie, ce sont des responsabilités différentes. Tu es vraiment nerveux au début, lors des premiers tours des essais libres… mais tu t’y fais par la suite. Si tu sais ce que tu fais, que tu réfléchis avec une certaine logique et que tu gardes la mainmise sur les mesures, tu t’en sortiras. C’est un sport mécanique et, comme dans tout sport mécanique, tout peut arriver.

Tu as travaillé pour de nombreux teams et pilotes au fil des ans. Est-ce qu’il y a des moments qui ont été plus marquants que les autres ?

Dans le sport, tu te retrouveras toujours confronté à des gens qui t’apprécient, et d’autres qui feront leur maximum pour aller à ton encontre. Ça a toujours été comme ça, et ce sera toujours comme ça. Très jeune, j’ai appris à gérer ça, et à me concentrer sur mon travail plus que sur les personnes. Pour moi, peu importe que je travaille pour un excellent pilote ou un pilote très connu, car je fais mon maximum pour tout le monde.

Évidemment, Tim Mathys est une personne qui a été très importante dans ma carrière. Il m’a donné l’opportunité de faire mes preuves. Je suis aussi très reconnaissant envers ma famille qui me soutient dans ce que je fais, car je suis très souvent absent de la maison, et je travaille quand même beaucoup quand je suis chez moi. Je vais m’aventurer et dire que j’ai la meilleure des femmes ! Elle me pousse même à aller dans ce sens, car elle sait que c’est ma passion. Elle travaille aussi très dur pour sa propre entreprise, alors ça colle bien de ce côté-là.

Win Van Hoof a traversé l’Atlantique pour travailler au sein du team Honda HRC USA cette année @Honda Racing

Bien s’entendre avec les pilotes avec lesquels tu travaille, c’est important ?

En fait, ce qui est important, c’est surtout de ne pas être trop proche du pilote. Il faut construire une relation de confiance, positive, on doit travailler en équipe, mais il ne faut pas devenir trop proche. Il faut garder en tête que c’est un travail – pour moi comme pour le pilote. Il est vraiment important de comprendre, et d’apprendre à connaître le pilote de manière professionnelle, afin de préparer une moto qui sera la plus adaptée à ses besoins. Quand un pilote monte sur sa moto et se dit que c’est SA moto, les résultats suivent d’eux-même. Après, chaque pilote est différent : certains peuvent dire exactement ce qu’ils veulent. Pour d’autres, il faut un peu deviner.

Comment l’opportunité de travailler au USA s’est elle présentée, finalement ?

Début 2023, j’ai reçu un message de Darren Lawrence [père de Jett & Hunter] pour savoir si j’étais intéressé de travailler avec eux aux USA, car ils cherchaient quelqu’un comme moi. À ce moment-là, j’étais encore avec l’équipe Standing Construct, et j’ai dit à Darren « un jour peut-être », mais tant que l’équipe continuait, je resterais avec Tim. Je lui avait donné ma parole, et une parole donnée est une parole à tenir – même si ce n’est pas le cas pour tout le monde… Mais Tim est pareil : s’il promet quelque chose, il le fait — et même plus. Quand il est devenu évident que Standing Construct allait fermer, Darren a transmis mes coordonnées à Lars Lindstrom de chez Honda HRC. Ensuite, il y a eu beaucoup d’échanges par mail et messages. Aller aux USA, ça n’a jamais été l’un de mes grands rêves, mais aujourd’hui, je suis vraiment heureux d’avoir fait ce choix.

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C’est comment de travailler avec Jett & Hunter Lawrence ?

Je connais Jett & Hunter depuis leur passage chez Suzuki en Europe, à l’époque. En 2017, je travaillais pour l’équipe usine Suzuki. Hunter, Jett & Darren formaient déjà un trio très professionnel. Je me souviens que Darren venait souvent me voir pendant que je vérifiais les données après les courses, et me demandait « Que peut-on faire pour améliorer les départs d’Hunter ? » Et c’est ça que j’aime : ils veulent toujours s’améliorer, et apprendre. On a trouvé des petites choses et, en fin de saison, ses départs étaient meilleurs. Hunter a même signé un holeshot avec sa Suzuki au Motocross des Nations face à Zach Osborne qui avait une Husqvarna d’usine. Mais les Lawrence ne travaillent pas seulement sur la moto, ils travaillent aussi beaucoup sur eux-mêmes. La moto doit être performante, certes, mais ils bossent beaucoup sur leur technique. Ils savent ce qu’ils veulent, ce qui est crucial, et une fois la moto bien réglée, ils montrent à tous de quoi ils sont capables. Ils sont très talentueux, et sont aussi capables d’exprimer clairement ce qu’ils attendent du moteur, et de leur moto en général.

Tu as travaillé avec beaucoup de pilotes de haut niveau, mais travailler avec Jett, ça doit être spécial pour toi. C’est un phénomène. En dehors de la moto, ils sont comment, les Lawrence ?

C’est une famille vraiment sympathique. Ils savent ce qu’ils veulent, ils sont très intelligents. Ils ne tournent pas autour du pot, ils disent les choses franchement. Certaines personnes peuvent avoir du mal avec ça, d’autres non. Ça reste un travail, et un travail n’est pas toujours fun — il faut être sérieux aussi. Bien sûr, on passe toujours un bon moment après une victoire, et avec Jett et Hunter, on sait que les résultats seront là. Mais j’aime aussi les journées de testing, pour essayer de trouver des solutions aux remarques qu’ils font, à leurs demandes. Encore une fois, on n’est pas là pour être super proches, on reste concentrés sur le boulot. C’est bien de s’amuser quand c’est possible, mais aussi d’être sérieux et professionnel quand il le faut. C’est ce qu’ils sont en mesure de faire, ils sont très complets.

En quoi le développement des moteurs diffère-t-il entre le mondial MXGP et le championnat AMA ?

Il y a effectivement des différences. Les moteurs doivent être préparés différemment par rapport aux GP. On le voit très clairement dans les données qu’on récupère, surtout en 250. Mais un moteur reste un moteur : vilebrequin, bielle, piston… Les différences ne sont pas énormes, c’est juste le contexte et le style de pilotage qui changent. Le Supercross, c’est encore nouveau pour moi. De ce que j’ai vu, il y a quelques différences, notamment au niveau des rapports de boîte et des suspensions. Pour le reste, ce n’est pas bien différent.

Le dernier succès en championnat du monde décroché par Standing Construct, en 2024, avec Pauls Jonass à Agueda @Full Spectrum

En quoi la différence de format sur un jour aux USA impacte ta façon de travailler, par rapport à l’Europe ?

Aux USA, c’est très intense car tout est condensé sur une journée. Mon premier Supercross, c’était la folie. Les séances sont courtes, tout s’enchaîne très rapidement. Il faut s’habituer à ce type de format. Même sur l’outdoor, tout se déroule sur une journée. On arrive sur le tracé le vendredi matin, et le samedi soir on est déjà sur la route du retour. C’est bien mieux qu’en Grand Prix.

Je passe mon dimanche à regarder les GP quand je le peux. Ici, ils ne roulent que le samedi. Ils font deux séances chronos avec des tests de départ entre les deux — depuis la grille, c’est bien plus logique qu’en GP d’ailleurs. Le tour de reconnaissance part aussi depuis la grille, puis ils reviennent se placer directement dessus pour le départ. Un seul mécanicien est autorisé, et ils ne changent pas de roue arrière après leur tour de reconnaissance. Tout est plus simple, plus clair, plus logique… Il n’y a pas de blabla, ils sont là pour rouler. Les pistes sont belles, très larges, c’est aussi plus intéressant à regarder. On n’est pas sur des champs bricolés pour gagner de l’argent. Les pilotes sont payés à hauteur de ce qu’ils méritent. C’est normal. Quand tu travailles, tu dois être payé.

À quoi ressemble une semaine type, désormais ? Ça se passe plutôt sur le terrain à faire du testing, à l’atelier ?

On fait des journées de testing sur les terrains, qui sont très utiles pour récolter des données et avoir des retours des pilotes. Ensuite, on organise des réunions pour déterminer les priorités et les axes de travail. De là, on se met au boulot. Pour l’instant, j’ai passé pas mal de temps sur le banc moteur.

Tu suis toujours le mondial ? Est-ce que tu te verrais revenir en mondial MXGP un jour, si Tim Mathys revient avec sa structure par exemple ?

J’essaie de suivre le mondial, bien sûr. Mais avec le décalage horaire, ce n’est pas toujours possible de regarder les courses en direct. Parfois, on est sur la route, de retour d’une course. Quand je peux, je regarde en direct. Sinon, je jette un œil sur les résultats, ou je regarde le replay. Concernant un retour en GP… il ne faut jamais dire jamais. Mais pour l’instant, je suis vraiment bien aux USA. Je suis toujours en contact avec Tim Mathys, il me demande souvent des informations sur le déroulement des courses ici. Surtout qu’il y a Valentin Guillod qui roule ici désormais. On a de très bons souvenirs avec lui chez Standing Construct. Tim viendra peut-être assister à quelques courses ici, s’il trouve le temps. Je n’en suis pas sûr à 100 %, mais je suis presque certain qu’il ne reviendra jamais sur le mondial MXGP.

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