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Jacky Martens « Moi, je veux résoudre les problèmes, aider, trouver des solutions »

Image: Ray Archer

Figure emblématique du Motocross, Jacky Martens a marqué l’histoire du sport, d’abord en tant que pilote avec un titre de champion du monde 500cc (1993), puis en tant que team manager à la tête de structures reconnues et éprouvées. Aujourd’hui à la tête de JM Honda Racing, le Belge continue de vivre sa passion tout en transmettant son expérience et ses connaissances aux générations futures. Le boss de Brent Van Doninck, David Braceras et Noel Zanocz nous a accordé un entretien à Lugo. Micro.

Jacky. Pour commencer, quel bilan fait-on de cette première moitié de saison ? Noel Zanocz est un rookie en EMX250 et monte sur les podiums. David Braceras peut viser le top 10 en MX2. Ça a été un peu plus compliqué avec Brent, et la nouvelle blessure.

Ça se passe très bien avec Noel, il doit s’adapter à la 250 4 temps comme tout pilote qui vient du 125cc. À l’heure actuelle, il progresse petit à petit. Il a un peu de mal à sortir aux départs. Au moins, il a signé un holeshot en première manche à Lugo, mais elle a été redémarrée après le drapeau rouge. De là, il est parti second. Tout se passe comme prévu avec lui, et on envisage déjà quelque chose sur le plus long terme.

Concernant David, ça se passe plutôt bien. L’an dernier, il a beaucoup abandonné et il n’a pas passé beaucoup d’heures sur la moto en fait. Cette année, il est avec nous, et il se débrouille bien. Il navigue autour du top 10, c’est plutôt bon signe. Il a signé une manche 4e en Argentine mais le niveau en MX2 est très relevé, tu peux être 12ème une manche et 8ème de l’autre sans n’avoir rien changé. C’est un challenge. Lors des essais (de Lugo), il a chuté vraiment fort et un bout de son levier s’est enfoncé dans son bras; il n’a pas pu prendre part à la manche qualificative mais il a roulé le dimanche. Il termine 18ème du GP mais au moins, il a roulé, c’est le plus important. Il est dans le bon état d’esprit.

Brent, ça fait 3 ans qu’il roule pour nous. La première année, il s’est fracturé la hanche. L’an dernier, le fémur et il s’est encore blessé au fémur en début d’année. Il a bien roulé en première manche ce week-end en terminant 9ème. Dans ce type de conditions, il te faut des jambes. Revenir de sa blessure et de retrouver directement le top 10, c’est vraiment positif. J’espère qu’on va pouvoir continuer dans cette direction, mais pour l’heure, je suis satisfait.

On n’est pas un team usine, mais on veut tout de même avoir les meilleurs pilotes possibles, pour pouvoir les aider à progresser et à rouler devant. Les teams usine, ce sont les teams usines. Nous, on est un team satellite; on fait de notre mieux pour avoir la meilleure moto possible avec notre budget pour que les pilotes puissent avoir le meilleur matériel possible et décrocher du résultat. On y arrive avec Brent, David et Noel. On se bat avec les teams officiels, donc c’est une bonne chose.

Brent Van Doninck retrouve le top 10 à Lugo @DailyMotocross

Vous avez été à la tête d’équipes factory. Est-ce que l’écart entre les teams factory et les teams privés / satellites augmentent graduellement, année après année ?

En fait, la plus grosse différence, c’est que les teams factory ont le budget pour se payer les meilleurs pilotes. C’est déjà un gros avantage pour eux; c’est comme ça que ça fonctionne. Moi, je prends beaucoup de plaisir avec ma structure et mes pilotes; on a une bonne équipe et l’une des meilleures motos. Nos motos fonctionnent bien, et on décroche les résultats qu’on cherche. Je prends toujours autant de plaisir jour après jour, c’est le plus important pour moi.

Quel est le plus gros défi auquel vous faites face en tant que propriétaire d’équipe, aujourd’hui ?

Disons que j’aimerais pouvoir être – de nouveau – un team soutenu par une usine, comme par le passé. Mais pour l’instant, il n’y a pas d’opportunité. Si on pouvait avoir un soutien supplémentaire, ça nous permettrait de signer un très bon pilote et ce serait un pas en avant pour notre équipe.

Tout devient de plus en plus cher ces derniers temps. Heureusement, on a des sponsors loyaux qui nous aident depuis toutes ces années, +/- 80 sponsors. Ils nous apportent un budget et avec ce budget, on est en mesure de faire fonctionner le team. Quand on commence directement avec un très bon pilote, c’est tout de suite plus simple.

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Triumph doit arriver avec une 450 l’an prochain, Ducati a ouvert deux guidons cette année. Plus de guidons d’usine, plus d’opportunités pour les pilotes. En tant qu’équipe satellite, ça veut probablement aussi dire plus de difficultés pour vous quand vient l’heure de signer des pilotes ?

C’est vrai, et c’est ce qui rend notre job en tant qu’équipe satellite un peu plus compliqué. Il y a aussi de moins en moins de pilotes qui arrivent. C’est devenu trop cher de faire du Motocross. Pour les jeunes et les amateurs, c’est devenu plus difficile de se développer aussi, de se faire une place. Le niveau atteint un plateau et chaque année, on perd quelques pilotes. Pour autant, on y croit toujours.

Si on regarde, de nombreux pilotes qui sont dans le top 10 du mondial sont – un jour – passé par chez moi: Coldenhoff, Jonass, Febvre, etc … J’entretiens toujours de bonnes relations avec eux, et on se respecte mutuellement.

Le team JM Honda Racing souffle sa 6ème bougie cette année. Au sein de ses effectifs: Noel Zanocz (EMX250), David Braceras (MX2) et Brent Van Doninck (MXGP) @JM Honda

Le but c’est d’avoir le meilleur pilote possible, mais un pilote non-factory qui roule devant à de grandes chances de se faire recruter par un team factory et de là, c’est retour à la case départ. C’est sans fin, finalement ?

C’est le jeu. Ça fait 37 ans que je gère une équipe, et ça arrive chaque année. On avait aussi Camden McLellan en 2023, puis il a reçu une offre de la part de Triumph et il est parti. On s’est quitté en bons termes. On a mis fin à son contrat pour qu’il puisse partir faire autre chose. C’était pareil avec Romain Febvre à l’époque. Il n’y a pas d’animosité de ce côté-là.

Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de la catégorie E-MXGP qu’on attend à l’horizon 2026, compte tenu de votre passif dans le sport. Vous pensez que ce sera le MX de demain ?

Je pense qu’on ne peut pas stopper le progrès. Il y a beaucoup de personnes qui critiquent, qui essayent de stopper le développement de ces motos mais je pense qu’on en a besoin. C’est le futur et si on ne soutient pas le progrès, notre sport mourra. Pour l’instant, la technologie n’est pas encore prête pour notre sport car la batterie ne tient pas assez longtemps. Après 4 tours à Lommel, c’est terminé. Selon moi, on n’est pas non plus dans le même cas de figure qu’en F1 électrique. Je pense qu’en moto, il y a plus de potentiel.

En Europe, on doit faire avec les écologistes et si on leur tourne le dos, notre sport n’ira pas beaucoup plus loin. Si on essaye aussi d’avancer dans leur direction, ce sera peut-être différent. Qui vivra verra. Je ne sais pas trop si les spectateurs ont vraiment envie de voir ce genre de courses, c’est le problème en Formule 1 par exemple. On a réduit les émissions sonores de 113 DB à 109/110 DB, mais ça ne change pas grand-chose pour les spectateurs qui entendent toujours les motos et voient qu’elles sont puissantes; le bruit fait partie du sport. S’ils n’entendent plus rien, l’atmosphère sera bien différente et ça vaudra peut-être plus le coup d’aller voir une course de vélo.

Quand le développement de la technologie électrique aura évolué, on pourra peut-être en tirer quelque chose un jour. Peu être qu’une catégorie qui vaudra la peine verra le jour. Moi, je pense que le futur, c’est plus un moteur hybride, un peu à l’image des voitures. Le problème qu’on a aujourd’hui, c’est que les motos vont trop vite. On pourrait faire une catégorie d’entre deux avec les motos électriques. On voit que les 250 & les 450 signent les mêmes temps en course. Je pense qu’on pourrait avoir une catégorie inférieure, avec des vitesses moins élevées, des plus petits moteurs hybrides, des pneus différents, etc. Je ne sais pas à quoi ressemblera le futur du sport, on ne peut que faire des suppositions.

Est-ce que lors du passage du 2 temps au 4 temps, les gens étaient aussi divisés ?

Non, non. À l’époque, les deux temps étaient devenus vraiment trop agressives, les motos étaient vraiment très puissantes. Il y a eu l’évolution de l’aspect écologique qui n’a pas aidé non plus. Honda a arrêté les deux temps, Kawasaki aussi, et finalement un peu tout le monde. En finalité, on a dû passer aux 4 temps. C’était le moteur en version plus « propre ».

Est-ce que vous faites partie de ces gens qui disent que le Motocross, c’était mieux avant ?

Non. C’est différent. Ça a beaucoup évolué surtout. Aujourd’hui, on parle injection, traction contrôle, il y a de la nouvelle technologie et c’est une bonne chose. Ce qui était bien à l’époque – et avec le 2 temps – c’est qu’il fallait un peu plus travailler sur la partie mécanique pour bien avoir une moto performante, mais aussi une moto qu’on pouvait tenir et bien avoir en main. Aujourd’hui, tout se fait via les ordinateurs avec tous les composants électroniques. C’est différent oui. Moins bien ? non.

Jacky Martens a aussi été à la tête de l’équipe Factory MX2 d’Husqvarna, jusqu’en 2019 @Husqvarna media

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Depuis vos années sur le mondial en tant que pilote, le championnat a-t-il évolué dans la bonne direction selon vous ?

Je pense que oui. Aujourd’hui, les budgets sont bien plus conséquents que ceux qu’on avaient à l’époque. Avec Guiseppe Luongo, on a pris une bonne direction selon moi. Ceci-dit, en ce moment, ça devient vraiment compliqué de tous les côtés. Tout devient plus cher, il y a de plus en plus de réglementation sur les motos sous contrôle de la FIM, il y a des GP qui sont annulés et remplacés – comme la Finlande par exemple. Ce sont des coûts qui ne sont pas prévus. Nous, on doit définir notre budget en octobre et faire avec ce qu’on a. Quand on boucle le budget, c’est difficile pour nous de nous adapter aux changements de dernières minutes. Je comprends que pour eux [Infront Moto Racing] ce n’est pas simple non plus. Mais s’en tenir aux plans, ça rendrait les choses beaucoup plus simples pour tout le monde.

Si vous pouviez changer une chose dans le fonctionnement du championnat, si on vous en donnait les clefs; ce serait quoi ?

Je ne sais pas exactement comment ils [Infront Moto Racing] fonctionnent. Tout le monde parle forcément des primes. Je pense qu’on aurait besoin d’un meilleur soutien pour permettre à plus de sponsors de venir sur les courses aussi. Aujourd’hui, on a une limite de 3 invitations. À l’époque, ça suffisait car on avait trois sponsors principaux pour couvrir nos budgets. Maintenant, on a beaucoup plus de sponsors et on ne peut plus les inviter aux épreuves. Il faut payer pour qu’ils puissent venir, avec une partie du budget qu’ils nous allouent pour notre équipe. Ce budget, on en a besoin pour faire fonctionner le team. Faire venir nos sponsors, c’est la moindre des choses. Forcément, on parle tous de l’aspect financier. Encore une fois, je ne sais pas comment fonctionne la promotion du championnat mais par exemple, quand on fait des GP oversea, nos déplacements devraient être pris en charge. En Europe, on peut couvrir nos frais si on a un calendrier précis et établi en avance. Chaque année, toutes les structures essayent de progresser, de se renouveler pour obtenir de meilleurs budgets, avoir une meilleure image. C’est ce qu’on fait aussi chaque saison, on se professionnalise. On doit planifier nos dépenses en amont donc quand on planifie, on veut pouvoir rester dans notre budget et nos prévisions. J’ai de la chance d’avoir beaucoup de sponsors, ce qui nous permet une certaine liberté; mais on aimerait pouvoir inviter ces sponsors plus facilement.

Vous avez été pilote, champion du monde, et vous avez endossé le rôle de propriétaire d’équipe. On ressent la même adrénaline ?

La même, oui. Ce qui est bien différent aujourd’hui, c’est qu’il y a beaucoup moins de mécaniciens dans le paddock. À l’époque, quand on cherchait un mécano’, on avait le choix. Là, c’est devenu plus compliqué, ils n’ont plus la même expérience que les mécaniciens de l’époque qui travaillaient sur les anciennes motos, tous types de moto, pour apprendre le métier. Mais c’est la même chose dans tous les aspects du business en ce moment; c’est devenu difficile pour tout le monde.

Du coup, vous n’êtes pas surpris de voir des structures fermer boutique saison après saisons ? On a vu F&H partir récemment, Standing Construct, Schmicker…

Disons que je ne suis pas du genre à me plaindre ou à critiquer. Moi, je veux résoudre les problèmes, aider, trouver des solutions. Tant qu’on arrive à survivre, nous, ça me va. Le jour où on n’y arrivera plus, on arrêtera comme les autres.

On parle de budget, quel est le budget pour une équipe comme JM Honda Racing, pour l’année ?

800.000€, pour 20 GP et les épreuves de l’Europe. C’est le budget qu’on a pour que notre équipe puisse évoluer au niveau des équipes d’usine, sans soutien d’usine. C’est le minimum, pour pouvoir payer nos pilotes, et toutes nos dépenses pour la saison.

Si vous pouviez revivre une course dans votre carrière, ce serait laquelle ?

Elle est difficile, celle-ci. Je dirais Goldbach en Allemagne dans les années 90. Je me suis battu contre Eric Geboers, Dave Thorpe, Kurt Nicoll & les autres, et j’ai gagné avec pas mal d’avance ce jour-là.

Jacky Martens « Moi, je veux résoudre les problèmes, aider, trouver des solutions »
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