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Jimmy Clochet “En tant que pilotes, on n’est pas assez écouté”

Illustration: MX July

Du national, de l’Elite, en passant par l’Europe et le mondial. À 24 ans, Jimmy Clochet a déjà un beau bagage et une expérience des plus complètes. En 2023, le pilote originaire d’Annecy se relance sur les bons rails après avoir vu sa saison 2022 entachée par des blessures. Alors que la saison de championnat de France vient tout juste d’être lancée, on s’est entretenu avec le garçon qui affiche de belles ambitions pour l’année à venir et ne cache pas vouloir prendre sa revanche sur le mondial. Au programme, les finances, l’évolution des dangers, le mondial MXGP, la sécurité des pilotes, les débouchés en championnat de France, et bien plus encore. Micro.   

Jimmy, on va commencer par le sujet épineux. Un pilote de ton niveau arrive-t-il à vivre décemment de son sport à l’heure d’aujourd’hui ?

Aujourd’hui, j’arrive à en vivre. Je sais que d’autres pilotes qui ont mon niveau y arrivent un peu moins. Il faut savoir être malin, avoir des bons partenaires. Il n’y a pas que les résultats du dimanche qui me font vivre de la moto, ce n’est pas possible pour moi. J’ai des partenaires financiers qui m’aident pour ma saison et ça rentre en compte.

L’aspect communication, réseaux sociaux, c’est encore plus important que les résultats que tu ramènes sur la piste ?

Je pense. Le résultat du dimanche, c’est un plus pour les partenaires. C’est sûr qu’ils nous aident pour qu’on performe. J’ai des partenaires qui regardent les résultats et pas forcément les réseaux sociaux, mais je dirais que la plupart attendent les photos du dimanche soir pour voir s’ils sont bien représentés, si on représente bien les marques, les produits. Aujourd’hui, c’est clair et net que les réseaux sociaux m’aident à avoir des partenaires, et des rentrées d’argent. Avec mon père, on se débrouille bien depuis des années et on a des partenaires fidèles qui nous soutiennent depuis longtemps. Oui, vu la conjoncture, ça tire un peu plus la grimace quand on parle de l’aspect financier avec les partenaires mais sinon, on s’en sort bien.

On avait croisé Jimmy sur le Pro Hexis l’an dernier, de retour de blessure, le Français avait changé de discipline pour souffler un coup

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Parlons MXGP. Ils sont 42 engagés en Argentine en catégorie reine, dont 20 wildcards. Infront fait en sorte que les grilles se remplissent. Tu as l’expérience des GP; c’est une bonne dynamique pour relancer le mondial où on va plutôt dans le mauvais sens ?

L’Argentine, ce n’est pas à côté pour les mecs comme moi, et même pour d’autres qui ont des équipes. Aller là-bas, ça coûte beaucoup d’argent donc ça ne m’étonne pas de voir 20 wildcards locales. Là où ça va dans le bon sens, c’est qu’ils ont baissé les frais d’engagement, c’est top car je pense qu’en Europe, on pourra voir des grilles complètes et voir plus car visiblement, ils ouvrent les qualifications en MXGP. Pour moi, ce n’est pas une mauvaise chose, ça va attirer plus de monde car c’est tout de suite plus accessible.

Est-ce qu’il ne faudrait pas imposer un temps minimum à faire – de l’ordre du +20% du meilleur chrono – à ces wildcards pour éviter que ça ne devienne dangereux si certaines wildcards se prennent des valises ?

Je pense que ça doit être le cas, parce que c’est le cas pour nous en France.

Il me semble que ça existait avant, mais que la règle a changé puisqu’il n’y avait plus assez de pilotes pour la justifier ensuite. J’ai jeté un œil aux règlements MXGP 2023, et rien n’est mentionné à ce sujet.

Je pense que Luongo ne prend pas trop de risques à faire ça car il aura presque majoritairement des wildcards en piste dans des pays comme l’Argentine. Il les laissera rouler car sur un GP Européen, on ne verra jamais un pilote se prendre 25 secondes au tour par le meilleur.

Du coup, tu te vois faire quelques GP cette année ?

Oui, on en a discuté avec mon père. Quand tu vas sur un grand prix, c’est une perte sèche financière. Tu ne te dis pas “si je fais un top 15, je vais être payé à la fin du week-end” comme c’est le cas à l’Elite. Voir que ça devient plus accessible sur le plan financier, c’est motivant car j’ai envie de prendre ma revanche par rapport à la période Beta, je veux voir si je suis capable de faire des résultats avec une autre moto. L’engagement reste un coup, mais c’est plus accessible; avec mon calendrier actuel, je sais que je vais pouvoir faire 2 GP cette année. Je vise le GP d’Arco Di Trento, et le GP de France.

La saison 2021 avec Beta sur le mondial n’aura finalement rien du rêve annoncé @Beta

On avait discuté de ton expérience en mondial avec Beta en 2021, ça avait vite tourné au cauchemar. As-tu envie de retenter ta chance en GP, où tu te contenteras de piges à l’avenir ?

Je me suis posé la question, mais je t’avoue que j’attends d’abord de voir si je suis capable de faire du résultat avec une autre moto, avec une condition physique un peu meilleure. Aujourd’hui, je te dirais que je n’ai pas envie de retourner faire une saison de mondial car c’est vraiment très dur. Si tu n’es pas dans une équipe qui tient la route, vraiment professionnelle, c’est difficile.

Du coup, cette saison se déroule comment ? Une 450 d’origine, une préparation suspensions, une ligne, et basta ? C’est quoi le programme ?

C’est ça, aujourd’hui les 450 en sortie de caisse sont vraiment performantes, et c’est valable pour toutes les marques. Pour le championnat de France Elite, j’ai fait un petit réglage au niveau du boîtier Vortex et franchement, j’en ai largement assez. Cette année, on va faire l’Elite, le Supercross (SX Tour + Pro Hexis), les épreuves inter’. L’objectif est de remonter la structure avec mon père, retrouver des partenaires, ce qui est un peu compliqué, et surtout leur être fidèle.

On se souvient de tes belles piges et de tes victoires sur l’EMX Open en 2020. Je ne sais pas si y participer de nouveau était à ton programme en 2023 car le championnat se disputera sur une seule épreuve et ce sera … à Lommel. C’est plié ?

C’est ça. Quand on m’a dit que le championnat allait se dérouler sur une épreuve, j’étais vraiment content car c’est toujours un bon championnat à disputer. Quand j’ai vu que c’était prévu à Lommel, ça m’a déprimé, j’ai laissé tomber. Pour le sable, il faut énormément d’entraînement, et consacrer tout mon entraînement hivernal au sable pour ne faire qu’une seule course dans la saison, ça fait chier. Quand tu montes rouler à Lommel et que tu te fais déposer par un pilote de ligue sans rien comprendre, c’est la misère.

Le garçon avait remporté 4 des 6 manches disputées sur l’EMX Open en 2020

Parlons de ton début d’année 2023. Tu fais 9ème à Sommières, en présence de quelques pilotes de GP. Une bonne façon de démarrer 2023 ?

Je sais que j’ai de belles capacités en Motocross, j’ai pu confirmer ça l’an dernier en gagnant une manche au Kenny Festival devant Rubini et Prugnières. On a bien travaillé cet hiver, je sais que ma vitesse de pointe en Motocross est bonne. Pour Sommières, le résultat final ne me plaît pas trop mais il y a eu de belles bagarres, j’ai été costaud toute la journée et je me suis fait plaisir. Voir de gros pilotes de grand prix débarquer, ça met le sport en valeur et c’est toujours intéressant.

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C’est marqué 9ème sur le papier donc pas de quoi sauter de joie, mais je regarde plus la manière et c’est la que le positif ressort. La manière était bonne, l’attitude aussi, le physique était là, j’ai fait de belles bagarres, j’ai signé de bons temps chronos. Je n’étais pas largué, j’étais dans le coup. Il me manque une seconde et demie à deux secondes au tour sur un pilote comme Guillod pendant les manches, mais ça reste quand même un pilote, Valentin Guillod. Quand on voit qu’il signe les deux meilleurs temps en course devant Herlings à Lacapelle …

Justement, Lacapelle. Nouvelle 9ème place de journée. Tu pars deux fois devant en manches, il se passe quoi ? Tu dresses quel bilan de cette ouverture sur l’Elite ?

Le bilan est positif car j’ai fait des essais chronos’ performants. Je suis à trois dixième de Guillod aux chronos en septième place. Le chrono était dans le coup.

En première manche, je suis parti troisième et j’ai imprimé un bon rythme d’entrée de jeu, je me sentais bien sur la moto et au troisième tour, un pilote que je ne citerais pas m’a dégoupillé dans un virage, violemment. Ça m’a arraché la botte, la moto a fait des tonneaux, le guidon était plié complet. Je suis reparti 20ème et je suis remonté comme j’ai pu en 12ème position.

En deuxième manche, je suis de nouveau parti troisième avant de me faire doubler dans le second tour. Je suis resté quatrième pendant 20 minutes avant de connaître deux tours à vide, je me suis fait doubler par Guillod qui remontait avec Boog et Malaval et on est resté en bagarre jusqu’à la fin; je termine 7ème. Je trouve que c’est correct, j’ai été régulier malgré un coup de mou pendant deux tours sur un terrain qui était vraiment très difficile. C’était très physique, de gros trous, du costaud. Il y a du positif car la régularité était là, la vitesse était bonne mais en toute franchise, je ne comptais pas repartir 9ème du championnat. Il faut mettre en place des choses désormais.

Jimmy termine 9ème de l’international de Sommières, et 9ème de l’ouverture de l’Elite à Lacapelle-Marival

Question point de vue pilote. Est-ce que ce sport devient – année après année – de plus en plus dangereux ?

Il a toujours été dangereux, mais avec les réseaux aujourd’hui on en sait beaucoup plus sur tout le monde, et donc dès qu’il y a une blessure. Je trouve par contre qu’en tant que pilotes, au niveau des fédérations et des clubs, on n’est pas assez écouté. Ça me révolte un peu car dernièrement, on a encore eu un accident grave et ils ont attendu cet accident pour toucher un peu au terrain. Je ne suis pas du genre à me plaindre car je suis capable de partir à la guerre sur le terrain mais il y a un minimum. Les motos vont de plus en plus vite, on s’adapte physiquement pour ces vitesses et au bout d’un moment, on va tous très vite. Je pense qu’on devrait un peu plus écouter les pilotes, pour qu’on soit un peu plus mis en sécurité.

Vous avez des délégués, des représentants des pilotes, vous avez des discussions à ces sujets ?

On est dans un sport individuel. Délégué ou pas délégué, il y en aura toujours un qui ne sera pas d’accord avec l’autre et vu qu’il y a désaccord, on ne change rien. C’est malheureusement comme ça dans la moto.

Quelles solutions adopter ? On devrait penser à des adaptations des tracés ? Couper la vitesse, faire des portions plus techniques, moins aériennes ? Chaque année, sur les GP, on sait qu’il y a des tracés sur lesquels on retrouve plus de casse que sur d’autres.

C’est possible mais ça produit moins de spectacle. Aujourd’hui, en France ou en Europe, on retrouve un paquet de bons pilotes et c’est toujours impressionnant de voir des belles bagarres, ça attire les gens sur les pistes. Il faudrait trouver un entre-deux à ça mais pour te donner une réponse, c’est compliqué. Pour les clubs, il faut préparer une bonne piste pour le week-end. Les pilotes aiment qu’il y ait de la difficulté pour faire de l’écart mais finalement, et que ce soit en Elite ou sur les GP, on retrouve 15 pilotes en 1.5 secondes, c’est affolant. Faire du plus simple finalement, ce serait peut-être encore plus dangereux.

Comment limite les risques ? La question revient sur la table

Le 100% ne suffit plus ? Il faut passer à 115% et franchir la “zone rouge” ?

En gros. Soit tu te mets un petit frein et tu arrives à faire des résultats tout en roulant en-dedans, soit tu roules à 115% et là, ça passe ou ça casse.

Pour un pilote dans ta situation, comment on s’ouvre de nouvelles portes ? Il y a un très bon niveau en Elite mais concrètement, il n’y a qu’une équipe Française qui participe au mondial: Honda SR. Le reste, ce sont des teams Belges, Italiens, Néerlandais, Allemands …. Quelqu’un qui a pour ambition de se faire repérer pour rouler à l’international n’aurait pas mieux fait de se diriger vers l’ADAC, ou le Dutch Masters ?

Tu as tout dit dans la question. Un pilote qui veut atteindre ses objectifs et finir sur le championnat du monde va devoir se faire repérer par les acteurs Européens. L’ADAC est un très bon championnat car beaucoup de teams sont situés en Belgique mais les pistes sont beaucoup plus difficiles qu’en France. Si tu performes à l’ADAC, tu es presque sur d’être contacté par des équipes. Pour un pilote qui roule en France, il y a des teams comme Honda SR ou encore Bud Racing mais il faut être jeune et très bon, sinon je pense que tu ne les intéresses pas. Je ne suis pas là pour chercher ce genre de choses aujourd’hui, je suis plus là pour essayer de performer et gagner ma vie, car on y passe énormément de temps physiquement et sur la moto, c’est un travail qui est fatigant. Si un petit jeune veut performer au plus haut niveau, il devra passer sur des courses plus dures, où le niveau est plus relevé.

Le championnat de France est essentiellement regardé par les Français. Si tu sors vraiment du lot, ton nom sortira hors des frontières de ce championnat de toute façon. On va parler de toi, et à force, les gens vont te connaître et ça va t’aider. Il faut vraiment sortir du lot.

Et du coup, pourquoi tu ne vas pas sur l’ADAC ?

La réponse est on ne peut plus simple: parce que le championnat se dispute à 80% dans le sable [rires]. Ça m’embête de dire ça car j’ai la réputation du mec qui n’est pas bon dans le sable. Je sais le pratiquer, mais c’est comme tout il faut beaucoup d’entraînement pour être bon sur cette surface et quand tu habites à Annecy, aller en Belgique ou à Hossegor coûte beaucoup d’argent. Sur l’Elite, il n’y a pas d’épreuves dans le sable à part Bitche qui est plus du gros Motocross que du gros sable, donc on ne s’entraîne pas vraiment dans le sable.

J’avais fait l’ouverture de l’Elite à Loon en 2022 et j’avais plutôt été surprenant ! J’étais parti 4ème en première manche avant de rétrograder en 18ème place dès le premier tour, j’avais fait fort ! J’ai terminé 11ème et j’ai finalement abandonné en seconde manche. Hey, j’ai quand même marqué des points, j’ai été solide sur une manche, il y a quand même du positif pour un mec qui ne roule jamais dans le sable.

On retrouvera Jimmy Clochet sur deux épreuves du mondial en 2023 @MXJuly

Quels objectifs on se fixe en 2023 ?

Au niveau de l’Elite, j’aimerais faire un podium avant la fin de saison, tout en rentrant régulièrement dans le top 5. Vu le niveau du plateau, ça voudrait dire que je suis bon.

Pour le Supercross, c’est difficile de me prononcer car je suis tout frais dans cette discipline, et surtout en 450. Le but c’est d’être le plus costaud possible et de sortir grandi. Donner un objectif de résultats en Supercross, c’est difficile car c’est parfois la loterie. L’objectif principal sera de progresser.

Au niveau du mondial, mon objectif est de rentrer dans les points plus facilement. Je sais qu’en 450, beaucoup de gars sont rapides. Je vais faire 4 manches en GP cette année, et j’aimerais faire 4 top 20.

Concernant le World Supercross de Lyon, tu vas tenter de dégoter une place de Wildcard ?

Clairement, mais il faut que je trouve le contact pour avoir cette place en Wildcard [rires]. Aujourd’hui, je n’ai pas de team pour faire ce championnat; il faut que je me renseigne mais si je peux y être, ce serait avec grand plaisir. Déjà, est-ce qu’ils vont prendre des Wildards ? Je ne sais pas trop. Ils avaient pris Eli Tomac l’an dernier, mais je ne suis pas Eli Tomac [rires]. On ne s’entraîne pas que par pur plaisir en Supercross, l’objectif c’est aussi de pouvoir finir sur ces épreuves-là, le genre d’épreuves sur lesquelles tu peux te faire repérer si tu roules bien, que ce soit auprès d’un team Français ou étranger. 

Jimmy Clochet “En tant que pilotes, on n’est pas assez écouté”
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