Dire que les avis sont divisés au sujet de l’arrivée des motos électriques relèverait de l’euphémisme. Au centre des discussions, la fameuse Stark Varg qui a su, en moins de 2 ans, susciter l’intérêt d’une poignée, comme s’attirer les foudres de certains. Puristes inflexibles, sceptiques curieux, pro-électrique proclamés, tout le monde y va de son petit avis sur la question. Alors que la Stark Varg a été brièvement présentée au public lors du Pro Hexis de Lunel ce samedi, on a appris que la Fédération Française de Motocyclisme avait donné son aval pour voir la nouvelle moto électrique tendance s’engager sur le championnat de France de Supercross d’ici les prochaines épreuves.
Si le grand public a déjà eu à maintes reprises l’occasion de se faire son avis sur la question au travers de nombreux articles de presse dédiés à cette nouvelle machine qui se veut révolutionnaire, qu’en disent les animateurs du championnat concerné qui seront finalement les premiers impactés ? C’est la question qu’on s’est posée. Ils courent après les podiums, les victoires ou les titres de champion de France; certains en ont fait leur gagne pain à temps plein ou partiel, d’autres aspirent un jour à faire de leur passion leur métier.
Ils sont 9, ils sont bien connus des championnats de France, et ils nous donnent leur opinion sur l’arrivée des motos électriques au sein d’un sport qu’ils s’apprêtent, peut-être, à voir évoluer d’ici les prochaines années.
La moto électrique: pour, contre, et pourquoi ?
Calvin Fonvieille: “En toute honnêteté, je ne vois pas spécialement l’arrivée des motos électriques d’un bon œil. Je suis un vrai puriste, j’aime la chaleur du moteur, le bruit, les vibrations. On fait un sport mécanique, c’est comme ça. C’est vrai que jusqu’à présent quand on me parle d’électrique, je vois plus ça comme un engin de transport et pas comme une moto à proprement parler. On fait un sport mécanique et dans un sport mécanique il y a du bruit, de la chaleur, des vibrations. Il y a le facteur aléatoire aussi, on peut rencontrer des problèmes mécaniques, il faut savoir régler sa moto et l’entretenir. En effet, on voit que cette nouvelle moto [Stark Varg] arrive. Elle a l’air exceptionnelle, très bien développée; une moto qui est apparemment fabuleuse mais qui est assistée et qui contient beaucoup d’électronique. C’est différent. La moto évolue, heureusement ou malheureusement je ne sais pas. C’est une évolution et on ne peut rien y faire. Le fait de mélanger l’électrique avec les thermiques en championnat, c’est assez particulier. J’ai eu l’occasion de rouler avec un top pilote, un ancien champion du monde, qui roulait sur la Stark Varg. On était en bagarre ensemble et j’avais l’impression de rouler contre un fantôme. Ça va à la même vitesse que moi mais ça ne fait pas de bruit, c’est comme rouler contre une ombre en fait; c’était impressionnant. Nous pilotes, on n’a pas trop notre mot à dire sur quoi que ce soit. J’aurais plutôt trouvé normal qu’il y ait une catégorie à part, réservée pour ces motos car j’ai presque l’impression qu’on est sur deux sports différents. Apparemment, ils vont les mélanger avec nous. C’est particulier mais c’est comme ça et il faudra s’adapter. On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, peut-être qu’on sera tous sur ces motos d’ici deux ans. Il y a deux ans de ça, on n’avait jamais entendu parler de ces motos et aujourd’hui, elle font la une des médias et des réseaux. On fera avec. Ce n’est ni bon, ni mauvais, c’est une évolution.”
Anthony Bourdon: “Pour ou contre l’électrique ? C’est difficile à dire mais je pense que ce n’est pas forcément mauvais. Je pense que d’ici quelques années on y viendra, je ne sais pas quand. Dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ? Un jour, la transition se fera. Ce n’est pas mauvais que les choses évoluent même si on perd un peu le charme des motos qu’on connaît actuellement. Il faudra s’y faire, s’habituer. C’est comme lors de la transition du deux temps au quatre temps même si je n’ai pas trop connu; au début les gens trouvaient ça bizarre. Là c’est un peu la même chose. On est encore dans l’inconnu avec ces motos et pour te dire, je ne l’ai même pas encore essayée donc je ne sais pas trop quoi en penser. Il me tarde de l’essayer, je ne suis pas fermé à l’idée et je pense que c’est la bonne évolution. Concernant les critiques, je peux les comprendre car comme je l’ai dit, on perd un peu le charme des motos thermiques. C’est très nouveau, l’électrique, c’est sans bruit, ça arrive d’un coup et je peux comprendre les réactions des gens. C’est une question d’habitude. Une fois qu’elles seront là, on aura quand même des belles courses, de la bagarre. Il manquera un petit quelque chose, c’est sûr, mais ce sera comme ça.”
Anthony Bourdon n’est pas fermé à la moto électrique
Yannis Irsuti: “Honnêtement, je pense que pour les courses, le fait qu’il n’y ait plus le bruit de moteur – qui est à mon sens excitant pour le public – risque d’enlever beaucoup de charme lors des compétitions et plus largement au sein du sport mécanique. Je suis plutôt négatif face à ces motos électriques si on parle des compétitions et du Supercross à notre niveau, on est proche du public et c’est vrai que le bruit joue beaucoup pour le spectacle, c’est un show. D’un autre côté, je vois aussi la chose de manière positive pour ces mêmes raisons en ce qui concerne l’entraînement: il n’y a plus de bruit. On voit que toutes nos pistes ferment à cause du bruit, en tout cas vers chez moi. Des pistes qui ont fermées à cause du voisinage pourront probablement rouvrir si on roule en électrique. Je pense qu’il y a du positif et du négatif, je suis partagé. Je n’ai pas encore d’avis bien tranché et en plus de ça, je n’ai pas encore essayé. Ça me brancherait de tester une Stark; apparemment c’est un truc de fou donc je pense que ça doit être sympa. J’ai une petite idée mais très concrètement, je ne sais pas ce que ça donne en situation réelle donc je suis encore partagé sur la question. Est-ce que je comprends les réticences ? Ça dépend. Il faudrait que je puisse échanger avec ces gens pour entendre les arguments et pouvoir échanger là-dessus. Je ne sais pas trop sur quels critères ils se basent pour avoir un avis négatif sur les motos électriques. Si c’est au niveau de l’odeur, du bruit, c’est sûr que ça fait partie du sport. Plus de rupteur ? Tu prends Justin Barcia, tu sais que c’est lui même sans regarder la piste. En France, tu sais que Thomas Do est derrière toi sans te retourner parce que c’est un pilote qui rupte. Sur ces points-là c’est sûr que ça risque d’enlever du charme au sport mais je pense que notre société évolue et nous amène actuellement dans cette direction, et qu’on sera obligé d’y passer tôt ou tard.”
Nicolas Aubin: “J’étais un peu un vieux c*n concernant les motos électriques avant. Aujourd’hui, j’y vois des avantages pour que le sport perdure, que ça embête moins le voisinage et tout ce que ça entoure. Je pense que ça va nous permettre de sauver un paquet de terrains en France, qu’une certaine économie se développera. Ceux qui sont plus créatifs et qui auront de bonnes idées seront peut-être en mesure de faire des circuits en milieux plus urbains. Je pense qu’il y a réellement des choses à faire avec l’électrique. Par contre, j’ai un peu de mal avec cette idée de mélanger le thermique et l’électrique en compétition. On sait que ça va arriver sur la deuxième partie du SX Tour et moi, je suis contre. Chacun sa place. À un niveau régional, je ne dis pas, mais passé en compétition Elite; non. Est-ce qu’on mélange la Formule E et la Formule 1 ? Non. En moto GP, pareil. On en a discuté vite fait entre nous. Ceux qui l’ont essayé [la Stark Varg] disent que c’est un truc de fou; la preuve c’est qu’il y aura des avantages à rouler avec face aux thermiques. Il n’y aura plus d’embrayage, de temps mort pour les passages de rapports aux départs, etc. Quand Josh Hill était venu faire Genève avec l’Alta à l’époque, il faisait des départs avec Carmichael qui était sur sa 450 RM-Z. L’Alta, c’était une équivalence de 250 4 temps. Josh atomisait Ricky lors des départs, à chaque fois. Ce sont deux motos différentes et donc pour moi, elles n’ont pas à rouler ensemble et encore moins à haut niveau. Je n’ai rien contre les mecs qui vont essayer, c’est nouveau, il y a une bonne com’ autour de ça et ça fait rêver tout le monde. Je suis le premier à dire que j’aimerais bien en essayer une, ça doit être excitant de découvrir une nouvelle pratique de la moto donc de ce côté-là, c’est top. Regarde, même chez les amateurs le mélange sera difficile à faire. Ce sont des motos à 14.000€, ce sera pour une certaine clientèle et ceux qui pourront se la payer auront un avantage sur ceux qui ne le pourront pas. Pour une pratique en loisir ou à l’entraînement, top. Pour ouvrir de nouveaux spots et voir de nouveaux terrains ouvrir, top. Il y a énormément de positif mais il y a aussi du négatif: c’est très cher, et si tu veux avoir une batterie de rechange il faut lâcher 7.000€. Afficher ces tarifs n’est pas bon pour la pratique. Il y a du positif, du négatif, on verra bien. Là, on va être mélangé prochainement et on aura un premier élément de réponse au niveau des compétitions mais c’est pareil, on n’a pas été sollicités et ce n’est pas normal. Les marques se font chier à investir et d’un coup la fédération leur dit “Yes, c’est bon, vous pouvez venir” et ça, sans consulter personne. C’est moyen.”
Oui en loisir, mais sous certaines conditions en compétition pour Nicolas Aubin
Jimmy Clochet: “Je suis pour les motos électriques. Pourquoi ? Car ça peut, dans un premier temps, sauver notre sport par rapport aux pistes qui ferment. Après l’avoir essayée [la Stark Varg], il y a une puissance de malade, plus besoin de gérer les vitesses, une bonne traction et franchement, j’ai été vraiment impressionné par le travail qui a été fait dessus. Est-ce que c’est l’avenir ? Je ne sais pas. Je comprends que les gens soient contre. J’en ai déjà beaucoup discuté et c’est vrai que le fait qu’il n’y ait plus de bruit est à prendre en compte. Que ce soit une Yamaha, une Honda, une KTM, elles font des bruits différents donc bien sûr qu’en tant que fan de moto, ce bruit c’est en partie ce qui nous attire. Rouler sans bruit, par contre, ça n’enlève pas la beauté technique d’un pilote. On roule tous différemment. Ça demandera peut-être un peu plus de concentration à tout le monde pour voir ce que les mecs font de différents sur une moto électrique, on ne pourra plus se fier au bruit par exemple. Je comprends que les avis soient divisés. Moi le premier, quand je suis en mondial et que j’entends les Yamaha usine ronfler, c’est vrai que ça me fait quelque chose. Quand tu as Geerts, Benistant ou les Coenen qui passent sur leur KT & Husky, franchement, ce n’est pas la même chose. Là, on entend le bruit des pneus [rires]. Ça fait un peu chier mais ça n’enlève pas la beauté du sport, ça n’enlève que le bruit. La technique et la performance restent là. Cette moto est très performante, et il faut le savoir.”
Adrien Escoffier: “Je vois ça d’un bon œil. Pour l’avenir du sport et de la moto je pense que c’est une bonne chose. Le seul petit hic à mon sens c’est de vouloir mélanger les motos électriques et les motos thermiques. On a déjà eu des discussions entre pilotes et comme on l’a dit, on ne voit pas les Moto-E avec les Moto GP, ni les Formule E avec les Formule 1 donc je ne vois pas pourquoi on verrait des motos électriques avec des motos thermiques ensemble sur les compétitions de Motocross. Sinon, je pense que pour l’avenir on sera bien obligé d’y passer à un moment donné si on veut continuer à faire de la moto. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’essayer, ça me brancherait car d’après les retours de chacun, c’est à essayer et c’est quelque chose qui est abouti. Je ne me languis pas qu’on arrive à ça pour autant. Les réticences, je les comprends car personnellement je pense la même chose. On s’est mis à la moto car quand on était petit sur le bord des terrains, on avait l’odeur du deux temps, le bruit des motos. Au panneau 5 secondes, il y a toujours ce petit truc au cœur, qui te fait vibrer, l’adrénaline. Je me demande comment ça se passera en regardant une course de motos électriques. Je ne me vois pas regarder un SX de Paris avec des motos électriques uniquement; ça enlèverait beaucoup de plaisir. C’est un spectacle aussi et j’en reviens au même point: ce que les autres sports ont tenté d’instaurer avec l’électrique, que ce soit en voiture ou en moto de route, ça ne fonctionne pas. Le public n’est pas là que ce soit à la TV ou sur les circuits donc je ne vois pas pourquoi ça trouverait son public en motocross. Après tout, peut-être que je me trompe; on verra.”
Pour Adrien Escoffier, les compétitions en électrique ont du mal à séduire le public dans les autres sports
Kiliann Poll: “Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en tester une encore. Je pense que l’électrique peut être une bonne chose pour les pistes, pour ne plus avoir de problème avec les maisons qui se construisent à côté des circuits. On aurait la possibilité de rouler plus souvent, on est quand même limités à notre niveau et on ne peut rouler librement que le week-end. Si on veut rouler en semaine, c’est compliqué. Je pense que ça peut être une bonne chose mais il va falloir s’y habituer comme il faut car ce sera un vrai changement, même en course. On n’a pas eu trop l’occasion d’en voir encore, même en vidéos mais de ce qu’il se dit, on n’entend pas quand le pilote arrive pour nous faire une attaque et je pense que la course sera à approcher d’une manière différente. En terme de vitesse pure, sur les premières “vraies” motos électriques – les Stark Varg – ils disent que ce n’est vraiment pas mal et que c’est même impressionnant à la réaccélération. Maintenant il reste la question de l’autonomie de la batterie. À tester, à voir. Si ça peut sauver notre sport, pourquoi pas ? À notre niveau, on veut toujours voir le sport évoluer, avoir les meilleures choses et si on nous dit qu’il faut passer à l’électrique pour pouvoir continuer à gagner sa vie on le fera. Moi je travaille actuellement pour ça, c’est l’un de mes objectifs. Des réticences, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Deux temps, quatre temps … Il y aura toujours des contents, des mécontents. Si je dois faire avec, je ferais avec !”
Thomas Do: “Je pense que c’est potentiellement une bonne chose. Aujourd’hui, on est réduits à cause du bruit et des nuisances et ce qui est sûr, c’est que ça apportera un gros plus de ce côté là. Après, on voit que les fédérations Françaises et Australiennes ouvrent vraiment la porte aux motos électriques, il y a encore quelques réticences auprès de certaines personnes mais une fois que tout sera rentré dans l’ordre, je pense qu’on en verra beaucoup à chaque course. J’ai eu l’occasion d’en essayer une, et ça marche bien. Est-ce que c’est le même sport ? En tout cas ça y ressemble. Il ne faut pas s’attendre à tenir l’embrayage en sortie de virage car il n’y en a plus mais par contre on découvre qu’on peut faire de nouvelles choses. La moto est vive, elle est différente. Pour moi, on peut rouler avec les motos thermiques sans problème. Je comprends les réticences, il y en a eu quand le 4 temps est arrivé et il y en aura quand les motos électriques vont inonder le marché. Les puristes ne monteront jamais sur une moto électrique, les sceptiques se laisseront peut-être tenter et kifferont. Moi, je l’ai essayée [là Stark Varg] et je pense que les gens qui critiquent réellement et qui disent que c’est de la m*rde, c’est qu’ils ne l’ont pas essayée. Être anti électrique, ça peut se comprendre, c’est à chacun son avis sur la question. Moi, je pense que c’est une bonne chose et que ça va aider notre sport. Moi, j’ai personnellement commandé une Stark dès qu’elle est sortie. J’ai été la première personne en France, hors concession, à l’avoir. Ils ont eu des retards de livraison et pour remercier leurs clients d’avoir attendus, ils ont proposé de les faire venir en Espagne pour essayer la moto, voilà pourquoi je suis parti là-bas pour l’essayer. Tu sais, c’est toujours pareil. Ils peuvent faire une moto avec une autonomie de 5 heures mais la moto ferait 200 kg, est ce que c’est ça qu’il faut ? Je pense qu’il ont essayé de faire l’équilibre entre le poids et l’efficacité et selon moi, c’est vraiment abouti. Faire plus de puissance que 80CV c’est inutile car ce serait inconduisible. Un pilote amateur qui ferait une manche de 40 minutes n’irait pas en enchaîner une deuxième au bout de 10 minutes de pause, il pourra largement recharger sa moto pendant 30 ou 40 minutes avant d’y retourner.’
Thomas Do a déjà la sienne et voit l’avenir dans l’électrique
Charles Lefrançois: “Honnêtement, je n’ai pas eu l’occasion d’en essayer une, donc je ne sais pas quelles sont les sensations qu’on peut s’attendre à retrouver dessus. Il faut voir et évoluer avec son temps, c’est sûr. De nos jours, on est quand même embêtés car on voit que beaucoup de terrains ferment à cause du bruit. Ça pourra peut-être nous sauver certaines épreuves ou certaines pistes qui se retrouvent bloquées à cause des nuisances sonores. Je ne suis pas contre, mais je ne suis pas pour non plus. On verra comment ça va évoluer. Vu que je n’ai jamais essayé et que je n’ai aucune notion des sensations, c’est difficile de répondre. Il n’y a pas d’embrayage, plus de vitesses, il y a beaucoup de paramètres qui doivent être spécifiques à ces motos. Ni pour, ni contre, mais pourquoi ne pas faire des catégories séparées pour ces motos. À voir comment le sujet évoluera au fil des années. Depuis toujours, on a connu des motos thermiques donc forcément, on n’a pas envie de changer nos habitudes. Il y a le bruit, l’odeur et un départ sans bruit, ça doit être vraiment bizarre. On verra mais on n’y est pas encore non plus, je pense que les motos électriques ne sont pas encore assez abouties, on ne peut pas faire des courses toute la journée car au niveau des batteries ça ne tiendrait pas. Il faudra voir avec le temps.”
