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Story: Dis Clément, ça se passe comment au Sénégal ?

Story: Dis Clément, ça se passe comment au Sénégal ?

“Salut Kévin, je reviens du Sénégal, j’ai participé à une épreuve du championnat national et c’était dingue. Ça te branche ?”

Clément Caillat a la fâcheuse tendance à faire des envieux en quelques mots; moi le premier.

Après sa belle aventure au Togo en 2019 – qu’on vous avait raconté en long, en large et en travers – le pilote Grenoblois avait dû mettre un terme à ses voyages, Covid-19 oblige. Alors qu’il jongle entre son travail la semaine, son école de pilotage les weekends et les stages à Cross-up pendant les vacances scolaires, le planning de Clément – habitué aux championnats nationaux – ne laissait que peu de place à l’exotisme, et pourtant.

Alors que l’hiver approche à grands pas, Clément a décidé de partir au Sénégal pour étancher sa soif d’aventure en s’alignant sur une épreuve du championnat national Sénégalais, et autant dire que sur le papier, on est à des années-lumière du SX Tour, sur lequel Clément évoluait cette saison. Le Sénégal, ce sont des rencontres inoubliables, du sable fin à perte de vue, une chaleur écrasante, et un dépaysement garanti …

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Voyage au travers d’un récit; Dis Clément, ça se passe comment au Sénégal ?

“Depuis ma dernière aventure au Togo, je suis devenu moniteur titulaire à Cross-up et du coup, je rencontre beaucoup de pilotes étrangers à travers les différents stages qu’on organise pendant les vacances. Beaucoup de pilotes originaires d’Afrique font le déplacement car on a tout ce qu’il faut sur place pour les accueillir; les motos, les logements. L’approche se fait simplement car les Africains sont toujours très chaleureux, le lien se fait très facilement. J’ai sympathisé avec un pilote du Sénégal, un expatrié Français, qui bosse sur place et au mois d’août, j’y suis allé au culot. Je l’ai contacté sur Messenger en lui disant que s’il y avait une course au Sénégal, j’étais partant. “aucun problème””

“J’ai été mis en relation avec le président du Motoclub de Dakar, le seul motoclub du Sénégal, et avec la fédération Sénégalaise. On a échangé par email et ils étaient assez surpris de voir qu’un pilote Français veuille faire le déplacement, c’est plutôt rare. En consultant le calendrier, j’ai vu que je pouvais me libérer quelques jours pour une épreuve et j’ai pris mes billets d’avion pour Dakar.”

Clément était mis à l’honneur sur l’affiche du championnat National Sénégalais

“Je suis donc parti pour le Sénégal pour rejoindre ce fameux pilote que j’avais rencontré à Cross-up – Yvonnig – avec qui on avait passé tout juste une semaine. Je sais d’expérience qu’en Afrique, les gens sont vraiment accueillants et que partir comme ça, ce n’est pas trop un problème. Depuis la France, je me suis débrouillé pour me faire prêter une moto sur place par un concessionnaire Yamaha que j’ai contacté par téléphone. Ils étaient vraiment contents de voir un Français débarquer, et ça leur permettait de mettre la 450YZF en avant, même si je ne vais pas te mentir, elle avait un peu d’heures au compteur [rires]. J‘ai pris un sac, mon équipement, et je me suis rendu au Sénégal.”

“Je suis arrivé le jeudi à Dakar avec ma copine, et on a été un peu livré à nous-mêmes car Yvonnig – qui nous hébergeait – travaillait. On avait été mis en relation avec une dame sur place via les réseaux sociaux – Jihane. Jihane savait qu’on venait; ses enfants roulent à Dakar, et elle a été formidable: elle a tout géré pour nous. Elle est venue nous chercher et nous a emmenés jusqu’à la concession Yamaha le premier jour. Il faut savoir qu’il est très difficile pour un Européen de conduire là-bas car le code de la route, c’est de la folie à tous les niveaux. En tant que blanc, tu ne peux pas vraiment te permettre d’être tout seul dans la rue sans être accompagné d’un local. On est dévisagé, on est accosté dans la rue car ils voient en nous une richesse énorme. Évidemment pour nous, c’est la grande vie en Afrique. On a un chauffeur à disposition, un gros 4×4, tout devient disproportionné. On passe du milieu de classe Française à la haute classe Sénégalaise.”

La presse nationale avait même prévu le coup, et pour cause. Clément avait déjà fait parler de lui en s’imposant au Togo en 2019.

On a dû traverser tout Dakar pour aller chercher la moto, et on a vu toute la pauvreté sur place, c’est un véritable choc culturel. Arrivé chez Yamaha, j’ai été très bien accueilli, un peu comme si un Américain débarquait en France [rires]. C’était dingue. Je pense qu’ils ne se rendent pas compte du niveau qu’il y a ailleurs, donc pour eux, j’étais un très bon pilote Français à chouchouter. Le patron de chez Yamaha était là et on m’a présenté la moto et le mécanicien qui allait m’accompagner pendant mon séjour. J’ai récupéré mes tenues Yamaha, comme si j’étais un pilote officiel.”

Le jeudi, présentation de la moto et du mécanicien pour le séjour chez Yamaha Sénégal

“Le vendredi matin, Jihane nous a mis son chauffeur a disposition pour que l’on puisse visiter Dakar car on ne pouvait pas se permettre de faire du tourisme seuls. Il nous a emmenés dans des coins inaccessibles pour les simples touristes. Ce voyage, ça n’a pas été que de la moto. On a vu des choses magnifiques, et des choses moins belles. Il y a la pollution, les plages jonchées de déchets, la pauvreté ambiante. Dans les boutiques, pas de prix, tout se négocie, ils essayent de te vendre tout ce qui est possible parce que tu es blanc. Parfois, c’est cocasse”

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“Le vendredi après-midi, on est parti sur la base militaire Française du Sénégal. J’avais obtenu un laissez-passer pour pouvoir y accéder car là-bas, l’armée a acheté une vingtaine d’YCF et a fait une petite piste pour encadrer les enfants. Je suis allé voir comment ça se passait, j’ai fait quelques photos, j’ai donné deux ou trois conseils, c’était vraiment cool. En 2019 – on en avait parlé – j’avais gagné l’épreuve de Lomé au Togo, et c’est une course assez réputée en Afrique; les enfants se souvenaient de moi, j’étais un peu la star Française qui débarquait alors que je ne suis pas du tout le genre de personne à me mettre en avant.”

Un petit cours de pilotage pour les jeunes sur la base militaire Française.

“Le soir, on a fait un restaurant avec les pilotes locaux; un diner super intéressant où on a échangé sur la scène MX au Sénégal, les différents circuits, les réglages dans le sable; en bref, de superbes rencontres. Il faut savoir qu’il y a une trentaine de pilotes qui roulent au Sénégal, mais ils viennent de la haute société Sénégalaise car il est impossible de rouler à moto autrement. Il y a 3 catégories, une trentaine de pilotes en sénior, 6 ou 7 en Junior, et 7 ou 8 pilotes de quad. J’ai diné avec les champions nationaux ce soir-là, les enfants de là-bas te parlent d’eux comme si tu allais manger avec un Dylan Ferrandis en France, ce sont de vrais héros locaux.”

“Le samedi, veille de la course, il était venu le temps de tester la 450YZF. Yamaha me prête un pick-up, le mécano ramène la moto, et on part tester sur une piste en terre pour commencer. C’était une belle petite piste qui appartenait au champion local, le terrain de Diamniadio. La piste avait été refaite avant mon arrivée; il y avait un peu d’herbe sur les bords et ils ont donné quelques pièces à des locaux qui passaient pour qu’ils coupent tout ça, ça m’a paru dingue. J’ai essayé la Yamaha, 3 tours [rires]. Dès le quatrième tour, la moto a commencé à couper et au cinquième tour, elle n’avançait plus. Pendant que le mécanicien se penche sur le problème, un des pilotes présent me prête sa moto. Ces gens ont vraiment le coeur sur la main et ils n’hésitent pas une seule seconde pour s’entraider, c’est vraiment différent de la mentalité à l’Européenne. J’ai fait quelques tours avec une 450 SXF de 2015 qui devait avoir 300 heures [rires]. J’ai également donné un petit stage aux enfants qui étaient présents, un petit stage de 2 heures durant lequel on a repris toutes les bases. C’était vraiment un super moment de partage”

“Finalement, sur la Yamaha, il y avait un problème de pompe à essence. Un des meilleurs pilotes locaux a démonté la pièce de la moto de son frère pour la monter sur la mienne et de là, plus de problèmes. Ce gars-là jouait le championnat, j’allais être en concurrence directe avec lui, et il n’a pas hésité à m’aider, et même à me téléphoner pour savoir si j’avais besoin d’autre chose pour la course. Une gentillesse de dingue. Tout le monde était à fond derrière moi, alors que finalement, ce n’était que des gens qui ne me connaissaient pas.”

Une journée de testing au Sénégal, et un accueil inégalable. Elle est pas belle la vie ?

“La course se déroulait au Lac Rose, un peu plus au sud dans le pays. On a donc quitté Dakar et sa banlieue pour arriver sur le lieu de la course. Alors que je pensais que Dakar, c’était pauvre… Là, c’était bien pire. Une pauvreté extrême, c’est impressionnant, il n’y a plus de route, tu te croirais en Syrie, les paysages sont désolants. Le Lac Rose, c’était le point d’arrivée du Paris-Dakar à l’époque, donc c’est tout de même un endroit touristique avec des hôtels. Il y a notre hôtel au bord du lac, les dunes, la mer. La course était organisée dans les dunes derrière les hôtels, à une dizaine de mètres. Tu peux regarder la course depuis ta chambre d’hôtel, personne ne dit rien, on range les motos dans l’hôtel, c’est un autre monde.”

“Je suis allé faire le tour de la piste à pied. Ils se servent des grosses dunes pour tracer un circuit. J’ai fait le tour du circuit parmi les dromadaires, sans déconner ! [rires]. Je fais le trackwalk pied-nu, sous le soleil, avec les dromadaires, c’était plutôt pas mal non ?! De là, j’ai essayé la moto dans le sable; j’ai découvert un énorme terrain de jeu. Pendant qu’ils tracent la piste, tu peux rouler, tu fais ce que tu veux, ce n’est pas comme en France. Je pense que si un officiel de la FFM avait débarqué, il aurait fait un infarctus [rires]. Le directeur de course sur place, c’est un Français qui est tombé amoureux du pays et qui a décidé de ne plus rentrer. Il se moquait gentiment des Français; nous et nos règles … Là, j’ai repensé à toutes les restrictions que les organisateurs avaient au Touquet, et j’ai rigolé.”

Le trackwalk en compagnie des dromadaires, vous avez dit insolite ?

“Tout s’organise facilement. Pour avoir discuté avec le directeur de course, il m’expliquait qu’il lui suffisait d’appeler le commissariat 3 jours avant la course, et c’était plié. Ils font une belle piste de 2 minutes au tour dans cette énorme dune, ils font ce qu’ils veulent de toute façon. Le samedi, vu que rien n’est fermé, tu peux rouler sur la piste contre des buggys, des dromadaires, tout ce qui roule ou qui marche, c’est un peu chaud, il faut faire attention [rires]; c’est comme un rêve. On est aussi parti rouler sur la plage, ils savent qu’en France, c’est interdit, donc évidemment, il fallait passer par là … Il y avait des petits en 85, les locaux, des gros 4×4, et nous voila sur la plage à rouler au bord de l’océan, à fond. Yvonning, qui m’a accueilli, avait une moto de Dakar et j’ai pu essayer ça sur la plage, c’était des sensations complètement dingues, quelque chose que tu ne feras jamais en Europe, c’est même interdit d’y penser. Tu mets un gros coup de gaz, la moto s’enfonce dans le sable, tu te mets en caleçon et tu te baignes dans l’océan; c’était grisant. Là-bas, tu fais vraiment tout ce que tu veux.”

Le Lac Rose accueillait l’arrivée du Paris-Dakar jusqu’en 2007

“Le soir, on a percé une chambre à air. Les parents ont été faire le tour des villages aux alentours pour me trouver une chambre à air pour la course sans même me le dire, afin d’éviter de m’affoler. Autant te dire que trouver des pièces là-bas, c’est très compliqué, voire impossible. C’est d’ailleurs pour ça qu’il n’y a qu’une seule course par mois au Sénégal, car il faut laisser aux pilotes le temps de faire venir des pièces d’Europe quand ils rencontrent des soucis mécaniques. Ils organisent 5 ou 6 épreuves par saison, ils mixent du Motocross, des endurances de 2 heures, et ils désignent un champion. Sur la piste, ils se battent, et dans les paddocks, ils s’entraident, c’est formidable. Je suis resté 5 jours, et j’ai l’impression d’avoir une famille au Sénégal; incroyable.”

“Le programme de la course du dimanche, ça consiste en un warm-up de 20 minutes. C’est l’Afrique, tout le monde arrive en retard [rires]. Sur les 30 pilotes, tu en as 15 qui ne participent pas au warm-up du coup. J’étais un peu en retard aussi et du coup, j’ai seulement fait 2/3 tours de piste car je savais qu’il fallait assumer la chaleur. La course dure de 9h à 14h car ensuite, il fait trop chaud pour rouler. On se fait 3 manches de 20 minutes + 1 tour, sans transpondeur [rires]. C’était costaud quand même. Pas de grille de départ, on part au drapeau; premier arrivé sur la “grille”, premier servi. Il y a quelques tricheries bon enfant. Vu qu’on part en plein milieu de la piste, on ne sait même pas où est le premier virage et lors du premier départ, personne ne te dit vraiment où aller en espérant pouvoir te distancer un peu [rires]. J’ai fait les 3 manches, j’ai crevé de chaud, j’ai fini en caleçon, c’était insoutenable pour un Européen qui venait de France où il faisait 5 degrés.”

Un départ en ligne, ou presque @NdumbeLand Films

“J’ai gagné les 3 manches assez facilement; il y a deux ou trois bons pilotes qui roulent relativement bien. Je dirais qu’ils ont de quoi faire dans les 10 en ligue en France. Ils roulent vite pendant 2 ou 3 tours mais explosent vite physiquement, ils ont moins de technique et subissent plus la piste, ils roulent assis, ça les fatigue. Au début, ils se sont accrochés, ils ont essayé ! Il y a aussi quelques mecs qui coupent la piste, c’est marrant, j’en ai vu plus d’un, mais là-bas c’est comme ça [rires]. Il n’y a pas de zone spectateurs, il y a parfois des mecs sur la piste qui te montrent des traces, j’en rigolais carrément sous mon casque.”

Clément remporte les trois manches de la journée

“Entre les manches, il y avait le contraste qui était frappant. On était là avec nos belles motos, nos équipements, le pick-up, et des enfants qui peinent à manger qui viennent te voir rouler. Tu reviens de ta manche, et tu te retrouves avec 50 si ce n’est 100 enfants autour de toi qui te demandent à boire et à manger, ils récupèrent tes paquets de gâteaux, tes fonds de bouteille d’eau. Je leur donnais mes bouteilles, mais c’était difficile à voir. Les parents des pilotes présents avaient des longs bâtons en bambou, car les enfants s’avancent tellement que tu ne t’en sors plus; une fois que tu donnes un bout de gâteau, tout le monde vient et ils se servent de ces bâtons pour disperser les enfants quand ils s’approchent un peu trop; c’est un autre monde, mais là-bas, c’est normal. Moi, j’étais obligé de leur donner un peu à manger, un peu d’eau. La misère est omniprésente.”

Quelques jours au Sénégal, mais des souvenirs à vie.

“J’ai gagné les trois manches et l’épreuve. À l’arrivée, j’étais la star, les gens voulaient prendre des photos avec moi, il y avait la télévision, c’est presque comme si j’avais gagné la coupe du monde, la sollicitation était énorme. En plus, j’ai battu leur champion. Il n’y a qu’un pilote qui l’avait battu avant moi, Adrien Van Beveren, quand il était venu il y a quelques années de ça. Pour eux, ce sont des légendes vivantes alors qu’un gars finisse devant leurs champions locaux, c’est de la folie. Je devrais peut-être envoyer mon palmarès Africain à Xavier Audouard pour décrocher une place au Supercross de Paris, ça passerait peut-être [rires]”

Clément s’impose devant le champion en titre, Hugo Villepontoux

“Le podium, c’est folklorique avec un speaker qui danse, qui hurle. J’ai gagné 10.000 francs CFA, ça doit représenter 15 euros. Ils te donnent les billets discrètement sur le podium, à mettre dans la poche. J’ai gagné une coupe, un morceau de baobab, la médaille du Sénégal et ils m’ont offert un boubou, la tenue locale puisque c’est un pays musulman [rires]. C’était pour me taquiner un peu, ils ont aussi de l’humour là-bas ! En faisant gagner la Yamaha, mon mécanicien était aux anges, la moto avait super bien marché et le concessionnaire était super content.”

“On était déjà dimanche soir, et il était déjà l’heure de partir. Durant ces quelques jours, on s’est créé des souvenirs à vie, on a fait partie d’une famille et on avait le coeur lourd en prenant l’avion pour rentrer en France; ma copine a lâché sa larme et je ne suis pas passé bien loin non plus. Les enfants s’accrochaient à nous pour qu’on ne parte pas; c’était beau, et dur à la fois. Ils nous ont fait vivre des moments formidables, inoubliables. Tous ces gens nous ont aidés alors qu’ils ne nous connaissaient même pas…”

Deux épreuves, et deux victoires sur le continent Africain pour Clément Caillat

“Pour ces quelques jours au Sénégal, je souhaite remercier Hugo Villepontoux – champion du Sénégal 2020 – pour sa piste de Diaminadio. Un grand merci à Mao Wone pour le prêt du réservoir. Merci également à Jihane et ses enfants Amir et Ali, à Jean Marc pour le prêt de la 450 SX-F, la mécanique et la gentillesse. Un grand merci à Yvonnig pour le logement, la logistique, la mécanique et le prêt de la moto de Dakar. Je souhaite également remercier Alain, le directeur de course, Daouda, le président du motoclub et la Fédération Sénégalaise. Je passe également le bonjour à tous les petits du Moto Club et enfin, je remercie Yamaha CFAO Sénégal pour le prêt de la moto de course.”

Un beau boubou, une belle coupe, une belle médaille. Comme un poisson dans l’eau, le Clément.

Et un nouvel article dans le journal national pour la victoire de Clément au Lac Rose.

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