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Camille Chapelière “Je pense qu’il faut s’ouvrir un peu l’esprit”

Illustration: Valentin Guyonnet

Véritable couteau suisse, Camille Chapelière joue le jeu de la polyvalence. Après avoir suivi un schéma “traditionnel” dans ses plus jeunes années en participant au Minivert, au Junior puis à l’Elite, Camille s’est rapidement spécialisé dans les courses sur sable, championnat sur lequel il décrochera le titre en 2016. Depuis lors, et en plus de sa présence sur le CFS, le pilote Landais s’est également adonné à d’autres disciplines, et notamment aux rallyes et au Dakar. Cette saison, son programme comprend encore une petite nouveauté, Camille étant engagé sur la nouvelle coupe du monde E Xplorer pour le compte de l’équipe Gravity, coupe qu’il disputera au guidon d’une Cake. Le garçon a participé à la première épreuve en Espagne le week-end dernier et nous en dit plus sur ce nouveau challenge.

Camille. Pour commencer, qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans cette aventure sur l’E Xplorer Cup?

Je suis assez ouvert d’esprit. Je peux comprendre qu’il y ait des personnes qui ne soient pas forcément pour l’électrique mais en France, le sport mécanique n’est pas ce qui est le mieux vu, ce que les gens préfèrent. En partant de ce constat-là, si on peut rouler en électrique sans faire de bruit et permettre à la réouverture de terrains, c’est une bonne chose. Voilà mon point de vue. Ça fait un an que je roule avec cette Cake électrique et au final, on retrouve pas mal de similitudes. C’est puissant en comparaison avec une moto de cross. Je pense qu’il faut que les gens se rendent compte qu’il est tout à fait possible de rouler avec une moto électrique. Après, évidemment, il n’y a pas le bruit, pas l’odeur, mais on s’y fait. Moi je me régale avec ça.

Tu as eu l’occasion d’en tester d’autres que Cake ? On a vu la Varg débarquer, l’EMX Powertrain qui a d’ailleurs gagné en Espagne.

J’ai essayé une KTM il y a de ça quelques années mais depuis un an, je ne roule qu’avec la Cake. En famille et entre amis, il y a déjà bien moyen de s’amuser. Je n’ai pas pu essayer la VARG, j’aimerais bien. On avait discuté de ça il y a plusieurs mois mais pour le moment, ça ne s’est pas fait.

Si on regarde les vélos électriques, leur développement à permis a des personnes qui n’étaient pas vraiment de grands amateurs de sports de se mettre à faire du vélo, ces nouvelles technologies électrique pourraient-elles permettre d’amener le grand public vers la moto ?

Si ce championnat arrive à aller où il veut, c’est-à-dire dans les grandes villes, on va amener la moto au grand public. Ce ne sera plus aux gens de venir sur des terrains paumés au milieu de nulle part. Je pense aussi aux partenaires, si demain tu fais une course électrique à Paris en plein été, les sponsors vont adorer car il y aura beaucoup de monde. Si tu amènes le sport au public, ce sera plus simple et les retombées seront énormes. Je pense qu’il faut s’ouvrir un peu l’esprit, et voir plus loin que le bout de notre nez.

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Championnat de France des sables, Coupe du monde des sables, E Xplorer Cup et potentiels rallyes. Le programme 2023 de Camille Chapelière se veut chargé @Valentin Guyonnet

Tu comprends les réticences au sujet des modèles électriques qui arrivent ?

Je pense que si demain, Ken Roczen arrive sur un Supercross US et gagne avec une Varg, ou qu’un Jeffrey Herlings gagne un GP avec une Varg, ça changera. Tous ceux qui critiquaient voudront en acheter une. Ça marche tout le temps comme ça. Tant que tu n’as pas vu, qu’on ne t’a pas prouvé, tu critiques. Si tu vois que le mec en électrique part tout le temps devant parce qu’il n’a pas de vitesses à passer, qu’il gagne sur cette moto, tu voudras t’y mettre. Pour le moment, ça gueule un peu et je peux comprendre mais quand tout le monde aura prouvé que l’électrique, c’est dingue au niveau des performances, ça changera. Si tu regardes au Dakar, Audi a sorti un nouveau modèle hybride électrique et quand ils n’ont pas de problèmes, ils pulvérisent toutes les statistiques. Pour le moment, c’est encore trop nouveau.

Est-ce qu’ils n’ont pas fait de la promotion au niveau de leurs motos électriques trop tôt ? Depuis le temps qu’on en parle sans les avoir vraiment vues en piste, les gens ont eu le temps de se dire que si on ne les voyait toujours pas, c’était probablement parce que ça n’allait pas.

Au niveau de la Varg, il y a eu ce problème de Covid et de l’importation des pièces. Aujourd’hui, on galère encore à avoir des pièces pour toutes les marques car les productions ont été ralenties pendant le Covid. Stark s’est lancé pendant le Covid, donc au niveau de la création de moto ça a été compliqué, leur usine s’est arrêtée pendant un petit moment donc ils ne se sont pas lancé au meilleur moment.

Je pense que cette moto est aboutie. Tous les bons pilotes qui ont pu la tester m’en ont dit la même chose, du positif. Cédric Soubeyras a roulé avec la Varg et m’a dit que c’était de la folie. Thomas Do a roulé avec dernièrement et lui aussi a l’air de dire que c’est top. Ken Roczen a été l’essayer et a priori, ça marche bien. Quand tu vois les enchaînements et ce qu’il fait avec … Ce que fait Roczen sur la Varg, avant que 80% des pilotes Français soient capables de le faire, on a de la marge.

Finalement, comment s’est fait ton rapprochement avec Cake pour ce championnat ?

En fait, j’aime bien l’électrique. Par chez moi, il y a beaucoup de chemins pour rouler mais dès que tu roules en thermique, on finit par te tirer dessus. Je me suis dit “pourquoi ne pas passer à l’électrique ?”. J’avais contacté Cake, ils m’ont répondu et ils m’ont prêté une moto en échange de quelques posts sur les réseaux de temps en temps. De là, j’ai vu qu’un championnat du monde électrique voyait le jour et en postant quelques vidéos, Valentin Guyonnet – qui a créé ce championnat – m’a contacté et m’a redirigé vers une équipe. Voilà comme ça s’est fait.

Camille Chapelière est engagé sur l’E Xplorer Cup avec l’équipe Gravity cette saison. @Valentin Guyonnet

Tu me disais avoir dû faire du testing avant l’épreuve, concrètement ça se passe comment du testing sur ces modèles, et compte tenu du fait que vous ne saviez pas à quoi vous attendre ?

Tu sais, ça reste une moto donc c’est plus ou moins la même chose. On teste des pièces, on voit ce qui nous convient le mieux. On n’y pense pas mais vu que c’est électrique, il y a des mappings à essayer: des plus puissantes, moins puissantes, avec plus de reprise ou moins de reprise, etc, etc.

Pour le testing, c’est vrai que c’était un peu compliqué. De base, on devait rouler avec le tout nouveau modèle de chez Cake, vraiment typé cross avec du WP à l’avant et à l’arrière, un moteur plus puissant, un châssis un poil plus performant. Malheureusement, on n’a pas pu l’avoir à temps pour la course donc on a roulé avec un modèle plus axé enduro/familial. Quand on roulait tout seul dans notre coin, ça allait mais en arrivant sur place, on s’est rendu compte que les autres avaient des motos vraiment préparées. Il y avait la moto avec le châssis de 250 YZF, on était assez loin d’être là où on devait être avec notre moto. On a fait comme on a pu.

Concrètement, ça se déroule comment, une épreuve de l’E Xplorer Cup ?

Le vendredi, on fait des essais. On teste la grille, les deux lignes car sur la piste il y a deux lignes qui sont différentes. On teste le tout.

Le samedi, essais chronométrés, 10 minutes par équipes. On est tous les deux sur la grille, un côté part en premier. Quand le premier pilote termine son tour, la grille du second pilote s’abaisse et le cumul des deux runs donne un temps complet. Si le premier pilote fait 1:10 et le second fait 1:15, le temps de l’équipe sera 2:25. Du coup, c’est à toi de voir avec ta coéquipière de quel côté elle préfère aller. Il faut établir des stratégies en fonction de l’aisance sur la piste, c’est sympa.

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Une fois que les qualif’ sont terminées, l’équipe qui a fini première affronte la dernière, la seconde équipe affronte l’avant-dernière, etc. Ce qui était cool, c’est qu’une des équipes a rencontré un problème lors des essais a fait l’avant-dernier temps des essais. Du coup, elle s’est retrouvée contre les premiers des chronos. Dès le début, il y avait de la bagarre.

Lors des affrontements, les deux pilotes de chaque équipe doivent emprunter les deux lignes. Si un garçon affronte une fille et qu’il lui met 15 secondes, sa coéquipière partira dès qu’il franchira la ligne d’arrivée et ce sera à elle de faire en sorte que le concurrent masculin de l’autre équipe ne la rattrape pas par la suite. C’est pareil que lors des essais, sauf que là on roule contre les autres équipes.

Après cette première expérience, qu’est-ce que tu as le plus aimé et à contrario, le moins apprécié ?

J’ai apprécié l’enthousiasme des gens qui croient en leur projet, c’est vraiment cool. La piste était sympa et on était vraiment écoutés. Vu que c’était une première, je pense qu’ils veulent vraiment que tout se passe pour le mieux pour tout le monde. C’était top.

Pour le reste, je pense qu’il faudrait qu’on roule un peu plus. Il y a des gens qui viennent de très loin comme de l’Australie. Le jour de la compétition, on doit rouler 4 ou 5 tours et c’est un peu “just”. Je pense qu’on pourrait faire en sorte de rouler un petit peu plus. Ce n’est qu’un petit détail, tout est déjà bien cadré et il n’y a pas grand-chose à redire. C’est le début et ça ne peut qu’évoluer dans le bon sens.

Une poignée de constructeurs s’affronteront sur ce nouveau championnat électrique cette année, à savoir Cake, Sur Ron, EMX Powertrain & Electric Motion @Valentin Guyonnet

L’électrique, tu le recommanderais a qui ?

Je pense qu’un gars qui veut faire la ligue sans trop savoir sur quoi rouler peut se tourner vers l’électrique. Pour reprendre l’exemple de la Varg, tu peux faire du 125, de la 250 et du 450 avec la même moto et c’est super pratique. Tu veux faire une ligue avec un pote en 125 ? Tu peux. Un national 250 ? Tu peux aussi. C’est polyvalent et c’est cool. Reste à voir si le thermique et l’électrique seront mélangés ou séparés à l’avenir, ça, je ne sais pas pour le moment. Ça a l’air assez compliqué pour l’heure. Stark veut prouver aux gens que l’électrique est mieux que le thermique mais je pense qu’il sera difficile de mélanger tout le monde. On risque de finir avec de l’électrique d’un côté, et du thermique de l’autre.

Finalement, c’est quoi ton programme pour 2023 ?

J’ai signé pour tout le championnat électrique. Donc Espagne, Suisse, France, USA & Japon la première année. Ensuite, tout le championnat de France des sables et le championnat du monde des sables. Ça va me prendre un peu de temps. Notre championnat est étalé sur deux années. J’ai aussi du rallye au programme, on est en train de voir pour les budgets en ce moment; ce n’est pas encore bien défini pour l’heure.

Cette coupe du monde des sables, c’est nouveau également. Tu y participes, c’est comment ?

La première épreuve, c’était le Touquet. Il y avait la deuxième en Argentine et la troisième sera au Portugal, mais ce sera au mois d’Octobre 2023. Il y aura un gros gap entre la seconde et la troisième épreuve. Il faut que ça se mette en place.

Il y a quelques incohérences car pour moi, mettre l’Argentine au programme n’est pas quelque chose d’envisageable tant qu’il n’y aura pas d’aides pour les pilotes. Cette année, on devait être six Européens en Argentine. Cyril Genot était deuxième au Touquet et n’a pas pu y aller et au final, le classement est faussé même s’il y avait des bons pilotes. Si tu n’as pas les bons contacts, aller en Argentine devient compliqué.

Pour que ce championnat soit plus stable, il faudrait rester du côté Européen car ce n’est pas un championnat où on reçoit beaucoup d’aides. Ce n’est pas comme le World Supercross où les teams commencent avec des milliers d’euros en début de saison parce que le promoteur leur alloue un budget.

Comme d’habitude c’est nouveau et c’est critiqué. En attendant, et pour en avoir parlé avec Yentel Martens, le titre de champion du monde, il vaut mieux l’avoir que ne pas l’avoir. Ça a le mérite d’exister, il faut continuer à travailler dessus mais c’est bien de voir que des choses sont faites.

Camille était également présent sur le Dakar 2023 @Red Bull

Avec ce nouveau mondial sur sable et cette coupe du monde E Xplorer, c’est un moyen supplémentaire de gagner sa vie en roulant pour toi ?

Oui. Demain, si je ne gagne plus d’argent, je dois aller bosser comme tout le monde. Après, c’est à toi de faire du résultat, de la bonne communication, de démarcher des sponsors pour t’en sortir, ça prend du temps. C’est a toi de te débrouiller pour signer des contrats en début de saison, avec des primes de résultats, des primes à la signature, et roule ma poule !

Il faut être aussi bon sur les réseaux sociaux que sur la moto, aujourd’hui.

Oui. Pour avoir de la crédibilité, il faut être bon dans les deux. Ce qu’il faut, c’est réussir à faire des résultats et être bon en com’, de là tu as tout pour être aidé. Tu as deux options. Soit tu es très bon et tu n’as pas besoin des réseaux, soit tu fais des résultats sans faire partie de l’élite et tu es bon sur les réseaux; de là tu arrives à t’en sortir.

Camille Chapelière “Je pense qu’il faut s’ouvrir un peu l’esprit”
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