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Davide Guarneri « certains jeunes pilotes se font des illusions »

Interview: Tom Jacobs

S’il en est un qui a connu une carrière polyvalente au plus haut niveau, c’est bien Davide Guarneri. Avec 2 victoires en championnat du monde, 6 participations au Motocross des Nations, une victoire par équipe aux ISDE et 1 titre de vice-champion du monde E3, l’Italien sait ce qu’il faut faire pour réussir, mais aussi rester, au plus haut niveau. Cette année, Davide Guarneri a endossé un nouveau rôle, celui de coordinateur des équipes Fantic Factory Racing.

Depuis son retour en 2020, Fantic a fait une belle percée dans le monde du motocross et de l’enduro. Avec 5 titres Européens, 1 titre de champion du monde Junior et 9 titres mondiaux en enduro, le constructeur italien n’est pas là pour faire de la figuration. Cette saison 2024 marque aussi leur arrivée officielle en championnat du monde MXGP avec Glenn Goldenhoff et Brian Bogers. Ajoutez y les efforts de Fantic en MX2, EMX250 et EMX125 et vous comprendrez que Davide Guarneri est un homme très occupé, mais pas avare au micro. Entretien.

Davide, ça fait quoi d’être de retour dans le milieu du MX avec Fantic après une longue période d’inactivité ? Qu’est-ce qui ressort selon toi, cette saison ?

Bien que je me sois tourné vers l’enduro en 2016, je n’ai pas complètement quitté le Motocross. J’ai assisté à quelques grands prix chaque saison, et je suis resté connecté au milieu. Évidemment, maintenant, je suis dans les paddocks avec un rôle différent de par le passé, quand j’étais pilote. En ce qui concerne le niveau, il y a des fluctuations. Parfois, c’est plus compétitif, parfois mois. Ça dépend de quel pilote arrive dans quelle catégorie, mais aussi de quel pilote arrête, des blessures, des mecs qui partent pour les USA … On ne peut pas vraiment comparer d’une saison à l’autre.

Pour l’heure, on a trois ou quatre pilotes MXGP qui sortent du lot. Mais on ne peut pas comparer à la période Cairoli quand il était au top face à un Clément Desalle ou à un jeune Jeffrey Herlings. Il est difficile de comparer les époques et dire comment ça se passerait. Cependant, j’ai le sentiment qu’il y a moins de pilotes capables de prétendre au podium, surtout en MXGP. Heureusement avec Fantic, on a deux pilotes – Coldenhoff et Bogers – qui peuvent prétendre au podium, ce n’est pas simple mais ils en sont capables. Il y a une certaine marche entre les meilleurs, et les autres.

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Aujourd’hui, le paddock est différent de l’époque où tu étais pilote.

C’est vrai. Et bien que ce soit également un challenge pour Fantic, il y a de nouveaux constructeurs qui sont arrivés en un court lapse de temps: GasGas, Beta, Triumph et Ducati sont sur le point d’arriver également. D’un point de vue technique, le niveau des GP est incroyablement relevé, même en ce qui concerne le milieu de paquet ou les pilotes qui sont plus loin: il n’y a plus de mauvaises motos. Elles sont toutes très bonnes, mais tout se joue sur des détails qui sont plus faciles à gérer pour une équipe d’usine, c’est pourquoi il est extrêmement rare de voir des pilotes privés devant aujourd’hui.

On se souvient de Clément Desalle qui a gagné des GP et terminé troisième du championnat MX1 avec une équipe privée. Moi-même, j’ai gagné le GP de Namur sur une moto privée, Christophe Pourcel a remporté le titre de champion du monde MX2 avec une équipe privée. Il y a pas mal d’exemples de ce genre en fait. Je dirais que le matériel et l’état d’esprit font une énorme différence pour la performance aujourd’hui; le talent ne suffit pas, c’est certain.

C’est ainsi que les choses évoluent et c’est normal de voir les choses évoluer avec le temps. Je suis également frappé de voir à quel point la logistique et la présentation des équipes se sont intensifiées. Il y a les nouveaux « hospitality » en passant par les remorques vitrées fantaisistes en forme de « bocal à poisson ». Ça crée une plus grande distance entre le public et les pilotes. Dans ma position actuelle, je comprends qu’une remorque sans auvent peut aider une équipe à monter et démonter plus rapidement, mais en tant que fan de ce sport, c’est dommage de ne plus pouvoir voir les motos et les pilotes comme avant.

Désormais Coordinateur au sein du groupe Fantic, Davide Guarneri ne loupe pas une miette des manches du mondial, mais aussi de l’Europe 125 & 250@Davide Messora

Chez Fantic, on a fait un énorme boulot à la fin de la saison dernière pour lancer trois équipes usine complètement nouvelles en motocross. Ça s’est passé comment ?

Pour moi, assumer cette nouvelle responsabilité de coordinateur était tout à fait naturel. J’étais déjà impliqué en tant que pilote d’essai pour les motos de la marque Fantic et j’avais mes 12 ans d’expérience en championnat du monde. Cependant, ça n’a pas été facile car auparavant, on ne travaillait qu’avec une seule équipe: Maddii Racing. Ils se concentraient principalement sur des deux-temps, sur l’Europe 250 & 125. En 2023, on est passé sur la XXF – 4 temps – mais Tom Guyon et Hakon Osterhagen se sont tous les deux blessés. En plus de ca, Maddii a dû s’occuper de beaucoup de pilotes, alors on a décidé de faire les choses différemment pour 2024.

Avec ces trois équipes, on a dû repartir de zéro parce qu’elles avaient travaillé avec différents constructeurs auparavant. Donc, des pièces détachées aux connaissances des mécaniciens, en passant par les motos, la logistique, les relations avec les sponsors… on a eu beaucoup à faire ! On travaille également avec 8 pilotes différents et tu dois garder à l’esprit que tout ça est encore assez nouveau pour Fantic, parce qu’on ne participe pas au championnat du monde depuis 20 ou 30 ans comme certains de nos concurrents.

Et puis, il y a des éléments qui sont hors de contrôle. Avec la boue et les mauvaises conditions météorologiques comme celles rencontrées cette année, les pilotes consomment plus de pièces, ce qui signifie de nouveaux défis logistiques. Parfois, les résultats relèvent un peu de la loterie. Enfin, la situation actuelle du marché de la moto est compliquée. Donc dans l’ensemble, je pense qu’on a fait du bon travail au cours de notre première année axée sur le MXGP et le MX2. L’investissement que Fantic fait dans le sport est très important, et ça ne peut qu’être positif pour le milieu.

Quel bilan tires-tu des résultats décrochés en MXGP cette saison ?

Tout d’abord, on a eu une belle opportunité en travaillant avec l’équipe Wilvo de Louis Vosters. Ça a été quelque chose d’énorme, car ils apportent beaucoup de professionnalisme et de connaissances sur la façon de travailler avec un fabricant en tant qu’équipe. Du point de vue des résultats, on est satisfaits. Ce qu’on a vu de Brian Bogers est très encourageant, compte tenu du fait qu’il n’a pas fait de préparation hivernale « habituelle » avant la saison. Je dirais qu’il a fait preuve d’une belle régularité; une régularité qu’il n’avait jamais eue auparavant dans sa carrière. On espère qu’il se remettra bien de sa blessure à l’épaule [contractée en Indonésie] lors des prochaines épreuves. Glenn Coldenhoff a également fait preuve d’un bon niveau de performance en se classant dans le top 5 et en se battant parfois pour le podium. Glenn pointe sixième du classement général du championnat du monde, ce qui en dit long sur sa régularité. On a également été dans le top 6 et le top 7 à plusieurs reprises avec les deux pilotes. C’est une excellente base pour travailler.

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Du haut de ses 39 ans, Davide Guarneri dispose de l’expérience pour aider les jeunes pilotes Fantic@Davide Messora

L’équipe Fantic Factory MX2 compte deux pilotes en MX2 avec Kay Karssemakers et David Braceras, ainsi qu’Alexis Fueri en EMX250. Quel regard portes-tu sur leur première moitié de saison ?

C’est sûr qu’on visait un peu mieux, mais la catégorie MX2 est une catégorie difficile. C’est une catégorie pour les jeunes pilotes, et la plupart d’entre eux n’ont pas encore pu montrer ce qu’ils savent faire. On les juges donc sur leur potentiel et toutes les pièces du puzzle doivent être en place pour qu’ils soient performants. Malheureusement, nos trois pilotes ont dû faire face à des blessures qui les ont tenu éloignés de la moto assez longtemps au début de la saison. Plus de deux mois pour chacun d’entre eux en réalité. David Braceras est revenu juste à temps, avant le premier GP en Argentine. Karssemakers et Fueri sont remontés sur la moto encore plus tard. Dans un cas comme celui-ci, tu es toujours en train de courir pour essayer de rattraper le retard. Pour Kay, il y a eu la transition de l’Europe 250 au mondial MX2 et Alexis a dû s’habituer à une nouvelle moto, ce qui a également joué un rôle. Notre objectif en MXGP et en MX2 était de placer nos pilotes dans le top 10. On doit comprendre où Kay et David peuvent s’améliorer, car dans cette phase du championnat, il est important qu’on puisse voir leurs progrès.

David Braceras a fait des erreurs, et a chuté. Kay Karssemakers a pris beaucoup de bons départs cette année.

Il est toujours difficile de pointer du doigt une chose en particulier, qui les pénalise. Bien sûr, le fait d’avoir manqué d’un temps de préparation crucial pendant l’hiver a affecté leur confiance. Mais avec l’équipe, on doit maintenant tirer le meilleur parti du temps disponible entre les courses pour progresser. On ne demande pas d’avoir des solutions miracles du jour au lendemain pour aller chercher de meilleurs résultats; on veut créer une dynamique pour aller de l’avant.

Vous avez trois nouveaux pilotes sur l’Europe 125. La saison se déroule très bien jusqu’à présent avec Noel Zanocz en leader, et Simone Mancini troisième.

C’est presque trop positif. [rires]. Je veux dire par là que c’est toujours un défi supplémentaire d’avoir deux pilotes qui se battent pour le titre dans une équipe. On a eu de nombreuses courses où nos deux pilotes ont terminé dans le top 3, et il n’y a que deux épreuves où Fantic n’a pas remporté le général. Simone Mancini a eu un peu de malchance au début de la saison, mais il a rattrapé son retard et n’a plus que 7 points à refaire sur Gyan Doensen, qui est deuxième du championnat. On est donc très heureux de la combinaison de Fantic et de l’équipe SDM Corse.

Il est également important de noter à quel point nos pilotes partent fort, car ils sont tous les trois grands et plutôt lourds pour évoluer en 125cc. On a été obligés de choisir des pilotes sans contrat pour 2024, et pourtant ils ont beaucoup progressé, c’est très encourageant pour tout le monde. Il en va de même pour Douwe Van Mechgelen. Il est encore jeune et c’est un spécialiste du sable, mais il n’était pas loin du podium lors de l’épreuve d’ouverture à Riola Sardo. Heureusement, il fait aussi de bons progrès sur le dur. Je pense qu’il peut commencer à se battre pour le top 5. Terminer la saison avec les trois pilotes dans le top 5, ce serait parfait.

Noel Zanocz est leader du championnat d’Europe 125 @Davide Messora

Quelle est l’importance pour Fantic Racing d’avoir construit cette structure pyramidale qui permet d’amener un pilote de l’Europe 125 jusqu’au mondial MXGP ?

C’est un engagement important. Ce n’est certainement pas quelque chose de simple à mettre en place. Cependant, je pense que c’est formidable de donner aux jeunes pilotes l’opportunité de grandir avec la marque, afin d’aller jusqu’au sommet du sport. Ça aide aussi les gens à comprendre nos ambitions. Dans ma position, ça me permet d’acquérir plus d’expérience, de travailler avec différents pilotes et différentes équipes. On peut mettre en place des stratégies, et de meilleures pratiques à partir de ce qu’on apprend des uns et des autres et, de cette façon, je peux aussi donner un meilleur retour d’information à l’usine. Quand vient le moment de prendre des décisions, Fantic dispose de plus d’informations pour travailler, ce qui aide à prendre une décision bien fondée.

Un mot sur ta carrière. Tu as un profil et un parcours intéressant. Tu as remporté six titres italiens, un titre de champion du monde Junior. Tu as gagné les Nations Européennes et tu as passé plus de 10 ans en championnat du monde. Quel est ton plus beau succès ?

Wow. C’est vraiment difficile de n’en choisir qu’un seul ! La première, ce serait ma première victoire en MX2 à Teutschenthal en 2005. Je roulais pour Yamaha Ricci Racing, une équipe d’usine, mais personnellement, je n’ai bénéficié d’aucun soutien de la part de l’usine. J’étais le troisième pilote de l’équipe aux côtés d’Andrew McFarlane et d’Alessio Chiodi. Avant ça, j’avais montré ma vitesse ici et là, mais lors de cette épreuve, j’avais montré que je pouvais aller jusqu’au bout. L’autre succès, ce serait la victoire remportée à Namur, en Belgique. Je suis d’ailleurs le dernier pilote à avoir gagné en MX2 à Namur; ce circuit ne ressemblait à aucun autre. Namur, c’était le Monaco du motocross !

Mon troisième souvenir, c’est la victoire aux ISDE en 2021 avec l’équipe italienne; à la maison. L’enduro, c’est un sport différent, que tu apprécies encore plus si tu le pratique personnellement. Ce qu’on a vécu là-bas, c’était inoubliable avec tous ces gens qui nous encourageaient. Le nombre de spectateurs était énorme, presque comme un Motocross des Nations ! De plus, vivre ça à la fin de ma carrière signifiait beaucoup. J’avais 36 ans et à ce moment-là, tu réalises que c’est peut-être la dernière fois que tu monteras sur la plus haute marche du podium d’un événement aussi important.

Gagner aux ISDE avec l’équipe italienne a dû être un soulagement, après tant de participations au Motocross des nations sans podiums.

Tout à fait. On a eu de bonnes équipes avec Antonio Cairoli, David Philippaerts et moi-même. On était souvent dans le top 3 le samedi après les courses de qualification, mais on n’avait pas de chance le dimanche. C’est comme ça. J’ai toujours aimé porter les couleurs du maillot italien, pour mon pays. Gagner comme on l’a fait aux ISDE au Piémont, c’était vraiment bien. Pour les fans de motocross, c’est difficile à imaginer si tu n’as jamais assisté à une course d’enduro, mais les fans d’enduro sont vraiment passionnés.

David Braceras est désormais officiel Fantic sur le mondial MX2 @FullSpectrumMedia

L’année dernière, tu as été obligé d’arrêter à cause d’une blessure à la nuque, mais tu roules encore beaucoup en tant que pilote d’essai, si j’ai bien compris ?

Peut-être pas aussi souvent qu’on ne le pense, mais quand ils veulent mon avis, je monte sur la moto. Je ne passe plus autant d’heures sur la moto qu’avant, mais c’est encore beaucoup pour un pilote à la retraite ! Bien sûr, ça signifie que je dois rester en forme. Tu ne peux pas te contenter de rouler ‘tranquillement’ pour tester une moto. Je ne suis plus aussi rapide qu’avant, mais je suis content d’avoir cette vitesse là ! Je partage le testing avec Alex Salvini, qui s’occupe davantage des tests en enduro et moi en motocross. Cela dit, je travaille aussi sur la version motocross de la Fantic XE300 2T avec injection électronique et démarreur électrique. J’étais déjà très impliqué dans cette moto depuis le début, alors c’est très fun de faire partie de ce projet.

Ce week-end, il y aura le mondial Junior en Hollande. Tu parles en connaissance de cause puisque tu as remporté le titre mondial junior 125cc en 200. Tu en penses quoi, de ce mondial Junior ?

C’est un peu étrange pour moi quand j’y repense ! Les temps étaient très différents à l’époque, j’étais présent avec mon père, un camping-car et une moto « faite maison ». C’est sûr que le niveau était relevé avec des pilotes comme Sébastien Pourcel, Jérémy Tarroux qui était le favori, Broc Hepler en provenance des États-Unis, Max Nagl aussi, Cairoli et Salvini étaient là. Et certains de ces mecs avaient déjà un bon soutien. Mais ça ne faisait pas partie de la sphère d’influence du GP comme c’est le cas aujourd’hui. Il y avait un peu de buzz, mais on était loin du niveau dont jouit aujourd’hui le championnat du monde junior. Bien sûr, tout le monde voulait bien figurer, mais c’était juste pour voir ce qu’on était capable de faire contre les meilleurs du monde. On ne venait pas pour gagner dans l’espoir d’avoir un contrat d’usine. C’est très différent aujourd’hui. Je n’ai jamais compté ce titre décroché en Autriche comme un titre mondial en soi; je l’ai plutôt considéré comme le début de ma carrière professionnelle.

Aujourd’hui, les meilleurs pilotes 125 sont tous intégrés à des équipes professionnelles soutenues par des usines, que ce soit avec Fantic, Yamaha, KTM ou GasGas… Pour en revenir à ce que tu disais tout à l’heure, il devient déjà très difficile d’évoluer sans aide à ce niveau.

C’est vrai. Le point positif, c’est que ces jeunes pilotes roulent maintenant sur les mêmes pistes que les pilotes de GP, ils apprennent à travailler dans des équipes professionnelles. L’inconvénient, c’est que certains jeunes pilotes se font des illusions. Ils sont au tout début de tout. Ils sont encore loin de rouler en MXGP, même si les médias sont beaucoup plus présents que lorsque je roulais sur une 125cc. À mon époque, il était très clair que le 125cc était une étape d’apprentissage, une transition pour se montrer et voir comment s’améliorer en tant que pilote. L’accent est beaucoup plus mis sur la victoire aujourd’hui, ce que je comprends, mais de nombreux pilotes qui ont réussi en MXGP n’ont pas obtenu de titres en tant que jeunes pilotes. Je préfère cet état d’esprit, qui te permet de tracer ton propre chemin et de travailler sur toi-même plutôt que de courir après le succès à court terme.

Davide Guarneri « certains jeunes pilotes se font des illusions »
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