Il y a des saisons qui resteront dans les mémoires, et 2024 restera inévitablement dans celle de Stéphane Dassé et de l’ensemble du team Bud Racing Kawasaki, qui décrochait le titre de champion d’Europe 250 avec Mathis Valin. Europe, Elite, SX Tour, WSX; le team Bud Racing Kawasaki continue d’agir sur tous les fronts, avec la réussite qu’on lui connaît. Entre un Supercross de Paris et un avion pour Perth, Stéphane Dassé nous livre ses impressions sur la saison 2024; mais pas que. Micro.
Stéphane. Quand tu signes Mathis Valin pour la saison 2024, naturellement, il avait des ambitions. Mais finir avec le titre de champion d’Europe 250, on ne devait pas s’y attendre pour autant avant le début de saison ?
Ah non, pas du tout. On savait qu’on avait un bon pilote, on espérait faire de belles choses, mais c’est sûr que décrocher le titre, on n’y avait même pas pensé. On s’est dit que si on faisait des top 5 régulièrement, des podiums, ce serait déjà bien. Et puis, dès le début de l’année, dès le premier Grand Prix en Europe, on a commencé à avoir de l’espoir. Par la suite, ça s’est vite confirmé. Depuis lors, on a cherché à décrocher la victoire. On est allé jusqu’au bout avec un titre de champion d’Europe à la clé, donc c’est top.
Quand un pilote décroche un titre, il y a des retombées. Par exemple pour Mathis, la retombée c’est notamment un guidon d’officiel chez KRT pour 2025. En tant que team, est-ce qu’on a également des retombées quand on décroche ce titre ?
Les retombées pour le pilote sont directes, parce que ça lui ouvre des portes. Pour l’an prochain, Mathis sera dans un team factory. Pour nous, c’est toujours un peu plus dur à mesurer, commercialement parlant tout du moins. Dans tous les cas, c’est quand même du positif au niveau de tous les partenaires, de l’image du team, de Bud Racing. Commercialement parlant, ces choses ne se mesurent pas vraiment.
Par contre, tous les partenaires repartent avec nous, et sont motivés pour l’an prochain. C’est vrai que la conjoncture est difficile pour beaucoup. Nous, au niveau des partenaires, on n’a pas à se plaindre, ça continue. Ce titre, ça fait quand même partie de la continuité, et de la réussite. C’est une belle récompense pour tout le monde.
De base, Mathis avait signé avec Bud Racing pour deux ans. Il décroche le titre de champion d’Europe avant d’être recruté par KRT. S’il était resté, ça aurait pu être un levier important pour vous au niveau des partenaires, pour négocier des budgets. Quand ton pilote part chez Kawasaki KRT, est-ce qu’ils prennent cet aspect en compte ?
C’est tout à fait ça. Si on avait gardé Mathis, c’est sûr qu’on aurait pu négocier de meilleurs contrats avec nos partenaires. Mais Kawasaki nous aide depuis très longtemps. On est un team Kawasaki depuis 18 ans. Ce que je vois, c’est qu’il y a des années où tu fais de bons résultats, et où tu es donc en position de demander un peu plus. Inversement, il y a des années où tu fais de moins bons résultats, et pour autant, Kawasaki te maintient quand même tes budgets. Pour moi, il était tout de même correct de ne pas leur demander énormément; on sait qu’on peut compter les uns sur les autres.
Quand il y a des bons moments, c’est aussi normal qu’on voit un retour de ce côté-là. Quand on passe des mauvais moments, on sait que Kawasaki est toujours là pour nous soutenir. C’est plus comme ça que je le vois, même si Kawasaki nous supporte de plus en plus, qu’on a des ouvertures de plus en plus directes avec le Japon, etc. C’est très positif. Le côté financier, ce n’est pas vraiment ce qu’on regarde, dans l’absolu.
Quel bilan on tire de cette collaboration avec Benjamin Garib, qui a quitté Bud Racing au terme de la saison 2024 ?
C’est génial. On a passé une super saison avec Benjamin et Mathis. Ce sont deux super gamins. Benjamin, on a été très contents de l’avoir, de lui faire découvrir l’Europe, de lui apporter tout ce qu’on a pu avec Thierry Van den Bosch au niveau du pilotage, avec le team, à essayer de le rendre un peu plus professionnel, essayer de tout faire correctement pour qu’il y arrive. Il a fini la dernière course de l’Europe avec une deuxième place lors d’une manche, ça a été sa meilleure place. Je pense qu’on a atteint les objectifs.
On n’aurait pas pu faire beaucoup mieux avec la victoire de Mathis et une bonne place de Benjamin pour la finale. C’était le maximum, et on est vraiment contents de ça pour lui. De plus, il va avoir un bon guidon au Brésil pour l’an prochain, donc pour nous, ce n’est que du positif cette année 2025.
Pour 2025, vous avez annoncé un Espagnol – Francesco Garcia – et un Australien – Jake Cannon. On sait que tu aimes bien aller chercher des talents à l’étranger. Sur quoi on se base pour signer un garçon comme Jake qui est, aujourd’hui, un peu inconnu du paddock ?
C’est un peu au feeling, c’est un peu un pari. On aime la jeunesse. Malheureusement, il y a beaucoup de gens qui disent «Bud Racing n’a pas pris de pilotes Français en 2025», mais ils oublient vite qu’on aide beaucoup les français dès qu’on le peut. C’est malheureux à dire, mais là, il y a un petit trou en France pour être devant au niveau européen, en 250 du moins. Il y a des jeunes qui ont un très bon niveau en 85cc, qui montent en 125cc, mais c’est encore un peu frais pour faire du 250, donc on a regardé ailleurs.
Et puis, Jake Cannon, je ne sais pas… J’ai vu certaines choses qu’il a faites en Australie, et ça m’a plu; c’était une nouvelle motivation. On a parlé une fois avec lui, et ça s’est très bien déroulé. Donc, en fait, ça s’est fait naturellement. On s’est dit, allez, on fait un petit coup de poker, mais un coup de poker quand même mesuré. Parce qu’on croit, on pense qu’on peut faire de belles choses avec lui.
On voit que Kawasaki revient l’an prochain avec un guidon officiel sur le mondial MX2. Ils ont aussi une structure satellite avec Riley Racing, et forcément vous, sur l’Europe 250. Compléter la pyramide de développement avec le retour d’un programme et donc d’une 125 KX, comme le font les Autrichiens ou même Yamaha, ce serait un souhait de ta part ?
Tout à fait. En fait, c’est ce qu’on espère. Après, on n’est pas dans les petits papiers de la marque. Quand les Japonais ont des projets, ça reste vraiment très secret. C’est comme ça, donc on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe là-bas.
En tout cas, et on le voit au niveau tout-terrain, ils sont motivés. Ils ont sorti une toute nouvelle 250 cette année, un tout nouveau moteur, un nouveau châssis. Donc, ils investissent vraiment dans le domaine du tout-terrain. Pour nous, c’est très positif. Et on espère qu’il y aura une dynamique – un peu comme fait Yamaha ou KTM aujourd’hui – avec des petites motos. On y croit ! En tout cas, on est super contents car chez Kawasaki, on croit en nous à partir de la catégorie 250 et ça, c’est super.
Un petit mot sur le calendrier 2025, quand tu l’as vu, qu’est-ce que tu en as pensé ? Il y a des épreuves assez iconiques qui ont disparu, entre guillemets. Maggiora, Agueda, etc …
Au niveau circuit, c’est dommage. Pour moi, le Portugal, c’est un des plus beaux Grands Prix. On adore aller là-bas, on y va depuis très longtemps. Maggiora aussi, c’est vraiment sympa. Mais de toute façon, il y a un aspect financier qui revient quand même sur le tapis. Je pense qu’au Portugal, vu qu’il a fait vraiment mauvais temps l’an dernier… Je ne sais pas si financièrement, ils s’en sont sortis.
À Maggiora, on voit quand même qu’il n’y a jamais beaucoup de public. Il faut dire que les entrées sont chères sur un Grand Prix comme Maggiora. C’est entre 120 et 150 euros pour un Grand Prix. Franchement, pour moi, c’est hors de prix pour un GP. Je pense qu’il y a un lien de cause et effet à ce niveau-là. Après, de l’autre côté chez Infront, ils ont un business à faire tourner.
Je pense qu’ils ont trouvé des terrains où il y a de la rentabilité, où il y a des clubs qui peuvent financer, ce qui est normal. Ils ont du monde à payer. Mais pour nous, en tout cas, c’est dommage si on ne repart pas au Portugal. On a toujours un peu d’espoir parce qu’il y a une épreuve «TBA» (To Be Announced) proche de l’Espagne. Donc, on se dit, ou plutôt on espère que le Portugal va revenir au calendrier. Mais c’est vrai, ce serait dommage de ne plus repartir sur ce magnifique circuit.
As-tu eu l’occasion de lire l’interview qu’Andy a faite de David Luongo et si oui, qu’est-ce que tu as pensé des propos tenus ?
Je l’ai lue. C’est vrai que de l’extérieur, quand on lit comme ça, David fait un peu arrogant. À chaque fois qu’on lui pose une question, il renvoie un peu dans les filets. Moi, personnellement, j’ai de bonnes relations avec David. Tu vois, je pense qu’il sait très bien ce qu’il fait. Je comprends aussi en partie ce qu’il dit. Ils ont une ligne à tenir.
C’est vrai qu’ils ont développé et fait monter le championnat au niveau de l’image. Ils ont fait de belles choses. Maintenant, c’est vrai qu’en tant que passionné, que team, que pilote, ça fait un peu mal de lire ça, mais c’est comme ça.
Vous avez annoncé un programme junior pour l’an prochain avec trois pilotes 85cc que vous allez aider. Est-ce qu’on peut savoir de quel type de support ils vont bénéficier, et quelle était l’idée derrière ce programme ?
En fait, on a toujours été proche des jeunes. Là, on a quelques jeunes pilotes qu’on supporte déjà avec Bud Racing, deux pilotes 65cc. Il y a Lucas Bos qui roule sur une KTM et Conrad Pinchon qui roulait sur une Yamaha. Et puis, Tim Lopes qui est à côté de chez nous. Ce sont des jeunes qu’on voit souvent. Les Lopes étaient demandeurs pour faire quelque chose avec nous, donc on s’est dit qu’on allait mettre en place une petite structure académique.
On va leur apporter un soutien technique, un soutien à l’entraînement, une sorte de formation pour leur apprendre le métier, en quelque sorte. C’est parti de cette idée-là, surtout qu’on s’entend bien avec les trois.
Nous, ça nous permet aussi de commencer à les connaître, à les voir, à apprendre à travailler ensemble, même s’ils sont encore très jeunes et que c’est encore loin de notre programme principal. Dans le même temps, on se fait plaisir.
Le marché des jeunes, c’est aussi un marché important pour nous. On aime travailler sur ces motos, les faire marcher correctement, c’est aussi un coup de passion pour nous. On va les aider sur l’aspect technique de la machine. Même au niveau formation, ils vont venir faire des stages chez Bud Racing. Il n’y a pas de but à court terme, parce que ce sont des garçons encore très jeunes. D’ici à ce qu’ils soient prêts à rouler en 250, il va se passer beaucoup d’années, mais ça nous plaît beaucoup. Ils sont motivés, sympas; on a envie de les faire progresser.
Il y a encore quelques semaines, ton équipe était à Vancouver pour l’ouverture du World Supercross. Malheureusement, il y a eu la blessure de Cédric. De l’extérieur, j’ai eu l’impression que beaucoup de pilotes ont été surpris par la piste. Est-ce que c’est ton sentiment également ?
Tout à fait. En fait, la piste était belle, la terre était belle aussi, mais elle a quand même pas mal creusé. Tout le monde a été surpris. Le niveau était relevé, et la piste était quand même assez compliquée, même s’ils ont vachement refait le terrain lors du peu d’entractes qu’il y avait. Ça a été très technique, et nos pilotes ont souffert. Ça leur a fait tout drôle. Ce n’est pas la terre bien dure des circuits français.
Et puis, on a vu les commentaires des pilotes Américains, qui étaient un peu habitués à ce genre de pistes; ça nous a un peu soulagés. Mais bon, ça a été dur. On espère que ça ira mieux en Australie. Il va faire 30 degrés, la terre sera peut-être un peu plus dure; on espère qu’on sera meilleurs.
Un mot sur ce World Supercross. On sait que ça a pris un peu de retard. Il y a eu le changement de promoteur, pas mal de négociations avec les équipes. Il y en a qui sont partis, vous êtes sept teams à être restés. Qu’est-ce que ça a apporté, en interne pour vous, ces changements ?
En fait, ce qu’il nous manquait vraiment sur ce championnat, c’était de la sérénité, c’était de pouvoir faire confiance à un programme clair. Ça faisait deux ans que le championnat avait débuté. On partait avec six courses, on finissait avec trois, quatre, avec des annulations, des changements de dates. Il y avait un manque de stabilité.
Avec le nouveau promoteur, c’est vrai que tout se stabilisait. Depuis les annonces du premier jour, jusqu’à aujourd’hui, tout se passe comme prévu. On a les dates, mais aussi ce qui nous avait été promis, et donc ça nous met vraiment en confiance.
Il y a un peu de retard cette année, mais dès maintenant, ils commencent déjà à penser à 2025, 2026, avec les lieux, le nombre de courses, les plannings, les dates, tout ça. On prend de l’avance et ça permettra au championnat de monter parce que plus tôt on sera prévenu, plus tôt on pourra aussi s’occuper de discuter avec des bons pilotes, de programmer et planifier un championnat, et de signer des bons pilotes et faire monter le niveau du championnat. Je pense que c’est en bonne voie. La relation entre le promoteur et l’équipe, en ce moment, est très bonne.
En France, on a pas mal de terrains, on a aussi beaucoup de bons pilotes. Chaque année, on a un Grand Prix de France. L’an prochain, il y en aura deux. Pourtant et si on regarde cette année, nos meilleurs pilotes nationaux ne font pas de piges sur le championnat du monde à l’occasion du Grand Prix de France. Est-ce qu’on comprend finalement que ces pilotes n’aient plus l’envie de s’aligner sur un GP de France ?
Non, pas forcément. Avant, je comprenais. Par exemple, il y a deux ans, c’était 1.000 euros l’engagement, plus le changement de licence qui coûte 700 ou 800 euros de plus; c’était trop cher. À ce niveau-là, Infront veut remplir les grilles. Ils ont baissé les engagements à 300 euros. Normalement, pour les pilotes nationaux et les pilotes français, c’est l’occasion de faire un Grand Prix. Bien sûr, tu feras ce que tu pourras, mais je trouve que c’est quand même une aubaine de pouvoir se mesurer aux meilleurs, et d’être là. Donc, je trouve ça un peu dommage. Et on dirait qu’ils n’y croient pas trop, je ne comprends pas vraiment. Je pense que pour n’importe quel pilote Français, faire son Grand Prix de France, ça vaut le coup. Aujourd’hui, les tarifs sont mesurés, donc j’espère qu’il y aura un peu plus de monde à l’avenir.