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Benoit Paturel “Je n’ai jamais lâché, même malgré les moments difficiles”


Un camping-car parqué au fond d’une allée du paddock non loin de la structure du team De Baets, voilà l’hôtel de Benoit Paturel et sa compagne Amélie à Arnhem. Suite aux nombreuses blessures contractées par le clan tricolore cette année, Benoit Paturel est finalement le pilote Français qui est le plus actif en championnat du monde cette saison. “Tout le monde s’en fout, de Paturel” plaisante le pilote Français qui se décrasse sur un home trainer désuet après la manche qualificative MXGP du samedi, disputée sans frein arrière. Benoit n’est pas du genre à être langue de bois. Benoit aurait même beaucoup de choses à dire, d’histoires à raconter. Mais pour l’heure, Benoit se concentre sur sa fin de saison 2024. Une saison abordée sans préparation hivernale et, malgré le train de retard par rapport au reste du plateau, le garçon a signé une poignée de tops 10 cette année, et notamment une 7ème place à Maggiora. On lui a proposé de faire le point, entre deux coups de pédale. Micro.

Benoit, petite curiosité. Tu viens de t’enfiler 25 minutes de sable à Arnhem et là, tu es en train de pédaler sur ton vélo. Pourquoi tu fais ça, et c’est quoi l’impact si tu ne le fait pas ?

En fait, c’est simplement pour décrasser tous les lactates qui ont été accumulés pendant la manche, pour récupérer au mieux pour la journée de demain [dimanche]. Ça consiste à s’échauffer avant la course, et à faire de la récupération après. Là, ce soir, c’est 30 minutes. Je fais juste tourner les jambes histoire d’être bien pour rattaquer demain. Si je ne fais pas ça, moi, je serais serai moins frais au niveau des jambes, moins actif, j’aurais plus de brûlures. Donc voilà, c’est pour limiter tout ça.

On avait discuté lors de ton premier GP de la saison; on rappellera que tu n’avais pas eu d’intersaison. Là, on est sur la fin car il ne reste plus que 4 GP. Tu as fait quelques top 10, des bons résultats, quelques moins bons aussi. Tu es 15ème du championnat. On est dans les clous cette saison ?

Le bilan, c’est que c’est une saison compliquée parce que sans hiver, c’est dur de rattraper le train en marche. On sait que si tu n’as pas la base des fondations – qui se fait pendant l’hiver – c’est dur de performer et c’est valable pour n’importe quel pilote, même pour les champions. Je trouve quand même que quand tous les feux étaient au vert au niveau technique – et également dans tout ce qui m’entourait – j’ai su faire des résultats corrects dans les 10, montrer que je savais toujours faire de la moto. Quand il y avait des moins bons résultats, malheureusement, beaucoup de choses en coulisses ont fait que ça a moins bien fonctionné, mais c’est comme ça. Je me suis battu toute l’année pour montrer que j’avais encore ma place en MXGP, dans les 10, et voilà. On continue de se battre tous les week-ends.

Concrètement, comment on fait pour combler son retard quand on ne fait pas de préparation hivernale ?

Honnêtement, c’est très compliqué, à moins de prendre des bons produits. Mais quand les courses s’enchaînent tous les week-ends comme ça, où que tu n’as qu’un week-end off entre les épreuves, il faut trouver la balance entre en faire assez, mais ne pas trop en faire pour ne pas s’épuiser. C’est juste ça en fait, trouver l’équilibre, être toujours dans le juste-milieu. En fait, c’est à ça que sert l’hiver. Si tu as une base construite pendant l’hiver, tu récupères mieux pendant la saison, t’as plus d’heures dans les jambes donc c’est plus facile d’enchaîner. Là, il faut combler ton retard, donc il faut travailler plus, mais il faut aussi récupérer, donc on est toujours près de la limite et c’est facile de passer de l’autre côté.

Tu me dis en rigolant qu’il faudrait avoir des bons produits. J’ai essayé de faire un sujet cette année sur les contrôles anti-dopage, sur le dopage dans le monde du motocross, je me suis pris des portes fermées d’absolument partout, est-ce que ça te surprend ?

Non, ça ne me surprend pas. Moi ça fait 10 ans que je fais les Grands Prix. C’est ma 10ème année et en l’espace de 10 ans, j’ai été contrôlé une ou deux fois, maximum. La dernière fois que j’ai été testé, il me semble que c’était au Portugal en 2019. Je ne trouve pas ça normal.

Un mot sur le Motocross des Nations 2024, est-ce qu’on attend un coup de fil de la FFM ?

Oui on l’attend, mais on l’attendra longtemps parce que malheureusement, et bien que ce soit dur à dire, je pense que ça reste de la politique. En étant dans un team privé, on n’a pas l’avantage. Même si on fait des top 10 et qu’on montre qu’on roule bien, qu’on est là sur toute la saison, on est dans un team privé … C’est aussi l’un des avantages d’être dans un team d’usine avec des boissons énergisantes en sponsor.

On parlait de cette préparation hivernale, on entend toujours dire que vous faites ce bootcamp d’intersaison. On vous voit faire du sport, du vélo sur les réseaux. Mais finalement, on ne se fait pas exactement une idée du volume. Est-ce que tu peux me détailler un peu plus, ça ressemble à quoi un entraînement d’intersaison ?

En fait, il y a bien cette préparation hivernale, mais de toute façon un pilote de haut niveau, c’est 11 mois sur 12. En gros, la logique c’est: un mois de coupure au mois d’octobre et on rattaque en novembre. Donc on s’entraîne à l’intersaison en novembre, décembre, janvier et février et c’est entre 20 et 30 heures d’entraînement chaque semaine. On commence par 3 entraînements de moto par semaine, et ça peut aller jusqu’à 5. Il faut répéter ça pendant 4 mois et si tu fais ça comme il faut, tu es prêt en début de saison. Pour le physique, ça dépend de certains pilotes. Moi, je fais beaucoup de vélo. On parle de 3-4 sorties par semaine, entre 80km et 120km. Ça peut aller jusqu’à 150 kilomètres lors des grosses sorties en hiver. C’est minimum 3 heures de vélo à chaque sortie, mais ça m’est arrivé de faire des 6-7 heures pendant l’hiver, sur des séances spécifiques. On calcule ta VO2 Max en début d’année, on adapte ton programme en fonction de ça, et on refait plusieurs tests de VO2 Max pendant l’année, pour suivre.

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Ça fait une décennie que tu es sur les grands prix. Le plaisir, est-ce qu’il est toujours là et surtout: est-ce que c’est le même aujourd’hui qu’il y a 10 ans ?

Oui le plaisir est toujours là. Le milieu, je trouve qu’il a beaucoup changé et comme je l’ai dit, il y a un gros désavantage en tant que pilote privé. C’est devenu ultra dur de se battre contre des usines qui ont de très gros moyens, beaucoup de personnel et du matériel. Si tu n’as pas une équipe privée et tout ce qui va autour de toi, c’est vraiment compliqué de se battre dans les 10 premiers. Certains ont encore du mal à le croire, mais maintenant, le niveau des 20 premiers en MXGP est très relevé ; tout le monde travaille dur, tout le monde met les moyens et du coup, ça devient de plus en plus compliqué de suivre.

Mon ressenti, c’est qu’aujourd’hui un mec qui fait 18e d’un MXGP, pour la plupart des gens, c’est un mec qui se traîne. La réalité, c’est que ce mec qui fait 18e, c’est un mec qui s’envoie déjà un sacré paquet d’heures de moto, qui fait les mêmes entraînements et sorties vélos que les mecs de devant. Est-ce qu’on ne s’est pas un peu déconnecté de la réalité à force de voir des Gajser, des Febvre, des Herlings, Prado. Des mecs qui gagnent tout le temps et qui sont finalement plus l’exception que la règle. Car finalement, si tu n’es pas sur le podium ou dans le top 5, pour le spectateur lambda, c’est juste que t’es” mauvais”.

En fait c’est exactement ça. Tu as tout résumé, et tu l’as très bien dit. Je pense que c’est malheureusement ce que les gens pensent aujourd’hui. À la télévision, on ne voit que les premiers, donc quand ils voient un mec faire 14e, 15e, 16e ou comme tu le dis 18e, ils se disent que ce mec se traîne. La réalité, c’est que ce n’est pas du tout le cas. Les 20 premiers du mondial MXGP, ils travaillent dur. Tout le monde a faim, tout le monde a du mental, tout le monde veut être devant et le niveau augmente chaque année. Je pense qu’il faudrait que les gens aillent sur les grands prix, se mettent au bord des terrains et regardent tout le monde. Ils verraient alors que tout le monde met du gros gaz. Parfois, c’est à se demander si les gens ont les yeux en face des trous mais bon, qu’est-ce qu’on peut y changer ?

Est-ce que ça affecte le mental, de se dire que finalement on n’est pas considéré comme on devrait l’être, simplement parce qu’on n’est pas dans le groupe de tête ? On parle de la mécanique, de la technique, mais le mental joue aussi un gros rôle.

Pour ma part, pas du tout. Tout ça, je le fais pour moi-même. Donc ce que les gens pensent, ça ne me touche pas du tout. Je suis fier de moi, je suis fier de m’être accroché malgré tout ce que j’ai pu vivre après mes belles années en MX2. Je n’ai jamais lâché, même malgré les moments difficiles. Oui, j’aurais voulu faire des podiums, me battre pour un titre MXGP, mais comme je l’ai dit, il faut qu’énormément de choses s’alignent pour y arriver. Aujourd’hui, je roule encore, j’ai encore l’envie, de l’ambition. On verra de quoi sera fait la suite mais je n’aurais pas de regret car moi, j’ai toujours tout donné.

On a discuté de l’histoire d’Amaury Maindru. Qu’est-ce que tu te souviens de tes jeunes années avec tes parents, en 65cc, 85cc, l’Europe. Tu étais aidé à l’époque, intégré au collectif France, tout ça ?

C’est vrai que depuis 2008, j’ai toujours été dans les collectifs, que ce soit 80cc, 125cc. On a été un peu aidé, guidé lors des années sur l’Europe. Après, j’ai eu la chance d’être dans un team à l’âge de 14 ans, le team 2B. Et après, ça a suivi avec Bud Racing puis les années avec Kemea Yamaha, etc. Donc moi, j’ai eu de la chance d’être dans des teams assez jeunes, donc c’est ce qui m’ai aidé pour grimper les échelons. Je n’étais pas devant en 65cc, 85cc et dès la 125cc, j’ai pu passer des caps pour me rapprocher du haut niveau.

À partir du moment où tu rentres dans un team comme ça, tu as bien souvent un entraîneur privé, un programme bien établi et dans la plupart des cas tu vis à l’étranger si tu n’es pas dans un team Français. Qu’est-ce que le collectif France peut t’apporter à partir de ce moment-là, qu’est-ce que tu te souviens de cette expérience finalement ?

Je pense que quand t’es très jeune, que tu roules en 65cc et en 80cc, c’est très bien de pouvoir faire quelques stages. Après, comme tu l’as dit dès que tu montes en 125cc ou en 250cc et que tu parviens à entrer dans des teams, tu es un peu livré à toi-même et c’est à toi de te faire ton entourage privé solide. Là, il faut vraiment t’entourer des bonnes personnes et c’est ça le plus compliqué dans notre sport. S’entourer des bonnes personnes, et surtout des personnes compétentes. Malheureusement, il y a des jeunes qui, quand ils rentrent dans des teams, ça ne se passe pas bien. Ils sont livrés à eux-mêmes, et puis c’est voué à l’échec par la suite.

Quand je discute avec certains parents ou pilotes dans les paddocks, je suis toujours surpris d’entendre que les mecs qui gagnent sur l’Europe que ce soit en 125cc ou en 250cc ont des contrats aussi pauvres, et qu’une bonne poignée gagne une misère.

Ce n’est pas normal, et c’est pour ça que le sport va très mal, et que l’avenir de ce sport me fait peur. Honnêtement, si tu n’es pas dans les cinq premiers du championnat du monde MXGP, c’est dur de gagner ta vie. Alors oui, on la gagne quand même notre vie mais on ne la gagne pas comme on devrait la gagner quand on voit tous les efforts qui sont fournis et les risques qui sont pris. Aux Etats-Unis par exemple, les pilotes sont bien plus considérés qu’en Europe. Pour eux le MX là-bas, c’est un peu comme le foot en Europe. C’est ce qui devrait changer, on devrait pouvoir toucher des montants fixes dans le top 20, comme en cyclisme, comme en MotoGP ou les athlètes sont vraiment estimés.

L’argent, c’est le sujet tabou mais qui résout bien des problèmes… Ces dernières années, tu estimerais que tu vis correctement du Motocross, que tu survis avec le Motocross, ou que tu perds de l’argent avec le Motocross ?

Non, aujourd’hui, je vis correctement du motocross. Si ce n’était pas le cas, ça ferait bien longtemps que j’aurais arrêté. Le truc, c’est que ce que tu gagnes, ce n’est rien par rapport aux risques, à l’investissement effectué par le pilote au quotidien, les frais que ça engendre justement de s’entourer de bonnes personnes, etc, etc. On n’est pas assez payé, il y a un gouffre trop conséquent entre les 5 premiers et un pilote comme moi qui se bat et qui intègre le top 10.

Pour arriver à ce niveau là, vous avez sacrifié beaucoup de choses et en général ça a commencé par l’école. Tout ce que vous avez toujours connu c’est la moto. Le jour où ça s’arrête parce qu’une carrière de pilote s’arrête relativement tôt dans une vie, comment on passe à l’après ? Est-ce qu’on prépare ça, est-ce qu’on se demande comment on va rebondir ? À 16 ou 17 ans, tu ne penses pas à ça mais quand la trentaine arrive, tu dois commencer à penser un peu plus à l’après ?

Oui bien sûr, vu la conjoncture actuelle comme je l’ai dit, ça devient de plus en plus compliqué d’avoir des bonnes places, des bons teams. Évidemment à un moment donné, quand tu t’investis autant et que tu n’as pas les retombées que tu souhaites, tu finis forcément par te poser cette question. Après, aujourd’hui, je suis plus à me donner à fond, à m’entraîner, à vivre le moment présent. Le futur, je verrai quand ça sera le moment. La suite pour moi ? Je ne sais pas du tout comment elle sera faite. Comme tu l’as dit, on est formaté. Dès mes 4 ou 5 ans, j’ai su ce que je voulais faire, devenir un pilote de motocross professionnel. J’ai réussi. J’ai gagné un grand prix, j’ai fait des podiums en championnat du monde, un podium final. J’ai gagné avec la France au Motocross des Nations. Ma carrière, je peux quand même en être fier. Beaucoup de pilotes auraient rêvé de faire ce que j’ai fait. Pour l’heure, on est en 2024 et je ne sais pas vraiment de quoi l’avenir sera fait pour moi. J’espère pouvoir continuer quelques années, parce que j’ai encore envie. En plus, on voit maintenant qu’après la trentaine, il reste encore beaucoup de bons pilotes.

Benoit Paturel “Je n’ai jamais lâché, même malgré les moments difficiles”
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