Ce n’est un secret pour personne, l’industrie du Motocross subit la conjoncture économique. Pilotes, comme équipes, ont de plus en plus de mal à boucler des budgets et trouver des partenaires pour effectuer des saisons toujours plus coûteuses. Au sein du paddock, une poignée de structures font office de véritables fondations pour les championnats mondiaux et Européens; parmi ces dernières, quelques structures Françaises, dont VHR GasGas. On a été à la rencontre de son propriétaire – Bruno Verhaeghe – pour savoir comment cette dernière parvenait à faire face à l’heure où les budgets sont revus à la baisse. Micro.
Bruno, il y a du nouveau au sein de ton équipe cette saison. Qu’est-ce qui a fait que le choix s’est porté sur Maxime Grau cette année pour l’EMX, et est-ce qu’on fait en sorte de privilégier un Français en premier lieu quand on cherche un pilote ?
Écoute, Maxime s’est retrouvé sans guidon en fin d’année dernière puisque le team BT avait arrêté et, avec Steven que je connaissais bien et qui a travaillé avec nous en 2022, ils sont venus discuter. Moi, je cherchais un pilote pour être aux avant-postes donc ça s’est fait naturellement. Maxime cherchait un team pour rouler, moi je cherchais un pilote.
On essaie toujours de chercher des pilotes français qui vont bien, oui. C’est quand même un peu le but du jeu, d’aller chercher les bons Français pour pouvoir les amener vers le plus haut niveau. Ça n’a pas toujours été le cas, ou été possible. L’année dernière, on avait Scotty qui était là pour le mondial MX2 mais il s’est blessé et après, j’ai signé Isak Gifting, un pilote Suédois avec qui ça s’est super bien passé. En majorité, j’ai toujours au moins un pilote Français pour faire l’Europe 250 ou le mondial. Ça dépend toujours, mais on essaye de favoriser les pilotes de chez nous.
Maxime a la vitesse, il a aussi l’expérience de la catégorie. On fait quoi en priorité comme travail avec lui, pour l’amener à franchir ce step et à trouver cette régularité ?
Pour moi, le souci de Maxime, c’est qu’il a été dans de très gros teams très jeunes, et je pense qu’il s’est mis la pression et de là ont suivi des blessures. Aujourd’hui, je pense qu’il recherche plutôt un team familial, pour avoir un peu moins de pression sur les épaules. Maxime, c’est une jeune qui a l’agressivité dans l’âme. Il veut gagner, être devant à tout prix et je pense que parfois, il précipite un petit peu trop la chose comme ce dimanche en deuxième manche ou il était parti dans les cinq avant de chuter deux fois; dommage car il roulait vraiment bien, et on a eu un petit souci mécanique. Je pense qu’il y a un petit peu de précipitation de sa part, et de son côté, il veut prouver qu’il est capable de rouler devant mais ça, ce n’est pas toujours bénéfique en piste.
Ça fait un paquet d’année que tu es sur le mondial, sur l’Europe. Être propriétaire d’un team, c’est plus dur saison après saison ?
Oui. Déjà en France, on a une économie qui ne fonctionne pas, donc pour aller chercher des sponsors c’est une catastrophe. Si tu veux et par rapport à mon métier, j’avais quand même beaucoup de partenaires extra-sportifs et honnêtement dans mon secteur depuis deux ans, c’est la catastrophe. Donc effectivement, ça devient de plus en plus dur et au niveau du matériel, c’est pareil; il y a des réductions de budget qui sont énormes. Pour nous en tant qu’équipe, ça devient vraiment difficile pour être très franc.
Chez Infront, on est conscients de vos difficultés ? Le promoteur vous aide, ou c’est plutôt du genre “débrouillez-vous, et si vous n’êtes pas là, tant pis” ?
Honnêtement, l’année dernière, Infront m’a quand même bien aidé en grand prix parce que je ne payais quasiment rien sur les overseas, et on avait eu un engagement gratuit. Infront fait des efforts. Pour moi, ça vient plus des constructeurs qui – eux – réduisent les budgets. De mon avis, c’est un peu pareil qu’en France car je pense qu’économiquement, au niveau Européen, ça ne fonctionne pas non plus et les concessionnaires ne gagnent pas d’argent. Du coup, tout le monde réduit les budgets mais à un moment donné, quand tu veux faire de la compétition et être compétitif, tirer sur les budgets et tout réduire au minimum, ça ne fonctionne pas. En fait, c’est vraiment devenu une difficulté à tout niveau. Tu prends une marque, n’importe quelle marque qui travaille dans la moto, elle est aussi dans une situation difficile.
Un mot sur la règle de l’âge rabaissée à 21 ans en Europe 250. Qui dit âge rabaissé dit aussi que vous avez les pilotes moins longtemps, ou encore que le marché est moins fourni car il y a de fait moins de pilotes à signer dans la catégorie. Cette règle, ça va dans le bon sens selon toi ?
Cette règle des 21 ans à l’Europe ne me dérange pas parce qu’aujourd’hui, on voit de plus en plus de jeunes de 17 ans qui montent sur l’Europe 250. Ces gamins là arrivent à faire trois ou quatre ans d’Europe et je pense que c’est largement suffisant avant de monter sur le mondial. Maintenant, là où ça pêche pour moi, c’est le mondial MX2 à 23 ans. Ce n’est pas normal, on devrait au moins pouvoir aller jusqu’à 25 ans. Parfois, il y a des pilotes qui arrivent sur le tard, qui ne sont pas aussi performants d’entrée de jeu que les autres et qui ont besoin de plus de temps. Nous, ça nous permettrait aussi d’avoir plus d’options avec des pilotes. On parle toujours des trois ou quatre meilleurs qui ont 17/18 ans et qui sont déjà sur le mondial, mais tout le monde n’est pas comme ça. Il y a eu des parcours comme celui de Marvin Musquin, qui a été champion du monde MX2 à 20 ans. Marvin n’a pas été champion à 17 ans ! Je pense que l’erreur vient de là, je pense qu’on devrait laisser les pilotes rouler en MX2 jusqu’à 25 ans minimum.
Deuxième chose, c’est vraiment très dur de se trouver un bon team en MXGP parce que là, on se frotte aux gros bras mais surtout à des teams qui ont des moyens colossaux donc c’est encore plus compliqué pour un jeune qui a 23 ans de trouver un team en 450, ou alors ils vont se trouver des petites équipes avec des motos d’origine et ils ne seront pas capables de se battre pour jouer dans les 10 ou 15 premiers.
Est-ce qu’on a l’impression que les écarts se creusent de plus en plus entre les teams factory, et les autres ? La situation économique n’est pas flamboyante, et c’est la même chose pour tout le monde mais quand on voit que certains teams ont des millions de budgets, eux sont probablement moins impactés que les plus petites structures.
De toute façon le nerf de la guerre dans la compétition, c’est l’argent. Moi, je le vois bien. Techniquement on arrive à faire des bons moteurs mais maintenant, le souci c’est l’entretien, les révisions. On est toujours obligé de pousser au maximum parce qu’on n’a pas les ronds pour pouvoir faire un moteur toutes les semaines, alors que c’est ce que font les teams usine. Automatiquement, tu prends des risques. Parfois, ça marche et parfois, ça ne marche pas. Le problème, c’est l’argent. Je vois, je bosse avec un budget de 350.000€, et il m’en faudrait au moins 200.000€ de plus.
Est-ce qu’on ne peut pas faire un consensus avec les teams pour se faire entendre ? Vous êtes les piliers du mondial. Pas de teams, pas de pilotes, pas de championnat. Au bout d’un moment, si ce n’est plus possible pour vous, il va falloir opérer des changements parce que sur le moyen et long terme, vous allez tous finir par partir et il ne restera plus que les teams usine. Tu balances 350.000€ dans une saison, et tu as zéro retour sur investissement. Qui peut encore se le permettre ?
Ah ça, je te rassure, il n’y a aucun retour sur investissement et pas le moindre remerciement, même si tu fais bien les choses. Si tu veux, aujourd’hui, je pense qu’économiquement les teams usines font de mieux en mieux; ils prennent de plus en plus de pilotes. Quand je vois les équipes de KTM, GasGas, Husqvarna … À la limite, ces grands groupes ont assez de pilotes donc quand on arrive derrière, ils nous disent qu’ils vont nous aider mais ils savent très bien qu’ils auront déjà six pilotes aux avant-postes. En fait, ils n’ont pas vraiment besoin d’avoir d’autres pilotes dans les structures annexes. C’est peut-être même de trop pour eux, donc c’est pour ça qu’ils nous réduisent à chaque fois les budgets.
Après au niveau de l’entente, ce n’est jamais facile de s’accorder ensemble. C’est comme le monde du travail, tout le monde va essayer de tirer ses propres ficelles et chacun essaye de son côté de s’en sortir du mieux possible.
On en a parlé, tu avais Scotty pour le mondial l’an dernier avant sa blessure, puis Isak l’a remplacé sur les grands prix. Pas de programme MX2 cette année, question de budget, j’imagine ?
Oui, on en revient au même. Économiquement, ça va très mal pour moi et j’ai préféré réduire la voilure, avoir moins de courses et pouvoir plus me concentrer sur un pilote. Après, j’ai aussi Mathilde [Martinez] et Alicia Goggel qui nous a d’ailleurs ramené un beau budget, et que je remercie d’ailleurs parce que c’est un peu grâce à elle que je suis là aujourd’hui.
Scotty vole de ses propres ailes, il a trouvé un accord avec un team pour faire l’AMA cette année. Il s’est fait réopérer de son genou et il est parti s’entraîner avec Yannig Kervella cet hiver, qui a trouvé qu’il roulait vraiment bien en 450. Ils ont trouvé un deal avec un team pour l’outdoor. Je pense que Scotty avait besoin aussi de se retrouver un peu en dehors du team familial, pour se prouver qu’il était capable de se débrouiller. En ce moment, il est en France; il a roulé à Basly même si c’était un peu compliqué pour lui après 3 mois aux US mais la vitesse était bonne, les sensations aussi. Il va repartir mi-avril là-bas pour bosser pendant un mois et demi avant la première de l’outdoor. Là, il est bien dans sa tête, et c’est top pour lui.
Finalement, tu parviens un peu à te projeter dans l’avenir avec ta structure, pour les prochaines années ? Tu te demandes où tu seras, dans 5 ans ?
Je vais te le dire honnêtement, si je ne trouve pas un deal sérieux l’année prochaine, ça va être très difficile et je pense que je réduirai encore l’investissement. Je ne peux pas admettre de faire de la compétition et de ne pas avoir les budgets qu’il faut pour être devant. Ça ne marche pas comme ça, et c’est impossible de faire du bon boulot dans ces conditions. Si tu veux, moins tu as d’argent, plus tu fais de la m*rde, et ce n’est pas du boulot. Tu ne peux pas engager des pilotes pour ne pas être capable d’assumer derrière, ça ne fonctionne pas comme ça, ou alors tu te fais tirer dessus de partout.
On a un peu la chance de voir que de nouveaux constructeurs arrivent, j’espère qu’ils vont pouvoir se rapprocher de teams pour faire des filières avec des jeunes, faire du MX2. J’espère que ça va fonctionner, nous on fera tout pour que ça fonctionne de notre côté mais si ça ne marche pas, je ne sais pas si je referai une saison d’Europe.
J’ai fait un sujet avec Jean-Luc Fouchet sur le SX Tour dernièrement. Il me disait ne pas comprendre pourquoi les teams Français engagés sur l’Elite, l’Europe et/ou le mondial – pour ne citer que Bud, VHR et Honda SR – ne faisaient pas évoluer leurs pilotes en SX Tour. On répond quoi ?
La réponse, je l’ai. En France, on mélange des championnats dans tous les sens. On ne peut pas demander à des constructeurs et à des pilotes de se focaliser sur deux championnats en même temps. Il faut du matériel supplémentaire et le matériel, on ne l’a plus. On nous réduit en motos, on nous réduit en pièces. Pour faire du Supercross, il faut des motos différentes, il faut des suspensions différentes, il faut de l’entraînement en Supercross. On ne peut pas, en plein mois de juin, aller faire des Supercross alors qu’on est en pleine saison de Motocross; c’est impossible. Je ne peux pas dire aux gamins et à KTM “Bon, on va arrêter de s’entraîner en Motocross pour faire du Supercross”. À la rigueur, si on se cale et on fait des championnats de Supercross qui sont en dehors des notres, c’est à dire après les championnats de motocross, on aurait peut-être des pilotes français qui viendraient sur le SX Tour, et même des pilotes étrangers.
Jean-Luc, je l’ai eu au téléphone, je le connais depuis longtemps. Le problème, c’est que les pilotes roulent sur les SX Outdoor pour se qualifier aux épreuves indoor. Qu’ils ouvrent les qualif’ en Indoor pour que les autres puissent venir pendant l’hiver, quand leur saison de Motocross est terminée. La réponse ? “On ne peut pas“. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent.
Après, c’est toujours pareil, c’est un problème d’argent. Quand on voit qu’un mec se qualifie en l’Elite, et qu’il fait 10-10 pour prendre 190€, il faut arrêter à un moment. Les mecs ne vont pas aller prendre des risques pour rouler sans prendre de ronds. À un moment, je pense qu’il faut qu’ils se remettent – eux – en question. Déjà, il faut des primes pour que les mecs gagnent leur vie, et qu’ils ne se déplacent pas pour rien et dans un second temps, il faut arrêter de vouloir faire 10 championnats en même temps. Matériellement, ce n’est plus possible.
Quand tu es un gamin comme Grau, qui est parti depuis tout petit pour être champion d’Europe, tu ne peux pas le motiver en lui disant de se focaliser sur du Supercross. Dans sa tête, c’est impossible. Si le gars se concentre sur l’Elite, oui, mais s’il se concentre sur l’Europe, c’est impossible. Ils croient qu’au mois de Juin, pendant toutes nos courses de l’Europe, on va demander à Maxime d’arrêter de faire du Motocross pour faire une nouvelle discipline, sur une nouvelle moto, de nouvelles suspensions ? Non mais franchement. Faire un petit peu de Supercross de temps en temps, oui, mais faire du Supercross en plein mois de Juin, ce n’est pas possible pour nous.
Maintenant, je comprends qu’en France, il y ait un problème de météo. Ils sont obligés de faire leurs courses au mois de Juin car c’est là qu’il fait le meilleur et qu’ils prennent aussi des ronds avec les spectateurs mais pour nous, c’est impossible. Et puis, quand un pilote signe avec le groupe KTM, il lui est formellement interdit de faire du Supercross dans la saison et ça, ce n’est pas moi qui le veux. J’ai toujours été branché SX, mes grands aussi, mais à chaque fois qu’on voulait en faire, on me disait “Ah non Bruno, c’est l’indoor et là, ce ne sont que les mecs qui se sont qualifiés via les épreuves outdoor qui peuvent rouler”.
Et puis, il y a encore un autre sujet. On dit que ce n’est pas normal de n’avoir que 20 pilotes sur l’Elite MX1, mais ils n’ont qu’à arrêter le championnat de France National. Quand je dis ça, on me dit “oui mais Bruno, les budgets, les budgets”. Quels budgets ? Les mecs qui font le national, je les connais. Ils ont tous deux motos, des préparations, des fourches, des équipements, des chaînes, des pneus, c’est exactement la même chose. Les déplacements coûtent le même prix, l’essence le même prix, le péage le même prix. Ce qu’il faut faire, c’est arrêter les Nationaux pour que les mecs viennent à l’Elite. De là, le mec paye son engagement à 120€ mais s’il se qualifie, il est remboursé de l’engagement et il faut que les pilotes prennent des sous à chaque manche. Il faut que le mec prenne des ronds sinon, il ne viendra pas.