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Grégory Aranda « ça fait des années qu’on leur demande de faire bouger les choses, mais rien ne change »

Image: GSM / MX JULY

C’est acté, Grégory Aranda s’engagera en priorité sur les championnats Brésiliens en 2025, non sans faire un nouveau mandat sur le mondial de Supercross l’an prochain. Multiple champion de France et d’Allemagne, Champion d’Europe de Supercross, ex-pilote de GP mais aussi poids lourds des Supercross en France comme en Europe, Grégory Aranda fait figure d’incontournable en France. Pour autant et du haut de ses 35 ans, l’intéressé a décidé de faire l’impasse sur l’Elite en 2025; il ne défendra pas son titre de champion de France SX1 non plus. Il explique son choix, et ses nouvelles motivations. Micro.

Grégory. C’est dit, tu évolueras au Brésil l’an prochain. Elle se présente comment cette opportunité ? C’est toi qui as été chercher un nouveau challenge, ou ça s’est présenté à toi ?

En fait, je ne cherchais pas du tout. Ça s’est fait par le biais d’Hugo Basaula, un pilote qui roulait au Brésil cette année. Hugo va un peu arrêter la compétition, et il s’entend super bien avec le boss du team 595 pour qui je vais rouler là-bas. Hugo va manager les pilotes. En fait, il a discuté avec le boss du team. Au Brésil, il y a trois championnats: Motocross, Supercross et Arenacross. Ils se sont dits que ce serait bien d’avoir un pilote comme moi pour être présent sur tous les championnats; de là, ils m’ont contacté. Au début, je ne savais pas trop. J’ai quand même ma famille ici, en France, c’est une organisation compliquée, ça demande de faire quelques gros changements. Et puis j’y ai réfléchi. Je n’étais déjà plus très chaud de faire l’Elite et de là, je me suis dit « je vais faire quoi jusqu’au mois de juin en attendant le SX Tour ? ». Ça allait être super long. La proposition au Brésil était quand même intéressante, et j’ai décidé de l’accepter.

Concrètement, on sait de quoi va être fait ton programme 2025 ?

Normalement, il y aura quelque chose comme 6 Motocross, 4 Arenacross et 3 Supercross, je crois. Après, je vais rentrer pour faire les SX Indoor qui resteront au calendrier pour le compte de Serge (Guidetty) mais aussi le World Supercross. Je serai probablement là à Lyon, Grenoble, Paris, puis sur la nouvelle épreuve Indoor dans le nord; à voir. En tout cas, ça va être cool de se faire un programme à la carte comme ça !

Au sommet de son art, Grégory Aranda s’ouvre les portes du Brésil en 2025; tant mieux @MX July

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Finalement, c’est quoi la motivation principale, qui pousse à ce départ, et donc à quitter le championnat de France ?

En fait, l’Elite, ça fait des années que je le fais, ça fait aussi des années qu’on leur demande de faire bouger les choses, mais rien ne change. Tu démarres la saison à Lacapelle en février par -40° et tu la termines en Juin, tout ça pour faire six courses. Côté financier, ce n’est vraiment pas terrible. Je ne suis quasiment pas descendu du podium de toute la saison de MX, je termine troisième de l’Elite et si j’enlève mes frais, sincèrement, si j’ai empoché 5.000€ sur l’Elite, c’est déjà le bout du monde. Ça craint. Tu ne peux pas être pilote professionnel, te battre pour un titre sur le championnat de France Elite, et faire des podiums à chaque épreuve pour ramener 5.000 balles. C’est pour ça que les mecs ne viennent plus. Devant, tu vas avoir Josse [Sallefranque] qui joue le jeu et qui met ses deux pilotes, tu vas avoir Serge [Guidetty] et quelques autres équipes qui mettent un peu de moyens avec TMX, ou même quelques pilotes qui font les efforts mais après la 10ème place, les mecs s’en foutent de venir faire l’Elite. Ça leur coûte clairement trop cher, donc tu te retrouves en fin de championnat à Ernée avec 13 ou 14 pilotes. C’est compliqué. Nous pilotes, on était ouverts à la discussion, pour trouver des solutions, parce qu’on parle quand même du championnat de France. C’est un très beau championnat, il y a du monde qui aime rouler sur ce championnat; on a de bons pilotes, et quand même de belles pistes qui nous permettent de nous régaler. Mais le côté financier, ce n’est plus ça. Dans les années 2010/2011 quand j’étais chez Bud Racing, il y avait des primes de fin de championnat, on faisait trois manches. Sur le week-end, on gagnait bien nos sous et à la fin du championnat, on prenait quand même un billet.

C’est dur de parler comme ça, mais c’est la triste réalité, d’où ma décision de partir au Brésil pour me donner une nouvelle motivation, rouler contre des concurrents différents même si Rubini – qui gagne là-bas – est un gars que je connais bien. Je vais voir de nouvelles pistes, de nouveaux pilotes, ce sera une nouvelle motivation. En plus les gars du team ici sont super sympas. Hugo Basaula va être manager, je le connais super bien, il parle Français; ça va être cool.

J’imagine que tu as vu les nouvelles règles sur l’Elite pour 2025. Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire pour motiver un garçon comme toi à rester en France, et à participer à l’Elite l’an prochain ?

Pour moi, il faut vraiment jouer sur les primes de fin de championnat. Il faut que le mec ait une réelle motivation à participer à toutes les courses, parce qu’il sait qu’en fin de championnat – même s’il fait 8ème ou 10ème – il va aller chercher ses 2.000 ou 3.000€. Ça lui donnera la motivation de faire tout le championnat. Mettre 50€ de plus à la position, et des points jusqu’au 45ème, ça ne sert à rien. On se retrouvera quand même en fin de saison avec 15 engagés. Je ne sais même pas pourquoi ils ont fait ça, ça rime à quoi de mettre des points jusqu’au 45ème alors qu’on n’est même pas 20 derrière la grille ?

Grégory Aranda ne sera pas présent sur le championnat de France Elite en 2025 @Elite Motocross

Ça … Tu vas donc au Brésil en 2025. Rubini y est. Soubeyras roule en Italie, il y a Tixier en Allemagne, Bourdon & Pape aux US. On se dit que c’est quand même une grosse perte pour le championnat de France, et que ça devrait faire réagir, non ?

Ben en fait, tu as tout dit. Si tu remets ces mecs-là à l’Elite, ça te fait un putain de top 10, un super niveau. Tu rajoutes Soub’, Bourdon, Pape, tout ceux que tu as cités, Tixier, Rubini et moi, je pense qu’on a un gros top 8-10 sur l’Elite. Mais le problème reste le même en fait. Si tu te loupes un peu, c’est la mort sur l’Elite. À Bitche cette année, ça a été assez compliqué pour moi. J’ai dû faire 4-5 lors des manches, quelque chose comme ça. Je repars avec même pas 800€. Tu ne rentres pas dans tes frais et ça t’a coûté de l’argent limite alors que tu fais deux top 5 sur le championnat de France Elite qui est un championnat réputé. C’est chaud, quoi.

Est-ce qu’il y a eu un peu de lassitude sur le SX Tour cette année ? Gagner, on ne s’en lasse jamais, mais de l’extérieur on s’attendait plus ou moins à te voir gagner à chaque fois cette saison. Tu devais te pointer derrière la grille en sachant que c’était pour toi à moins qu’il ne t’arrive un problème, non ?

Et ben tu vois ça, non, pas du tout. Selon les pistes, ce n’était pas toujours le cas et Anthony a quand même mis du gaz cette année, puis Tixier est venu faire la fin de saison donc ça roulait fort sur les deux dernières épreuves. Sur le SX Tour outdoor on a vraiment eu de belles pistes pendant l’été, Saint Thibery s’est rajouté et c’est quand même un gros  terrain. À Brienon, on se régale toujours et de même même à Saint-Georges-de-Montaigu, ils ont fait du bon boulot. Franchement, je me suis régalé sur le SX Tour. Ce qui est dommage, c’est qu’on ne roule pas assez en Supercross et du coup, quand on arrive à Paris, c’est un peu compliqué de tenir la cadence face aux pilotes Américains. Vraiment, je trouve que ça bouge bien sur le SX Tour, le championnat est vraiment cool. Après, c’est sûr que Cédric [Soubeyras] s’est blessé au Canada, donc à partir de là … On sait que chaque année, c’est mon concurrent le plus coriace. À Grenoble, Anthony a mis du gros gaz, il y a toujours des concurrents en forme et il ne faut pas s’endormir. Limite, ça met encore plus de pression parce que tu te dois de gagner. Quand tu te mets derrière la grille avec Soub’, tu sais que ça va bagarrer et que faire deuxième, c’est quelque chose qui peut arriver. Là, comme tu dis, je pense qu’on s’attendait à ce que je gagne à chaque fois, alors ça rajoute une pression supplémentaire.

Est-ce qu’on a réfléchi au nombre de saisons qu’on comptait encore faire, et à l’après ? Ou ce n’est pas quelque chose que tu as en tête en ce moment ?

Non, pour le moment je n’y pense pas du tout. En fait, je me régale, je m’entraîne à bloc, je fais beaucoup de moto et je prends toujours du plaisir quand je vais sur les courses. Je pense que ça se fait un peu tout seul, du jour au lendemain tu peux commencer à avoir un peu plus peur, de l’appréhension, à te faire des frayeurs et à ne plus arriver à te donner à fond pour jouer les podiums ou les victoires. Je pense que ce moment-là, quand il arrive, tu le sens et tu te dis que c’est bon, que tu as fait ton temps et qu’il faut arrêter. C’est difficile de se dire « je continue un an, deux ans, trois ans », parce que c’est difficile d’arrêter quand tu gagnes, quand tu te fais plaisir, quand tu kiffes ta vie quoi. Je ne peux pas dire « je viens de tout gagner, je kiffe ma vie, je kiffe rouler et m’entraîner mais j’arrête en telle année ». C’est un coup à arrêter, à regarder les autres rouler l’année suivante, et à te dire « putain, si j’avais roulé cette saison, je serais devant avec eux »

Le pilote GSM Yamaha a dominé la saison de SX Tour 2024, ne laissant échapper qu’une finale@DailyMotocross

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Tu as fait une grosse saison l’an dernier, une grosse saison cette année. Est-ce qu’on peut dire que tu affiches l’une de tes plus belles formes de carrière en ce moment, finalement ?

Ben ouais. Je pense que je ne me suis jamais senti aussi bien sur la moto et physiquement, même s’il y a encore matière à progresser sur le physique. Sur la moto et niveau vitesse, je pense que j’ai fait l’une de mes plus belles saisons cette année. Je pense que je n’avais encore jamais atteint ce niveau-là, sans pour autant être à 110 ou 120%, tu vois. Je ne suis pas en prise de risque maximale. J’arrive à rouler assez posé, et je pense qu’il y a moyen de progresser encore un petit peu. On va travailler pour, et on va essayer d’arriver encore plus en forme l’année prochaine !

J’ai déjà entendu dire – et tu sembles un peu le confirmer – que tu n’étais pas le plus grand bosseur sur le plan physique. Vrai, du coup ?

Non, mais tu vois, on s’entend très bien avec Didier [Rochette] qui est le préparateur physique du team GSM. On fait des petites choses à côté de la moto, sans que je ne me dégoûte du sport. On a trouvé une alchimie parfaite en fait, je fais vraiment beaucoup de moto, on bosse à bloc avec la moto et à côté, sur des petits trucs plus techniques, sur des points un peu plus précis hors de la moto. C’est vrai que je ne me tue pas à faire des sorties de 4 heures de vélo, mais je fais pas mal de petites choses spécifiques qui sont vraiment faites pour m’aider sur la moto à côté. Les longues sorties vélo, j’en ai fait par le passé mais aujourd’hui, le vélo reste dans le garage [rires]. Ma cheville va beaucoup mieux désormais, j’arrive à courir donc j’en profite pour bosser comme ça.

Le Brésil, ce n’est pas très loin des Etats-Unis… On y pense, ou on se dit que c’est plié, le SX US ?

On y pense toujours un peu, mais non. Cette année, je vais rester au Brésil et surtout me concentrer pour faire une grosse saison. Je veux performer sur le WSX et sur quelques SX Indoor aussi avec Serge et le team GSM. C’est sûr que le Brésil, ce n’est pas loin des USA mais au bout d’un moment, il ne faut pas tout mélanger et vouloir tout faire. Si tu commences à aller faire quelques courses aux US, revenir au Brésil pour faire le championnat de Motocross, tout en te préparant pour le WSX; ça devient vite compliqué.

Champion SX1 2023, Champion SX1 2024, Grégory Aranda laisse sa place en 2025 @Beyond Production

Quel bilan on tire de ce World Supercross en 2024 ? Il y a eu du bon, et du moins bon. T’en dis quoi, toi ?

Je suis resté un peu sur ma faim à Abu Dhabi parce que j’attendais vraiment cette épreuve, parce que la piste est un peu plus comme ce qu’on retrouve en France, dans les salles de chez nous. J’ai fait des super chronos alors que j’étais vraiment malade. L’après-midi, je n’ai fait qu’un tour à la séance chrono avant de rentrer me coucher direct, donc je suis vraiment resté sur ma fin après la finale du WSX.

La première épreuve au Canada a été compliquée, il y avait de grosses ornières et on sortait d’une saison estivale. Chez nous, c’était l’été et les pistes étaient béton, et là on se retrouvait dans des gros rails partout, il fallait enquiller des triple/triple dans des longues ornières, on était tous un peu tendus. En Australie, j’ai fait une belle épreuve et je me suis régalé, même si c’était une piste de sable. On n’a pas rencontré les conditions idéales sur le WSX en tant que Français cette année mais bon, encore une fois, j’avais la vitesse. Je faisais vraiment de bons chronos, je me suis quasiment retrouvé à chaque fois en Superpole, en tout cas en Australie les deux jours et à Abu Dhabi donc franchement, c’était cool comme saison.

On m’a dit que tu n’avais fait qu’un tour lors des chronos à Abu Dhabi avant de sortir, et qu’Eli avait arsouillé à bloc toute la séance pour parvenir à te prendre la pole.

C’est vrai [rires]. J’étais vraiment malade de fou, j’ai bien failli ne pas rouler lors de la seconde séance. Je me suis dit que j’allais quand même essayer de rouler un peu. Je suis rentré sur la piste, j’ai fait un tour de reconnaissance, puis je me suis donné à fond pour un tour chrono et j’ai pris la pole. De là, je suis rentré dans le paddock direct sans même regarder mon temps, j’ai posé la moto et je me suis foutu dans un canapé pour essayer de dormir, parce qu’on n’avait vraiment pas beaucoup de temps entre l’après-midi et les courses du soir. Et puis, je suis parti pour la superpole. Dès mon tour de reconnaissance, je savais qu’il allait se passer un truc pas cool. J’avais la tête qui tournait, de la fièvre, j’avais chopé un virus, peut-être même le Covid, je ne sais pas. En tout cas, dans mon état, tu restes chez toi et tu galères à aller du lit au canapé. Moi, j’ai enfilé mon casque, j’ai regardé mon mécano et je lui ai dit qu’il allait se passer un truc. Je ne sais même pas pourquoi je suis tombé sur le triple. Je ne me suis pas mis court, je n’étais pas de travers. Vraiment bizarre. Je me suis relevé, j’avais mal au dos, la tête qui tournait, les courses s’enchaînaient, j’ai dit « c’est mort. »

Chaud. Une dernière pour la route Grégory. C’est la question que je pose en ce moment au paddock Français. On en pense quoi de la nouvelle dynamique du SX Tour avec ce championnat Junior, et le futur championnat Espoir ?

Franchement, c’est top. Comme je le disais tout à l’heure, le SX Tour se bouge vraiment le cul pour les jeunes comme pour nous, les pilotes devant en 450. On se régale, il y a de belles courses, il y a eu de belles pistes tout l’été. C’est top ce qu’ils font pour les jeunes là, en 125, à chaque fois je les regarde parce que je me régale de voir rouler les petits jeunes aussi.

Grégory Aranda « ça fait des années qu’on leur demande de faire bouger les choses, mais rien ne change »
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