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My Story: Alexis Fueri


Ils étaient nombreux, à participer à l’ouverture du championnat d’Europe 250 à Arroyomolinos ce week-end. Si certains sont déjà pilotes officiels, d’autres se débrouillent tant bien que mal avec des moyens limités. Malgré les différences, tous aspirent au même rêve: décrocher un futur contrat factory pour évoluer – et briller – sur le championnat du monde.

Seule une poignée de ces garçons y parviendront car dans ce milieu, les places sont chères et surtout, rien n’est jamais assuré. À chaque saison, le paddock connaît son lot de turn-over et ceux qui n’ont pas atteint leurs objectifs finissent bien souvent par se tourner vers d’autres horizons. Quelle est l’histoire, de ces jeunes qui rêvent de pouvoir un jour marcher dans les traces des plus grands ? C’est la question à laquelle on a voulu répondre en Espagne, et notre dévolu s’est jeté sur notre Français Alexis Fueri; un garçon à l’histoire atypique.

“Mes débuts en compétition ? C’était en 65cc” nous explique Alexis. “Je roulais sur un terrain privé à côté de chez moi à Menton et un jour, un gars qui faisait la ligue de Provence était là et se disait que je roulais bien. “Pourquoi tu ne fais pas de la ligue ?”. On a tenté le coup et dès les premières courses, j’ai fait des podiums.”

“L’année suivante, je jouais le titre en ligue. J’ai fait une course de Minivert à côté de chez moi, et je suis monté sur le podium pour la première fois en championnat de France. Personne ne me connaissait à l’époque. Il y avait Maxime Grau, Gabin Planque – qui est depuis parti dans la vitesse – et beaucoup de monde. Je me souviens, j’étais sur le podium et tout le monde se demandait qui j’étais, parce que je n’avais jamais vraiment fait de courses.”

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En 2017, Alexis entame la montée en 85cc et s’aligne sur les courses de la ligue de Provence. Il s’engage pour la première fois sur une course du Minivert 85cc à Granges Gontarde et remporte l’épreuve devant David Guillemot et la jeune espoir Espagnole, Daniela Guillen.

“Vu que les résultats n’étaient pas mauvais, on a décidé de faire une première saison en Espoirs en 2019.” continue Alexis. “C’était ma seule saison dans la catégorie, et je termine 4ème du championnat. J’ai roulé sur l’Europe 85cc en France à Vesoul cette année-là, je termine sixième ou septième, ça ne s’était pas trop mal passé. Face à moi, il y avait Quentin Prugnières chez Bud Racing, Maxime Grau chez Tech 32, il y avait quand même de gros clients sur le championnat et je me suis battu avec eux pour les victoires de manches. A l’époque, j’étais privé de chez privé, je payais tout, je n’avais que des fonds de plaques sur la moto, tout était d’origine.”

Fin 2019 et alors qu’il s’apprête à souffler sa 15ème bougie, Alexis Fueri entame sa transition à la catégorie 125cc et s’aligne de nouveau sur la ligue de Provence, au guidon d’une Husqvarna. Contacté pour rouler sur une Yamaha au sein d’un team Italien, l’entente entre les deux parties sera rapidement avortée.

“Avec ce team, ça s’est mal passé donc on est repartis seuls avec mon père, en privé. J’aimais bien la moto donc je suis resté sur la Yamaha. En 2020; j’étais encore et toujours totalement privé. Je payais tout, je n’avais que les tenues de la part d’un ami à nous – Jean Angelvin que je remercie d’ailleurs – qui nous avait aidés à avoir des tenues Yoko. C’était la première fois que j’avais des tenues gratuitement. J’ai aussi eu des kit-déco avec LinkMX. C’étaient les seules aides que j’avais, sinon je payais tout.”

“Ma première saison s’est très mal passée dans la catégorie 125cc” avoue le pilote Français. “Lors de la dernière course à Rauville-la-Place, c’était la catastrophe. Quand je suis rentré, je me suis dit que je ne ferai plus jamais de moto. J’ai laissé la moto au garage pendant trois mois, je n’arrivais pas à rouler, on s’engueulait avec mon père. J’étais dégoûté du sport. J’ai repris une vie un peu normale, j’ai commencé à sortir avec mes potes pour me vider la tête mais au bout de deux semaines, j’en avais déjà marre de sortir, je voulais faire du sport, et je me suis vite remis à la moto.”

“Cette année 2020 a été une année très compliquée” commente Alexis, qui n’est pas passé loin d’arrêter la moto. “Je l’ai rarement dit, mais c’était le cas. C’était vraiment une année très difficile, ça a un peu cassé le cercle familial car il y avait beaucoup de contraintes, de sacrifices à faire. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai senti au fond de moi qu’il fallait que je continue à tout donner, quitte à ce que les relations familiales en pâtissent. En 2021, les premières courses n’ont pas été bonnes, mais j’ai eu un petit déclic à Castelnau de Levis, j’ai commencé à me battre avec les frères Coenen. Après, tout s’est fait de fil en aiguille.”

Alors qu’il est toujours engagé en tant que privé sur le championnat de France Junior, Alexis Fueri apprend la blessure d’Hakon Osterhagen. Le pilote Fantic Maddii Racing – alors leader de l’Europe 125 – se blesse à l’entraînement en Italie et la convalescence s’annonce longue. Pour la toute première fois, Alexis Fueri tente de provoquer sa chance.

“Avec mon entraîneur, on a décidé d’envoyer un mail au team Fantic” se remémore Alexis. “Je me souviens de ce soir là en rentrant, on avait vu sur les réseaux qu’Hakon s’était blessé. J’étais avec de la famille dans un coin paumé, sans réseau, et il fallait que j’envoie ce mail à Marco Maddii, et il ne s’envoyait pas ! Je faisais le tour du parc en priant pour qu’il s’envoie le plus vite possible, parce que je craignais qu’un autre pilote n’ait eu la même idée que moi. Quand j’ai fini par pouvoir envoyer le message, je me suis dit que je n’allais jamais recevoir de réponse. En plus, on n’est pas trop du genre à demander, d’ailleurs on n’a jamais demandé quoi que ce soit, on n’est jamais allés toquer aux portes pour demander de l’aide. Certains le font et arrivent à voir de l’aide, moi c’était la toute première fois que je faisais ça.”

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La chance souriant aux audacieux, Alexis Fueri reçoit rapidement une réponse du manager Italien en personne, qui lui propose de venir en Italie, tester la Fantic laissée vacante par le pilote Norvégien.

“Ni une ni deux, j’y suis allé. J’ai testé la moto et à la fin du testing, Marco Maddii m’a fait venir dans son bureau et m’a regardé droit dans les yeux pour me demander si je voulais rouler en Allemagne le week-end suivant. Au début, j’étais un peu réticent car je n’avais fait qu’une seule course sur l’Europe l’année précédente [2020] à Faenza, et ça s’était mal passé. Finalement, j’ai dit GO, c’était mon opportunité. On a tout fait à la dernière minute, je n’avais pas de tenues, de casques, de bottes …. On a fait comme on a pu, et on est partis pour l’Allemagne.”

“On est partis en camion. On a mis un matelas à l’arrière; c’était une période où il faisait froid en Allemagne. On a dormi sur une aire d’autoroute. Il faisait tellement froid qu’on a pris une bâche à bulles de piscine pour la mettre sur les couvertures, et derrière nos pieds parce qu’il y avait de l’humidité qui passait à travers les portes, on avait les duvets trempés et on était gelés. On était vraiment à l’arrache mais dès ma première course à Teutschenthal, j’ai ramené un 7-5 et, dès ce moment-là, j’ai senti que j’étais capable de jouer devant sur l’Europe avec une bonne moto.”

Sixième en Allemagne pour ses débuts avec Fantic, Alexis Fueri connaît un week-end plus compliqué en France (18e) et en Espagne (17e) mais rebondit en Italie lors de la triple épreuve de Trentino (6e / 15e / 5e). S’il loupait les deux premières épreuves de la saison d’EMX125, Alexis parvient à intégrer le top 10 final au championnat.

“Je manquais un peu de vitesse, mais Marco Madii a décidé de me garder pour la saison 2022. Une saison lors de laquelle j’ai été en tête de l’Europe 125 un certain moment, puis il y a eu quelques chutes à cause d’un manque d’expérience parce que la réalité, c’est que je me battais contre des mecs qui étaient dans le circuit du championnat d’Europe depuis le 65cc alors que moi, j’étais arrivé sur l’Europe à la fin du 125. Même à l’heure actuelle, j’ai quand même du retard au niveau de l’expérience comparé à tout le monde.”

Il n’aura suffi que d’un e-mail, d’un peu de culot, et d’une opportunité pour qu’Alexis Fueri se fasse un nom sur la scène internationale. Auteur du doublé à Trentino lors de la saison 2022, vainqueur de l’épreuve d’Allemagne, Alexis Fueri a un temps porté la plaque rouge, mais connaîtra une fin de saison difficile dans les sables Belges et Finlandais. Il terminera tout de même 4ème de l’Europe 125 en ayant remporté 4 manches.

“L’opportunité avec Fantic en 2021, c’était un véritable tremplin” concède Alexis. “J’ai eu l’opportunité de montrer ce que je valais avec une bonne moto, un bon team et mentalement, j’ai réussi à tout mettre en place même si ce n’était jamais trop simple. J’ai pu montrer ce que je valais, car comme je l’ai dit j’ai toujours été dans l’ombre des autres pilotes et ça m’a, en quelque sorte, aidé à être un peu plus sous le feu des projecteurs, de montrer ce dont j’étais capable. Tu sais, j’ai toujours été le mec de l’ombre, même au niveau des réseaux sociaux. J’étais toujours un peu frustré, même si je ne fais pas ce sport pour être vu, mais on ne parlait jamais de moi, je n’avais jamais d’interview. C’est cool de voir que ça a changé; le travail a payé et cette opportunité, c’était vraiment la chance de ma vie parce que sans ça, je ne pense pas que j’aurais fait de l’Europe en 2021.”

Coaché par Quentin Thomas, Alexis Fueri a quitté son cursus scolaire pour s’adonner à 200% à son sport et poursuivre son rêve. Du haut de ses 19 ans, le garçon ne laisse rien au hasard et, pour réussir dans ce milieu ou les jeunes se professionnalisent de plus en plus tôt, avoir une mécanique bien rodée est devenu une nécessité.

“Personnellement, j’ai tout mis de côté et j’ai beaucoup sacrifié. J’ai arrêté les études alors que je n’étais pas mauvais à l’école, mais j’ai préféré mettre toutes les chances de mon côté pour y arriver. À l’heure actuelle, je fais ça à temps plein. Je fais de la moto 4 à 5 fois par semaine, j’essaye de rouler un maximum, et je fais aussi beaucoup de préparation physique pour être au top, et pouvoir tenir sur les manches. La diététique prend aussi une place importante, le sommeil aussi. J’essaye de me coucher tôt tous les soirs, je m’étire beaucoup et cette année, je travaille avec un préparateur mental parce que c’est quelque chose qui me manquait l’an dernier et ça commence à payer. Je mets tout en œuvre et je sacrifie tout. Après, j’ai quand même commencé sur le tard, donc j’ai eu une jeunesse plus ou moins normale. J’ai beaucoup d’amis en dehors de la moto avec qui je pourrais passer du bon temps mais je sacrifie tout, je ne sors pas avec eux, je ne vis même pas chez mes parents: je vis dans un camping-car chez mon entraîneur à 2h30 de chez mes parents. Je vis seul, je suis livré à moi-même, mais je fais ça pour pouvoir vivre mon rêve, et je donne tout cette année.”

La Motocross est bien souvent une histoire de famille et, si Alexis Fueri – intégré au team SM Action Fantic cette saison – touche un salaire, le garçon dépend encore de ses parents sur qui il a toujours pu compter dans les bons, comme les mauvais moments. Un soutien indéfectible, comme aux premiers jours.

“J’ai quand même de la chance d’avoir des parents qui sont encore derrière moi. D’ailleurs, je les remercie car les sous que je gagne avec Fantic, on va dire que ça nous permet de financer les déplacements de toute la saison, mais je ne mets rien dans ma poche. Du coup, mes parents sont encore là à dépenser de l’argent pour moi, mais on va dire que j’ai quand même de la chance de ce côté-là car mes parents ne sont pas à la rue. On a de quoi manger et vivre aisément, si on veut aller au restaurant, on peut. On n’a pas mis un crédit sur la maison pour faire de la moto et si on avait dû en arriver là, on aurait arrêté la moto. Mes parents ont toujours mis de l’argent dans ce sport, mais pas au point de devoir s’endetter pour moi et s’ils avaient voulu le faire, je leur aurais dit non. On est toujours restés quand même soft sur les dépenses, les pieds sur terre aussi.”

11ème en 2023 et présent sur l’Europe 250 pour son deuxième mandat dans la catégorie cette saison, Alexis Fueri sait que rien n’est jamais joué d’avance. Performer n’est plus seulement une option pour s’ouvrir des portes pour l’avenir, et l’Europe 250 joue bien souvent un rôle décisif pour la suite. Le parcours pour en arriver là a été semé d’embûches, mais les défis à surmonter et les sacrifices à effectuer ne s’arrêtent pas là.

“Je pense que personne ne s’imagine vraiment les étapes par lesquelles on passe pour réussir” admet-il. “Après, chaque pilote s’implique à des degrés différents, mais je sais que personnellement, pour ma conscience et ma confiance, il faut que je fasse tout à 110% pour être bien avec moi-même. Je sais qu’il y en a qui profitent un peu plus, qui s’amusent un peu plus, mais je ne suis pas comme ça malheureusement. J’ai besoin de charbonner, de me mettre dans le dur. Honnêtement, non, je pense que les gens n’ont pas conscience de certains aspects, de l’investissement et de tout ce que ça implique. En fin d’année, il m’arrive de faire une pause de deux semaines, je coupe tout, et quand je m’y remets je me dis “P*tain, j’avais oublié que c’était aussi dur”. Tant que tu n’as pas vécu tout ça, impossible de savoir ce qu’il en est réellement. C’est aussi de plus en plus dur je pense, parce que tout le monde se prépare, ça se professionnalise de plus en plus jeune. On doit faire toujours plus, bosser de plus en plus dur, être à 100% physiquement et mentalement. C’est vraiment un boulot, 24/24h et 7/7j. Ce n’est pas juste une question de monter sur la moto.”

Une saison, un résultat, et la donne peut changer. Ce week-end, Alexis ramène une sixième place de journée à Arroyomolinos, le second meilleur résultat Français dans la catégorie après Mathis Valin (2e). Rouler devant dans la catégorie, c’est aussi s’ouvrir les portes des plus grosses équipes pour la future transition vers le mondial MX2, et ce ne sont pas Marc-Antoine Rossi et Quentin Prugnières qui viendront nous contredire. Le rêve au bout de la poignée de gaz, Alexis reste concentré sur ses objectifs de saison, mais n’en reste pas moins conscient d’être dans une position que peu atteindront un jour; voilà un garçon qui sait aussi garder les pieds sur terre.

“C’est vrai que je suis quelqu’un d’assez pessimiste de nature, mais je travaille dessus et j’essaye de profiter de chaque instant parce que ce que je vis, c’est quand même un rêve. Avec tout ce qu’il se passe dans le monde aujourd’hui, je pense qu’il faut relativiser, on arrive quand même à faire de la moto. Notre rêve est difficile à atteindre, on passe par des étapes qui forgent le caractère, c’est une école de la vie qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Il faut garder en tête qu’on fait ça pour prendre du plaisir en premier lieu. On est quand même bien loti de pouvoir faire du Motocross, même si le sport est compliqué.”

Alexis souhaite remercier son entraîneur et ses parents pour les sacrifices effectués, et le temps consacré.

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