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Romain Jacquiot “Je suis rincé, j’ai zéro sponsor financier et je travaille à balle, c’est de plus en plus dur”


Ils étaient nombreux à avoir fait le déplacement sur la belle piste de Thorens Glières pour soutenir Romain Jacquiot ce dimanche, au point que le MotoClub Rochois pourrait penser à inaugurer le virage Jacquiot après la course du week-end. Vice-champion de France National 125 la saison passée, Romain termine de nouveau second pour quelques points cette année. Pas de quoi entacher la bonne humeur du garçon qui, père de deux enfants du haut de ses 36 ans, profite toujours autant de ses années de compétition malgré des contraintes qui se multiplient à chaque saison; au mérite. Micro, et sans langue de bois.

Romain, vu la météo annoncée, et avec 9 points de retard sur Victor avant Thorens Glières, on se disait que tout pouvait arriver et qu’on assisterait peut-être à une loterie. C’était quoi, l’approche et la tactique pour ce week-end ?

Je ne pensais pas vraiment au championnat finalement, je n’avais qu’une chose en tête, gagner la course. On aurait fait le point après. Si on avait disputé deux manches, j’aurais voulu gagner les deux manches; en tout cas j’aurais tout fait pour. Malheureusement, ça ne s’est pas vraiment passé comme … prévu [rires]. Je connais bien la piste pour y avoir disputé pas mal de courses, ce n’est pas loin de chez moi. Dans de bonnes conditions, c’est le top; là, c’était compliqué. Il fallait bien partir, je n’ai pas pu faire le holeshot lors de la manche. J’étais troisième, je n’ai pas trouvé l’ouverture sur Renaud [Renard], et avec les projections puis un caillou dans l’œil ça s’est compliqué et j’ai fini quatrième.

Ce week-end, tu es venu avec un collègue à toi que je ne connaissais pas du tout. Il envoie visiblement du gros gaz puisqu’il s’est baladé pendant la manche. Achille Perringerard. Il était là pour te filer un coup de main pour le titre en tentant de s’intercaler ?

Ah ça oui ! Ce n’était pas qu’un peu le but [rires]. Il était déjà inscrit depuis longtemps à l’épreuve, je le connais depuis toujours. On a fait pas mal de petites courses en Suisse pour s’entraîner ensemble et il m’a dit “je vais t’aider en essayant de m’intercaler au mieux”. J’avais besoin d’aide vu que j’avais neuf points de retard, il m’aurait bien fallu un ou deux pilotes entre Victor et moi. Je savais qu’Achille roulait bien, donc on a décidé cette petite stratégie. En fait, Achilles a fait du championnat Suisse en étant plus jeune avant de se faire une grave blessure aux cervicales; il n’est pas passé loin de rester tétraplégique et il a mis deux ans à récupérer. Il avait repris la moto pour s’amuser et cet été, il a fait beaucoup de petites courses en Suisse, en Franche-Comté. Il a repris un bon niveau et du coup, il a une bonne vitesse de pointe et ça va bien.

Dans la matinée, il y a avait des discussions autour d’une éventuelle annulation. Dans le paddock, j’entendais dire que tu n’étais pas chaud pour rouler. Vrai, ou faux ?

En fait, si c’était resté comme le matin, je n’étais pas chaud. Après, quand ça a commencé à sécher le midi et que le club a gratté la piste, j’étais tout de suite plus chaud. Pour moi le matin, lors des essais chronos, c’était inroulable. J’arrivais à peine à faire un tour; il y avait tellement de boue que ça bloquait ma roue avant. C’était un chantier. On n’a que des petites 125, ça force grave sur les moteurs, ça craignait. Ce terrain n’accepte pas l’eau comme certains autres donc c’était compliqué dans la matinée. Ça a quand même séché, et ça m’a bien remotivé.

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Vous avez sauté le tour de reconnaissance pour des raisons assez évidentes, mais le tracé avait énormément évolué depuis les chronos et surtout, il y avait une coupe de piste et un goulet en bas d’une descente, c’était les conditions idéales pour tous se tanquer.

J’avais fait une reco’ à pied et c’est vrai que je connais bien la piste. Il y avait de nouvelles ornières, traces et tout mais au final il y avait moins de boue. Vu les conditions, on ne va pas très vite donc même à fond, on a le temps d’analyser. Moi, je fais déjà 20 kilos de plus que les autres alors si je fais le tour de reconnaissance et que je pars avec une moto chargée de boue qui pèse 200 kg, je ne suis pas prêt de partir devant [rires]. Ça se joue beaucoup au départ au championnat.

En sortie de grille, très clairement, le but de Victor était de se mettre devant toi.

J’ai bien vu, dès la ligne droite, il s’est mis pile poil devant moi. Je me suis dit que tant qu’à faire, j’allais tenter l’intérieur pour le pousser au maximum à l’extérieur mais il a réussi à bien freiner donc je n’ai pas pu le pousser trop large et l’écarter pour lui faire perdre un maximum de places. 

Je t’ai vu discuter avec Achille à l’arrivée de cette manche. Il se dit quoi, à ce moment-là ?

Lui n’attendait qu’une chose, que je double Renaud Renard pour pouvoir me laisser passer par la suite pour que je prenne la tête de la course. J’ai tenté de passer deux fois Renaud, il m’a un peu serré contre les barrières et je n’arrivais jamais vraiment à me mettre à sa hauteur pour bien l’attaquer. Ces conditions bouffaient pas mal de chevaux, je suis quand même assez lourd et j’ai une moto plus ou moins d’origine, ce n’est pas une moto de fou. J’avais du mal à avoir assez de puissance pour me mettre à sa hauteur et tenter quelque chose, comme le serrer, le bloquer ou quelque chose comme ça.

Après cette première manche, j’imagine que tu as rapidement compris que c’était terminé pour le titre vu ce qu’il s’est mis à tomber en quelques minutes.

Oui, clairement. J’ai vu le déluge s’abattre, ça ne s’arrêtait pas, je savais que c’était plié. C’est comme ça. Ça m’embête un peu mais ce n’est pas ce qui me dérange le plus en réalité. Là où je l’ai vraiment de travers, c’est lors des quatre premières courses. J’ai acheté une moto qui avait un gros défaut de montage, une prise d’air au carter moteur central. Elle passait à 6 ou 7 chevaux de moins que l’origine. Je me suis tapé les premières courses avec une moto qui n’avançait pas, alors que je suis déjà plus lourd que les autres. Ça ne s’est pas trop mal goupillé à la première, je pense que la prise d’air n’était pas encore trop importante mais après, c’était un massacre. Je roulais avec des gicleurs extrêmes, 250 points de plus que l’origine et on se disait “mais c’est quoi ce bordel ?”. On a fini par s’en apercevoir à la troisième course et la moto a fini par casser. Je l’ai un peu en travers parce que ça m’a un peu dégoûté: la moto n’avançait pas, je me retrouvais à faire cinquième. À Montgueux, j’étais en marche arrière dans les montées, j’étais saoulé. Ça m’a démotivé. La nouvelle moto est arrivée depuis Chaumont et les résultats ont changé. Si ça avait roulé dès le début de l’année, ça aurait peut-être été différent.

Finalement, je m’en suis rendu compte vraiment tard. Je me disais que ce n’était pas possible. Je regardais les chronos, je me prenais deux secondes au tour par des mecs à qui je mettais deux secondes l’année dernière. Je me disais qu’il y avait un problème, je me battais avec la moto, je prenais zéro plaisir. J’ai appelé plein de préparateurs pour trouver des solutions mais la moto a fini par casser, elle était trop pauvre alors qu’on avait 250 points de gicleur en plus. Le dôme de culasse a fini par percer, et ça a rempli le moteur d’eau. Évidemment, ça m’a bouffé une manche et à partir de là, c’était soit j’arrêtais le championnat soit, j’investissais et je rachetais tout ce qu’il fallait pour refaire la moto correctement. Au final, ce n’est pas la dernière course qui me déçoit, mais les premières courses que j’ai faites avec une moto de chiotte.

Tu passes à 15 points du titre l’an dernier, à 11 points cette année… C’est pour 2024 ?

Je suis justement en pleine réflexion, je ne sais pas. Il y a plusieurs choses qui me font un peu peur. Il y a la nouvelle moto à injection dont on n’entend pas que du bien … Cette année, je me suis déjà fait baiser avec la moto alors je n’ai pas envie de recommencer. De deux, j’ai 36 ans et ça me fatigue de plus en plus de traverser la France donc j’attends le prochain calendrier pour voir si les courses ne sont pas trop loin de chez moi. Il faut que je réfléchisse. De base, je suis un pilote 450, je ne m’entraîne qu’en 450. Peut-être que je vais me faire un programme à la carte avec les courses dont j’ai envie. Dans tous les cas, le second point négatif de la saison c’est que je n’ai pas assez travaillé physiquement, pas comme j’aurais dû et je suis un peu déçu de moi sur ce point là. Avec la vie de famille – j’ai deux filles – et le travail, c’est difficile de tout concilier.

Tu as 36 ans, Victor en a 24. Il y a plus de 10 ans d’écart entre toi et la plupart des gars du national 125. Vos quotidiens ne doivent pas être les mêmes.

Il y a de ça aussi. Je fais des heures à crever au travail. Le truc, c’est que je ne cherche pas de sponsors, ou très peu. J’ai mon magasin qui m’aide beaucoup, deux trois autres sponsors du milieu de la moto et ça s’arrête là. Je suis rincé, j’ai zéro sponsor financier et je travaille à balle pour tout payer, c’est de plus en plus dur. Tout ça me prend beaucoup de temps, puis quand je rentre du travail, je dois m’occuper de mes deux filles, de la mécanique, je dois faire du sport, de la moto … Je fais une séance de course à pied et une séance de Crossfit dans la semaine, ce n’est déjà pas énorme. Avec les contraintes de la vie, il m’est arrivé de devoir lâcher le sport pendant une semaine ou deux ici et là. Déjà que mon programme n’est pas énorme, ça a vite fait de t’impacter physiquement, surtout à 36 ans.

Il y a aussi le passé. Je n’aurais pas eu toutes ces blessures, ça irait probablement à mon âge mais j’ai eu ces blessures qui m’emmerdent un peu aujourd’hui. Ma préparation physique, c’est principalement de la course à pied car c’est ce qui prend le moins de temps. Pour te faire le topo, je me suis fait deux fois les croisés de chaque côté, les plateaux tibial, tout le bordel et je cours à balle alors que j’ai les ménisques en compote [rires]. Ça ne durera qu’un temps cette histoire.

De ton discours, ce n’est pas la motivation qui te manque. Plus le temps, et les moyens ?

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Oui. Mon délire, ce serait de trouver un jeune par chez moi pour l’entraîner mais je ne trouve personne d’aussi motivé que moi [rires]. J’ai aussi un peu peur de me lasser, ça fait déjà deux ans que je fais ce National 125. J’ai peut-être besoin d’un nouveau challenge, à voir ? Mon magasin est aussi à bloc dans l’Enduro alors pourquoi ne pas partir là-dedans histoire de changer un petit coup tout en continuant le Motocross a côté. Le souci de ça, c’est que c’est un programme composé de tout et de rien, et t’entraîner fort pour faire de tout et de rien, c’est difficile. Le National 125, tu t’entraînes pour un objectif précis et c’est peut être-plus facile dans la tête.

Finalement ce National 125, c’est peut-être le meilleur championnat pour toi, dans ta situation. En comparaison avec le national 250 et 450, c’est probablement celui où tu peux arriver avec le moins de moyens et le moins de préparation, tout en parvenant à performer et à prendre du plaisir.

C’est exactement ça.  À ce jour, je ne pourrais plus performer et être dans les premiers en Nat.250 ou Nat.450 du fait que je n’ai pas assez de temps dans ma vie perso’ pour me préparer et être bon pendant des manches à ce niveau et pendant 30 minutes. Quand je prends du recul et pour avoir fait beaucoup de 450, il faut être une machine de guerre pour rouler devant sur le France en 450, et même en 250. En 125, tu peux compenser un peu, c’est un peu moins exigeant. C’est aussi le championnat le plus à la “cool”. Sur le National 250, tu dois en avoir un paquet qui ne bossent pas à côté. Moi, je fais 60 heures par semaine, j’ai 10 ans de plus que les autres et je suis HS, comment tu veux rivaliser ! [rires].

Avec ton expérience et tes années en compétition. Qu’est-ce qu’on fait pour améliorer le championnat de France 125 ?

Ce championnat est un championnat plaisir, on retrouve des mecs qui viennent là pour se faire plaisir. Il n’y a pas que des gars qui sont là à bloc pour du résultat comme ça peut être le cas en 250 ou en 450. Malheureusement, certaines pistes sont limites pour un championnat plaisir. J’en ai discuté avec notre délégué l’autre jour et il m’a dit que ça devrait changer. Il n’y a plus de qualifications en 125 et ça libère du temps dans les programmes. Apparemment, il y a de plus en plus de clubs qui demandent le national 125 car ils peuvent désormais garder leurs catégories habituelles de ligue en parallèle. 

Cette année, on a eu beaucoup de circuits monotraces, sur lesquels il était difficile de doubler. Du coup on va tous vite, et c’est dur faire la moindre différence. L’an dernier contre Bastien, on avait des plus gros circuits, on a été deux fois sur les pistes de l’Elite et de suite, les écarts se creusaient car sur ces terrains-là, on pouvait faire la différence. Sur certains circuits, c’est un peu limite. À la rigueur pour de la ligue, mais pas pour du France. Ils ne s’y connaissent pas toujours très bien en préparation, ils font ça à l’ancienne, ils griffent et ils arrosent à gogo et tu te retrouves avec une seule trace. “Impec”.

Il y a tellement de pistes qui sont bien en France, je ne comprends pas pourquoi on va sur certaines pistes … Thorens Glières, ce n’est pas très grand, mais c’est le top ! Ils savent vraiment bien préparer une piste et c’est parfait quand il ne pleut pas comme ce week-end. Autour de chez moi, à une heure à la ronde, je dois avoir une trentaine de circuits et sur ces 30, il y en a 4 qui pourraient largement accueillir du championnat de France. Il doit y avoir des raisons, les clubs ne demandent pas, où alors ils ne répondent pas aux critères; peut-être qu’ils se pignolent un peu trop du style “il faut qu’il y ait des douches” [rires]. Nous, on s’en fout, on veut que ce soit bien arrosé, et bien préparé.

Ce que je dis tout le temps aux gars de la FFM, c’est qu’à l’époque, ils nous payaient pour rouler. On n’avait pas d’engagement à ces prix-là, c’était presque tous frais payés. Maintenant, on paye des engagements de fous furieux et quand on paye, on attend un service; c’est le cas pour absolument tout alors pourquoi pas en Motocross ? J’estime que quand je paye un engagement, je suis en mesure d’attendre d’être respecté en tant que pilote avec une piste arrosée, et préparée au mieux.

L’an dernier, on s’est rendu à une course où on ne voyait pas à deux mètres, ça a été annulé. Ça, c’est rideau; ils ne sont même pas dignes de faire une ligue. Les mecs nous répondent “Mais c’est du Motocross”. Oui, très bien, mais on paye tous notre matos plein pot, on paye un engagement et donc on attend un service. C’est à eux de mettre des mecs qualifiés aux manettes pour organiser comme il faut. Moi, je vais beaucoup faire le championnat Angora en Suisse. C’est une entreprise privée qui gère, ils sont 5 mecs, ils gèrent tout, de la préparation de la piste, à la grille, au pointage, tout. Le club n’a plus que la buvette à gérer … Ensuite, ils partagent les bénéfices avec le club par la suite. Là-bas, tu peux aller demander, tout le monde est content. Les terrains sont préparés au top du top, je n’ai jamais vu ça ailleurs de toute ma carrière. Ce sont des pro’s, ils savent faire, ils ont le matos et les connaissances. Sur le long terme, est-ce qu’un système comme ça pourrait fonctionner ? Je ne sais pas, mais ce serait le top. Aujourd’hui, tout est payant, alors pourquoi on ne payerait pas des pro’s pour s’occuper de ça ? À l’époque, on ne payait presque pas et ça marchait quand même. Tu me diras, il devait y avoir plus de bénévoles …

Romain Jacquiot “Je suis rincé, j’ai zéro sponsor financier et je travaille à balle, c’est de plus en plus dur”
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