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Sans détours – Bas Vaessen


Victime d’une lourde chute lors de l’ouverture du championnat Britannique à Culham en 2021, Bas Vaessen a déjoué les pronostics médicaux. Sérieusement touché aux vertèbres, le pilote Néerlandais s’est longuement battu contre la paralysie et, trois ans plus tard, l’ex-animateur du championnat du monde MX2 a retrouvé un semblant de vie normale, malgré des séquelles toujours bien présentes.

On a été prendre des nouvelles du garçon pour lui proposer un entretien “sans détours”. Micro.

Bas, c’est bon de pouvoir prendre de tes nouvelles. On sait ce qu’il t’est arrivé en 2021, un incident malheureux qui a changé le cours de ta vie. J’ai personnellement gardé un œil sur ton évolution, et c’est une bénédiction de voir le chemin que tu as parcouru depuis. Sur le plan physique, comment ça s’est déroulé pour toi, depuis ce jour, à Culham ?

Sur le plan physique, énormément de choses ont changé depuis. Pour faire court, je suis passé de l’un des pilotes les plus en forme du plateau à ne même plus être capable de me curer le nez moi-même, pour aujourd’hui en être arrivé à vivre une vie “gérable”. Les premiers mois après ma chute ont été terribles. Je devais compter sur les autres pour prendre soin de moi, car mon corps récupérait très lentement.

La première fois que j’ai été en mesure de manger de façon indépendante, c’était deux mois après la chute et après avoir récupéré assez de contrôle dans la main gauche; c’était vraiment un gros accomplissement pour moi. De base, les docteurs ont dit que je serais vraiment chanceux si j’arrivais de nouveau à m’asseoir ou à me tenir debout par mes propres moyens. Nous voilà trois ans plus tard, et je reviens tout juste d’un séjour au ski en Autriche.

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Dans chaque blessure, il y a l’aspect physique, et l’aspect mental. On a parlé de l’aspect physique. Mentalement, surmonter ce défi, ça a dû être très exigeant.

Depuis ce jour, je n’ai vraiment eu qu’un ou deux moments difficiles mentalement parlant. Face à une situation difficile, tu rentres en mode survie. Quand je suis tombé, que j’étais au sol et que je ne pouvais plus sentir mes membres, que je n’étais plus capable de bouger mes bras et mes jambes, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’était comment m’assurer que personne ne me déplace avant que les médecins n’arrivent, et quelle allait être – ensuite – la prochaine étape pour moi. La seule chose qui me venait à l’esprit, c’était de savoir comment améliorer la situation dans laquelle je me trouvais et depuis, ça n’a pas changé. Je pense que le fait d’avoir été pilote tout au long de ma vie, d’avoir connu des hauts et des bas en atteignant le niveau pour rouler en championnat du monde, a été la raison pour laquelle j’étais si résistant mentalement, mais aussi capable de combattre ma paralysie jusqu’à un certain point.

Bas Vaessen a passé de longs mois en fauteuil roulant suite à sa chute @DR

C’est quoi le quotidien de Bas, aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je suis chef de projet junior dans le domaine du développement immobilier. Ce n’est peut-être pas de la compétition, mais je me fixe toujours de nouveaux objectifs. Au lieu de gagner un dixième de seconde par tour, il s’agit maintenant de faire en sorte que le processus se déroule le mieux possible dans mon travail. J’essaie de me fixer un nouvel objectif physique chaque année. L’année dernière, je voulais faire une sortie de 100 km à vélo et cette année, je veux marcher la distance d’un semi-marathon. Comme mon rythme de marche est beaucoup plus lent que la normale, j’espère pouvoir atteindre cet objectif en 7,5 à 8 heures.

Est-ce que cet accident a changé ton regard sur le sport, et sur la vie en général ?

À certains égards, oui. Avec le recul, j’étais trop concentré sur le fait de devenir le pilote qui afficherait la meilleure forme physique, ce qui m’a fait perdre du terrain dans d’autres domaines, notamment au niveau la vitesse brute sur un tour et, de manière générale, au niveau du plaisir de rouler. Trop se concentrer sur un domaine en empêche d’autres de se développer et maintenant, dans le cadre du développement immobilier, j’essaie d’avoir une approche plus large du travail. Avant, je m’entraînais pratiquement tous les jours, au moins 5 à 7 heures sur la moto et en dehors. Au lieu de cela, j’aurais dû consacrer plus d’efforts au développement de la moto ou à l’amélioration de ma technique en général.

L’an dernier, Bas a complété son challenge sportif en bouclant une sortie de 100km à vélo @DR

Les athlètes de haut niveau sont différents des personnes “lambdas”. Tout le monde n’aspire pas à se lever le matin et à se défoncer pour un objectif de vie, pour un rêve. Avoir cet état d’esprit de compétiteur ancré en toi depuis des années, est-ce que ça t’a aidé dans ta guérison, à trouver de nouveaux objectifs de vie, à toujours vouloir aller de l’avant ?

Absolument. J’ai passé environ 7 mois à l’hôpital et les personnes “normales” qui étaient paralysées faisaient peut-être une heure, ou une heure et demie de rééducation par jour. Trente minutes après le petit-déjeuner, puis de nouveau après le repas du midi et une dernière session en fin de journée. Moi, j’ai rendu fou mes médecins, car je leur demandais de m’inscrire à toutes les séances de rééducation possibles. Peu m’importait ce que c’était: des exercices en fauteuil roulant, de l’entraînement à la marche, de la nage en piscine. J’ai même suivi des cours d’art (il s’avère que, finalement, je préfère regarder l’art que le pratiquer …) et aussi des cours de cuisine. La plupart des nuits, je n’arrivais pas à dormir à cause de la douleur, ou parce que j’avais beaucoup de trop de choses en tête, alors je passais des heures à faire des exercices en pleine nuit, en regardant Netflix et compagnie …

Un mot sur ta carrière. Tu as quelques titres nationaux à ton palmarès, tu as connu des débuts difficiles en EMX125 mais tu t’es fait un nom sur l’Europe 250 en 2016 avec une troisième place finale, tout en montrant de belles choses en GP. Quels souvenirs gardes tu, de cette saison 2016 ?

L’année 2016, ça a été ma meilleure année. Je ne me suis pas blessé, et je roulais sur la 250 RM-Z officielle, sous la guidance de Sylvain Geboers, et c’était la moto la plus plaisante à rouler. Le moteur n’était pas le plus performant, mais le châssis et la fourche à air KYB étaient incroyables. Je pouvais vraiment attaquer sur les terrains les plus techniques, et les plus défoncés, sans aucun problème ou aucune répercussion. Les ingénieurs Japonais, en collaboration avec nos mécaniciens de l’époque, ont été en mesure de préparer une moto qui était un vrai régal à piloter.

C’était comment, de travailler avec les Everts chez Suzuki ? Il se dit que ce n’étaient pas forcément les personnes les plus simples avec qui travailler. Ça s’est passé comment, pour toi ?

C’est sûr qu’avoir LA légende en tant que boss au sein du team, ça apporte son lot de pression. Je me suis vraiment bien entendu avec la famille Everts, et surtout Harry. J’ai appris énormément à ses côtés et sous sa guidance, des choses que seulement une poignée de pilotes dans le monde auront la chance d’expérimenter. J’ai aussi été en mesure de suivre Stefan, de le voir rouler sur une moto et c’est difficile à décrire. Je me demandais vraiment comment il parvenait à prendre toutes ces portions techniques avec autant de facilité.

Une période chez Factory Suzuki, remplie de succès

Tu es monté en MX2 en 2017. J’ai le sentiment qu’on ne t’a pas toujours apporté le juste crédit, vu ta vitesse. Tu as connu de belles courses, signé des top 10, des top 5. Tu n’as jamais eu toutes les cartes en main pour aller chercher la victoire de Grand Prix et parfois, on se disait qu’un peu de chance ne te ferait pas de mal. Une chute, un problème mécanique, il semblait toujours y avoir quelque chose qui allait venir te barrer la route quand tu étais en lice pour la victoire. Tu le ressentais comme ça, toi aussi ?

Quand j’étais à l’hôpital, j’ai compté le nombre de podiums que j’aurais pu décrocher de façon réaliste; j’en ai dénombré 10. Sur ces 10 là, je me souviens de deux moments où je n’ai pas pu décrocher ce podium par ma propre faute; le reste n’était pas de mon ressort. Si je me souviens bien, j’ai signé un 3-4 une fois, et j’ai terminé sixième de journée, comment c’est possible ?!

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Je me suis retrouvé deux fois de suite en lice de jouer le podium et à chaque fois, il m’est arrivé quelque chose: un caillou qui venait casser mon frein arrière, ou qui venait se coincer dans ma chaîne. C’est sûr que la chance n’a pas toujours été de mon côté au niveau des résultats, mais j’ai eu la chance de pouvoir faire de la moto aux quatre coins du globe, et d’être payé pour ça.

Tu as roulé pour une poignée d’équipes dans ta carrière. Quelle était la meilleure selon toi, et pourquoi est-ce qu’elle sortait du lot ?

Suzuki World MXGP, sans le moindre doute. C’était une équipe usine depuis déjà 10 ans. En fait, ça faisait tellement longtemps qu’ils existaient que même Stefan Everts avait roulé pour eux en 125cc. Je ne veux pas discréditer Honda 114 Motorsports ou Hitachi KTM Fuelled by Milwaukee, mais on ne peut tout simplement pas comparer une équipe pour laquelle travaillent 30/40 personnes, et une équipe où on ne retrouve que 5/8 employés.

Bas avait également fait un détour par Honda 114

Tu as roulé sur la Monster Cup en Supermini à l’époque; tu t’es battu contre Forkner, Sexton, Cooper, Marchbanks & Co. Tu te souviens, de cette expérience ?

C’était carrément la folie, j’ai adoré. Je me suis qualifié en cinquième position mais je suis tombé dès le premier virage et je suis remonté à la 8ème place. Je regrette de ne pas avoir fait plus de Supercross, surtout que j’ai eu une opportunité pour remplacer un pilote là-bas, en 250, au sein d’un team. J’étais vraiment concentré sur ma préparation au mondial MX2 mais avec le recul, j’aurais dû saisir cette opportunité.

Blessures à part, y avait-il un aspect de ton job de pilote pro’ que tu n’appréciais pas ?

Non, rien de bien particulier en dehors de ça. J’adorais m’entraîner, j’adorais les courses, j’adorais les voyages. C’était une façon de vivre vraiment très unique et rien d’autre ne s’en rapproche finalement. Le plus triste, c’est que beaucoup de pilotes ne réalisent pas ça, et pensent que c’est de l’acquis.

Tu as grandi en roulant contre quelques mecs vraiment costauds aux Pays-Bas; qui ont également trouvé le chemin des grands prix par la suite. Est-ce qu’il y avait un mec contre qui tu n’aimais pas particulièrement rouler ?

Mhh, pas vraiment, juste des petites histoires. Avec Davy Pootjes, on a été rivaux dès la catégorie 65cc. Je n’aimais pas Nick Kouwenberg à un moment donné, car il avait décroché une place au sein de l’équipe Nationale pour le Motocross des Nations et j’avais le sentiment de la mériter plus que lui, mais encore une fois, ce ne sont que des petites choses; on s’entend bien maintenant !

Bas fait partie des derniers pilotes a avoir évolué pour l’usine Suzuki en mondial

Quand un fan se rend sur un GP, il voit les bons côtés du sport. Les gros camions, les beaux auvents, les motos neuves, la célébrité des pilotes. C’est tout beau, tout propre. Derrière les portes fermées, ce n’est jamais toujours aussi beau qu’il n’y paraît. Y-a-t-il un aspect de la vie de pilote pro’ dont les gens n’ont pas conscience, à ton avis ?

Oui, ce que beaucoup de pilotes endurent juste pour pouvoir se rendre sur les épreuves. La plupart arrivent à rentrer dans leurs frais, d’autres perdent de l’argent. Ça marche quand tu te concentres sur les Grands Prix ou le championnat AMA si tu es dans les 5-7 premiers, mais beaucoup de pilotes ont des emplois à côté, ou trouvent des moyens de financer leur carrière. Je pense que ces pilotes méritent plus de reconnaissance que celle qu’ils reçoivent actuellement.

On a une rubrique sur notre site où on demande aux ex-pilotes de nous raconter des histoires drôles, bizarres, “WTF” lors des courses. Tu en as une qui te vient en tête ?

Ce n’est pas vraiment PEGI-13, mais j’ai vu des filles des paddocks aller de chambre en chambre dans les hôtels où on restait lors des GP overseas. J’avais une petite copine à l’époque, et tenter de lui expliquer ce qu’il se passait, c’était comme marcher sur de la glace très, très fine.

La saison 2024 s’est ouverte en Argentine. Everts, Guadagnini, Karssmakers et Roan n’ont pas pu s’y rendre. Geerts, Fernandez, Van Doninck, Gilbert, Forato sont repartis blessés. Le sport a-t-il dépassé les limites de ce que les pilotes sont capables de faire en toute sécurité ? 

Je pense qu’il y a quelques solutions, mais je ne suis pas un ingénieur. Je ferais rouler les pilotes avec un échappement “d’enduro” pour que les motos aillent moins vite, et qu’il soit aussi plus facile d’obtenir les autorisations pour ouvrir les terrains d’entraînement car les motos feraient moins de bruit.

Ensuite, il faudrait se débarrasser de ces grilles de départ en métal. Ça met tout le monde sur un pied d’égalité, mais pourquoi un pilote moins rapide devrait-il avoir les mêmes chances au départ que le pilote le plus rapide ? Avec ces grilles, il y a plus de grip et la vitesse est encore plus élevée au bout de la ligne droite. Non seulement, tout le monde arrive en même temps dans le premier virage, mais ils arrivent également dans ce virage bien plus vite qu’avant. Les chutes aux départs sont encore plus dangereuses qu’avant, et surtout en Supercross car il n’y a vraiment pas beaucoup de place pour sortir de la piste.

Avec Hitachi KTM, Bas visait le titre sur le championnat Britannique, cette année là …

Infront Moto Racing a changé l’âge limite pour la catégorie EMX250. Imaginons: tu es champion EMX250 à 21 ans, tu vas avoir deux ans en MX2 avant de monter en MXGP. De là, tu pourras rester 15 ans en MXGP si le cœur t’en dit, mais tu n’auras probablement jamais assez de contrats pour rester aussi longtemps, à moins de rouler devant chaque saison. Est-ce qu’on devrait revoir les règles d’éligibilité à ces catégories, pour permettre aux pilotes d’avoir des carrières plus longues, et plus d’opportunités ?

Instaurer une limite d’âge après la catégorie 125cc, c’est du n’importe quoi. On a un Jett Lawrence qui, à 19 ans, battait les vétérans du sport l’an dernier. Pareil pour Jorge Prado, il n’avait même pas 20 ans – si je me souviens bien – quand il battait Antonio Cairoli à Lommel ! D’un autre côté – et sans vouloir leur manquer de respect – tu as RJ Hampshire et Jordon Smith qui continuent de s’améliorer [en 250] année après année. Chaque pilote évolue de façon différente et selon moi, à cause de ces limites d’âge, on perd plus de talents qu’on n’en crée.

Est-ce que tu comprends que certains des jeunes du MX2 aspirent à une carrière aux USA, alors qu’aucun pilote Américain ne rêve réellement d’une carrière en MXGP ?

Le côté glamour et l’argent sont aux USA. Pourquoi est-ce que tu voudrais rouler en MXGP quand le champion du monde doit payer, alors qu’aux US les mecs ont des primes de résultats ? Imagine, tu peux aussi t’entraîner sous le soleil de Floride ou de Californie au lieu d’avoir à te les geler à Lommel, ou de devoir rester dans une chambre d’hôtel – pendant des semaines parfois – à Benicassim [Espagne], pendant l’hiver. Si tu parviens à rester en un seul morceau – de ce côté-ci de l’Atlantique comme de l’autre – tu vois que rouler aux USA est bien moins exigeant physiquement. Ceux qui disent qu’ils font plus de courses aux USA n’ont pas les bons arguments. Ici, les épreuves sont sur deux jours, et presque chaque pilote fait au moins deux courses de préparation en plus de rouler sur un ou plusieurs championnats nationaux comme le Dutch Masters, l’ADAC, l’Elite ou l’ACU pour se faire un peu d’argent en plus.

Sans détours – Bas Vaessen
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