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Sébastien Tortelli “L’idée était de redonner un souffle au sport en le rendant accessible de nouveau”


On ne présente plus Sébastien Tortelli, ni la Stark Varg. Double champion du monde de Motocross, Sébastien Tortelli s’est lancé dans la folle aventure d’Anton Wass en endossant la casquette de directeur du testing chez Stark Future. Après de longs mois de développement et de mise au point, la Varg a fait ses débuts sur le championnat de France de Supercross avec Thomas Do cette saison. Sébastien Tortelli est présent sur chaque épreuve du championnat pour superviser le tout. On est donc allé à sa rencontre à l’occasion du Supercross de Grenoble pour en savoir plus sur ses motivations à s’associer au projet, discuter de son rôle auprès de Thomas Do, du futur de la Varg, mais pas que. Micro. 

Sébastien, j’aimerais remonter un peu dans le temps. À l’époque, qu’est-ce qui t’avait séduit dans le projet Stark, et qu’est-ce qui a fait que tu t’es embarqué dans cette aventure ?

Un jour, un ami que j’avais en commun avec Anton Wass m’a dit que je devais lui parler. J’ai demandé de quoi il s’agissait mais cette personne ne pouvait pas m’en dire plus. De là, j’ai appelé Anton pour en savoir un peu plus, et lui non plus me pouvait pas m’en parler. Il m’a proposé un repas ensemble pour pouvoir parler de son projet; j’ai signé un accord de non-divulgation et Anton m’a alors expliqué qu’il était en train de faire une moto de cross électrique. Je lui ai dit que si c’était comme ce qui se faisait à l’époque, à savoir un entre-deux entre le VTT et le MX, ça ne m’intéressait pas. Je n’avais pas envie d’associer mon nom à ce genre de chose, ni de prendre du temps pour ça. De là, il m’a montré les premiers croquis, il m’a parlé de la puissance qu’ils voulaient atteindre, etc. Ça, c’était un projet qui m’intéressait. Cette discussion, c’était un an avant que je ne rentre dans la société. J’ai intégré Stark Future juste avant le lancement, quand ils ont été capables d’avoir une moto capable de rouler et d’être au point. Sur l’année, je faisais des aller-retour de temps en temps en Espagne pour voir l’évolution, une fois par mois, pour les aider sur le projet.

Entre le premier jour où tu as pu tester la moto, le jour où elle a été dévoilée au public, et aujourd’hui, à quel point la Stark a évolué finalement ?

Elle a beaucoup évolué, sans trop évoluer en même temps. La première qui était née avait déjà un bon package de base. L’évolution qu’on a aujourd’hui, ce sont des petites choses à droite et à gauche, un peu partout sur la moto. Notamment en faisant du testing d’endurance, du testing en condition de roulage. On a pu voir certains problèmes apparaître, problèmes qu’on a résolus au fur et à mesure pour améliorer la moto, pour en arriver aujourd’hui à cette Varg qui est capable de faire de la compétition.

Est-ce que finalement, on s’attendait à devoir répondre à une aussi grosse affluence de commandes ? Il me semble qu’il y a eu des problèmes d’approvisionnement, mais est-ce qu’on arrive à répondre aux commandes aujourd’hui ?

La moto a été bien reçue, et mieux que ce qu’on pensait. Il faut savoir qu’Alta ont un peu été les précurseurs de ce mouvement. À l’époque, je crois qu’ils ont vendu 1.500 motos sur toutes leurs années de production, donc on est parti sur un chiffre équivalent. Finalement, en l’espace d’une journée, on avait déjà dépassé cet objectif. Aujourd’hui, on est sur un nombre de commandes beaucoup plus important et c’est pourquoi il a fallu restructurer beaucoup de choses en interne. On a été obligé de changer de bâtiment et ces gros changements ont fait qu’on a eu un peu de retard dans le fonctionnement et donc dans la production. Il y a eu des soucis d’approvisionnement par la suite. La particularité de la chose, c’est qu’aujourd’hui, notre technologie est différente de ce qui se trouve sur le marché, nos demandes sont différentes, donc nos fournisseurs ont été obligé de s’adapter et on a eu du mal à les faire s’aligner au niveau qu’on souhaitait aussi rapidement que voulu. Il y a eu une vraie transition qui a pris du temps, pour qu’on puisse avoir les pièces qu’on voulait, au niveau qu’on voulait.

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@Stark Future Media Pool

Il y a eu Virginie Germond sur le championnat de France Féminin, il y a désormais Thomas Do sur le SX Tour, dernièrement on avait parlé avec Karl Barbarit sur le National 450. Vu de l’extérieur, on a l’impression que Stark est là pour montrer la moto, promouvoir la moto, mais aussi et surtout pour faire pas mal de testing en conditions réelles. En regardant le nombre de personnes qui sont sous l’auvent ce week-end à Grenoble, c’est encore le sentiment que j’ai.

Tout à fait. La première course, c’est moi qui l’ai faite avec Virginie sur un circuit local. C’était histoire de voir comment la machine se comportait face à d’autres pilotes en 250 et en 450. On était encore dans les phases de pré-tests. Après quoi, Virginie a pu rouler un peu sur la moto et ça lui a permis de faire l’épreuve du championnat de France Féminin. C’est l’évolution naturelle. Il faut passer par l’étape évolution de la moto, mais aussi évolution des fédérations pour qu’on soit autorisés à rouler, et tout ça ne se passe pas du jour au lendemain. Notre but, c’était surtout d’être capable de travailler avec la fédération pour leur permettre d’avoir une plateforme afin d’apprendre ce qu’est l’électrique. Aujourd’hui, on est là pour rester, et il faut faire les règlements adaptés. C’est pourquoi Thomas est autorisé en championnat de France SX en tant que wildcard; on peut ainsi améliorer le règlement et, si tout se passe bien et à travers les conditions de la fédération, on espère pouvoir faire partie du championnat l’an prochain. Aujourd’hui, il y a des évolutions parallèles: celles au niveau des règlements, et celle au niveau de la moto en elle-même. Il faut des évolutions au niveau des compétitions, des fédérations, des promoteurs; il faut que tout s’aligne mais ça prend du temps.

On voit que dans le domaine de l’automobile, l’électrique évolue chaque année de façon assez significative. Même si on est tenté par l’électrique, on peut aussi se dire qu’on va attendre que ces nouvelles technologies évoluent encore avant de franchir le cap, histoire de ne pas se retrouver avec un modèle dépassé d’ici un, ou deux ans. Est-ce qu’on n’est pas confronté à ce problème au niveau de la Stark, finalement ?

Non. De notre côté notre moto est en évolution permanente. On ne se base pas sur la production nouveaux modèles chaque année comme peuvent le faire les constructeurs. Dès qu’une nouveauté arrive, elle est directement implantée à la production. Aujourd’hui, le gros travail d’évolution de la partie matière – c’est à dire cadre, pièces – a été fait. À ce niveau là, il va se passer quelques années avant qu’on ait de nouvelles évolutions. Aujourd’hui, les évolutions qu’on fait, ce sont des évolutions de software et la machine peut donc évoluer quotidiennement via les mises à jour. Le premier travail était un travail physique, aujourd’hui on est sur un travail de coding et d’amélioration du software. L’avantage, c’est que la personne qui a acheté la première moto et la personne qui achètera la moto demain auront le même software car les mises à jour se font automatiquement à travers notre système. La machine est ce qu’elle est, il y aura des évolutions tous les mois, à travers le cloud. On s’améliore au fur et à mesure qu’on apprend, mais les modifications se feront à travers les mises à jour du software de la Varg.

Ce qui revient assez souvent, c’est que la Varg ne fait pas de bruit et qu’on ne l’entend pas arriver. Est-ce qu’on est en mesure de savoir si Stark Future à l’intention de faire des évolutions à ce niveau là ?

C’est une bonne question, mais je ne pourrais pas y répondre. C’est un point d’interrogation. En tout cas, je sais que ce n’est pas la politique de l’entreprise donc pour l’instant, ce n’est pas dans les tuyaux. On est plus basé sur la sécurité, l’identification des problèmes, on a énormément de capteurs sur la moto pour que les pilotes aient des alertes avant que les problèmes n’arrivent. Aujourd’hui, on est plus axé sur la performance et la prévention de problèmes. Notre but, c’est que si un propriétaire de Varg rencontre un problème, l’usine puisse être au courant en temps réel, dans le but de pouvoir anticiper et de pouvoir répondre le plus rapidement possible.

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Le point d’orgue et la question qui revient tout le temps, c’est l’autonomie. À quel horizon est-ce qu’on peut espérer se dire que la Varg sera capable de faire 35 minutes et 2 tours avec un pilote de grand prix ?

Tout dépend de l’objectif. Aujourd’hui, on ne peut pas faire ça en grand prix pour la simple et bonne raison que nous n’avons pas été acceptés au sein de l’association des constructeurs.

Les constructeurs ont mis leur veto ?

Oui, certains. On subit un petit peu. Je pense que la technologie fait un peu peur, et qu’on a été avant-gardiste. Il y a eu quelques sonnettes d’alarme qui ont été tirées et aujourd’hui, ce n’est pas aussi simple que ce qu’on aimerait. On est réellement la seule machine de ce type sur le marché. Je pense que ça changera dans le futur, quand d’autres machines électriques arriveront. Aujourd’hui, on peut déjà faire une manche de 35 minutes, mais pas au niveau grand prix. C’est quelque chose qui viendra dans le futur. On sait que l’évolution au niveau des batteries est de l’ordre de 7 à 8% par an, c’est la courbe moyenne tout en sachant que certains pas en avant sont plus rapides. Aujourd’hui, on travaille énormément sur la gestion et l’utilisation de la batterie pour perdurer le plus longtemps possible. Avoir un pilote de grand prix de haut niveau qui roulerait dans des conditions souples, ce n’est pas encore possible. Moi, j’arrive à rouler 30 minutes avec la Varg sur des terrains plus secs et avec une bonne vitesse, mais je n’ai plus le rythme des grands prix.

Aujourd’hui, le premier client de cette machine n’est pas le pilote de grand prix. Ça n’a pas été notre objectif. La moto a été conçue pour des gens qui veulent se faire plaisir comme Anton Wass. C’est un passionné de moto et il voulait une moto qui pouvait correspondre au genre de personne qu’il est, c’est à dire quelqu’un qui roule à un certain niveau – probablement niveau national voir moins – et qui ne veut pas s’embêter avec l’entretien. Quelqu’un qui veut se faire plaisir d’une façon simple. L’idée de cette moto, c’était d’avoir un outil qui puisse permette aux gens de se faire plaisir facilement, sans avoir certains contraintes techniques: devoir apprendre à gérer un embrayage, à passer des rapports, à faire un filtre à faire, à faire une vidange moteur, un embrayage, etc … L’objectif, c’est de simplifier tout ça pour se faire plaisir avec une moto facile. Aujourd’hui, si un pilote de haut niveau roule avec la Varg, il y aura moins de différence avec une moto thermique parce que le pilote de haut niveau fait les choses machinalement, il ne réfléchit pas à quand ou comment passer les rapports, il ne réfléchit pas à son régime moteur, il sait, c’est instinctif. Par contre, la personne qui débute avec une Varg sera capable de se faire directement plaisir avec cette moto et pourra évoluer rapidement dans les cylindrées, car tout est géré sur le téléphone.

Moi, je roule avec la Varg, et je roule aussi encore sur des thermiques car on fait du testing et c’est important d’être à jour. J’ai beaucoup plus de facilité à faire la transition du thermique à l’électrique que l’inverse. La Varg est facile à rouler, alors que quand je reviens sur une thermique j’ai beaucoup de choses à refaire, et ça me demande un peu plus de temps. Il faut monter sur la moto, l’essayer et en tirer sa propre conclusion. C’est le meilleur moyen de juger la machine aujourd’hui. Il y a beaucoup de “on dit”, mais jusqu’à ce qu’on monte dessus, on ne sait pas ce que c’est. Elle n’est pas obligée de plaire à tout le monde non plus.

L’idée n’était pas de remplacer les thermiques des passionnés, mais surtout de toucher un nouveau public ?

Tout à fait. L’idée était de redonner un souffle au sport en le rendant accessible de nouveau. Ce qu’on peut voir depuis des années, c’est que notre sport est devenu spécifique, les terrains sont toujours plus loin, les contraintes toujours plus importantes. Ce qu’on souhaite, c’est pouvoir ramener une moto plus près des villes et permettre à des gens de découvrir le sport par la facilité de roulage que représente cette moto.

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Au niveau des infrastructures, est-ce qu’on est prêt, en France, à accueillir des flottes de Stark sur les terrains ?

On a pas mal de projets là-dessus, c’est en route. Quand les premières Tesla sont arrivées, il n’y avait pas de chargeur partout et aujourd’hui, presque toutes les stations en sont équipées. Je pense qu’il y a un temps d’adaptation. Quand il y aura plusieurs marques sur le marché, il y aura également plus de facilité à avoir des stations de charge sur les terrains. Je sais que les régions sont intéressées par ce côté “vert” et proposent des subventions pour ce marché de l’électrique. On est au début d’une révolution, ce sont les premiers pas. Aujourd’hui, tous les circuits ne sont pas capables d’accueillir une tonne de Stark. Dans un ou deux ans, ça aura évolué de la même façon que ça évolue aujourd’hui. Ça demande du temps, mais on a fait les premières démarches.

Si je ne me trompe pas, tu as été sur toutes les courses du SX Tour cette saison. Quel est ton rôle aujourd’hui auprès de Thomas Do, et de Stark ?

Principalement, mon rôle est d’être directeur des tests. J’ai fait toute cette partie-là avant et là, on est rentré un peu plus vite que prévu dans la compétition donc on est encore dans une phase d’évolution au niveau du matériel pour la compétition. Voilà pourquoi je suis présent sur les courses avec nos pilotes officiels Stark. On est encore en testing et je m’assure que tout se passe correctement. S’il y a des problèmes, vu que j’ai pas mal d’heures au guidon de cette moto, je suis en mesure d’aider pour trouver des solutions. On va vers un team de compétition officiel et forcément, vu mon passé, je serai aussi forcément impliqué dans la compétition.

Quel bilan tire-t-on des performances de Thomas Do avec cette machine jusqu’à présent ?

On est satisfaits. On est rentré dans un championnat en cours, Thomas était en 450 et il est redescendu en 250 pour rouler sur la Stark. C’était un double challenge pour lui, de taille. On arrive, on apprend, les améliorations se font au fur et à mesure. On a déjà pas mal évolué entre le premier SX Tour et aujourd’hui. On peut voir que Thomas signe des résultats qui sont de mieux en mieux, et c’est aussi parce qu’on s’adapte à la compétition. On comprend un peu plus ce dont la moto a besoin pour être compétitive dans ces conditions. Il y a une évolution au niveau du testing fait en dehors des épreuves, mais il y a aussi une évolution liée à la compétition, au plus haut niveau. Ça nous permet de faire redescendre plus d’informations vers l’usine, et donc vers la production. Avoir un team de compétition est important pour nous, car ça nous permet de pousser le matériel à des niveaux plus élevés tout en récoltant beaucoup d’informations.

Est-ce qu’on est en mesure de savoir si on sera avec un team officiel sur les championnats de France en 2024 ? Elite, SX Tour, voir même national ?

Non, on n’est pas en mesure de le savoir aujourd’hui. Tout simplement parce que la commission de la fédération Française n’a pas encore eu lieu, et c’est là que seront prises toutes les décisions. Il va falloir attendre ce congrès.

En 2024, on va être présent intégralement sur le championnat d’Arenacross Britannique, on a déjà des accords avec des pilotes sur ce championnat et ils seront intégrés officiellement au championnat avec des points. L’année prochaine, on sera également intégré aux championnats en Australie – MX & SX. On a fini les tests avec la fédération Australienne et ils ont pu comparer les motos, vérifier le fonctionnement de la Varg et les puissances. Il y a des avancées, on sera peut-être à l’international l’année prochaine, mais c’est encore loin d’être fait. On est encore aux prémices et dans un mois, je pense qu’on en sera déjà plus sur les championnats sur lesquels on sera en mesure de s’aligner l’année prochaine.

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