Une course, une histoire – Luigi Seguy (1/2)
“Une course, une histoire”; c’est une rubrique sans prétention qui a pour objectif de vous permettre de replonger dans les moments les plus marquants des carrières de vos pilotes tricolores favoris. Amateur d’anecdotes ou d’histoires insolites, on fouille dans des souvenirs, parfois lointains …
Avec Luigi Seguy, on aurait pu renommer la rubrique pour la conjuguer au pluriel. L’ancien quadruple champion de France est remonté 20 ans en arrière pour se remémorer des anecdotes bien croustillantes de sa carrière en mondial. Souvenez-vous; avec Yves Demaria et David Vuillemin, Luigi Seguy était allé chercher la première victoire Française au prestigieux Motocross des nations; c’était en 2001. Une rubrique qu’on a scindé en deux parties pour faire durer le plaisir … Pour les plus jeunes, une leçon d’histoire, et pour les plus anciens, retour sur les années Seguy …
Luigi Seguy
“En 2000, j’ai monté ma structure avec Riccardo Boschi, JK Racing. Un team qui existe toujours aujourd’hui, et depuis plus de 20 ans.
Cette année là, je participe au championnat de France Elite à Castelnau-de-Levis avant le GP du Brésil. Il y avait Grant Langston qui était venu, car le championnat était ouvert aux étrangers. Dans la première manche, je pars 4ème, je rattrape Fredéric Bolley, je le double, et sur un saut, dans une descente, la moto fait un point mort alors que j’enlève un tear-off. Gros par-devant, perte de connaissance, traumatisme crânien, la totale.
Une semaine plus tard, on devait rouler en mondial au Brésil ; si cette histoire était arrivée aujourd’hui, on n’aurait jamais eu le droit d’y rouler. Mais je suis quand même parti, juste après la course de Castelnau.
Pour aller au Brésil, ça avait été compliqué. Au départ de Toulouse, à l’aéroport, mon père se rend compte qu’il a oublié son passeport. Ça commence … Ma mère le lui amène en roulant à 180 km/h et arrive 5 minutes avant de la fin de l’embarquement. J’étais soulagé, car sinon, j’allais faire le Brésil tout seul.
Normalement, les teams envoyaient les motos en caisse, le problème, c’est que nous, on n’avait pas eu le temps d’envoyer la mienne entre Castelnau et le Brésil puisqu’il n’y avait qu’une semaine entre les deux épreuves. On s’est donc fait prêter une moto sur place, au Brésil.
J’arrive et je récupère la moto, c’était une moto d’origine, déjà utilisée, et usée. J’avais mes suspensions, mon cylindre, mon carburateur, ma culasse, etc … On avait dégoté cette moto grâce à un ami de Riccardo de la marque Circuit. Ils m’avaient trouvé une 125 YZ.
Vu qu’on était arrivé quelques jours en avance, j’avais le temps de mettre la moto au point. Le mercredi avant le GP, on va rouler « Putain, elle n’avance pas la moto ». L’essence, on aurait dit de l’eau. Je roule sur un autre circuit le jeudi, je n’arrivais toujours pas à rouler correctement. Le jeudi, mon père va chercher de l’essence de Formule 3000, et là, ça marchait beaucoup mieux.
Arrive les qualifications pour le mondial le samedi, on passe le contrôle technique, tout va bien. Tout le monde était présent avec les deux motos d’usine, et moi, je n’en avais qu’une d’occasion, c’était un peu chaud (rires). Aux chronos, je fais péter le meilleur temps dans le premier tour et je rentre au parc fermé.
Là je vois les mecs qui s’affolent, le mécanicien et moi, on ne parlait pas le portugais. On regarde sous la moto, j’avais perdu le bouchon d’huile du bas moteur, et toute l’huile avait coulé par terre. Quand mon père voit ça, il hurle « Putain, éteint la moto, éteint là, éteint ! ». Je suis obligé d’abandonner la séance d’essai mais je signe quand même le second temps, donc c’était cool.
Le soir, mon père essaye de trouver un bouchon de bas moteur dans le paddock. Il va voir Paul Malin qui roulait chez Yamaha. « Vous avez deux motos, est-ce que vous pouvez nous filer un bouchon ? ». Ils refusent. Mon père, vexé, est parti à pied jusqu’à une concession Yamaha qui se trouvait à 4 bornes de là, il s’est débrouillé et le mec – sympa comme tout – nous a prêté un bouchon et une roue arrière.
En première manche le lendemain, je pars 7 ou 8, je remonte second. En seconde manche, je gagne la manche, et mon premier grand prix. C’était génial. Une vengeance sur Honda qui faisait rouler Mike Brown, c’était royal, je te raconte juste après …
Si tu demandes à Grant Langston et qu’il te répond franchement, il te dira exactement ce que je vais te dire. En seconde manche, je l’ai rattrapé, je l’ai doublé, et en le doublant, je lui ai fait un signe avec la main « Qu’est-ce que tu fais ? » (rires). Je lui ai fait signe de me suivre, et puis je suis parti.. Je lui ai collé quelque chose de l’ordre de 30 secondes (rires).[…]
Ah, oui, en 1996, j’ai été désigné vainqueur d’un grand prix en Belgique, mais si tu veux, je ne l’ai pas gagné à la régulière, c’est les autres qui ont triché (rires). Il y avait Sebastien Tortelli, Frédéric Vialle et Paul Malin, et ils ont été disqualifiés pour avoir utilisé de l’essence non conforme, alors qu’on roulait avec du sans-plomb à l’époque ; comme les motos marchaient moins bien, les gars avaient mis de l’essence d’avion et s’étaient fait disqualifier. J’ai fini par gagner le grand prix.
Je m’en rappelle car en cas de victoire de grand prix, j’avais de grosses primes. Quand j’ai été chercher mon chèque, je leur ai dit « Il y a un problème, je n’ai pas gagné autant, tu t’es trompé ».
« Non, non, tu as gagné le GP ». […]
Donc, en 1998, j’étais chez Dave Thorpe et Caterpillar Honda. J’avais gagné un peu d’argent cette première année en terminant 4ème ou 5ème du mondial et sur un coup de bluff, j’ai réussi à doubler mon salaire de l’année en 1999.
Le problème, c’est que j’ai signé un contrat en tant que pilote numéro deux de l’équipe. Moi, ça ne me changeait pas vraiment la vie. Dave Thorpe avait signé l’Américain Mike Brown en 1999. À l’entraînement, j’étais plus rapide que lui, mais en course, ma moto ne marchait jamais.
À l’entraînement, Dave Thorpe ne voulait même pas que je me mette derrière Mike Brown lors des manches, il fallait que je parte à l’autre bout du circuit, à l’opposé complet de Mike, et on faisait nos manches. Au bout de 40 ou 45 minutes, je l’avais rattrapé, et quand j’arrivais dans sa roue, il s’arrêtait, il disait que son pneu arrière était lisse … (rires) On avait les mêmes motos pourtant. Les américains sont assez spéciaux.
En 1999, Mike Brown fait 3 du mondial 125, et moi, 9ème. J’ai été payé pour rester derrière Mike Brown toute la saison. Quand j’ai compris ça, j’ai voulu arrêter la moto.
J’étais dégoûté, je ne voulais plus entendre parler de moto à l’intersaison. J’avais quand même mon sac d’entraînement prêt dans un coin chez moi. Un jour, mon père balance le sac dans le camion et m’emmène à Labarthe ; il y avait une journée d’essai. J’ai essayé la moto d’un copain à moi, une 125 YZ de 2000. Aux chronos, je roulais deux secondes plus vite que d’habitude sur ce tracé. Mon père a dit au gars « Tu as dû te tromper … Luigi, refait un tour pour voir ». J’ai fait un nouveau tour, et j’ai roulé encore plus vite. Un truc de fou.
Par la suite, mon père a été en douce en Espagne acheter des 125 YZ d’origine, et j’ai roulé en championnat du monde comme ça. « Fiston, tu vas te venger »
J’étais plus rapide avec ces motos là qu’avec les motos d’usine. J’ai terminé 4ème du mondial en 2000, et j’ai signé ma première victoire en GP. […]”