Dans le but de me diversifier, je vous propose désormais “Une course, une histoire”; la nouvelle rubrique qui voit le jour sur le site. L’objectif de cette dernière, replonger dans la mémoire de nos pilotes tricolores pour leur en faire ressortir des anecdotes, des histoires insolites ou simplement plonger au cœur d’un moment marquant de leur carrière.
Pour ce quatrième épisode, c’est Nicolas Aubin qui a fouillé dans les archives. En 2006, le pilote Français réalisait sa seconde année en mondial MX2 avec des moyens plus que limités mais parvenait, au panache, à rivaliser avec les plus grands noms du Motocross mondial. Travailleur acharné, Nico était parvenu à se faire ouvrir les portes des équipes usines. Retour sur les dessous d’une saison 2006 charnière avec le sextuple champion de France …
Nicolas Aubin: “Fin 2005, et après une mauvaise première année en grand-prix, je ne trouve pas de guidon. Le seul qui était prêt à me signer, c’était Christian Bayle, avec son équipe TSM Kawasaki. À ce moment-là, on entendait des rumeurs qui disaient que le team était dans une situation financière compliquée, mais je signe quand même le contrat. “De toute façon, je n’ai que ça” mais j’avais quand même vraiment envie de bosser avec Christian Bayle.
Effectivement, quelque temps après, le team capote et ferme les portes pendant l’hiver. Je me retrouve sans rien. J’avais été jusqu’à tester les moteurs en Italie avec l’équipe, on avait pas mal avancé.
Du coup, on décide de partir avec Didier Mardel – qui devait être mécanicien du team TSM Kawasaki – puisque c’était lui qui prêtait la structure, le camion, l’auvent. Il fournissait le matos à Bayle à la base.
Avec Didier, on recontacte les gens avec qui on avait prévu de travailler pour la saison 2006 avec Christian Bayle. On se retrouve à la rue, lui n’avait plus de salaire, moi non plus … Je venais de passer Kawasaki, la moto me plaisait, je me sentais bien dessus donc on a fait le nécessaire pour rester sur Kawasaki. Bref, on part quand même avec une structure correcte. Quitte à être dans la merde, autant l’être tous les deux.
On roule sur l’inter de Pernes-les-Fontaines, et on apprend que Kawasaki ne nous aidera pas. On décide d’acheter des KTM, c’était déjà de très bonnes motos en MX2. J’achète les motos, je mets la main au portefeuille. J’investissais le peu d’argent que j’avais dans l’équipe.
Un jour, je me retrouve à l’entraînement avec Mickaël Pichon avant l’élite de Sommières. À l’époque, Mika était pilote d’usine KTM et – chose qui ne s’était jamais faite – il me prête sa 250 4 temps d’usine d’entraînement. Je passe d’une moto 100% d’origine sur laquelle j’ai une préparation suspension, un guidon et un pot, à une moto d’usine … Quand t’es un gamin de 17 ans, ça te transcende.
J’arrive donc à Sommières pour l’ouverture de l’Elite, je me bagarre avec les frères Pourcel, je signe un 3-3-3 en Elite, ça me met grave en confiance. J’ai eu cette moto pour une seule épreuve car Mika s’est fait taper sur les doigts par KTM la semaine suivante.
Le weekend suivant, je roule à Valence, de nouveau avec une moto d’origine, je roule plutôt bien et j’attaque finalement la saison de mondial en tant que pilote privé. Une saison charnière pour moi.
Au bout de deux grands-prix, ça ne se passe pas très bien avec le mécano, on avait des visions différentes de la gestion de la structure et on décide de se séparer.
Vient l’épreuve du Japon, et moi, je n’avais pas les moyens d’aller rouler au Japon. À l’époque, KTM n’est pas implantée là-bas et s’il y a bien un pays où il est impossible de s’y faire prêter cette moto, c’est là-bas. J’en profite pour bien m’entraîner. Quand les grands-prix reviennent en Europe, place au GP de Bulgarie. À Sevlievo, je mène ma première manche en mondial et je tiens 20 minutes en seconde position entre Cairoli et Pourcel.
Vient ensuite le GP d’Angleterre. Je m’aligne encore avec une moto 100% d’origine, un châssis d’origine préparé, un allumage, et je roule dans le paquet de tête tout le weekend, lors des essais, et je passe à deux doigts de gagner la manche qualificative. Mon embrayage d’origine commence à chauffer alors je vais voir KTM Usine pour voir s’ils peuvent me dépanner. Ils me facturent les pièces … Bon, on paye.
Le dimanche, je pars en tête et je tiens 20 minutes devant avec ma moto d’origine avant de craquer physiquement et de terminer 9ème. En MX2, je me battais contre Philippaerts, Pourcel, Cairoli, Rattray, Swanepoel, Searle & co … C’était les grandes années sans limite d’âge, avec les anciens.
Pendant ces manches, je me bagarre avec les pilotes usine KTM et je me dis que KTM va voir que j’ai le potentiel, que si je suis bien encadré, je vais être dans le coup l’année suivante, et qu’ils vont s’intéresser à moi… Rien, pas une signe d’intérêt de leur part, ni dans le team usine, ni dans les équipes satellites. Un peu dur à avaler.
Derrière, je fais un bon GP de Suède; toujours avec mes petits moyens, juste un camping-car et mon père qui ne veut pas me panneauter pendant les manches. Il me disait “De toute façon, une manche, c’est 40 minutes à fond, pas besoin de savoir où tu en es”. Je décide de lui acheter un panneau quand même, et lors de la première course de qualification du samedi, impossible de voir le panneau. À l’arrivée, je vais le voir “Je n’ai pas vu le panneau”, il me répond “tiens, il est là”. Le truc était en miettes, j’avais pris un mauvais départ, et il l’avait cassé en deux.
Toute l’année, on s’est débrouillé; j’ai galéré. En fin de saison, les motos étaient complètement mortes après tout l’élite et tous les GP. Mon père n’était pas un grand mécanicien car il n’avait pas les compétences pour entretenir un 4 temps, ouvrir un moteur entre chaque GP, et on n’avait pas non plus les moyens de changer de piston à chaque épreuve. On était vraiment limite. Aller sur les 15 épreuves de la saison, ça coûtait déjà beaucoup d’argent.
En fin de saison, mon père va démarcher Yamaha qui s’intéressait déjà à un autre pilote pour la saison suivante; tout va se jouer à Ernée, à la finale du mondial. L’autre pilote – de ce que j’avais entendu à l’époque – c’était Xavier Boog, qui roulait déjà Yamaha avec Casola PSM.
Le contrat, c’était pour rentrer dans le team officiel Yamaha MX2 avec Rinaldi, et Yamaha France devait mettre un budget aussi. Le décisionnaire, c’était Jean-Claude Olivier, que je ne connaissais pas à l’époque. Mr. Olivier vient donc au grand prix de France.
Mes motos étant mortes après l’avant-dernier grand prix, on discute avec mon père et on se dit que si tout se joue à Ernée, on ne peut pas se pointer avec une moto rincée. On essaye donc d’acheter une 2006 neuve, mais on n’en trouve aucune en concession dans le nord de la France. Le modèle 2007 était arrivé, mais le modèle était complètement différent; dilemme. Soit on partait sur un modèle 2007 qu’on ne connaissait pas, soit on roulait avec des 2006 flinguées.
On achète donc un millésime 2007 le lundi avant le grand prix de France sauf qu’on se rend compte qu’aucune pièce de la 2006 ne se monte sur la 2007, à part le silencieux. J’ai même roulé avec l’amortisseur d’origine, on n’a même pas eu le temps de faire de réglages dessus. On a monté des pièces de la 2006 comme on pouvait, un guidon, un té supérieur, un silencieux et je suis parti avec des réglages d’origines. J’avais la dalle.
Je fais 6ème en première manche, 10ème en seconde manche et termine 7ème du grand prix. Jean-Claude Olivier en avait assez vu. Après la première manche, il avait pris sa décision. Il avait vu comment ça se passait dans le paddock, il avait vu notre camping-car au fond du paddock, il avait vu qu’on bossait, qu’on donnait tout ce qu’on pouvait avec ce qu’on avait.
Jean-Claude Olivier n’est pas venu me parler du weekend, c’est après la course que j’ai su que j’avais gagné ma place chez Yamaha. Une saison surréaliste.
En 2007, je gagne un grand-prix, deux manches, j’avais les moyens de me payer un entraîneur, je deviens champion de France, je suis sélectionné pour le Motocross des Nations, ça n’avait plus rien à voir …”