MXGP & Europe

Zoom: l’élaboration d’un calendrier MXGP avec David Luongo

Via Adam Wheeler - OTOR (adapté)

Le calendrier du championnat du monde MXGP 2024 a été dévoilé dernièrement, et ce dernier reste dans la continuité de ce qu’il se faisait ces dernières années.

Cette dernière décennie, l’Italie a organisé plusieurs épreuves par saison, pour répondre à la demande autour d’Antonio Cairoli. L’Espagne organise également un GP fréquenté, sur un tracé temporaire aux portes de Madrid, pour répondre à l’engouement croissant autour de Jorge Prado mais aussi Ruben Fernandez. La présence de pilotes français, belges et néerlandais aux avant-postes permet également de maintenir une forte présence de spectateurs lors des épreuves organisées dans ces pays respectifs. Les GP de Suède, de Lettonie, de Finlande, d’Allemagne, de République tchèque et de Suisse contribuent à attirer et à faire progresser les pilotes de différentes régions, en particulier en provenance d’Europe de l’Est. Pour preuve, et dans le top 10 final du championnat d’Europe 125 cette saison figurent deux Danois, un Tchèque ou encore un Hongrois, alors que le titre a été remporté par un jeune pilote Letton: Janis Reisulis.

Le promoteur du mondial MXGP – Infront Moto Racing – reste avant tout une entreprise, et si certains Grands Prix rapportent de l’argent, d’autres sont bien moins lucratifs. Infront Moto Racing dispose de son propre staff, gère sa propre logistique et ses coûts de production télévisuelle. Certains organisateurs d’épreuves remplissent leur contrat jusqu’au bout, quand d’autres peinent à respecter leurs engagements et disparaissent du calendrier. S’il a désormais disparu du calendrier, le Grand Prix du Qatar était un événement subventionné par le gouvernement, GP qui s’est tenu pendant 5 ans entre 2013 et 2017. Il se laisse dire que les recettes de ce GP permettaient de couvrir les coûts d’organisation de 5 épreuves du calendrier par la suite. Non, Losail ne déchaînait pas vraiment les foules, mais ce GP était une manne financière importante pour le promoteur qui tentait – en parallèle – d’établir son championnat sur un nouveau marché au Moyen-Orient.

Et puis, le Covid-19 est arrivé. Pendant trois ans, le mondial MXGP a dû faire face à de nombreuses restrictions et se plier à de nouvelles règles, tout en accusant des reports de dates et des annulations d’épreuves. Le promoteur a alors planché sur un calendrier regroupant doubles et triples épreuves pour parvenir à maintenir à flots son championnat en 2020 et 2021. Enfin, en 2023, tout ce petit monde a pu retrouver un semblant de normalité, les grands prix renouant avec un taux de fréquentation spectateurs pré-Covid.

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Afin d’en savoir un peu plus sur la manière dont un calendrier de mondial MXGP est pensé puis organisé, Adam Wheeler s’est entretenu avec le PDG d’Infront – David Luongo – pour éclairer notre lanterne à quelques mois de l’ouverture de la saison 2024.

David. Les investissements des gouvernements jouent un rôle important dans l’organisation des épreuves, mais on imagine qu’à chaque épreuve du calendrier, ses spécificités.

C’est vrai. Dans de nombreux cas le promoteur n’est pas le seul à investir de l’argent pour organiser ces épreuves. Il y a deux façons de faire des GP. En Europe, il y a la façon dite “classique” avec laquelle la vente de tickets ramène la majeure partie des revenus pour les organisateurs. Ils dressent un modèle financier qui comprend les revenus des ventes de tickets, l’aspect marketing et les sponsors qui les soutiennent. Hors Europe, c’est une approche différente car le mondial MXGP apporte de l’exposition aux commerces et au tourisme local là où se déroulent les courses. On développe le sport sur un marché important, ce qui suscite un certain intérêt et/ou une croissance au niveau des fans sur place. Chaque GP a sa propre histoire, c’est certain. Un Grand Prix, c’est l’épreuve de Motocross la plus importante du pays. Par exemple, en République tchèque, c’est l’événement le plus important de l’année. Le Grand Prix est attendu toute l’année et de gros efforts sont déployés pour que tout se passe bien. 

Le public semblait être bien présent sur les grands prix cette année. Miser sur la billetterie, c’est toujours un modèle financier viable pour notre sport ?

Oui. Je pense que cette année, on est de retour aux chiffres pré-Covid et sur beaucoup de GP, on a même eu plus de spectateurs par rapport aux saisons pré-Covid. En France, c’était bien, en Belgique et en Allemagne également. Les préventes ont bien fonctionné et les samedis sont plus attractifs. On a vu des améliorations … Mais d’un autre côté si on prend l’Italie, c’est stable car on a besoin de nouvelles stars pour prendre la relève même si Andréa Adamo est en bonne voie. Mattia Guadagnini n’était pas là sur tous les GP Italiens mais on a une nouvelle vague qui arrive. Dans un même registre, ça se développe aussi beaucoup en Espagne avec Jorge Prado et Ruben Fernandez. Dans sa globalité, l’année 2023 a été très positive.

C’est frustrant pour vous d’avoir des stars comme Tim Gajser, mais de ne pas pouvoir organiser une épreuve en Slovénie ?

Je vois ça d’un autre œil. On n’a jamais voulu être uniquement lié à un ou deux pays suivant la provenance des pilotes. On voulait avoir autant d’opportunités que possible. Si on prend le top 10 en MXGP et en MX2, on retrouve 7 ou 8 différentes nationalités. Il y a des talents qui débarquent de beaucoup d’endroits différents et pour nous c’est fantastique car cela nous permet de toucher presque tous les pays Européens, et c’est en partie grâce aux championnats Européens qui attirent des pilotes de tous les horizons. Cette mixité a également impacté le niveau des pilotes car par le passé, seuls les pilotes Belges gagnaient dans le sable alors que les Italiens et les Français gagnaient sur le dur. Aujourd’hui, on ne saurait plus dire qui sera bon et sur quelle piste ! Le niveau s’est élevé, ce qui attire davantage l’intérêt et ce qui nous offre donc plus d’opportunités. C’est sûr que Tim regrette son GP national, mais il ne faut jamais dire jamais; nous sommes en discussion avec la Fédération Slovène et peut-être qu’un jour, nous pourrons organiser une course là-bas.

Vous devez avoir de nombreuses discussions à propos de futurs projets, avec différents investisseurs, promoteurs …

Oui. Pour faire un bon grand prix, il faut que les deux parties soient satisfaites; c’est très important. On ne peut pas décider de faire un GP simplement parce qu’on le veut, quitte à prendre un organisateur à la gorge. On veut créer des partenariats sur le long terme. C’est pourquoi un grand prix doit être viable financièrement. Les GP du Vietnam et d’Oman sont des exemples de cela: on en est arrivé au point où on a compris que ces grands prix n’étaient pas viables pour eux, et qu’annuler / reporter était alors la meilleure décision. Pour le Vietnam, on était à moins de six mois du grand prix et on pouvait voir que ça ne prenait pas la bonne direction. Donc, pour éviter des problèmes avec les coûts que représentaient les déplacements, il était plus judicieux de reporter le grand prix, pour trouver des solutions pour l’avenir.

Il faut aussi équilibrer les coûts d’organisation des épreuves avec les bénéfices d’Infront. C’est la raison d’être d’Infront Moto Racing après tout, et cela signifie qu’il faut réfléchir soigneusement au nombre de courses sur une saison, ainsi que leur situation géographique.

Si on regarde les sports mécaniques, on peut voir que de plus en plus de courses se développent hors-Europe. En F1, ils atteignent 25 GP désormais et en MotoGP, il y en aura plus de 20. Notre contrat avec la FIM nous limite à 20 courses par an, plus le Motocross des nations. Pour nous, il est clair que nous devons atteindre ce nombre de GP dans l’année. Dernièrement, je regardais les calendriers passés et dans les années 90′, il y avait en moyenne 13-14 grands prix par an et aujourd’hui, on en dispute 20. Ce n’est pas comme si on avait retiré les épreuves Européennes “classiques” pour les délocaliser en Argentine ou en Indonésie. On a été en mesure d’ajouter des épreuves, et c’est ce qu’il faut faire si on veut être un championnat mondial, si on veut continuer à s’étendre et à faire grossir la fanbase autour du Motocross. Quand on va en Argentine et qu’on voit 35.000 spectateurs venir sur un week-end, on voit que ce GP est important pour le marché de la moto tout terrain. Même si financièrement, les temps sont durs pour le pays, le GP a été un succès à Neuquen. L’Indonésie est l’un des plus gros marchés au monde pour Yamaha et Honda. Alors oui, la plus grande part de ce marché est occupée par les scooters mais ils ont aussi de plus grosses motos et des motos tout terrains. Un GP, c’est un outil fantastique pour promouvoir le sport, développer des clubs, des championnats ou des talents futurs. Tout est relié. On a d’autres plans pour le futur, comme l’Australie, la Chine. Quand le marché et le sport sont connectés, on veut un GP. Pour nous, le mieux serait 14 épreuves en Europe et 6 GP oversea. Ce serait le but ultime et on essaye de minimiser les coûts, d’être plus efficaces, en organisant des courses consécutives quand on est sur de l’Oversea.

Les Etats-Unis ont autrefois été un marché pour le mondial MXGP, mais y a-t-il d’autres marchés où vous souhaitez être présent ? Le Brésil faisait un temps partie du championnat, la Russie avait de l’ambition, l’Australie reste inexploitée depuis 2001…

Je pense que l’Asie du Sud-Est est la région la plus prometteuse pour les années à venir. C’est le sentiment que nous avons entre la Thaïlande, le Vietnam, l’Indonésie et ensuite la Chine, les Philippines et ces pays-là parce qu’ils connaissent une croissance très rapide, sont dynamiques et comptent énormément de gens qui aiment la moto. Ces pays ne sont pas limités par des règles comme nous le sommes en Europe en ce qui concerne les pistes, les infrastructures et la liberté de créer des épreuves. Il y a donc plus de possibilités, et c’est du positif pour notre sport. L’Amérique du Sud est aussi un marché important, pour nous. Mais le problème là-bas, c’est qu’il faut souvent faire face à la dépréciation de la monnaie, qui peut aller au-delà de l’entendement dans certains pays. C’est un vrai problème pour un GP de niveau international.

Et le Japon ? Cela fait 16 ans qu’il n’y a pas eu d’épreuve au Japon.

Oui, mais faire une épreuve au Japon veut aussi dire discuter avec les constructeurs car ils sont propriétaires des terrains. C’est donc quelque chose qu’ils doivent intégrer à leur business plan mais pour l’heure, ils investissent plus dans leurs programmes pour se développer que dans des événements. Ceci dit, nous sommes en discussion permanente avec beaucoup de gens, donc ce n’est qu’une question de temps avant qu’une épreuve ne soit organisée là-bas.

Infront Moto Racing est le troisième promoteur de l’histoire du championnat, et vous avez 150 personnes sous contrat pour vous aider à tout organiser. Cela signifie-t-il que chaque Grand Prix doit être bien rentabilisé et qu’un contrat solide doit être signé à chaque fois ?

Le Motocross, ce n’est pas la Formule 1. En Formule 1, ils peuvent engager des frais car ils ont des subventions du promoteur et ils peuvent baser leur budget là-dessus. En Motocross, on en est toujours à devoir gérer avec une association, un motoclub et les autorités locales. Il faut être très flexible, course par course. Nous avons de nombreux accords, qui sont très différents. Parfois, tout est basé sur la vente de tickets, parfois, ce sont des frais fixes. Tout dépend du marché, du pays et des coûts engendrés. Quand on va faire un GP Oversea, les coûts ne sont pas les mêmes que si on allait à Lommel où à Trentino. Chaque proposition, chaque collaboration, est établie en fonction de l’endroit où l’on se rend.

Il y a désormais des points en manches qualificatives. Y a-t-il des discussions pour effectuer de nouveaux changements au format MXGP ? Le concept de superfinale était une bonne idée. 

C’est difficile à mettre en place à cause de la différence de vitesse. Ce que je vois maintenant, c’est qu’il est toujours bon de réfléchir pour améliorer le sport, et apporter sa contribution; être un pionnier d’une certaine façon. Notre sport est un sport de traditions, et on perd de plus en plus les traditions dans notre société. La Formule 1, le Moto GP, le MXGP a traversé les décennies, et ces sports rassemblent les fans de sports mécaniques. Il faut faire attention à ne pas trop s’écarter du chemin, et perdre nos traditions. Pour moi, le mondial MXGP doit se dérouler sur deux jours. On a des familles qui viennent en camping-car pour vivre l’expérience MXGP sur un week-end de deux jours. Les fans veulent voir des courses, pas des essais chronos ou des superpoles. Quand on a mis la manche qualificative le samedi en 2008 ou 2009, le nombre de spectateurs a augmenté de 30% et ça nous a prouvé que les spectateurs voulaient voir des courses. L’ajout de points cette année a apporté un peu plus de “spectacle” au championnat, et les classements pourraient avoir été différents sans ces points. 

Ira-t-on vers une grosse révolution dans le futur ? Je pense qu’on a déjà trouvé un bon équilibre avec les catégories et les âges. Il faut désormais se concentrer sur les détails, trouver comment améliorer la présentation de notre sport, comment s’assurer que les spectateurs puissent vivre la meilleure expérience avec nous et améliorer les relations entre les spectateurs et les pilotes. Je veux vraiment garder cette proximité qui est unique au Motocross, où les fans peuvent voir, parler et interagir avec leurs stars dans les paddocks. Il faut qu’ils puissent leur parler. Dans les autres sports, il y a comme une séparation entre les fans et les athlètes. On a commencé avec le Paddock Show cette année, qu’il faut continuer d’améliorer et il faut également trouver de nouveaux moyens de divertir les spectateurs durant un week-end de course.

Pourquoi ne pas changer le format des retransmissions ? On a l’impression que c’est la même chose depuis de nombreuses années, outre les images de drone et l’ajout de la série “Behind the Gate”. 

La première étape a été de créer cette série “Behind the Gate”, et j’ai vraiment le sentiment que ça a relevé le niveau pour ce type d’événement, et nous avons eu beaucoup de retours positifs. Nous voulons continuer à l’améliorer. Nous avons presque doublé l’équipe de post-production TV pour réaliser cette série, car il faut beaucoup de ressources pour la produire. La diffusion en direct est un peu plus compliquée parce que nous sommes limités par le créneau horaire qui nous est attribué. La F1 et le MotoGP peuvent être diffusés en direct pendant 12 heures, alors que pour le MXGP, nous ne disposons que d’un créneau de quatre heures et certains diffuseurs ne prennent qu’un créneau de deux heures. On se doit d’avoir un package qui puisse être utilisé par les télévisions internationales. Cela permet au mondial MXGP d’être attractif pour les principaux diffuseurs. Ensuite, en ce qui concerne la production sur place, nous pouvons toujours améliorer le contenu en proposant plus d’aperçu des coulisses pendant le week-end.

Et proposer plus de live-streaming ?

Pour les courses, on voit que la plateforme MXGP-TV grossit chaque année, et c’est vraiment le meilleur moyen pour les fans de les suivre. On a fait de la promotion pour cette plateforme cette année, en postant du contenu gratuit sur Youtube et Facebook mais selon moi, les courses doivent rester incluses dans un package premium pour l’heure. Nous ne générons pas les mêmes recettes télévisuelles que certains sports qui – eux – parviennent à couvrir presque tous leurs frais grâce aux droits TV. En Mondial MXGP, les gens payent pour ce service de streaming car nous n’avons pas ces recettes qui proviennent des droits TV. C’est pourquoi on cherche plus à tabler sur de la visibilité que sur des revenus; c’est la différence entre notre sport et les autres sports.

Pour finir, on entendait parler d’une éventuelle association pour organiser une épreuve MXGP VS AMA l’an dernier. Depuis, plus rien. C’est tombé à l’eau ?

C’est quelque chose qui est toujours dans les tuyaux, mais le projet s’est un peu figé suite au lancement du championnat SMX. Toute l’attention et l’énergie ont étés mise dans la collaboration entre MX Sports et la Feld et c’est leur priorité à l’heure actuelle. Le Motocross des Nations a été un succès aux USA, on a organisé un bel événement ensemble (avec MX Sports) et nous allons très certainement continuer sur cette lancée et tenter de s’améliorer. Lors de l’édition 2022 du Motocross des Nations à Red Bud, la Feld était également impliquée et nous avons très bien collaboré entre promoteurs. Un autre événement aux USA, on y pense, et ce serait toujours ce type de projet qui nous intéresserait. Je pense que ce serait le rêve de beaucoup de fans de Motocross, car on aurait les meilleurs pilotes de grand prix face aux meilleurs pilotes de l’outdoor, mais ce type de projet dépend aussi des personnes qui sont concernées; je suis persuadé que les discussions continueront à ce sujet.

Zoom: l’élaboration d’un calendrier MXGP avec David Luongo
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