Actif sur le mondial depuis 2010, le Bulgare Petar Petrov a finalement troqué sa casquette de pilote pour enfiler celle de team manager du team AIT Racing cette saison; une structure qui faisait notamment évoluer Xavier Cazal avant que ce dernier ne prenne ses distances avec le haut niveau. Au terme d’une année chargée, lors de laquelle il fera lui-même deux piges en MXGP, Petar Petrov dresse le bilan de son premier mandat à la tête d’une structure au micro de notre confrère Andy McKinstry. Instructif.
Petar, il y a eu du changement cette année pour toi puisque tu es devenu manager de l’équipe AIT Racing. Comment c’était, d’endosser ce nouveau rôle après avoir été pilote pendant toutes ces années ? Ça a dû demander un certain ajustement…
Ouais, ça n’a pas été facile. Je savais que ça ne serait pas simple, mais je m’attendais quand même à ressentir un peu moins de stress qu’en étant pilote. Quand tu es pilote, tu as la pression de devoir performer. En étant manager, je n’avais pas réalisé qu’il y aurait encore plus de stress car maintenant, d’autres personnes dépendent de moi. Il faut que tu fasses bien ton boulot pour que les autres pilotes puissent performer à leur tour. En plus, tu dois gérer les mécanos, satisfaire les sponsors et franchement, c’est du boulot. Les journées peuvent être longues parfois, mais j’aime bien ce rôle. Je pense que je me suis plutôt bien adapté.
J’ai passé de bons moments cette année. Bien sûr, il y a eu des jours où c’était vraiment stressant, surtout en début d’année quand je n’étais pas encore habitué. Je devais planifier les voyages et tout ce qui allait avec, et c’était un peu stressant parce que je ne voulais pas faire d’erreurs. Mais une fois que j’ai pris le pli, que je m’y suis habitué et que j’ai eu un peu plus d’expérience, ça allait mieux. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, mais j’aime bien ça et je suis motivé pour continuer dans ce rôle.
Tu as démarré la saison avec Cazal, Tuani et Toshev. C’était comment de travailler avec eux ? Chaque pilote est différent …
Ouais, ça a aussi été un autre ajustement à faire. Je sais comment je suis en tant que pilote. Je sais comment on doit me parler, comment je fonctionne; mais évidemment tout le monde est différent. Je pense que je m’en suis bien sorti, surtout avec le jeune Bulgare, Toshev. Je pense qu’on a fait de bons progrès cette année. C’était sa première année en Europe, loin de la Bulgarie, sur une 125cc et il s’est directement engagé sur l’EMX125. Malheureusement, il a contracté deux blessures cette saison, mais je pense qu’il a beaucoup progressé durant l’année. Avec lui, ça s’est bien passé. Il vivait chez moi, donc ça rendait les choses un peu plus faciles de ce côté-là.
Avec Xavier Cazal aussi, c’était assez simple. Malheureusement, il a décidé de stopper sa carrière en milieu de saison pour plusieurs raisons, mais ça se passait bien avec lui. Malheureusement, je pense que sa saison ne s’est pas déroulée comme il l’aurait voulu; les résultats n’étaient pas là. À l’entraînement, il roulait vraiment bien, mais dès qu’on arrivait sur les courses, il galérait un peu; c’est dommage. À part ça, c’était vraiment un bon garçon avec qui travailler.
Avec Federico Tuani, c’était un peu plus compliqué. Je pense qu’il a sous-estimé le gap entre l’Europe 250 et le mondial MX2. C’est un vrai step à passer. Si pour certains pilotes ça semble plus facile, pour d’autres, ça prend du temps. Et puis, faire une ou deux piges en GP c’est une chose, mais faire une saison entière, c’est un gros changement. Federico n’était pas le pilote le plus simple à gérer. Je pense que mentalement, il a beaucoup galéré cette saison. Les résultats n’étaient pas au rendez-vous, et ça a été difficile pour lui. Je pense qu’il a besoin de travailler mentalement, et bien sûr, niveau vitesse, il était assez loin, selon moi.
En tant que team manager, tu te retrouves à devoir courir partout pour gérer tes pilotes sur un week-end. J’imagine que tu es bien plus occupé en tant que manager que tu ne l’étais en tant que pilote, non ?
Oui, parce que je dois me concentrer sur trois pilotes à la fois et parfois, ils étaient tous les trois en piste dans trois catégories différentes. Ça, c’était compliqué. Une fois que le week-end débute, tu n’as vraiment pas de temps de te reposer. Tu cours partout, à gauche, à droite. Ça m’a pris du temps pour m’adapter, mais en fait, j’ai bien aimé ça. Comme je l’ai dit, c’est assez stressant parce que je dois m’occuper des pilotes et je veux qu’ils réussissent, mais je dois aussi être strict avec eux, et parfois je m’inquiète pour eux aussi. Bien sûr, je ne veux pas que mes pilotes se blessent, donc c’est un équilibre à trouver: il faut être sympa, mais aussi être ferme avec eux. C’était intéressant comme expérience, et comme je l’ai dit, j’ai beaucoup appris et j’essaie aussi d’apprendre des autres qui font ce boulot depuis plus longtemps que moi. Moi, je fais de mon mieux et j’espère continuer à progresser et en apprendre encore plus.
Xavier Cazal a malheureusement décidé d’arrêter la compétition à haut niveau. Comment ça s’est passé pour trouver un remplaçant ? Tu as décidé de recruter William Kleeman pour la fin de la saison 2024, en MX2. Un garçon gentil, une famille sympa. C’était comment ?
Avec William, ça s’est bien passé. Je trouve qu’il s’en est bien sorti. Ce n’est jamais facile de débarquer en milieu de saison, surtout qu’il était blessé. J’ai vraiment aimé travailler avec lui. Sa famille est vraiment sympa et c’était super simple de bosser avec eux. Franchement, c’était vraiment cool. C’est un bon garçon et j’ai aimé bosser avec lui. Je pense qu’avec une vraie préparation hivernale, comme les autres pilotes, et s’il avait été avec nous dès le début de la saison, il aurait pu faire de très bons résultats. Mais bon, il évoluait pour une autre équipe avant de venir chez nous. Une fois qu’il a rejoint l’équipe, je pense qu’il s’est bien débrouillé. Je crois qu’il a terminé 15e en Suède, et en Espagne il était dans ces eaux-là aussi. Donc, il ne s’en est pas trop mal sorti.
Tu as débarqué dans le paddock – en tant que pilotes – dès tes 15 ou 16 ans. Le sport a pas mal changé depuis, et maintenant tu travailles avec la nouvelle génération. Qu’est-ce que ça te fait ? Il y a beaucoup de distractions aujourd’hui …
Ouais, j’ai commencé a rouler en GP vers 15 ans et oui, le paddock, les pilotes, tout a beaucoup changé. Peut-être en bien, mais il y a aussi pas mal de trucs négatifs dont, comme tu dis, les distractions. Je pense que les réseaux sociaux, pour certains, sont devenus vraiment importants, c’est une facette que je n’aime pas trop. Ce n’est pas parce que je suis de l’ancienne école, mais je pense que les athlètes devraient être payés pour leurs résultats sur la piste, et pas pour leur présence sur les réseaux sociaux. Je ne pense pas que ça apporte une vraie satisfaction dans la carrière d’un pilote. Mais bon, on doit tous s’adapter, moi aussi avec l’équipe, à cette nouvelle génération.
Je pense que les meilleurs bossent vraiment, vraiment dur, mais y a des pilotes plus loin dans le classement qui, selon moi, devraient bosser aussi dur que les premiers, voire plus, pour progresser. Et je pense qu’ils ne le font pas, tout simplement. Ils sont trop concentrés sur les réseaux sociaux, à montrer qu’ils font des Grands Prix, ce qui n’est pas vraiment le but en fait. Ils devraient viser la performance. Je ne dis pas que ça concerne tout le monde, mais y en a pas mal qui sont plus axés sur les réseaux sociaux que sur le vrai boulot. Je comprends que les sponsors s’intéressent aux réseaux et qu’on doit être, moi et l’équipe aussi, présents dessus … C’est comme ça.
Il y a 15 ans, les sponsors et les équipes se souciaient plus des résultats que des réseaux sociaux.
Pour 2025, on s’attend à ce qu’au moins cinq équipes ferment. Est-ce qu’on doit s’inquiéter pour l’avenir du sport en Europe ?
Honnêtement, je ne pense pas. Évidemment, l’économie n’est pas terrible en ce moment. Je ne pense pas qu’Infront Moto Racing puisse vraiment faire autrement. Peut-être qu’ils peuvent ajuster quelques petites choses, mais je ne pense pas que ça empêcherait les équipes de fermer. C’est plus une question économique, il y a les constructeurs qui coupent les budgets, les sponsors aussi. Même les sponsors extra-sportifs galèrent.
L’économie n’est vraiment pas au top en ce moment. Je pense que les voyages lointains n’aident pas non plus. Mais je ne crois pas qu’on puisse faire grand chose pour éviter que les équipes ne ferment. Honnêtement, je ne sais pas ce qu’on pourrait faire pour empêcher ça, et pour améliorer le championnat. Mais je pense qu’Infront fait du bon boulot de son côté. On va rouler dans de nombreux pays; c’est un championnat du monde, donc c’est comme ça que ça doit se passer. Après, y a aussi de nouveaux constructeurs qui arrivent, donc c’est que le promoteur doit faire du bon boulot, tu vois ? Tout dépend de quel angle on regarde ça…
Il y a 20 grands prix au calendrier et toujours – au moins – cinq ou six courses à l’étranger. Je ne me souviens pas exactement combien il y en avait quand tu as commencé à rouler en GP, mais est-ce qu’il y en avait autant à l’époque ?
Je pense que même en tant que pilote, ça fait parfois beaucoup. Quand j’ai commencé à rouler en GP, on avait 15 épreuves. Ensuite, c’est passé à 17, puis à 18. Mais je me souviens qu’au début, c’était 15. On faisait beaucoup de courses en dehors du mondial MXGP, à côté. On participait au championnat néerlandais ou belge, donc on faisait quand même pas mal de courses à côté. La pression était différente aussi. Ça allégeait un peu la charge pour les pilotes.
Faire 20 GP, c’est peut-être beaucoup, surtout quand on doit en enchaîner trois d’affilée. C’est assez intense. Mais bon, quand on regarde le MotoGP ou la F1, ils font aussi beaucoup de courses. C’est un sport différent, bien sûr, tout est différent. Mais c’est la réalité.
Pour la saison 2025, quels sont les plans pour AIT Racing ? Des pilotes de signés ? Est-ce sûr que vous serez toujours présents dans le paddock ? Que peux-tu nous dire pour l’année prochaine ?
Pour le moment, le plan, c’est de continuer, bien sûr. On aimerait se développer et progresser en tant qu’équipe. Pour l’instant, on ne peut pas encore confirmer les pilotes ni ce qu’on fera exactement. On espère savoir ça d’ici une semaine. Mais ouais, on aimerait continuer, faire grandir l’équipe, progresser chaque année et voir jusqu’où on peut aller.
Vous avez une idée des championnats que l’équipe va disputer ? Soutenir trois pilotes dans trois catégories différentes, c’est beaucoup de travail. Vous visez quoi pour l’an prochain ?
Ce n’est pas encore décidé à 100 %. On va probablement avoir un pilote sur l’Europe 125. Pour le reste, on n’a pas encore choisi entre l’Europe 250 ou le mondial MX2. C’est encore en discussion. J’espère, comme j’ai dit, qu’on aura la réponse dans les 10 prochains jours.
Tu as fait quelques piges en GP cette année. Tu n’as pas choisi les dates les plus simples, comme Lommel et Arnhem. Tu vis en Belgique depuis que tu as 15 ans, donc pour toi, ces tracés sont peut-être moins exigeants. Ça t’a fait quoi, de renfiler le casque ? Ça t’a un peu soulagé de ton rôle de manager, ou tu devais quand même assurer les deux rôles ?
C’était intense, vraiment intense, surtout que je n’ai pas choisi les épreuves les plus faciles. Mais j’ai pris du plaisir, et ça m’a permis de lâcher un peu la pression du rôle de team manager. Mais je devais quand même faire mon boulot de manager. Heureusement, on avait seulement un pilote à gérer à ce moment-là. J’aurais quand même voulu faire mieux que ça, je crois que j’ai fait 18ème à Lommel. Je pensais pouvoir faire bien mieux que ça, mais j’ai galéré avec les réglages de la moto. C’est sûr que faire un championnat complet ou une seule course, ce n’est pas pareil. On n’a pas vraiment les mêmes pistes pour s’entraîner et faire du testing non plus, etc. Mais j’ai quand même pris du plaisir. J’ai hâte de participer à quelques grands prix de nouveau, l’année prochaine.
Est-ce que tu roules encore souvent ? Tu n’as pas fait beaucoup de GP cette année, mais tu fais quand même pas mal de moto ? Est-ce que ça aide, de rouler avec tes pilotes ?
Ouais, c’était l’objectif en début de saison. J’ai commencé à rouler assez tard à l’intersaison, seulement fin février, début mars. Donc ça a été un peu compliqué. Mais sinon, oui, je m’entraîne encore de temps en temps avec mes pilotes. J’essaie de leur montrer certaines choses et j’essaie de les pousser un peu, parce que je suis encore bien plus rapide que les pilotes qu’on avait au sein du team cette année. Ça me permet de les challenger un peu.
J’aurais aimé rouler plus souvent, c’est sûr. Mais bon, mon premier boulot, c’est d’être team manager et de faire tourner l’équipe sans accroc. Ensuite, mon deuxième boulot, c’est de me concentrer sur moi-même, sur mes entraînements, etc. Je pense que c’est bénéfique pour les pilotes, avec mon expérience et les années passées dans le paddock, d’avoir quelqu’un pour les pousser, pour leur montrer des techniques. Bien sûr, chaque pilote a son propre style, sa propre technique, mais avec mon œil extérieur, je pense que je peux les aider.
Mon objectif, ça a toujours été de les aider et de tirer le meilleur de mes pilotes, surtout pour les jeunes pilotes: il faut leur montrer la bonne façon de travailler, etc.
L’année prochaine, ta priorité sera d’être team manager. Tu continueras à rouler, mais est ce que tu feras encore quelques GP ou peut-être des courses nationales ?
Je vais sûrement faire les courses du Dutch Masters, parce que c’est un championnat que j’apprécie vraiment et le niveau est encore très relevé. Il y a toujours beaucoup de bons pilotes de GP qui viennent et c’est cool. Je ferai sûrement des courses internationales, peut-être Hawkstone, par exemple. Mon plan, c’est de faire quelques GP également, je ne sais pas lesquels, peut-être Lommel et Arnhem.
On verra comment je me sens. Si je me sens assez rapide pour pouvoir signer de bons résultats; pourquoi pas. Je ne veux pas simplement faire acte de présence. Je veux m’engager pour performer. Donc, si je sens que je suis assez rapide pour faire de bons résultats, je continuerai peut-être à m’engager sur quelques épreuves. Sinon, tant pis. Je ferai les courses qui me plaisent, point barre.
Tu vis en Belgique depuis pas mal d’années maintenant. Tu y as fondé ta famille. Tu envisages de rentrer en Bulgarie, un jour ?
Je suis bien en Belgique, franchement. Ma femme est belge, mon enfant est né en Belgique et va à l’école ici. Pour l’instant, c’est chez moi et je me sens bien en Belgique; mais on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. Peut-être qu’on déménagera en Bulgarie un jour. Peut-être qu’on restera ici pour toujours. Mais pour l’instant, je suis heureux d’être ici. Ma femme travaille ici, l’équipe est basée ici, et pour le motocross, il y a bien plus d’opportunités en Belgique. Pour l’instant, c’est ici chez moi.