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Steve Dixon “Ce job, c’est vraiment difficile pour la vie de famille”


Du haut de ses 60 ans, Steve Dixon a passé plus de la moitié de sa vie à parcourir les paddocks à travers le globe. Propriétaire de la structure “Dixon Racing Team” (DRT) depuis plusieurs décennies – structure à la plus longue ancienneté en mondial – Steve Dixon est également propriétaire de Matterley Basin sur lequel il organise épreuves du mondial mais aussi Motocross des nations. Cette saison, Jack Chambers, Bobby Bruce et Billy Askew évoluent pour le compte du team Britannique. On a profité du grand prix de Trentino pour aller à la rencontre de l’une des personnalités les plus emblématiques du paddock pour en apprendre un peu plus sur le personnage et sur sa vision des choses… Micro.

Steve, on sait que tu es à la tête du team DRT Kawasaki depuis des années mais, pour ceux qui ne connaissent pas ton histoire, on peut savoir comment tout ça a commencé ?

J’ai commencé dans le paddock en 1990. J’avais fait de l’ingénierie et du développement sur mes propres Yamaha pendant 9 ans avant qu’une opportunité en GP se présente avec Jeremy Whatley, qui était un pilote usine à l’époque. J’ai été son mécanicien, puis ensuite celui de Paul Malin en 1993. Ça a duré 8 ans. J’étais mécanicien et team-manager en réalité, parce qu’il n’y avait personne pour gérer le team. Avant moi, c’était Roger Harvey qui gérait, il est désormais chez HRC. De là, Yamaha a décidé de se retirer, donc j’ai dû trouver des sponsors en 2000 pour continuer. J’ai débuté ma propre structure et nous y voilà. Je suis dans le paddock depuis 35 ans, et je gère le team qui a le plus d’ancienneté en grand-prix.

On a gagné le Motocross des Nations en 1994 avec Paul Malin. Je pense que j’ai amené plus de pilotes vers leur première victoire de grand prix que n’importe quel autre team, à l’exception de KTM: Dean Ferris, Andrew McFarlane, Paul Malin, Carl Nunn, Brian Jorgensen, Max Anstie, Zach Osborne … C’est une véritable passion, comme celle de travailler sur les motos.

En 2004, ça faisait déjà quelques années qu’on n’avait pas eu de grand prix en Grande-Bretagne. J’ai dit à Giuseppe Luongo qu’il fallait que ça change. L’ACU (fédération Britannique) était disposée à organiser un GP, j’étais disposé à les aider mais ça ne s’est pas fait. En 2005, j’ai organisé un grand prix à Matchams, mais il y avait des problèmes de place.

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En 2006, on a organisé un GP à Matterley Basin. J’ai aussi organisé les nations deux fois là-bas, et l’événement revient sur notre terrain en fin de saison.

Tu sais le Motocross, c’est ma passion. J’ai deux enfants, et eux ne roulent pas [rires] !

C’est toi qui les as éloignés de ce milieu ? Tu le connais mieux que quiconque, c’est un milieu très exigeant.

Non. Un de mes garçons a fait de la vidéo pour moi pendant un temps, il fait désormais de la vidéo dans le milieu de la mode. Mon second est toujours dans les études. Ce job, c’est vraiment difficile pour la vie de famille. Je fais en sorte que mes enfants prennent du plaisir à faire ce qu’ils font. Je pense que beaucoup de jeunes font de la moto parce que leurs parents voulaient rester dans le milieu d’une façon ou d’un autre.

Pour moi ce job, c’est 18 heures par jour, tous les jours de l’année. Je ne prends jamais de vacances. C’est devenu de plus en plus dur, car les teams sont gérés par des propriétaires fortunés qui sont passionnés par le Motocross. Ils se lient facilement avec les usines, car ça leur permet d’économiser du budget. Pour moi, c’est bien plus dur d’être compétitif face à ces teams là, car ils ont plus de personnel, plus de budget. J’adore quand même ça, je prends du plaisir tous les jours, c’est vraiment ma passion.

Désormais, j’essaye de faire évoluer de jeunes pilotes Britanniques au sein de mon équipe, car la scène Britannique était très importante par le passé et maintenant, il n’y a plus personne. Conrad Mewse aurait pu être l’un de ceux-là, mais il ne roule plus qu’en championnat national. Moi, j’ai Billy Askew qui a 16 ans et Bobby Bruce qui a 19 ans; j’aime aussi travailler avec des Américains où des pilotes venant de l’étranger comme Courtney Duncan, Dean Ferris, Andrew McFarlane. Ils sont toujours passionnés quand ils viennent.

Billy Askew évolue sur l’Europe 250 cette année, pour le compte de Steve Dixon

Après toutes ces années, qu’est-ce qui te pousse à continuer à venir inlassablement dans ce paddock, outre la passion ?

Évidemment, ça devient très compliqué de trouver les budgets. Chaque année, je dois trouver des sponsors et je fais passer l’équipe avant moi. Ça fait 25 ans que j’ai ma maison et j’ai dû passer 2 jours dans ma véranda, et profiter de mon jardin 5 fois en 25 ans. C’est la vérité. Pour moi la maison, c’est juste un endroit pour dormir. C’est une façon de vivre. Tu loupes les anniversaires, tu loupes les mariages, tu loupes les enterrements, tu loupes les réunions de famille mais tu es obligé. Ce n’est pas par égoïsme, c’est juste ta façon d’être et ton choix de vie. Certaines personnes sont faites pour cette vie, et d’autres non.

Je suis né pour ça, j’ai commencé pour le plaisir quand je roulais chez les amateurs. Je n’étais pas très bon, mais j’adorais démonter les motos et je m’y suis mis dès mes 12 ans. J’avais une BSA, puis j’ai eu une CZ. J’ai appris sur le tas en faisant un peu de soudure et de modifications sur mes motos, et c’est toujours ma passion à ce jour. Je vis ma passion sur le plan mécanique, sur le plan des compétitions, et sur le plan relationnel en travaillant avec les pilotes. J’aime vraiment ce que je fais.

Sans promoteur, pas de championnat. Sans teams, pas de pilotes, sans pilotes, pas de courses. Est-ce qu’on a l’impression que parfois, tout ce championnat repose sur les teams qui font des pieds et des mains pour être présents saison après saison ?

Pas spécialement. J’ai été mécanicien, j’ai été manager, je suis propriétaire d’équipe, j’ai organisé des courses en Angleterre et en mondial. Comme j’aime le dire, c’est comme quand tu fais un gâteau. Il faut tous les ingrédients pour qu’il soit réussi. Il faut un promoteur, des pilotes, des circuits, des organisateurs … Aucun de ces acteurs est plus important que l’autre, et on doit comprendre qu’il faut tous travailler ensemble. Ça ne sert à rien d’avoir 40 pilotes sans circuit. Ça ne sert à rien d’avoir un circuit sans pilotes. Ça ne sert à rien d’avoir 40 pilotes sur un circuit sans promotion et sans retransmission TV. C’est un tout.

Par le passé, c’est vrai qu’il y avait beaucoup plus de pilotes mais la vérité, c’est qu’ils payaient aussi beaucoup de leurs poches. Les parents payaient pour eux. Beaucoup de nos pilotes Anglais étaient aidés par leurs parents pour se qualifier sur les épreuves. Finalement, c’est toujours le cas. Là où ça a bien changé, c’est pour les pilotes Factory.

Maintenant, les pilotes MXGP et MX2 ont un bon train de vie. On leur fournit un camping-car, on leur fournit ci, ça, ils ont des options et des facilités. N’importe quel sport mécanique est compliqué, surtout financièrement. Pour être en mesure de vivre de ta passion et arriver en haut de la pyramide, il y a un chemin à suivre. Seuls quelques pilotes arriveront jusqu’en haut de la pyramide, qui peut devenir très lucrative.

On entend dire qu’il y avait plus de pilotes avant, mais tout le monde payait. J’ai eu des pilotes dont les parents payaient le camping-car, fournissaient le mécanicien, payaient pour l’essence, pour tout. Énormément de teams fonctionnaient de cette façon-là. Il n’y avait pas grand monde qui gagnait sa vie, qui pouvait se permettre d’acheter une maison.

Je me souviens de Billy McKenzie. Il avait 16 ans à l’époque, et on lui versait un salaire correct. 25 ans plus tard, il est propriétaire de deux maisons, les crédits sont payés et ils peut les revendre 700.000€. Si tu investis intelligemment, tu peux te construire un avenir ou tu peux simplement décider de travailler comme tout le monde. Pendant 9 ans, j’ai pointé au boulot quand j’étais chez la British Railways. Je faisais des soudures, de la métallurgie, de l’ingénierie. En fait, je faisais ce que 95% des gens font. Tu travailles pour vivre et le week-end, tu prends du plaisir en dépensant l’argent que tu gagnes. Pour moi, l’argent n’est pas la priorité.

Mon but, c’est de prendre du plaisir chaque jour. Oui c’est un job difficile, ça demande beaucoup de travail, de déplacements, de monter la structure, de la démonter. Tu vois tes pilotes performer, mal rouler, s’entraîner. Mais au moins, tu te réveilles tous les matins avec une énorme motivation.

Quand tu bosses, tu pointes à 7h du matin, tu rentres à 17h et tu regardes la télévision. Tu n’es pas vraiment actif cérébralement, tu n’es pas épanoui. C’est pourquoi j’aime autant mon job à ce jour, parce que j’ai connu ce mode de vie pendant 9 ans, et j’ai toujours pensé à mon sport et à ma passion pendant toutes ces années. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour pouvoir aller faire de la moto le week-end, je bossais sur ma moto le soir.

Je me suis marié à 21 ans, et la passion était toujours là. Je ne pars pas en vacances pendant l’été mais pour moi, être heureux tous les jours et avoir un but en se levant chaque matin vaut plus que deux semaines de vacances au soleil par an. Je ne vois pas de fin à cette aventure. Je viens de fêter mes 60 ans, et je n’ai pas envie d’arrêter. Le jour où je serai entre quatre planches, j’arrêterais … peut-être [rires].

Est-ce que le retour d’un programme MXGP pourrait être dans les tuyaux à l’avenir ?

J’aime les pilotes qui évoluent en MXGP mais je suis attiré par le MX2, car ça représente un plus gros challenge technique au niveau des moteurs, et au niveau des pilotes. Quand tu te lances en MXGP, les pilotes sont déjà bien établis, les motos sont déjà très puissantes d’origine et à la rigueur, il faut se pencher sur le réglage des suspensions qui est important. Du côté du pilote, il faut surtout parler argent et motivation. Le top 10 du mondial MXGP roule dans des équipes Factory, ils sont carrément hors de portée. Voilà pourquoi le mondial MXGP ne m’attire pas et pourtant, on a déjà eu un programme dans la catégorie, avec Shaun Simpson par exemple.

Ce n’est pas la même excitation que le MX2 pour moi, rien que sur le côté challenge technique et mécanique. Par exemple, on a vu Dean Ferris signer un holeshot aux nations en 2013 sur notre moto face aux 450; c’est le genre de truc qui te rend vraiment heureux. En 450, les motos sont très puissantes, il y a énormément d’argent pour les tops pilotes qui sont déjà très expérimentés, et donc c’est difficile d’apporter quelque chose. Avec les jeunes qui roulent sur des motos qu’on peut préparer, on peut faire la différence. Cet aspect technique, c’est ce qui rend le MX2 plus excitant et plus attrayant pour moi. En MXGP, j’ai le sentiment que les mecs pourraient gagner sur n’importe quelle moto. Dans un bon jour, Herlings pourrait probablement gagner sur une autre moto.

Jack Chambers est le seul pilote Américain en mondial; il est arrivé chez DRT suite au départ de Mikkel Haarup, début 2023

Tu as fait venir Jack Chambers des US l’an dernier pour évoluer sur le mondial MX2. Vu ton passif dans le paddock, tu sais exactement à quoi t’attendre à chaque saison mais lui débarquait dans l’inconnu. Tu penses qu’il s’attendait à ce que ce soit aussi difficile, le mondial ?

Zach Osborne est l’entraîneur de Jack, et on avait eu Zach au sein de notre team pendant 4 ans et demi à l’époque. Mikkel est parti de l’équipe l’an dernier, et j’avais besoin d’un autre pilote rapidement. Il n’y avait personne à signer en Angleterre. J’ai passé un coup de fil à Zach qui m’a dit qu’il y avait Jack, mais que ce n’était pas vraiment un pilote de Motocross, plus de Supercross. J’ai voulu tenter le coup. Jack a 21 ans, il apprend des circuits. Cette saison, il doit y avoir 17 motos d’usine derrière la grille donc à cette heure-ci, on peut dire qu’on est le meilleur team non-factory du paddock et là encore, c’est ce qui est excitant. Concernant Jack, je pense qu’il attend un peu mieux de lui-même mais je n’en attends pas autant, car c’est difficile d’apprendre comme ça sur le tas.

En MX2, il y a quasiment plus de guidons que de pilotes, donc c’est difficile de trouver quelqu’un. Il y a aussi des programmes officiels sur l’Europe et des pilotes sont indisponibles à la signature. De là, tu dois regarder plus loin comme en Australie, mais c’est difficile pour eux de franchir le cap et de venir jusqu’ici. Surtout qu’à l’heure actuelle, les pilotes Australiens gagnent bien leur vie en Australie, donc ils arrivent à garder leurs pilotes chez eux et les Australiens rêvent plus des US que des GP avec la mouvance des Lawrence. De là, tu regardes du côté des USA mais il faut que le pilote ait moins de 23 ans. Tu dois regarder combien de temps il pourra rester, s’il aura le temps et la capacité de s’adapter, et c’est vraiment ce qui fait la grosse différence pour Jack. Pour lui, aux USA, c’est facile. Le terrain est à 10 minutes, tu y retrouves de bons pilotes. Tu roules, tu rentres, et c’est terminé. Même sur les épreuves, tu changes d’Etat, mais tu restes dans le même pays et tu ne roules que sur un jour.

En Europe, il faut trouver les circuits qui sont ouverts, qui sont préparés, il faut regarder la météo. Un entraînement te prend rapidement une journée complète. Je pense que c’est l’aspect qui lui pose le plus de problèmes, ici tout est plus compliqué pour lui. Il y a beaucoup plus de voyages, tu passes ton temps entre les aéroports et tu dois conduire jusqu’aux circuits de GP à chaque fois; tu manges une nourriture différente. Certains hôtels ont la climatisation, d’autres non. Certains ont une salle de sport, d’autres non. C’est une adaptation constante, mais ça fait partie du sport.

Je pense que c’est aussi ce qui a aidé Zach Osborne à s’endurcir. Quand il est retourné aux USA, il a été en mesure de gagner des championnats car il avait cette détermination, cette résilience, cette faculté à surmonter tout un tas de choses; il y mettait plus de cœur parce que les choses n’avaient pas été faciles pour lui en Europe. À l’époque et chez lui, il avait sa propre piste, il avait acheté Club MX, il avait son propre terrain de grand prix chez son père en Virginie Occidentale. Les pilotes Américains sont habitués à ce que ce soit simple pour eux en comparaison avec les pilotes de grand prix. Entretenir un terrain en France ou en Espagne n’est pas simple. On voit qu’en Belgique, il y a de moins en moins de pistes. En Angleterre, on a les pistes, mais pas le talent et les pilotes ne veulent pas forcément faire les grands prix.

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Fais-tu partie de cette génération qui se dit que “c’était mieux avant ?”

Non. Aujourd’hui, il y a l’Europe 125, l’Europe 250, le MX2, le MXGP. Il y a beaucoup plus de personnes professionnelles, plus de pilotes qui savent comment s’entraîner, comment rouler, comment voyager dans de bonnes conditions, comment se respecter les uns les autres. Quand on regarde le 125cc dans les années 90, ça ressemblait plus à une course locale, avec des pilotes qui venaient en van.

On peut dire que c’était plus fun si on veut mais moi, je me souviens de ma première course. J’avais dû creuser pendant des heures dans le paddock pour avoir un endroit plat pour mettre la moto sur le trépied. Je me souviens être allé en Finlande, et d’avoir travaillé alors qu’on se prenait 300mm de pluie, et qu’on était les pieds dans l’eau.

Dans le monde du travail, tout s’est amélioré au fil des années, dans les bureaux, tout ça. Nos paddocks se sont améliorés aussi. Les gens disent parfois que c’était mieux avant mais aujourd’hui, les attentes de tout le monde ont été revues à la hausse. Tout le monde veut de meilleures conditions de travail dans la vie de tous les jours. Pourquoi est-ce qu’on devrait retourner en arrière ? Si c’est vraiment ce que les gens veulent, ils peuvent se remettre à porter des briques sur le dos au lieu d’utiliser des machines, et creuser à la pelle au lieu d’utiliser une pelleteuse; c’est ce que je dis aux gens qui me disent que c’était mieux avant. C’est facile de se remémorer des choses d’avant qui, à notre époque, ne seraient pas réalistes.

Paul Malin & Steve Dixon (1996) @Martyn Petts

Si on te laissait le contrôle d’Infront et du championnat du monde demain, qu’est-ce que tu ferais pour améliorer la situation des teams et des pilotes ?

Je ferai en sorte de retransmettre les courses dans un maximum de pays, gratuitement. On pourrait allumer la TV, et voir les grands prix sur les chaînes nationales, ça développerait vraiment notre sport. Si le sport se développe, on aura plus de sponsors. Si on a plus de sponsors, les pilotes gagneront mieux leur vie, les teams seront plus efficaces. Le Motocross n’est pas différent de la Formule 1 ou du MotoGP.

On doit penser à l’exposition du sport en premier. Si on a de très bons pilotes mais que personne ne les voit, quel est l’intérêt ? Si on n’avait pas Instagram, Facebook, les réseaux sociaux, on n’aurait jamais découvert tous ces gens qui sont doués pour faire certaines choses.

Maintenant, on a aussi une limitation au niveau des paddocks car il faut pouvoir accueillir les semi-remorques en MXGP de nos jours. Le truc, c’est qu’on a besoin de ces véhicules pour pouvoir faire du bon travail sur les grands prix, et faire du bon travail sur les GP, ça veut aussi dire faire progresser le sport. Quoi qu’on en dise, tout tourne autour de l’argent, l’argent vient des sponsors, et les sponsors cherchent de l’exposition.

Il suffit de regarder la Formule 1, c’est le sport mécanique qui génère le plus d’argent. Leur championnat est géré exactement comme il doit l’être pour que ça marche, que ça plaise où non, car ça marche … L’argent rentre, les pilotes de Formule 1 gagnent de l’argent, les teams font du bon boulot.

La difficulté, c’est que pour avoir la télévision, il faut de l’argent. Pour avoir de l’argent, il faut des sponsors. Qu’est-ce qui vient en premier ? L’argent ou l’exposition ?

J’en discutais dernièrement, quelqu’un me disait justement que “c’était mieux avant”. La réalité c’est qu’aujourd’hui, c’est difficile de trouver un club qui peut organiser une course. C’est difficile de trouver une ville qui va accepter d’organiser une course, un hôpital qui va accepter de prendre de potentiels blessés, une localité qui va pouvoir mettre à disposition un parking pour les spectateurs… Derrière les portes fermées, il se passe beaucoup de choses. Je connais tout ça car je m’occupe de Matterley Basin. Je pense que les gens ne se rendent pas compte à quel point il est difficile d’organiser une course en Argentine, en Indonésie … C’est un championnat du monde, donc on doit aller dans ces pays-là.

En 1996, on se rendait sur des courses à l’étranger et les terrains étaient préparés à la main, avec des pelles et des pioches. Seul le top 15 du championnat était payé pour se rendre sur les courses. Aujourd’hui, tout est plus organisé, il y a une véritable structuration, tout le milieu a progressé. En 1993, Paul Malin n’était pas dans le top 10, donc on devait payer de notre poche pour aller sur les épreuves. On est allé au Venezuela cette année là. J’ai démonté la moto dans une chambre d’hôtel pour la mettre en pièces et la faire partir en avion pour aller jusqu’à Budds Creek, pour disputer le GP des USA. C’est ça, le “c’était mieux avant” ? À l’époque, il n’y avait pas Internet, mais c’est comme ça que ça se passait; les gens n’en ont pas conscience.

En 1991, mon pilote n’était pas dans le top 15 non plus avant le grand prix du Japon. On a démonté les pièces de notre moto, on a parlé avec quelqu’un sur place, et on s’est fait prêter une 125cc sur laquelle on pouvait monter nos pièces pour faire le grand prix. Voilà le genre de passion que j’avais en tant que mécanicien, voilà comment je m’assurais qu’on était en mesure d’aller sur toutes les épreuves à l’époque. Aujourd’hui, si on devait de nouveau faire ça, tout le monde critiquerait Infront alors que c’était ce qu’on faisait avant. Je me souviens des moments difficiles qu’on a connus, et c’est pourquoi j’ai un regard très positif sur ce qu’on fait de nos jours.

Ce dont notre sport a besoin, c’est de la stabilité pour être en mesure de planifier et programmer. Avec l’Europe 65cc, 85cc, 125cc, 250cc ainsi que le mondial MX2 & MXGP, on a une plateforme pour progresser par étape. En tant que pilote, tu peux franchir des étapes plus facilement de nos jours. Avant, il n’y avait rien. Tu faisais une course régionale où tu faisais le national et si tu avais l’argent, tu pouvais tenter de faire le mondial car ils acceptaient de prendre 8 pilotes locaux par pays. On ne parle pas de pilotes usine, on parle de pilotes qui étaient aidés par les parents, qui payaient les mécaniciens, qui posaient des jours au travail pour rouler.

À l’époque, les mécaniciens ne se faisaient pas d’argent. “Tu veux être mécano pour moi ? Okay, mais tu dois travailler gratuitement”. Voilà comment ça se passait, c’était comme un privilège d’être mécano’. Aujourd’hui, les mécanos’ de grand prix ont des bons salaires, ils s’achètent des maisons, ils se marient, ils font des enfants. C’est un vrai métier alors que ce n’était pas le cas avant, sauf pour une toute petite poignée de mécaniciens factory de l’époque. La différence entre le mec qui bossait sur la moto d’un pilote factory, et le mec qui bossait sur la moto du 10ème était énorme.

Je travaille avec un de mes mécaniciens depuis 19 ans, l’autre depuis 16 ans. Ils ont tous les deux acheté leur maison, ils ont tous les deux des enfants, et c’est leur métier. Avant, tu faisais ça pour l’expérience, pour le plaisir pendant quelques années. Tu voyageais, tu rigolais, tu prenais du bon temps puis tu arrêtais pour te trouver un “vrai” job. Maintenant, tu peux en vivre. On voit des mécaniciens qui finissent par bosser chez des préparateurs suspensions, avec des spécialistes du pneumatique, il y a beaucoup de débouchés qui peuvent te permettre de gagner ta vie. Aujourd’hui, travailler dans le milieu est devenu quelque chose de durable.

Comment on fait pour trouver le budget pour envoyer une équipe faire 20 grands prix à travers le monde de nos jours, et dans cette économie qui se durcit saison après saison ?

Il faut toujours gérer son budget correctement, et avoir des attentes cohérentes. Pour les GP oversea, Infront a pour habitude d’aider le top 20 avec l’envoi des motos. Si tu gères correctement, tu peux n’envoyer qu’un mécanicien et un pilote et ça ne te coûtera que 2.000€ pour t’y rendre, avec l’hôtel compris. Si tu vas en Sardaigne avec ton semi-remorque, tu dois prendre le ferry et ça te coûtera autant d’argent.

Si tu ne peux pas te permettre – financièrement – de faire les épreuves, alors tu ne les fais pas. Nous, on peut dépenser 5.000€ pour faire un grand prix et ce même grand prix peut coûter 60.000€ à une autre équipe. Si tu es intelligent, tu trouves des façons de faire. Si tu as déjà dépassé le poids autorisé dans ta caisse pour les GP oversea, plutôt que de payer un supplément à 30€ le kilo, tu peux probablement acheter ce qu’il te manque sur place et faire des économies. Il ne faut pas se soucier de ce que font les teams usine, avec leurs grosses structures. Tu trouves un moyen avec tes budgets. Il ne faut pas les envier, être jaloux, il faut les voir comme une concurrence saine.

Il faut savoir faire la part des choses au moment de s’organiser, savoir se débarrasser de ce dont tu n’as pas besoin pour le jour de la course car c’est pour rouler que tu voyages, pas pour autre chose. Le but c’est d’être efficace, de ramener du résultat, et de revenir entier sans que ça ne t’ai coûté une fortune. Tu peux dépenser beaucoup d’argent si tu le souhaites, mais l’objectif c’est de rester intelligent avec ton argent.

En 2016, on a refait l’auvent de la structure et tout ce qui va avec. Tout a 8 ans désormais mais si tu prends soin des choses, tu n’as pas besoin de les remplacer. Tu ne peux pas te dire que tout le monde va te regarder, te juger, et te pointer du doigt parce que tu n’as pas les trucs derniers cris, sinon tu vas dépenser 20.000€ en plus par an juste pour leur faire plaisir. Tu te dois de t’adapter à ton climat économique. Tu peux très bien avoir un pilote, un seul mécanicien, et être très efficace. On fait beaucoup de choses nous-mêmes sur nos motos, ça nous permet d’économiser beaucoup de temps et d’argent mais dans le même temps, on est là pour être compétitifs au plus haut niveau. On peut prendre du plaisir dans ce sport à tous les niveaux.

Les parents des pilotes sont ceux qui ont le plus souvent besoin de leçons. Il faut leur dire d’arrêter de dépenser toutes leurs économies avant que leur enfant ait 15 ou 16 ans parce qu’ils vont dépenser un fortune. On a des familles en Angleterre qui vendent leur maison et s’endettent dans l’espoir de vivre un rêve, et finalement le petit se retrouvé dégoûté de la moto parce que les parents avaient plus d’ambition que l’enfant. Il faut retrouver un juste équilibre, respecter ses enfants, c’est la clef, et c’est essentiel.

Bobby Bruce complète l’équipe Britannique cette année

Steve Dixon “Ce job, c’est vraiment difficile pour la vie de famille”
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