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Yannis Irsuti “Je fais de mon mieux avec ce que j’ai, de façon à ne pas avoir de regrets”


Dire que le quotidien de Yannis Irsuti a changé ces dernières saisons relèverait presque de l’euphémisme. Champion de France de Supercross 250 en 2017 – mais également Prince de Paris – le pilote Français a connu quelques saisons compliquées par la suite, notamment suite à de grosses blessures en 2018 (cervicales) et 2020 (fémur). Après avoir mis un terme à sa saison 2021 de façon prématurée, Yannis Irsuti s’est éloigné des compétitions pour se dégoter un job afin de subvenir à ses besoins. De retour en piste en 2022, le garçon a réalisé une excellente prestation au Supercross de Paris ce samedi et, à l’aube de la finale du SX Tour, reste en lice pour aller chercher un nouveau titre national. Yannis se dévoile au soir du 39ème Supercross Parisien. Micro.

Yannis, sans parler du résultat final car j’ai entendu dire qu’il y avait eu quelques changements de dernière minute avec l’attribution des points, quel bilan tires-tu de ce Supercross de Paris ?

Si on parle de la première soirée du samedi, c’était un bilan positif. Aujourd’hui (dimanche), c’était moins bien. Ce que j’ai su faire hier – c’est à dire prendre de bons départs – je n’ai pas su le faire aujourd’hui. Je n’ai pas trop d’explications à ça. C’était un peu le bordel aujourd’hui avec cette histoire de réclamation, de changement total de fonctionnement en ce qui concerne la redistribution des points.

Sur la piste ce dimanche, j’ai fait pas mal d’erreurs, j’ai chuté lors du second sprint alors que je me débrouillais pas mal; j’étais en train de recoller Brice Maylin. Ces erreurs me coutent cher. Si j’avais fait du top 5, j’aurais pu mieux me débrouiller et sortir en meilleure position de ce week-end à Paris. Comme je l’ai dit hier au micro, je n’ai aucun regret car j’ai donné tout ce que j’avais. L’essentiel pour moi, c’est de me donner à fond et ne rien regretter; c’est chose faite donc à partir de là, je suis globalement satisfait.

Il y a eu cette blessure aux cervicales il y a quelques années, ce gros incident à Rauville-la-Place en 2020 et finalement en 2021, tu avais décidé d’arrêter ta saison sans vraiment dévoiler les raisons. On peut revenir sur cette prise de décision, et ce qui a motivé cette dernière ?

Bien sûr, même si je n’ai pas envie de faire défaut à une marque qui m’a vraiment soutenu, même dans les moments vraiment difficiles, les moments les plus durs de ma carrière. J’ai eu des problèmes de fiabilité avec la moto, ça partait un peu en cacahuète avec le Covid; ça devenait très difficile de vivre de la moto. À un moment donné, je me suis dit qu’il me fallait une issue de secours, que je puisse manger. On n’est pas des privilégiés, il faut qu’on puisse gagner de l’argent pour vivre, tout simplement. Vu la tournure que la saison prenait, sachant qu’il ne restait plus qu’une course en indoor à Paris …. Il faut savoir que j’ai cassé 3 motos en 15 jours, dont une sur le Supercross d’Agen, et une juste avant le SX de Brienon. J’ai appelé mon concessionnaire, qui me filait malgré tout vraiment un bon coup de main, et j’ai dû dire stop. Je voulais arrêter car j’avais déjà passé beaucoup de temps à l’hôpital, sur une chaise roulante aussi … Quand on sait qu’il y a un souci sur la moto, c’est difficile. J’ai préféré dire stop et continuer ma vie car si la moto ne me permettait plus de vivre, de manger, de payer mes factures, ça n’en valait pas le coup.

J’ai bien failli faire le Supercross de Paris tout de même car j’étais en discussion avec Livia Lancelot et Florent Richier mais la nouvelle Honda est arrivée beaucoup trop tard, et on n’a pas pu avoir une moto performante à temps donc c’est tombé à l’eau. Tout ça, c’était en coulisses, personne ne l’a vraiment su.

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Meilleur pilote Français en SX2 le samedi, Yannis marquait initialement 60 points au championnat SX Tour au terme de la première soirée, mais il ne sera finalement crédité que 20 unités après un changement d’attribution de point survenu durant le week-end.

Quand tu prends ta décision d’arrêter en 2021 et qu’on a un peu perdu ta trace, ton quotidien, il ressemblait à quoi ?

Ce que je faisais, c’est ce que je fais toujours aujourd’hui. J’ai été embauché chez Provence Moto Casse à Vitrolles, près de chez moi. Maintenant, je bosse en tant que magasinier, je référence les pièces qu’on vend en ligne d’occasion. Je suis encore performant mais il faut savoir que j’ai un contrat de 39h/semaine, on ne me fait pas de faveurs et dès demain après-midi, je serai de retour au boulot.

Mon quotidien n’est plus focus à 100% sur la moto et je pense que c’est aussi en partie pour ça que j’ai eu du mal à tenir le coup dimanche. En dernière manche le samedi, j’étais lessivé. Je n’ai pas la condition physique que je pourrais avoir mais je fais avec ce qui m’est donné, avec ce que je peux. Mais les heures passées devant l’ordinateur ne sont pas bénéfiques sportivement.

Tu termines troisième du championnat Pro Hexis, tu pointes troisième du SX Tour, tu es également troisième sur l’ADAC. Quand tu as décidé de revenir en piste en 2022, c’était dans quelle optique ? Prendre du plaisir et voir où ça allait te mener ?

En début d’année, j’ai acheté un 450 CR-F et je m’amusais à sauter sur une rampe chez un ami à moi. Je voulais kiffer. J’ai pu faire une course au Danemark et j’y suis allé car ça en valait la peine financièrement, je ne vais pas me cacher. Le concessionnaire qui me filait un coup de main m’a tendu la perche à plusieurs reprises pour rouler Suzuki. À un moment, je l’ai pris au mot. Je lui ai dit “vas-y”. Il m’a demandé ce qu’il me fallait pour faire une saison au complet. Il a appelé Suzuki et vu que j’avais été champion de France et Prince de Paris en 2017, ils m’ont donné ce dont j’avais besoin. Voilà comment je suis reparti avec Suzuki mais bon, c’est une moto qui a beaucoup de retard, j’ai mis tout l’été à m’en rendre compte. On a bossé comme des fous avec Reptil Racing mais on n’a pas réussi à être suffisamment performant. En cours de saison, je suis passé sur Kawasaki et directement, je me suis senti à l’aise et on a pu travailler correctement. J’ai une moto très performante, pas spécialement grâce aux pièces mais surtout grâce au savoir faire de Reptil Racing. Ça m’a donné la confiance et ça m’a permis d’être dans le coup dès Brienon alors que je n’avais découvert la moto que le jeudi avant l’épreuve. J’essayais de m’entraîner physiquement avant le boulot, entre midi et 2, le soir après le boulot. J’ai essayé de faire le meilleur compromis.

Yannis Irsuti évoluait sur le Pro Hexis au guidon d’une 250 RM-Z cet été

Tu es, à mon sens, l’un des meilleurs pilotes de la catégorie dans les whoops, tu étais également l’un des seuls à faire ce fameux 2-3-3 avant la ligne d’arrivée à chaque tour. Sur cette piste de Paris sur laquelle il semblait difficile de doubler, c’était comme ça qu’on gagnait du temps ?

La première des choses, c’est les virages et c’est un peu ce qui me fait défaut. Ça a toujours été mon point faible. Après, on gagne du temps dans les whoops en étant le plus régulier possible, en essayant d’être un métronome. Il faut parvenir à passer les enchaînements à chaque tour, en étant le plus précis possible, ce qui permet de faire des temps intéressants en manches. Sur une piste hard comme celle-ci, c’est cool car on peut voir les différences sur le plan technique. Certains pilotes ont mis du temps à s’adapter hier et ont été plus dans le coup le dimanche. Moi, j’apprécie les gros whoops, ça ne me fait pas trop peur et j’ai pris de la confiance ce week-end. Honnêtement, on n’en rencontre plus des whoops comme ça. J’aime les whoops, j’ai une moto bien réglée, et je suis assez rapide dans cette portion. De bons départs, des enchaînements, il faut être régulier.

Et la suite de la saison 2022 ?

Je vais faire la finale du SX Tour à Lyon, je suis actuellement sur le podium. Il y aussi la finale de l’ADAC à Dortmund, championnat sur lequel je suis aussi sur le podium. J’ai fait troisième du Pro Hexis, je suis un peu sur tous les podiums donc c’est vraiment cool car c’était une année qui devait débuter sans faire de compétitions et au final je me retrouve dans le bain, en faisant quelque chose d’un peu tiré par les cheveux. Je suis un programme qui se fait en cours de route et je trouve que je me débrouille plutôt bien. Je pense que je peux me réjouir de ma situation. Sincèrement, c’est dur à gérer. Parfois, je suis crevé au boulot et à l’entraînement, sur la moto je ne peux pas attaquer comme je voudrais car j’ai des heures de boulot dans les jambes. Je fais de mon mieux avec ce que j’ai, de façon à ne pas avoir de regrets.

Champion SX2 en 2017, le quotidien de Yannis Irsuti a pour le moins changé depuis, mais la motivation reste intacte

On pense un peu à 2023 ? Un retour sur l’Elite, on se concentre sur le Supercross et, voyons même plus grand, est-ce qu’on s’intéresse au World Supercross ?

C’est encore un peu tôt pour savoir. J’ai encore des discussions à peaufiner après ce week-end; est-ce que de nouvelles discussions s’ouvriront après le Supercross de Paris ? J’espère que la prestation de ce samedi jouera en ma faveur. Honnêtement, je ne sais pas trop pour l’heure. On va dire que je vais partir sur le même programme, en Supercross essentiellement. Vu ce que j’ai mis en place dans ma vie privée aujourd’hui, je suis obligé de travailler à côté à moins que je ne parvienne à gagner ma vie en roulant, à avoir un salaire fixe, il faut dire les choses comme elles sont.

Il faut que j’assure une rentrée d’argent régulière, je ne peux plus partir à l’aventure comme je le faisais auparavant même si je m’en sortais bien. Je n’ai plus envie de m’investir autant la-dedans en me levant tous les jours sans savoir combien je vais gagner à la fin du mois. J’ai besoin de cette stabilité-là.

J’aimerais vraiment bien découvrir le World Supercross; j’étais en discussion avec Livia Lancelot pour rouler dessus mais apparemment le sponsor principal du team – Nils – qui est Italien a fait le maximum pour avoir des pilotes Italiens; c’est la raison qu’on m’a donnée en tout cas quand on m’a dit que je n’avais pas décroché ce guidon. J’espère qu’avec ce que j’ai montré ce samedi, les gens qui liront cette interview se diront qu’il y a encore quelque chose à faire avec moi, qu’ils se diront “Il est massacré de partout ce Yannis, il bosse mais pourtant, il arrive toujours à faire des podiums et il n’est vraiment pas dégueu en terme de vitesse”. J’espère que ça jouera en ma faveur car j’ai envie de continuer. J’ai de bons échos mais pour l’heure, encore rien de concret. Avec tout le recul que j’ai, tant que mon corps me permettra de faire la moto – même si c’est parfois difficile – et que je sentirai que je suis capable d’être performant, je continuerai à faire de la moto.

Yannis Irsuti “Je fais de mon mieux avec ce que j’ai, de façon à ne pas avoir de regrets”

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