Champion de France SX2 en 2022, Yannis Irsuti s’est lancé dans un nouveau challenge cette année en rejoignant la structure officielle Stark Future. Le pilote Français évolue sur le SX Tour cette saison, et a déjà signé un podium à Brienon au guidon de la moto électrique qui attire autant qu’elle divise. Au terme du week-end de Lyon, on a proposé à Yannis de nous en dire plus sur son travail de développement de cette fameuse Varg; entre autres. Micro.
Yannis. L’an dernier, on t’a appelé pour rouler sur la Stark pour l’Arenacross Britannique. Finalement, cette année, tu es pilote officiel Stark. Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce nouveau challenge ?
En fait, j’avais signé un contrat avec Stark, qui devait prendre effet à partir du 15 février 2024. Et puis, un pilote s’est blessé, donc on m’a naturellement appelé pour le remplacer, puisque je devais faire partie du team par la suite. Voilà comment s’est passée mon arrivée, un petit peu prématurée.
Qu’est-ce qui m’a séduit ? J’ai vite senti que la moto avait du potentiel. Que c’était vraiment fun, différent, mais qu’il allait falloir prendre du temps, prendre le temps de développer. J’ai beaucoup discuté avec Sebastien Tortelli. Il faut savoir que ce n’est pas un pilote que je connaissais particulièrement, et dont j’étais fan dans le passé. Moi, j’étais plutôt David Vuillemin à bloc, puisqu’il vient de la même ville que moi.
J’ai appris à connaître Seb, et j’ai bien aimé le personnage. Son ouverture d’esprit, son ouverture sur toutes mes demandes. Alors, si elles sont absurdes, évidemment, il ne va pas hésiter à me le dire; mais ce n’est pas encore arrivé [rires]. J’ai particulièrement aimé les moyens qu’ils ont mis à ma disposition, et qu’ils continuent de mettre. J’ai aimé les choses prévues, et cette espèce de transparence qu’ils avaient sur les choses à venir. J’aime bien la manière de travailler, et elle me correspond.
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Yannis Irsuti est pilote officiel Stark cette saison. Il était présent à Lyon avec ses coéquipiers Eddie Wade, Jorge Zaragoza et Jack Brunell. @DailyMotocross
Quand cette moto a été annoncée, ça a été un sujet clivant. Il y a eu une vague de fans, et aussi une vague de “haters”. Est-ce que tu sens qu’aujourd’hui, ça s’est un peu tassé et que cette moto est un peu plus acceptée ?
Légèrement. Pour être honnête, je me tiens un peu à l’écart de tous ces bruits de paddock, si on peut dire, ou ces bruits de réseaux sociaux. Après, chacun porte son jugement. Je comprends les fans de moto qui restent un petit peu sur l’ancien temps, la nostalgie, le deux temps par exemple. Désormais, on a le quatre temps, qui est bien ancré.
Je peux comprendre. Avec le moteur thermique, il y a le bruit qui fait vibrer, ça fait partie du sport. Il n’y a pas de souci là-dessus. Moi, j’ai été attiré, j’ai voulu essayer. Et ce que je leur dis, c’est d’essayer. Rien ne vous oblige à passer sur une électrique, même si l’essayer, c’est prendre le risque de l’adopter. Mais vraiment, essayer, s’ouvrir l’esprit, voir quelque chose de nouveau, c’est toujours un plus. Avant, il n’y avait pas de micro-ondes, aujourd’hui, on en a. Voilà, ça fait partie de l’évolution de la vie.
Entre le premier jour où tu as essayé cette moto et aujourd’hui, quelles demandes as-tu faites et comment cette moto a-t-elle évolué pour toi, finalement ?
Il y a eu tellement de boulot effectué que ça va être un peu difficile à lister. En fait, ce qui est délicat, c’est de verbaliser des sensations, de mettre des mots sur ce que je ressens. Moi, j’essaie vraiment d’analyser au maximum.
Lorsque je fais une demande à Stark, elle est analysée et moi, en amont, j’ai un peu tout trié. J’essaie d’être pertinent au maximum pour ne pas les envoyer dans n’importe quelle direction. Parfois, j’avais des demandes sur le châssis, parce que je pensais avoir des réactions qui se traduisaient par des problèmes de châssis, alors qu’en fait, non. C’est très pointilleux, ce sera difficile de l’expliquer.
Je pense avoir mis le doigt sur les points importants, et avoir suffisamment de maturité aujourd’hui pour pouvoir faire le tri, et des demandes assez précises.
On a beaucoup bossé sur le châssis, sur la programmation moteur. Il y a plein de choses qui ne se voient pas. Mais il y a un gros boulot qui a été fait, et un énorme travail sur les suspensions, parce qu’il faut adapter les suspensions avec Didier Villemin, de Reptil, qui a l’habitude de travailler sur les thermiques. C’est nouveau pour lui, le comportement d’une moto électrique. De fait, ça nécessite énormément de travail. Vraiment, on a fait un nombre de jeux de suspensions incalculables avec Didier et je pense qu’on est sur la bonne voie, parce que je pense être le pilote Stark le plus rapide dans les whoops.
Notre travail et notre acharnement portent leurs fruits. Et il faut continuer dans cette direction. Et c’est la volonté du team d’aller dans cette direction, de me faire confiance, je pense, puisque j’essaie d’être professionnel et pertinent au maximum, pour ne pas les induire en erreur.
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Septième le vendredi après une chute en début de finale, Yannis Irsuti jouait le podium le samedi; il termine finalement 4ème de l’ultime finale à Lyon @DailyMotocross
Si on prend n’importe quelle moto sur le marché thermique, on leur connaît des points forts, et des points faibles. Avec le recul, ce serait quoi le point fort de la Stark, et son point faible ?
Aujourd’hui, j’ai eu la chance d’être dans le Team Factory. Donc, la Stark que j’ai a nettement évolué par rapport à une moto de série. Son point fort, je dirais qu’aujourd’hui, c’est la disponibilité de la puissance, cette vivacité du moteur, c’est super fun. C’est vraiment très intéressant ce que ça procure comme sensation. Pour la petite faiblesse, je vais dire le poids; ça va être le seul bémol. Ce poids a une incidence sur les suspensions, et donc sur le réglage des suspensions qu’il faut comprendre, qu’il faut prendre plus de temps à développer. Voilà mon jugement.
Finalement, on est pilote, mais on se doit aussi d’être un fin metteur au point ?
On se le doit, oui. Moi, j’ai le sentiment que je me le dois. Il y a des personnes très compétentes autour de moi, on a beaucoup d’ingénieurs, mais ces ingénieurs-là, il faut les envoyer dans la bonne direction. Ils sont capables d’énormément de choses. Ce sont des personnes très compétentes, mais il faut leur donner une ligne directrice cohérente pour faire la moto à ma main. Je ne suis pas embauché pour faire la moto de Monsieur Tout-le-Monde. Je suis embauché pour faire la moto qui me convient le mieux, et la mettre sur le devant de la scène. Donc, oui, je pense que je me dois d’être précis, sûr de moi, et professionnel pour aider au développement. On peut vraiment envoyer les ingénieurs dans toutes les directions, et c’est une chose que je ne peux pas me permettre de faire.
J’ai vu qu’il y avait quelques modifications sur les motos, notamment celle d’Eddy Wade, il avait comme un sélecteur fictif au pied gauche. Le vendredi, Zaragoza avait les freins au guidon, mais aussi une pédale de frein au pied, avant de changer le samedi. Est-ce que tu as essayé le frein arrière au guidon ? Et quel a été ton ressenti ? De l’extérieur, on se dit que c’est un élément en moins à gérer avec les pieds.
Pour être honnête, j’ai essayé rapidement de rouler avec le frein à la main, mais j’avais un maître-cylindre d’origine et ça ne m’arrêtait pas suffisamment en Supercross, j’avais tendance à sauter les virages et plutôt aussi tendance à l’utiliser comme un embrayage, alors que c’était un frein.
Je pense que j’avais assez de boulot pour m’adapter à cette moto, donc cette année, je suis revenu au frein arrière au pied. Ça m’enlevait un petit côté parasite, parce que clairement ça me parasitait plus que ça ne m’aidait car on a des automatismes. Je voulais me concentrer sur mon adaptation à la moto en elle-même, sur ses évolutions. Si j’ai de quoi prendre le temps de m’adapter au frein arrière au guidon l’an prochain, je ne dis pas non pour réessayer, puisqu’on a de nouveaux maitres-cylindres qui sont puissants, comme celui qu’utilise Zaragoza.
Après, je ne porte pas trop les yeux sur la moto des autres. J’ai vu qu’Eddy avait un fake-shifter, c’est lui qui connaît les tenants et les aboutissants. Après, les deux freins – au pied et à la main – je ne sais pas, je n’ai pas essayé. Moi ça me va très bien comme ça. J’ai d’autres axes de travail pour l’heure.
Je te vois rouler depuis un bon bout de temps désormais et ta force, c’était vraiment les whoops. Sur une finale de 15 tours, j’ai quand même l’impression qu’on est moins incisif que par le passé, et que c’est moins régulier qu’avant. De l’extérieur, je pense que c’est ce qui ressort aux yeux du grand public. Qu’est-ce qui pose problème à cette Stark, dans les whoops ?
Pour être transparent, je ne vais pas nier qu’on a un problème dans les whoops à partir d’une certaine durée de course; c’est visible pour tout le monde. Ça a été compliqué pour moi de devoir accepter qu’un point fort dans le passé était devenu un point faible aujourd’hui; ce n’est pas un problème physique, je suis en pleine forme. Même si ma moto est quasiment 10 kg plus lourde que celles de mes concurrents, je suis capable de la mener plus longtemps que la durée de nos manches sur le SX Tour. C’est actuellement à l’état de développement par nos ingénieurs, je ne sais pas si l’évolution sera disponible pour la finale de Grenoble mais si elle l’est, ça se verra et je pense que je ne monterai plus sur le podium grâce à un fait de course, comme à Brienon.
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Yannis ne le cache pas, les whoops posent encore problème. Mais le sujet est à l’étude @DailyMotocross
J’ai entendu que Stark travaillait pour que la Varg fasse un bruit. On sait que les pilotes ne vous entendent pas arriver. Est-ce que c’est une situation à laquelle tu as dû t’adapter, est-ce que tu fais plus attention qu’avant en piste ? Il m’arrive de me dire “là, l’ancien Yannis aurait mis un coup de rupteur et l’aurait découpé”. Tu sembles plus mesuré, c’est le cas ?
Oui, absolument. C’est ce qui m’a perturbé sur les deux premières épreuves sur l’Arenacross en Angleterre, le fait que les autres ne m’entendent pas arriver. Le fait de ne pas entendre ma moto ne me posait pas de problème, mais je voyais que les autres faisaient leur vie sur la piste. Les pilotes ne savaient pas vraiment que j’étais là, donc c’est allé au contact quelques fois même si ce n’était pas ma volonté.
Il m’a fallu du temps pour comprendre qu’il fallait que je roule différemment, et que je sois plus attentif aux autres. Parfois, je suis obligé de renoncer à faire une attaque parce que je vois qu’elle va être suicidaire. Si j’attaque et que mon adversaire ne m’a pas entendu, ça peut être considéré comme trop agressif et ce n’est pas l’objectif d’aller au tapis. Donc oui, je suis plus mesuré, je suis obligé d’être plus mesuré. Même si on a un bruit, il n’est pas encore assez fort. C’est quelque chose qui va évoluer, on a tellement d’axes de travail; on est un petit peu sur tous les ponts. Bientôt, cette problématique sera résolue mais à l’heure actuelle, je me dois de faire attention à ce que je fais.
Un mot sur cette saison 2024. Au niveau des résultats, ça se passe comment ?
Un très mauvais départ, puisque je ne me suis pas qualifié à Saint-Thibéry. C’était très compliqué d’être champion de France en 2022, de quitter le championnat sur une blessure en 2023 alors que j’étais second et que je commençais à me rapprocher de Maxime sur l’épreuve de Grenoble, et d’attaquer le championnat 2024 en loupant la qualification. Ça a été une grosse remise en question, mais quand je m’engage dans quelque chose, j’aime aller jusqu’au bout. Il m’a fallu un peu de temps pour digérer, j’ai fait ce qu’il fallait pour que la digestion se passe au mieux, si je peux dire ça comme ça [rires].
Là, on peut voir que ça monte crescendo, on évolue. On n’est pas à l’abri de surprises, de prendre une mauvaise direction, c’est pourquoi j’essaie d’être précis dans mes demandes pour éviter ça. Pour l’instant ça évolue, j’ai un petit peu merdé hier soir (vendredi). J’ai chuté dans le premier tour et ça m’a mis un peu hors course; c’est comme ça que je l’ai ressenti même si mon rythme n’était pas vilain. Ça progresse, le team a conscience de mes efforts, et de ma volonté de faire évoluer les choses. Le but, c’est de me rapprocher du podium et d’y monter dès que possible. Je suis assez serein quant aux évolutions à venir, et au fait de pouvoir scruter les podiums.
JLFO a fait ce qu’il faut cette année en organisant un “vrai” championnat de France de Supercross pour les Juniors. L’an prochain, on attend un championnat Espoirs. Ces changements sont bienvenus pour le sport en France ?
Oui, je pense que c’est toujours bienvenu de faire rouler les pilotes le plus tôt possible en Supercross. Après, je suis assez occupé avec le boulot donc je n’ai pas trop suivi, mais c’est cool de les voir en piste.
Par contre et sincèrement, à Paris, les 125 étaient problématiques pour nous, ils nous ont pas mal gênés. Je ne suis pas sûr qu’ils aient kiffé. Ils ont peut-être kiffé l’ambiance, mais peut-être pas la course en elle-même. Ce week-end, ils ne roulent qu’à 5, c’est un peu dommage. Il y a peut-être une bonne explication à ça. Moi, je serais d’avis qu’ils roulent tous sur les indoor. Ceci dit, c’est cool. Je pense que l’équipe JLFO et la Fédération se sont vraiment aperçus que ça manquait de relève, donc ils essaient de remotiver un petit peu les troupes, de donner la passion du Supercross dès le plus jeune âge.
Moi, j’ai commencé très tôt. Soubeyras a commencé tôt, Gregory a commencé tôt; tout le monde a commencé assez tôt. C’est une discipline qui est très passionnante, donc je pense que s’ils commencent tôt, ils vont perdurer et le but est de faire sortir des talents qui se battront ensuite aux US. C’est vrai qu’il y avait un petit creux, donc j’espère que ça va continuer, qu’ils vont pouvoir tirer des conclusions de cette année, et faire progresser les choses.
Est-ce qu’on sait ce qu’on fait en 2025 ?
Oui, j’ai signé pour deux ans avec Stark. Je n’ai pas encore le programme officiel; il y a encore des discussions quant au fait de rouler sur l’Arenacross World Tour, le SX Tour. Seb a commencé à me parler de faire deux épreuves de l’Elite, alors pourquoi pas si les évolutions arrivent, et qu’elles s’avèrent efficaces. C’est donc un programme qui a la possibilité d’être chargé en 2025. C’est top d’avoir pu signer pour 2 ans, et de se projeter. Ça donne du temps pour travailler, faire les étapes de développement, les choses de manière professionnelle. C’était top de leur part de me proposer un deal de 2 ans. J’ai vu ça comme une opportunité de faire les choses correctement.
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