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Gérard Valat: métier agent de pilote


Ils connaissent tous les rouages du sport, les ficelles des contrats, les plus petites clauses. Ils ont bien souvent des connaissances juridiques et défendent les intérêts de leurs clients: qu’ils soient pilotes, teams ou constructeurs. Ils ne sont qu’une poignée dans le paddock du mondial MXGP, mais ils assurent une certaine cohésion entre les principaux acteurs du sport. Ils ? Ce sont les agents de pilote. Gérard Valat est l’un d’entre eux, et sa réputation dans le milieu n’est plus à faire. Riche d’une longue expérience dans le milieu sportif, Gérard nous a accordé un entretien formateur en Italie pour nous parler de son parcours, de son métier, des dessous du sport, et des contrats signés par les pilotes. On avait des questions, on a eu des réponses. Micro.

Gérard, pour ceux qui ne te connaissent pas, est-ce que tu peux te présenter dans un premier temps, et expliquer ton parcours professionnel qui t’a finalement fait rentrer dans cette industrie très fermée qu’est le monde du motocross ?

Je suis arrivé dans le Motocross tout gamin. J’ai fait le championnat de France Junior pendant deux ans et puis malheureusement, suite à des blessures, j’ai dû arrêter la pratique juste après. Comme j’étais passionné et que je voulais vraiment rester dans le milieu, j’ai commencé à chercher un job dans la moto. Et c’est comme ça que je suis rentré en tant que représentant commercial chez Royal Moto qui, à l’époque, était un importateur KTM, mais aussi distributeur de nombreux accessoires et équipements.

Au sein de cette entreprise, j’ai évolué jusqu’à devenir chef de produit. J’avais pour responsabilité de trouver des produits intéressants à distribuer en France. C’est comme ça que j’ai rencontré beaucoup d’Américains parce qu’à l’époque, j’avais les yeux tournés vers les Etats-Unis. J’étais l’un des tout premiers à comprendre qu’il se passait beaucoup de choses aux U.S. Donc, j’ai convaincu mon patron de l’époque de laisser faire un voyage là-bas. Quand je suis revenu, j’avais – dans ma valise – l’importation de Fox, d’Oakley, et de pas mal de petites marques Américaines.

Au fil des ans, j’ai aussi co-développé un casque chez Royal Moto. Le casque Techno. J’ai très vite compris que pour vendre ce casque, il fallait lui donner une certaine crédibilité, une certaine légitimité. C’est au travers de tops pilotes qu’on pouvait le faire. Voilà comment j’ai déboulé pour la première fois sur un Grand Prix avec une casquette de sponsor. J’étais à la recherche d’un pilote qui pourrait porter notre casque. On n’avait pas des gros budgets, on avait juste les moyens de se payer un seul pilote.

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J’ai eu la chance de rencontrer et de signer Håkan Carlqvist, qui a été champion du monde dès l’année suivante avec notre casque. C’est ce qui nous a permis de développer le chiffre d’affaires: la demande était croissante et venait de partout puisque le casque avait eu une exposition mondiale. C’est comme ça que j’ai commencé à mettre le doigt dans le sponsoring. Je devais avoir 22 ou 23 ans.

Le sponsoring, qu’on appelle aujourd’hui “sport marketing”, a été le fil conducteur de ma carrière. Après cette période, je suis parti en Californie pour rejoindre Oakley, qui n’était qu’une toute petite structure puisque j’étais le sixième employé. Le patron m’avait recruté avec comme projet de faire des lunettes de soleil.

La première chose que j’ai dû faire avec ma nouvelle lunette de soleil, c’était la mettre sur la tête d’un athlète, un peu comme j’avais fait avec Carlqvist avec le casque Techno. J’étais à la recherche d’un leader d’opinion. Et c’est comme ça que je suis arrivé sur le tour de France et que j’ai signé le cycliste Greg LeMond qui a, par ailleurs, gagné le tour de France trois fois de suite. Et ça, ça nous a mis sur la carte du monde.

Tu as eu beaucoup de nez ?

Du nez ou de la chance. Je pense qu’il y a un peu des deux. Suite à cette histoire, j’ai créé la filiale européenne d’Oakley, donc je suis rentré des États-Unis pour diriger cette dernière pendant 20 ans.

Pendant cette période, je n’ai cessé de sponsoriser des athlètes de tous niveaux, dans tous les sports. Sur la période, j’ai sponsorisé à peu près 8.000 athlètes. Comme j’étais issu du motocross, j’ai pu signer tous les pilotes Français de l’époque avec Oakley: Jean-Michel Bayle, Yves Demaria, Frédéric Bolley, David Vuillemin, Fred Vialle, etc. Avec Oakley, je suis rentré dans le cyclisme, la moto, le snowboard, le ski, et jusqu’à la Formule 1 avec Michael Schumacher.

Toute cette aventure, ça m’a permis de traiter avec les athlètes eux-mêmes, mais aussi avec leurs parents, avec leurs agents, avec leurs avocats. Parce que quand on fait un contrat avec Michael Schumacher, on ne traite pas avec ses parents. Il y a toute une organisation derrière. Cette expérience en tant que sponsor m’a aidé à parfaire mon parcours “sport marketing”. En ayant fait ça pendant 20 ans, je connaissais un peu toutes les ficelles des contrats.

Il s’avère que j’ai aussi géré beaucoup de litiges d’un point de vue juridique, puisque sur la période Oakley, on a été aussi la marque la plus copiée. Et j’ai mené plus d’une soixantaine de procédures – de contrefaçons, de concurrence déloyale, de parasitage, etc – contre des marques, mais aussi des gros poissons du type Décathlon, Go Sport, etc.

Avec l’arrivée de nouveaux constructeurs, Gérard Valat est un homme occupé.

Donc tu es passé de représentant commercial, à sponsor, pour finalement te diriger vers l’aspect juridique ?

Dans le légal, oui . Avec cette expérience d’une bonne centaine de procédures sur une période de 5 ans, j’ai recruté 2 juristes en interne, et j’avais 3 cabinets d’avocats en permanence.

Sur 72 procédures, j’en ai gagné 68, j’ai fait 2 accords amiables et on en a perdu 2. Chaque procédure, c’était plusieurs années, c’était des négociations, etc. Avec tout ça, j’ai pu maîtriser l’aspect juridique de, ce qu’on appelle en Américain, “l’art de la dispute”. C’est effectivement savoir que dans une négociation, il y a souvent l’émotionnel qui vient brouiller les cartes, et il faut être capable de se sortir de l’émotionnel, de rester sur le rationnel pour négocier le meilleur deal pour mon pilote aujourd’hui, ou pour une entreprise finalement.

Donc ça, c’est effectivement ce qui complète ma casquette d’agent, c’est que j’ai une très forte expérience juridique, et la connaissance des rapports de force qu’il peut y avoir entre un constructeur, une multinationale et un jeune gamin de 18 ans.

À quel moment le switch s’est fait pour toi ? Dans ton parcours, tu me parles de marketing, de sponsor, et désormais, on te connaît en tant qu’agent de pilote. Comment est-elle arrivée, cette dernière casquette ?

Je vais dire que je suis plutôt un “advisor”, un conseiller de pilote. C’est-à-dire que des pilotes viennent me demander conseil, j’ai aussi souvent des teams qui viennent me solliciter quand ils sont en négociation pour renouveler leur contrat avec leur constructeur, et j’ai aussi des constructeurs qui me demandent conseil sur certains choix à faire pour des pilotes ou des teams.
J’ai un rôle de conseiller, et j’ai envie de dire que ce n’est pas vraiment mon métier, mais plus un hobby aujourd’hui. J’ai une autre activité professionnelle. Je suis président de DXOMARK, une société basée à Boulogne-Billancourt qui compte 120 employés dans le digital. Nous sommes sous-traitants pour des marques comme Apple, Google, Huawei. Nous sommes leader mondial sur l’évaluation de la qualité d’image des appareils photo.

Mais à part ça, j’ai ce petit hobby d’agent qui me permet effectivement – le week-end – de changer un peu de monde et de lier la passion avec l’utile.

Qu’est-ce qui a fait que ce métier d’agent n’est pas ton activité principale, alors que tu as longtemps travaillé dans le marketing & le sponsor ?

Quand j’ai vendu ma participation chez Oakley, je suis descendu m’installer dans le sud de la France. De là, j’ai retrouvé des jeunes pilotes, Frédéric Bolley notamment, que j’ai sponsorisé avec Oakley pendant toute sa carrière. Il venait d’être deux fois champion du monde et il me confiait qu’il avait énormément de mal à se faire payer par son team. Il m’a demandé si je pouvais l’aider à récupérer l’argent qu’on lui devait.

C’est comme ça que je suis revenu dans le paddock, avec une mission qui était de défendre les intérêts économiques d’un pilote. J’ai eu pas mal de succès puisque j’ai récupéré l’intégralité de ce qu’on lui devait. À partir de là, et quand certains autres pilotes ont su que je m’occupais de Fred, ils sont venus me voir naturellement. C’était notamment le cas de Mickael Pichon « Est-ce que tu peux t’occuper de moi aussi ? ». Mickael était aussi sponsorisé par Oakley depuis ses 15 ans. De là, les pilotes sont venus me voir de gauche, à droite, pour se faire payer ou avoir un coup de main. En fait, c’est Fred Bolley qui m’a mis la main dans l’engrenage.

Concrètement, tu travailles et représentes quels pilotes aujourd’hui ? Quand on parle dans le paddock, on entend ton nom à droite, à gauche, que ce soit sur le Mondial, l’Europe, et même au niveau national.

Alors, je conseille pas mal de monde. Je travaille pour certains pilotes de façon officielle, notamment Romain Febvre, Maxime Renaux. Après, je vais aussi conseiller épisodiquement d’autres pilotes, d’autres teams, d’autres constructeurs de façon “sous-marine”. C’est-à-dire que je n’interviens pas officiellement dans leurs négociations, mais je vais conseiller. Je ne veux pas dire que je tire les ficelles parce que ce serait un peu prétentieux, mais dans certains cas, je vais influencer beaucoup de décisions qui peuvent être prises et notamment des fois, à l’encontre de pilotes concurrents des miens. Si un guidon d’usine se libère, je vais acter pour y diriger l’un de mes pilotes.

Gérard Valat et Romain Febvre collaborent depuis 10 ans déjà

Tu me parles de Romain et Maxime. Comment fait-on pour gérer les intérêts et les contrats de deux pilotes de ce niveau sans les mettre en concurrence, sans en favoriser l’un au détriment de l’autre ?

C’est une bonne question.

De façon générale, j’essaie de ne pas avoir deux pilotes en concurrence. Là, il s’avère qu’ils sont devenus concurrents bien plus vite que prévu. Je conseille Romain depuis 2012 et sa sortie de l’Europe 250, donc ça fait 12 ans. Entre temps, en 2015, j’ai pris Maxime qui sortait du 125 dans le team MJC. Cette année-là, Romain est devenu champion du monde MXGP. À ce moment-là, j’étais loin d’imaginer qu’ils seraient concurrents directs quelques années plus tard. Maxime à eu une progression très rapide, notamment en passant en MXGP deux ans avant sa limite d’âge pour évoluer en MX2.

Là, c’est simple. Quand je dois signer ces pilotes, je mesure l’intérêt qu’ont chacune des marques pour le pilote. En fonction de la sensibilité du pilote, je vais diriger la négociation vers la marque qui lui plaît le plus. Souvent, quand j’ai un team qui est intéressé par deux de mes pilotes, ils ont forcément une priorité, une préférence qui ressort. Là, je leur demande d’exprimer leurs préférences clairement et à partir de là, ce sont eux qui font le choix, pas moi.

Il ne faut pas oublier que c’est le pilote qui décide à la fin. Mon rôle, ce n’est pas de décider pour lui. Mon rôle, c’est de lui amener sur la table toutes les propositions qui sont à sa disposition, à sa portée, d’analyser les avantages et les inconvénients de chacune de ses propositions et de le laisser décider avec ses parents. La décision est toujours celle du pilote et ça, j’y tiens parce que si jamais ça devait mal se passer, pour quelque raison que ce soit, ce n’est pas moi qui ai pris la décision mais le pilote. Il l’assumera beaucoup mieux.

C’est le pilote qui vient vers toi, c’est toi qui vas vers le pilote. Comment ça se passe dans ce milieu ?

Alors, en ce qui me concerne, ce sont les pilotes qui viennent vers moi, ou c’est souvent leurs parents qui ont besoin d’aide, de conseils, car ils ne savent pas comment faire pour passer un cap supplémentaire. J’ai beaucoup de parents du 125 qui viennent me voir, ou même de l’Europe 250.

Ils se posent des questions sur la meilleure façon de franchir les étapes, mais aussi sur le choix des teams, des motos. De temps en temps, il m’arrive de détecter un pilote lors d’une course, je ne vais pas porter beaucoup d’attention à son style mais plus à sa combativité, sa détermination, c’est un sport de guerrier, il faut une grosse dose de tempérament.

Le dernier Pilote que j’ai démarché, c’est Alexis Fueri. Je l’ai vu rouler à Mantova en 125cc il y a 2 ou 3 ans. J’ai trouvé qu’il avait vraiment de l’engagement sur la moto. J’ai été discuter avec lui et ses parents dans le paddock par la suite. Ça, c’est aussi pour moi un test important. Je veux m’assurer qu’il y a une certaine éthique, qu’il y a une certaine moralité, que la cohésion familiale soit bonne. J’ai rencontré son papa qui était adorable et surtout, qui avait beaucoup d’humilité en disant qu’il ne connaissait rien au motocross. “On vous fait confiance”.

En règle générale, ce sont surtout les pilotes qui viennent me voir, mais dans certains cas comme ça, il m’arrive de “flasher” sur un pilote.

À partir de quel moment de sa carrière, un pilote va-t-il avoir besoin d’un agent ?

Un jeune pilote du 125 ou de l’Europe n’a pas besoin d’un agent, mais d’un conseiller. Par contre, quand il va arriver en MX2, et s’il sort de l’Europe dans le top 5, c’est là qu’il va avoir besoin d’un agent. Parce qu’on va lui proposer des offres; il aura été identifié comme étant un potentiel champion.

Les teams vont lui faire des propositions et leurs objectifs – et c’est bien compréhensible – c’est de signer le pilote qui a le plus gros potentiel pour la plus petite somme possible. C’est là que l’agent doit intervenir, pour s’assurer que les teams ou les constructeurs ne vont pas profiter de la naïveté du pilote ou de la non-connaissance du marché de ses parents pour le signer pour une poignée de cerises.

C’est là que l’agent doit intervenir. Parce qu’il connaît les tarifs, sait ce qu’on peut demander, sait ce qu’on ne peut pas demander. En fonction de la spécificité de certains teams, certains sont très familiaux, d’autres sont très professionnels, on va pouvoir identifier la bonne direction à prendre. Disons que si un jeune pilote est encore en formation, on ne va pas aller le mettre dans un team trop professionnel.

Tu vois, j’ai un exemple qui a été parlant pour moi : Maxime Grau. Quand Maxime a signé chez Nestaan, c’était pour moi une erreur de son agent. C’était vraiment ce qu’il ne fallait pas faire. C’était un trop gros step. Il faut aussi analyser tout ça, il faut l’expliquer aux pilotes et aux parents pour que la décision soit réfléchie, et collégiale.

Alexis Fueri a pu bénéficier des conseils de Gérard Valat

Si on prend le top 10 MX2 & le top 10 MXGP, aucun pilote n’est en électron libre, sans agent ?

Non, non. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’agents dans le motocross. Tout simplement car il n’y a pas beaucoup d’argent. Si je voulais que ce soit mon métier, mon activité principale, je ne serais pas à Arco Di Trento ce week-end, mais au MotoGP [rires].

C’est pour ça que le rôle de conseiller est peut-être plus important que le rôle d’agent en lui-même, parce que vouloir négocier le plus gros contrat peut être une énorme erreur, car le package nécessaire ne va pas nécessairement être au rendez-vous. Aujourd’hui, un bon conseil, c’est amener un pilote dans un team où il y a un package complet entre la qualité de la moto, la qualité du staff, des ingénieurs, le package suspension, il faut analyser tout ça.

Et en dernier lieu, on va parler d’argent. Mais si on parle d’argent en premier lieu, on va se retrouver sur une moto qui n’est pas dans le coup, qui ne pourra jamais gagner. Donc, il ne faut pas croire que les meilleurs teams sont les plus riches. Ce n’est souvent pas le cas.

À titre d’exemple, un jeune pilote Français qui roule devant, dans le top 5 de l’Europe 250. Il va recevoir des offres pour la montée en MX2. À quoi peuvent ressembler ces contrats ? Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

C’est une bonne question. Je vais te parler du contrat des deux constructeurs les plus dynamiques. C’est le meilleur exemple pour identifier la problématique. Un jeune qui fait un bon résultat sur l’Europe – on va dire dans le top 3 final et en fonction de son âge – va intéresser des teams qui sont en MX2 pour préparer la relève.

Ces deux constructeurs vont avoir en face d’eux des jeunes qui n’ont aucune expérience dans la négociation de contrat, leurs parents non plus. De leur côté, ils ont développé – au fil des ans – un contrat standard dans lequel tout est à leur avantage; il n’y a que peu d’avantage pour le pilote. Ils vont parler d’un montant d’argent et souvent, ça va suffire aux parents qui vont se dire “Ah, on va gagner ça, c’est bon, on signe.”

La problématique, c’est qu’ils ne vont pas regarder ou comprendre l’incidence de toutes les autres clauses du contrat. C’est une très grosse erreur.

Exemple. Tu vas sortir de l’Europe, et ce constructeur ou un de ses teams va te proposer un contrat d’un an pour rouler en MX2. Ils vont te dire “tu comprends, il faut que tu fasses tes preuves, on te prend un an, et si ça marche bien, on prolonge ton contrat.”

De là, tu crois signer un contrat d’un an, mais en fait, non. Sans l’avoir compris ni perçu, tu te retrouves dans une situation ou tu seras bloqué pendant trois ans sans pouvoir re-négocier quoi que ce soit. Dans ces contrats, tu as une clause, relative à l’option de la 2ème année, elle est systématiquement au profit du team. Ils pourront l’exercer à leur bon vouloir, à une date prédéfinie par eux, bien souvent beaucoup trop tardive. Ça, c’est la première chose que les parents ne voient pas et ne négocient pas.

Par exemple, dans le cas d’une date d’option définie au 31 Août. Si tu as fait de bons résultats en début de saison, il est très probable que des teams concurrents viennent te faire de belles propositions dès le mois de Mai ou Juin. Mais, étant bloqué par l’option, tu ne pourras pas donner de réponse à ces propositions avant le 1er Septembre, une fois que ton team aura décidé de te garder – ou non – pour la 2ème année. Dans le cas où ils décident d’exercer l’option et de te conserver, tu risques d’être mécontent car l’option prévoit que tu percevras la même rémunération que la première année. Tu mesureras donc pleinement le manque à gagner par rapport aux autres offres que tu auras reçues dès le mois de Juin.

Tu repartiras donc pour une année avec ton team, avec la désagréable sensation de te faire exploiter. Je te garantis que les parents vivent très mal cet épisode. Mais la frustration ne s’arrête pas là. Voyons maintenant le cas où le team/constructeur décide de ne pas exercer l’option. Tu te retrouves libre de tout engagement au 1er Septembre, à toi de trouver un autre Team. Seulement à cette date, tous les bons guidons seront déjà pris, et les budgets définis. Tu te retrouveras contraint de prendre ce qu’il reste, c’est à dire un Team B ou C avec un budget de misère. Là, une fois encore, le pilote et surtout les parents vont mal le vivre et trouver le système vraiment injuste.

Quel est l’intérêt pour les teams/constructeurs de faire ça finalement ? C’est d’avoir la mainmise sur le pilote s’il est bon, et de s’en débarrasser s’il ne fait pas l’affaire ?

Exactement. Imaginons que le pilote confirme avec de bons résultats, ils vont évidemment exercer l’option. Donc, la deuxième année, le pilote sera payé le même prix que la première année. C’est-à-dire qu’il devient sous-payé en fonction de la valeur économique de ses résultats. Le team est gagnant, le pilote est perdant. Ensuite, à la fin de la deuxième année, ils vont faire valoir leurs droits de priorité via la clause de « First Right of Refusal ».

C’est quoi, cette clause ?

En français, on appelle ça un droit de priorité. Si à la fin de ton contrat, tu reçois une proposition d’un autre team, d’un autre constructeur, tu as l’obligation de la montrer à ton team actuel. Il faut qu’elle soit signée et officielle, qu’il y ait une vraie proposition.

Le team/constructeur aura un délai de 10 ou 15 jours pour – éventuellement – s’aligner sur cette proposition. S’ils s’alignent, tu devras rester une troisième année. Ce sont des clauses qui embêtent beaucoup de monde aujourd’hui, parce qu’un top team peut avoir besoin d’un pilote urgemment, se diriger vers quelqu’un qui a envie de venir, mais qui est bloqué par cette clause. Cette clause doit impérativement être négociée. Historiquement, elle a empêché Herlings de rejoindre HRC, ou dernièrement Prado d’aller chez Kawasaki.

Revenons-en à ce jeune pilote. Il va recevoir de belles propositions après sa deuxième année. Son team va alors lui dire “Tu nous montres la meilleure offre que tu as et nous, on va décider si on s’aligne ou non”. Le risque, c’est que le pilote ait déjà – dans sa tête – l’envie de partir parce qu’il va garder en souvenir le sentiment de s’être fait avoir la deuxième année. Cependant, le team peut très bien lui dire “Non, on s’aligne avec l’offre. Donc tu restes“. Et il va devoir rester une troisième année, un peu contre son gré. Il devra dire non à de très belles propositions. Les teams en question ne vont pas attendre un an de plus, ils vont signer quelqu’un d’autre et donner ce guidon qu’il voulait très certainement à un pilote moins bon que lui, double frustration !

Donc pour le pilote qui passe de l’Europe 125 à l’Europe 250, de l’Europe au MX2, les parents ne vont pas avoir cet oeil averti sur les contrats. Ils ne vont pas savoir analyser ces clauses. Il faut aussi savoir que tous les contrats sont en anglais; un anglais juridique. Certains contrats font 40 pages. C’est très complexe et la plupart du temps, on croit en comprendre le sens seulement. Finalement, quand tu montres la clause à un avocat ou à quelqu’un qui a un bagage technique et qui est en mesure de l’expliquer, les gens disent « Ah, mais je n’avais pas vu ça comme ça ».

En fin de saison dernière, les parents de Ferruccio Zanchi m’ont contacté. Ils venaient de recevoir une offre très intéressante du HRC, mais ils ont réalisé que l’option du contrat KTM les obligeait à rester, et de surcroît dans un” team B”, en Angleterre. Évidemment les conditions financières étaient très inférieures. La frustration était telle qu’ils ont envisagé une action en justice. C’était la maman qui avait géré ledit contrat KTM, parce que c’était celle qui parlait le mieux l’anglais. Elle a aussi un très bon niveau, car elle est chercheuse dans un institut à Milan. Mais elle s’est rendu compte de la complexité des contrats juridiques. C’est un véritable métier, finalement. Il faut comprendre que ces contrats sont conçus et écrits par des cabinets d’avocats spécialisés, pour protéger la partie qui paye la rédaction du contrat, évidemment. Au final, j’ai pu les aider en menant une négociation à l’amiable avec KTM pour le libérer.

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As-tu déjà vu des clauses surprenantes dans certains contrats ?

Oui. Il m’arrive encore de découvrir des contrats rédigés par un team-Manager qui croit pouvoir maîtriser le droit à son avantage, ça ne me prend pas longtemps pour le remettre dans le droit chemin. Les contrats les plus aboutis, je dirais que ce sont ceux de Yamaha, de KTM, et le reste, c’est un ton en dessous.

Ceci dit, j’aime aussi beaucoup les petits teams privés qui font des contrats d’une page ou deux, en disant “Nous, on n’est pas là pour faire du juridique. Voilà ce qu’on te propose, si ça te convient, tu signes et on roule.” Et souvent, ça se passe très bien. J’ai de bonnes expériences et notamment avec des teams italiens où, souvent, on se tape dans la main en guise d’accord; et ça fonctionne bien.

Après, j’ai des expériences avec des teams et des gros contrats signés purs et durs, où ça se passe mal. Et c’est là que j’interviens parce que je suis, aux yeux de beaucoup de teams et de constructeurs, suffisamment légitime pour mener une négociation à l’amiable avec un pilote, un team ou un constructeur.

Derrière nos pilotes Français, il y a bien souvent un agent / un conseiller. Maxime Renaux fait également confiance à Gérard Valat depuis une poignée d’années

Pour reprendre l’exemple de Tim Gajser. Il s’est blessé sur cette même piste l’an dernier, lors de l’international d’Italie. Comment ça se passe au niveau du contrat, quand un pilote se blesse à deux mois de l’ouverture de la saison ?

Dans tous les contrats, aujourd’hui, il y a ce qu’on appelle une clause de blessure instaurée par les teams: si le pilote se blesse et ne roule pas, il n’est plus payé. Cette clause de blessure, il faut évidemment la négocier. Malheureusement, il y a trop de pilotes qui signent le contrat sans même la comprendre. Aujourd’hui, dans la grande majorité des cas, c’est un système de déduction au prorata des courses qui sont ratées.

Ça va avoir tendance à inciter les pilotes à revenir beaucoup trop tôt.

Exactement, ça incite les pilotes à revenir beaucoup trop tôt. Donc moi, à titre personnel, je négocie cette clause de façon à ce qu’elle ne mette pas la pression sur mon pilote. Il ne faut pas qu’il s’entête à revenir trop tôt et évidemment, on va faire en sorte qu’il puisse toucher quand même une bonne partie de son contrat, de façon à ce qu’il ne soit pas trop pénalisé. Mais ça, c’est une négociation que l’on doit mener de gré à gré pour chacun des pilotes, sur chacun des contrats.

Mais si vous ne négociez pas, ce sont les conditions du team qui primeront. Et c’est malheureusement quelque chose que ne font pas tous les parents. Ils signent un contrat en vitesse en se disant “Super, on est rentrés chez KTM, on va avoir le casque Red Bull” ou “On est chez Yamaha Monster”, etc. Par la suite, c’est souvent des déconvenues.

On voit qu’il y a de nouveaux constructeurs qui sont arrivés. Triumph, Ducati. Ils sont très présents dans le milieu de la moto, mais ils débarquent en Motocross. Comment on fait pour négocier des contrats avec ces teams-là, quand on ne sait pas spécialement à quoi s’attendre ou sur quoi se baser ?

C’est vraiment intéressant parce que ce sont surtout eux qui ne savent pas à quoi s’attendre. Ils arrivent, et ce sont les premiers constructeurs qui me demandent conseils, comment ça marche, quels sont les tarifs, combien vaut un champion du monde, quels sont les teams sérieux et professionnels; etc. La relation est complètement différente. Ceci dit, ils n’arrivent pas la fleur au fusil, que ce soit pour Triumph ou Ducati. Ils ont fait leurs devoirs en interne.

Par exemple chez Ducati, ils ont recruté un consultant qui est sur les terrains incognito depuis deux ans, et qui collecte des informations. Il est venu se présenter assez rapidement parce qu’il a compris que ma position dans le paddock était relativement stratégique, ayant connaissance des investissements de chacun des constructeurs et des tarifs pratiqués.

Ceci dit, ils arrivent quand même un peu préparés. Leurs motos sont déjà bien au point. D’ailleurs, Triumph nous le démontre chaque weekend. Et puis, Ducati, qui ont développé dans le secret, sont aussi bien avancés.

On a eu une situation un peu exceptionnelle il y a quelques années avec le Covid-19, le confinement, l’arrêt des championnats. Est-ce que ça a impacté les contrats ?

Absolument. Ça a notamment amené de nouvelles clauses dans les contrats puisque personne n’avait prévu le cas d’une pandémie mondiale. Évidemment, quand la pandémie est arrivée, tous les constructeurs ont tiré sur le frein à main en disant qu’il fallait renégocier tous les contrats: “Il faut que vous acceptiez de revoir les contrats, il faut couper en deux”. Dans certains cas, on a refusé. Dans d’autres, on a accepté de faire des concessions. De là sont arrivées des nouvelles clauses dans les contrats, de type “Force Majeure”.

Globalement, ce qu’essaient de faire les constructeurs, c’est de dire que si jamais il y a une nouvelle pandémie, un confinement dans un pays ou autre, on peut sortir du contrat. C’est également une clause qu’il faut négocier. Ce n’est pas la faute du pilote s’il n’y a pas de courses. Ce n’est pas la faute du pilote s’il n’y a pas de spectateurs derrière les barrières; la prise de risque du pilote est toujours la même. Il faut argumenter, et négocier.

Pour finir, on est à Trentino ce week-end pour le quatrième GP de la saison. Tu es présent en personne. Dans quel but ?

Avec l’arrivée de nouveaux constructeurs dans le paddock, ils n’ont pas forcément toutes les connexions dans le milieu. Mon job est de savoir – avant tout le monde – quels pilotes ces constructeurs vont pouvoir signer. En ce qui me concerne, j’ai des pilotes qui seront libres en fin d’année, mais je dois aussi identifier les autres pilotes – que je ne représente pas – pour comprendre qui est libre. De là, je vois les choix potentiels, et on démarre une stratégie de discussion avec les parties concernées.

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