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Jason Clermont – Road to USA #3


Dylan Ferrandis n’était pas le seul pilote Français présent en finale 450 à San Francisco samedi dernier. En arrachant une belle troisième place en LCQ, Jason Clermont se qualifie pour sa première finale SX US de la saison 2024, sa deuxième de carrière. Malade avant l’épreuve et ce, après avoir traîné une sciatique avant Anaheim 1, Jason s’est bien battu dans la mélasse de San Francisco et décroche déjà le plus gros objectif de la saison en parvenant jusqu’en finale. Alors que le lundi suivant était consacré au démontage complet de la moto, on a taillé la bavette avec notre pilote Français pour le troisième opus de la rubrique Road to USA.

“Quand on est arrivé à San Francisco, le programme avait été raccourci à deux essais. Je roulais en série B, donc j’étais dans le quatrième groupe à rouler; ça allait être le bordel. Je savais qu’il fallait réussir à sortir un tour rapidement, surtout qu’on n’avait que 8 minutes d’essais. J’étais un peu tendu de devoir sortir un tour tout de suite, je ne savais pas si ça allait sauter, mais la piste s’est vite dégradée et on ne sautait pas grand-chose. Aux chronos, j’ai réussi à passer le saut d’arrivée et à faire un ou deux doubles dans les enchaînements. J’ai réussi à sortir un bon temps qui m’a placé 5ème du groupe B et 28ème du général 450 c’était bien; j’étais content. En fait, je ne savais pas du tout où je me situais dans ces conditions. Tu es à l’arrêt, tu patauges, et tu te demandes si les autres font mieux que toi où si tu galères tout seul. J’ai pu avoir une bonne place sur la grille pour la manche qualificative, je suis rentré 14ème. Ça m’a permis d’avoir une place à l’intérieur lors de ma heat.”

Ayant passé le plus clair de son temps à évoluer en terres Bretonnes, Jason Clermont est on ne peut plus coutumier des conditions difficiles. Sous la pluie, dans la boue, notre Français a rapidement compris que la balle était dans son camp et qu’une carte était à jouer à San Francisco.

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“Dans des conditions comme ça, c’est un peu la loterie mais on va dire que je suis un peu avantagé car j’ai beaucoup roulé là-dedans. Certains bons pilotes n’y arrivent pas, d’autres moins bons y arrivent. Faire une différence là-dedans, c’est compliqué. La réalité, c’est que tu n’avais pas trop le temps d’essayer quoi que ce soit. Les essais durent 8 minutes, tu mets déjà une minute 30 à faire ton tour; tu ne fais que 3 ou 4 tours et tu dois obligatoirement en faire un correct pour passer la qualif’. Autant dire qu’il ne faut pas se foutre la gueule par terre. C’est vraiment tendu, il faut être précis, ne pas chercher à aller trop vite, et surtout ne pas tomber. En course, c’est encore différent. À chaque série qui passait, le terrain était de plus en plus défoncé. La première série 250 du groupe B est partie piste neuve, juste après que la piste ait été débâchée; c’était vachement déséquilibré car eux ont pu sauter les enchaînements. Dès les séries A, ça ne passait déjà plus et les mecs ont plus galéré.”

Face à la pluie discontinue et pour maintenir un semblant d’épreuve, les organisateurs du Supercross de San Francisco ont dû se résigner à modifier de nombreuses portions de la piste. Plus de triples mais des doubles, des bosses en moins, des whoops rasés. Si des épreuves ont déjà été reportées par le passé, jamais aucun Supercross n’a été annulé.

“C’est clair que là, ce n’est plus du Supercross. C’est de la survie. Je pense qu’il y a trop d’enjeux financiers sur une épreuve comme ça pour pouvoir annuler. La décaler ? Peut-être. Ce qui est bien, c’est qu’ils adaptent la piste, ils ne sont pas abrutis de ce côté-là. Ils nous ont mis une zone de Karcher à disposition avant de rentrer aux paddocks, ils ont refait la piste, ils ont mis des choses en place. Ils ont bâché au maximum, ils ont gratté. Les triples sont devenus des doubles, ils ont supprimé une ou deux bosses ici et là pour que ça fasse moins à enrouler, ils ont rasé les whoops après les heat. Ils s’adaptent pour que ça se déroule au mieux. Au final, ça roule, ce n’est pas très intéressant à regarder parce qu’on pédale tout du long mais ça fait partie des courses et ça peut relancer un championnat, comme on l’a vu ce samedi.”

Jason (#144) a réalisé de bons départs à San Francisco @mcnews.com.au

Après sa bonne séance qualificative, Jason prend part à la première heat. Placé à l’intérieur, le pilote Kawasaki sortira second dans le premier virage, derrière Jorge Prado, mais devant Jett Lawrence, Chase Sexton et Ken Roczen; Jason sera alors en mesure de jouer la qualification directe pour la finale, jusqu’aux dernières minutes de course.

“Mon 28ème temps des essais m’a permis d’avoir une place à l’intérieur pour la heat. C’était ce que je voulais, on en avait discuté avec Yannig. J’ai pu me placer entre Barcia et Cianciarulo, j’avais une bonne place. Au départ, j’ai bien déclenché, ça a bien tracté et dans la ligne droite, c’était limite mais je n’ai pas lâché jusqu’au bout. Je suis sorti 2eme et j’avais déjà fait un gros boulot. Ça n’a pas duré longtemps car je me suis mis sur la défensive alors que les autres ont attaqué. Je suis passé 5ème, puis 7ème. Je suis tombé une première fois et je suis reparti 9ème. À un tour et demi de la fin, je tombe deux fois et de là, je termine 13e ou 14e. Un peu déçu, car j’aurais pu me qualifier directement pour la finale; c’est con. La moto était chargée de merde, pleine de boue, le bonhomme avec. Le paddock n’était pas à côté donc de là, tu fais un aller-retour aux paddocks pour changer gants, lunettes, et tu reviens en speed pour faire la LCQ.”

“En LCQ, j’ai encore fait un bon départ depuis l’intérieur. Justin Cooper est super bien sorti et il est passé devant moi, j’ai failli taper sa roue arrière au bout de la ligne droite. J’étais 4 ou 5, puis 7 ou 8 dès le début puis j’ai fait mon petit bonhomme de chemin sans m’énerver, en roulant tranquillement et en suivant les ornières. Je suis remonté petit à petit mais j’étais souvent avec Barcia; on restait tanqué dans les mêmes ornières et il m’en foutait plein la gueule. Il était à fond partout, au rupteur, sur l’embrayage. Je ne sais même pas comment sa moto tient jusqu’au bout; un truc de fou. C’était chaud, il y avait beaucoup de monde mais dans ces conditions, les cartes sont redistribuées. Barcia, Cooper, Chisholm, Noren… Il ne faut pas regarder les noms dans la boue, tu roules et tu vois comment ça se passe. J’ai trouvé un bon petit rythme, et j’ai passé la ligne troisième. La première qualif’ de la saison fait du bien, vraiment du bien.”

Si Jason décroche son ticket pour la finale, le garçon ne savoure pas pour autant sur l’instant présent. Pas une minute de répit, et pas le temps de souffler pour le pilote privé qui se prépare – à l’arraché et au mieux – pour disputer la finale 450 une vingtaine de minutes plus tard. Jason pouvait néanmoins compter sur l’aide de Yannig Kervella et de sa compagne Mailys pour le soulager au mieux avant de se placer derrière la grille de départ pour affronter les meilleurs pilotes 450 du championnat, dans des conditions apocalyptiques.

“Finalement, tu ne savoures pas vraiment parce que tu n’as pas le temps. Je suis aux US avec deux bouts de ficelle. Je n’avais plus de masque de prêt, plus de gants, j’étais repeint de boue, il fallait laver la moto et on n’avait que 20 minutes avant la finale. Yannig a fait du super boulot, il m’a donné un gros coup de main en lavant la moto. Moi, j’ai été rapidement en coulisses pour nettoyer mon casque avec des chiffons pour dégrossir. J’ai été dans les toilettes nettoyer ma paire de lunettes de la LCQ avec du papier et de l’eau et j’ai envoyé Mailys courir au camion pour aller chercher quelques tear-off. La grosse galère que c’était … Je m’en fichais car j’étais en finale, ce n’était que du bonheur mais sur l’instant T, tu réalises que tu es vraiment à l’arrache. J’étais trempé, je caillais, j’étais le seul à être plein de merde et tout mouillé. Les autres étaient tous changés, secs… Il faut faire avec les moyens du bord !”

La finale de Jason se compliquera rapidement. Complètement bloqué dans une ornière après quelques tours, notre pilote Français perd près d’une minute à s’extirper. Les derniers enjeux envolés, Jason se contentera de rallier l’arrivée en prenant soin de ne pas gêner les meilleurs pilotes du championnat. 21ème, Jason marque un point et son nom figure désormais sur le classement du championnat de Supercross US 2024; en attendant la prochaine finale !

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“Pour le départ en finale, j’étais tout à l’extérieur. J’ai essayé de jouer le départ et j’ai voulu virer large, tranquillement. Christian Craig était à ma gauche, il est bien sorti et il m’a complètement repeint; je ne voyais plus rien. J’ai été obligé de m’arrêter dans la ligne droite de départ pour enlever un tear-off avant de repartir mais cinq mecs s’étaient étalés au bout, donc j’en ai doublé quelques uns, du coup [rires]. Je n’ai pas mal roulé au début, j’étais 15e ou 16e, je roulais comme les autres. À un moment, j’ai pris un tour par le premier après le saut d’arrivée. Je me suis embarqué dans une ornière pour ne pas gêner, mais je suis resté bloqué dedans. J’ai mis au moins une minute à sortir la moto de ce merdier … J’étais à l’arrêt complet et j’ai fait un tour en 2:40… J’ai galéré comme jamais. C’est con parce que sans ça, j’aurais pu être dans les 15/16. À partir de là, ma course était fichue et j’ai juste fini ma finale sans gêner personne. La moto a pris cher, mais je rentre dans le classement et je marque un point ! Merci Malcolm Stewart [rires].”

Retour à l’entraînement avec le coach – Yannig Kervella – cette semaine pour préparer San Diego

Un poil sur la réserve avant d’arriver aux USA, Jason nous avait fait savoir qu’il espérait pouvoir jouer les qualifications pour les programmes de soirée lors de son périple Américain. Le voilà déjà accédant à sa première finale et si les conditions étaient particulières à San Francisco, notre champion de France Nat.450 nous a déjà démontré qu’il avait le bagage pour jouer cette dernière sur le sec. La marge de progression est encore importante, et la préparation effectuée en amont porte ses fruits.

“Pour l’instant, je suis super content de ce que je fais. Je me donne à 200% même s’il me manque encore un peu de vitesse sur le sec. Ça se passe comme je l’aurais souhaité dans ma tête. L’objectif était de se qualifier à tous les programmes du soir et j’ai déjà une finale dans la poche; il va falloir continuer sur cette lancée mais sur le sec, ça reste toujours délicat. Il ne faut pas s’endormir sinon tu ne passes même pas au programme du soir. Tu as des mecs qui faisaient des finales l’an dernier qui ne se qualifient plus pour le programme du soir. C’est tendu cette année. Pour moi, tout se déroule bien, et je survis financièrement vu que je me qualifie [rires]”

De petits moyens techniques, et de petits moyens financiers. Presque à sec avant le début de la saison US, Jason Clermont finance désormais son aventure Américaine grâce aux primes que le promoteur reverse aux (40) pilotes qualifiés pour le programme de chaque soirée. Malheureusement, Jason n’est pas éligible au programme de contingency de Kawasaki. Dommage, il aurait pu prétendre à toucher quelques centaines de dollars supplémentaires de la part de Kawasaki à Anaheim comme à San Francisco.

“Tu vois, à Anaheim 1 j’ai pris 1.400$ de primes. Je devrais prendre dans les 2.000$ à San Francisco, sachant que le montant des primes affiché est brut; ils nous enlèvent de l’ordre de 30%. Heureusement que je me qualifie pour les programmes de soirée car avant Anaheim 1, il ne me restait que 500€ sur le compte en banque. Mailys avait à peu près 500$ en liquide … Mes 19.000€ étaient déjà dépensés. Mon père m’avait renvoyé 1.000€ avant Anaheim 1 pour pouvoir m’en sortir un peu … Si je ne m’étais pas qualifié, ça aurait été compliqué. En fait, me qualifier et prendre les primes, ça me permet d’aller m’entraîner la semaine, de changer les pièces sur la moto quand elle est pourrie – comme après San Francisco – et de vivre. Heureusement que je passe aux programmes de soirées car sinon, ça aurait été très compliqué et je pense que l’aventure aurait été écourtée. Je ne vais pas mettre d’argent de côté ici, c’est une certitude. Le but, c’est de finir mon aventure dans des conditions correctes, faire les choses de la bonne façon, et je renflouerai les comptes après, en France.”

“Tu sais ce que c’est le plus drôle dans l’histoire ?” admettra Jason pour le mot de la fin. “C‘est qu’en France, je suis maçon/étancheur et ici depuis un mois et demi, je suis pilote de Supercross professionnel. Je fais de la moto 3 fois par semaine, du sport 4 à 5 fois par semaine, je vis et je mange pour la moto. En France, je travaille toute la semaine, je fais un coup de moto le dimanche et quand je fais des courses car je ne peux pas faire autrement. Forcément, depuis un mois et demi, j’ai progressé. J’ai aussi une grosse envie car j’ai mis toutes mes économies là-dedans. Je pense que c’est aussi un facteur qui joue dans les résultats. Mes précédents séjours aux USA, c’était des vacances. Là, c’est un programme complet de 2 mois et demi avec une préparation sur place, je ne fais que ça et ce n’est pas des vacances. Je ne vais pas bronzer à la plage, je fais de la moto et du sport; j’essaye de faire toutes les choses correctement en suivant le programme de Yannig, pour voir ce que ça peut donner à la fin.”

Rendez-vous mardi prochain, pour le debrief’ de San Diego avec notre Jason national.

Remerciements: Kawasaki Latitude Moto, Pirelli, Fly Racing, Scar, Freddy & tantine, V and B Blain, C’ Gonflé Loisirs, Une Histoire de Chaussures, Team Berryli4ni, Moto Club Briochin St Brieuc, Exess Moto, Le QG Blain, Cadorelec, Pro Tech Étanchéité, Sani-Chauffe Le Gavre, Abel Pasquet, Gaël Clermont, Cat racing, Pirelli USA, Flavien et Lucile Masselin.

Jason Clermont – Road to USA #3
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