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Jett Lawrence “Aux USA, on ne m’aime pas parce que je gagne, et que je bats les pilotes Américains”


Deux jours durant, les principaux protagonistes des championnats AMA ont défilé au sein de l’Angel Stadium d’Anaheim – qui accueillera l’ouverture du championnat SX US 2025 le 11 Janvier – à l’occasion de journées média. L’occasion pour Jett Lawrence de faire le point sur son intersaison, sur son adaptation à la 450 CR-F 2025, de revenir sur son intégration aux USA mais aussi sur ses relations avec les fans Américains. Champion SX & SMX en titre, l’officiel Honda HRC compte bien empiler quelques titres supplémentaires la saison prochaine. À n’en pas douter …

Jett, c’était comment de pouvoir rouler en Australie devant ton public, à Melbourne ?

C’était génial. Comme d’habitude, les Australiens nous soutiennent. Les gens nous le disent. L’entendre et vraiment l’expérimenter, ce sont deux choses différentes. Là, on y est allé, on a eu le soutien, et on a vraiment pu ressentir que c’était réel. Ça m’a aussi ramené au pourquoi j’aime ce sport parce que ces derniers temps – et notamment en 2024 – j’ai eu des bons et des moins bons moments avec les fans aux US. Il y a eu plus de bas, que de hauts de ce côté-là.

C’était cool de pouvoir aller dans un stade où tout le monde m’appréciait. J’ai vraiment ressenti l’amour pour le sport. En fin de saison 2024, je venais juste pour rouler sur les épreuves. J’aime toujours aller sur les courses, mais j’y allais pour rouler, prendre mon chèque, et je partais. Je n’étais pas trop fan de cette situation, car les spectateurs font que le sport est ce qu’il est aujourd’hui, mais c’était la façon dont j’avais décidé de réagir quand je voyais comment on pouvait parfois me traiter. C’est typiquement Australien, mais je me disais qu’ils pouvaient aller se faire voir s’ils n’étaient pas contents … Désormais, je sais et j’ai vu que toute l’Australie était derrière moi, et ça va être différent.

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Qu’est-ce que les fans t’ont fait ressentir aux USA, et qu’est-ce qui t’a affecté ?

Des critiques, principalement. Je suis quelqu’un qui est de base assez dur avec moi-même. C’est facile de dire “hey, ne prête pas attention à ça” quand c’est un petit groupe. Avant, tu pouvais voir que sur une centaine de personnes, une dizaine ou une quinzaine ne m’appréciaient pas vraiment. Là, c’est plus 80 sur 100 et j’ai le sentiment qu’ils sont plus nombreux que ceux qui m’aiment vraiment.

Je comprends aussi parce que si j’étais en Australie, je ne voudrais pas qu’un Américain gagne chez moi. Ici, je suis un étranger, un Australien, et je gagne beaucoup de titres chez eux donc je comprends un peu plus ces personnes. Au début, je ne comprenais pas trop, je suis un gars plutôt sympa même si je n’ai pas toujours été très adroit avec certains termes que j’ai pu employer. J’ai pu passer pour un mec un peu direct, mais c’est le petit côté Australien qui ressortait et certaines personnes pouvaient mal le prendre; ceux qui me connaissent savent ce que je voulais dire mais les autres peuvent mal prendre les choses. J’ai discuté un peu avec Ricky Carmichael, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’on va probablement me détester encore plus si je continue à gagner, donc il va falloir que je m’y habitue.

Comment faire pour trouver le bon équilibre avec les fans ? Il y a d’un côté ta personnalité, ton charisme qui fait que beaucoup de personnes sont devenues fans, et d’un autre côté tu te dois de rester le plus loin possible des personnes qui ne te soutiennent pas, et qui tentent de te tirer vers le bas.

Ce n’est pas simple, mais c’est une question d’équilibre. C’était bon de pouvoir discuter de tout ça avec Ricky. En fait, c’était pareil pour eux à l’époque, mais j’ai le sentiment d’être le premier pilote à devoir gérer cet aspect-là avec les réseaux sociaux. Même quand Ryan Villopoto était au top, les réseaux sociaux n’étaient pas aussi importants qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, pour beaucoup de personnes, les réseaux sociaux sont toute leur vie. Moi, je suis plutôt à l’ancienne, je ne suis pas des masses sur les réseaux, je ne poste pas souvent, je ne suis pas vraiment doué pour ça. Devoir gérer avec cette négativité, je pense qu’au bout du compte, ça fera de moi une meilleure personne. J’imagine qu’il y a des leçons à tirer de ce côté-là aussi. Je vais faire avec.

Ma conclusion, c’est qu’aux USA, on ne m’aime pas parce que je gagne, et que je bats les pilotes Américains. Pour que ces personnes soient satisfaites, il faudrait que j’arrête de gagner mais malheureusement, ça ne va pas arriver; ce n’est pas dans mon ADN. S’ils veulent me détester, alors qu’ils me détestent. Ils finiront bien par se lasser un jour. Si je continue de gagner, ils se diront qu’ils n’arriveront pas à me perturber. C’est pareil avec certains pilotes qui essaient de me déstabiliser, de me frustrer. Mais au bout du compte, ils voient bien qui porte la plaque numéro un. Moi, je ne dis rien, je reste dans mon coin, je reste discret. Mon père m’a toujours dit que les actions parlent plus que les mots, et c’est exactement ce qu’il se passe dernièrement. Je pense que c’est aussi pour ça que certaines personnes continuent à tenter de me déstabiliser, pour trouver un point faible. Moi, je reste fidèle à moi-même, à ma famille, à mes amis, car c’est tout ce que j’ai à faire. Je ne dédie pas ma vie aux fans du sport qui veulent me voir échouer. Je respecte énormément ceux qui veulent me voir performer, et je leur réserveraitdu temps avec plaisir. Quant à ceux qui parlent mal de moi, je n’ai pas de temps à perdre avec eux.

C’était comment de rouler sur une moto d’origine en Australie le week-end dernier ? La moto factory, c’est le rêve pour vous.

C’est sûr que la moto factory est incroyable, tu ne peux pas espérer mieux. La plus grosse difficulté, c’était de s’habituer à la transmission. On a des rapports bien plus longs sur nos motos d’usine et c’est pourquoi mes départs étaient mauvais à Melbourne, j’étais rapidement au rupteur en seconde.

On est aussi sur un nouveau châssis, donc on teste encore des choses avec les suspensions. On arrive avec de nouvelles pièces à tester, on essaie l’une puis l’autre pour voir laquelle marche mieux, et on met également l’accent sur les pièces qui marchent moins bien pour trouver comment les améliorer. Donc, à l’intersaison, on passe beaucoup de temps à trouver ce qui marche bien sur la moto, donc on passe par des hauts et des bas. On trouve de bons réglages, mais finalement, ça impacte la moto d’une autre façon. On trouve des solutions. On a fait beaucoup de testing en outdoor sur la moto d’origine, et de ce côté-là ça se passe vraiment bien. Evidemment, on n’a pas fait autant de testing en Supercross, et c’est ce qu’on fait à l’heure actuelle. On essaie des pièces, des réglages, on en met de côté, on voit ce qui marche le mieux avec ce châssis en Supercross.

Tu apprécies ces périodes de testings ?

Tout dépend comment ça se passe. Si on va dans la bonne direction, oui, mais si on se retrouve au point mort, ça peut vite devenir frustrant. Quand on va de l’avant, qu’on voit des améliorations, qu’on trouve ce qui marche, les pièces qui vont bien, c’est tout de suite plus intéressant et plus fun.

Est-ce que la transition sur la 450 CR-F 2025 a été plus difficile qu’anticipée ?

Oui. Je pense que c’est parce que la transition en Motocross a été vraiment bonne, je pense qu’on a naturellement pensé que ce serait pareil en Supercross. Les caractéristiques de la moto font que ça convient bien en Motocross, donc on se doit d’essayer des choses différentes en Supercross et c’est parfois assez frustrant. Les courses comme Paris et Melbourne sont bonnes à prendre, on peut avoir des réponses, trouver ce qui marche sur la moto car on se retrouve en conditions de course et on sait qu’il n’y a rien de mieux. Ça nous permet de nous rapprocher petit à petit de l’objectif final.

Vous êtes à fond depuis que vous avez quitté l’Australie, en passant par l’Europe, pour venir aux USA. Ici, tu n’as pas vraiment de famille ou d’amis. Pouvoir rentrer en Australie, faire ce que tu faisais quand tu vivais là-bas, revoir des visages familiers, ça t’a fait quoi ?

C’était super, c’était rafraîchissant; comme un nouveau départ pour moi. J’ai pu manger ce que je mangeais à l’époque en Australie, j’ai pu faire du surf, du golf, même si je ne faisais pas de golf à l’époque. J’ai pu voir à quel point la vie était différente en Australie. Les Australiens sont très fiers de ce qu’ils font et la mentalité est différente. Tu peux rentrer dans un mec en marchant dans la rue, t’excuser, et c’est limite si tu ne finis pas par discuter avec la personne en question. Aux USA, si tu fais pareil, c’est à la limite de finir en bagarre ou tu te fais gueuler dessus, même si je doute que beaucoup d’Américains soient bagarreurs; ils parlent souvent beaucoup et fort. De ce côté-là, c’est différent.

Tu vas prendre un café aux USA, et la personne qui te sert tire la tronche, n’a aucune fierté dans ce qu’elle fait alors qu’en Australie, les gens sont contents de travailler; c’est vraiment différent. C’était bon de retourner en Australie, un vrai rafraîchissement.

Tu peux rapidement te retrouver à te dire “je dois faire ça, aller là-bas, faire ci, je dois m’entraîner”; c’est facile de voir le côté négatif des choses. En allant en Australie, j’ai encore réalisé que je vivais de ma passion, et ça permet aussi d’avoir une vision différentes des choses, de voir ton boulot différemment.

Avec ta blessure au pouce, c’était bien l’une des premières fois que tu as dû t’éloigner des pistes pour te refaire une santé. Penses-tu que cette période t’ait aidé à grandir en tant que pilote ?

Oui, je pense, parce que je me suis retrouvé dans une situation plutôt inhabituelle. Me retrouver dans ce genre de situation, c’est une bonne chose parce que ça me permet d’apprendre et d’être encore plus fort; ça me met aussi la pression et bien que beaucoup de mecs ne supporteraient pas cette pression, moi, ça me permet d’être un meilleur pilote et une meilleure personne. Dans cette situation, j’ai vraiment envie de revenir et de gagner, donc je m’entraîne autant que possible. J’avais un plâtre, mais je faisais mes footings, je tenais les barres du bout des doigts à la salle de sport. Je voulais vraiment faire le maximum pour revenir, et revenir en étant meilleur, en sachant que je pouvais être en mesure de battre tout le monde. On est des compétiteurs. Quand je vois un gars que je veux battre gagner, ça me pique au vif, ça me motive comme jamais. C’est encore pire que de perdre. Perdre, ça me fait quelque chose mais c’est encore différent quand je vois un autre pilote gagner parce que je ne suis pas en piste.

Dans quel état d’esprit arriveras tu à Anaheim d’ici un mois ? L’an dernier, tu arrivais en tant que rookie. Cette fois-ci, tu arriveras en tant que champion en titre.

Surprenamment, je suis dans le même état d’esprit. L’an dernier, je voulais écraser tout le monde, détruire la concurrence. C’est toujours le cas. La mentalité reste la même pour moi, c’était déjà le cas quand je suis arrivé ici alors que je n’avais encore rien fait en termes de résultats. La mentalité aujourd’hui reste la même qu’à l’époque, rien n’a vraiment changé.

Jett Lawrence “Aux USA, on ne m’aime pas parce que je gagne, et que je bats les pilotes Américains”
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