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Jimmy Clochet “une revanche sur la vie, et sur les gens qui n’ont pas voulu m’opérer”


Gravement blessé en Supercross l’an dernier, aucun chirurgien ne voulait se risquer à opérer Jimmy Clochet. C’est finalement auprès d’un spécialiste Grenoblois que le pilote Français a trouvé son salut. Huit mois de souffrance plus tard, Jimmy aperçoit enfin la lumière au bout du tunnel. Les jours les plus sombres sont désormais derrière lui, et le garçon se tourne vers l’avenir. Il vient d’annoncer sa signature avec Triumph pour évoluer sur le championnat de France SX Tour en 2024; il redescendra en catégorie 250 pour l’occasion. On a pris des nouvelles, pour un entretien sans langue de bois. Micro.

Jimmy. On va commencer par le commencement. Donne-nous de tes nouvelles. Forcément, on va attaquer par le le plus dur, la grosse blessure contractée et la convalescence qui a suivi. Ça n’avait pas l’air d’être facile de revenir de celle-ci, mine de rien.

Non, c’est clair. Là, j’ai vécu une grosse étape de ma vie. Actuellement, ça va, j’ai une vie normale. C’est le plus important et c’est ce qui me fait du bien moralement. Ce n’était pas simple, mes proches ont mis 48 heures pour me trouver un chirurgien qui voulait bien m’opérer, parce que mes fractures aux pieds étaient beaucoup trop graves.

Je me suis cassé le talon gauche en quatre morceaux avec déplacement, et je me suis arraché la malléole externe en trois morceaux. Ce n’était même pas le plus grave. Le chirurgien a réussi à opérer la malléole. Le talon, il l’a laissé tel quel donc aujourd’hui, j’ai un pied un peu déformé. J’ai dû faire des semelles orthopédiques, et j’ai des douleurs tous les jours. Elles sont un peu constantes donc ce n’est  pas évident mais bon, c’est comme ça, je n’ai pas le choix.

Au niveau du pied droit en fait, j’ai cassé deux os, le naviculaire et le cuboïde. Ils n’ont pas cassé, ils ont explosé; tout est parti dans le pied, ils ont retrouvé des morceaux d’os dans mes orteils. En fait, ces deux tout petits os ont une importance capitale dans le pied, ils constituent l’articulation du pied sur les mouvements externes, en rotation, etc.

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Quand mon père et mon médecin – qui me suit depuis que je suis petit – ont essayé de joindre des chirurgiens et qu’ils ont envoyé les radios, tout le monde a répondu que mon pied droit était foutu, que j’allais être handicapé à vie. Ils disaient “on ne peut pas réparer ce genre de fractures”. Donc ça a été compliqué, j’ai eu du mal, peur, parce que dans un premier temps et hormis la moto, je suis jeune et c’est ma vie future qui compte. Je voulais m’assurer de pouvoir vivre une vie normale et pour eux, j’allais être handicapé, devoir marcher avec des béquilles ou une canne à vie parce que mon pied n’allait plus fonctionner.

Donc ça, ça a été très dur sur le moment, et jusqu’à ce qu’on trouve un chirurgien sur Grenoble (Dr Duval) à une heure de chez moi. Il a fait un travail de maître. Il a accepté de m’ouvrir et de m’opérer. En trois heures d’opération, il a sauvé mon pied, et ma vie en fait. Derrière, ça a été très douloureux parce que j’ai eu un protocole de guérison très précis à respecter. J’ai fait un mois et demi de plâtre, trois mois en fauteuil roulant avec interdiction de poser les pieds au sol parce que je devais aussi faire attention à mes articulations, parce que ça a tapé tellement fort que mon articulation s’est réduite entre ma cheville et mon tibia.

Pour éviter d’avoir des problèmes en termes d’arthrose, ou plus tard, je devais suivre un protocole précis. J’ai fait quasiment trois mois alité et ensuite, j’étais dans un fauteuil. Mentalement, ça a été très dur. La vie quotidienne a été très dure. Et puis je te passe les douleurs quotidiennes qui ont duré quasiment deux mois. Après, quand j’ai commencé, à me lever du fauteuil, à pouvoir faire quelques pas en béquilles, à conduire, ça allait un peu mieux. En fait, chaque mois, il y a eu une petite avancée, donc c’était super cool.

Je me suis fait opérer de nouveau il y a un mois pour enlever le matériel dans les deux pieds, parce qu’en fait j’en avais trop et ça me bloquait complètement, ça me faisait mal donc on les a enlevés et depuis, c’est un soulagement de dingue. Là, j’ai les pieds solides, mes os sont solides, ils sont réparés. Bon, je ne marche pas toute la journée, j’ai besoin de faire des pauses. J’ai mal quand je me lève le matin, j’ai mal le soir mais ils fonctionnent correctement et je suis en train de récupérer. Je commence à faire du sport, je suis sur mes jambes, je fais du vélo. Le footing, ce n’est pas pour demain [rires].

@MxJuly

Donc, on est sur la pente ascendante, mais tu n’as pas encore récupéré totalement ?

Ah non, non. Par contre je suis confiant pour la reprise et pour la suite. Les pieds, c’est un peu complexe avec des petits os et vu qu’on a tout notre poids du corps sur les pieds, ça prend plus de temps pour guérir. Là, je pourrai faire de la moto parce que j’ai guéri super bien et je guéris vite, mais j’attends encore un petit peu pour ne pas faire de conneries.

Là, je fais beaucoup de vélo, je fais pas mal de sport. J’ai besoin de récupérer physiquement parce que c’est la première fois en 20 ans que je fais une pause moto aussi longue après une blessure. Donc là, ma priorité, c’est d’avoir une vie saine. Aujourd’hui je l’ai, malgré des fortes douleurs quotidiennes. On ne s’en rend pas compte quand on va bien, mais on a vraiment beaucoup de poids sur nos pieds. Ça engendre un effort quotidien, surtout pour se lever d’une chaise, pour marcher; marcher correctement. Le quotidien n’est pas évident mais bon, je reste positif. La vie est bien faite.

Dans chaque blessure, on sait qu’il y a un aspect physique et un aspect psychologique. J’ai eu l’occasion de te croiser pas mal de fois ces derniers temps. Quand je t’ai vu à Lyon, je m’étais dit “putain”. Ce n’était pas le même Jimmy que j’avais en face de moi. Est ce que finalement le côté psychologique, au-delà de la blessure et des douleurs physiques que tu ressentais, ce n’était pas aussi quelque chose de difficile à surmonter ?

Oui, très clairement. Venir à Lyon, c’était mon objectif parce que c’est à côté de chez moi et que je voulais venir voir mon beau-frère [Pierre Lozzi] rouler. Je voulais sortir de la maison, marcher un peu avec mes béquilles. J’étais en souffrance, en souffrance pure et dure déjà parce que je voyais les copains rouler et ça, c’est très compliqué. Je savais que j’avais une blessure grave, j’étais encore un peu dans l’inconnu concernant l’état de ma guérison. Je ne te cache pas que les trois ou quatre premiers mois … Je ne vais pas dire que j’ai fait une dépression, mais j’ai dû me lever l’âme pour pour ne pas tomber dedans. J’ai eu peur que ma carrière de sportif prenne un tournant. C’est toujours dur en étant sportif de devoir s’arrêter de cette façon-là.

Je n’affichais pas un sourire net et franc, il y avait beaucoup de douleurs. Ce n’est pas un sujet tabou, je ne m’en cache pas. Je pense que c’est l’une des chutes et des blessures les plus difficiles à surmonter de toute ma vie. Je me suis pas mal blessé avec le recul. J’ai énormément souffert physiquement. En fait, ça a été plus dur physiquement que mentalement, dans le sens où j’étais dans une douleur permanente. Quand je suis tombé, j’ai vraiment senti des choses dans mon corps, au niveau des fractures et dans mes pieds… Je n’avais jamais ressenti ça de ma vie. Ça a été très douloureux, je me suis fait opérer 3 jours plus tard, j’ai eu ma première dose de morphine deux heures après ma chute et ils ont dû m’enlever les bottes à vif. Aujourd’hui je suis marqué au fer rouge, et je pense pour un bon moment.

J’imagine qu’être bien entouré à ce moment-là, finalement, c’est primordial.

Oui. Moi, j’ai été super bien entouré. Je vis avec ma copine, plus chez mes parents mais là, je suis retourné chez eux pendant les trois premiers mois, quand j’étais alité ou en fauteuil pour des questions de pratique, pour pouvoir sortir parce que je suis tombé au mois d’août donc il faisait encore chaud. Chez moi, il y a des escaliers donc je ne pouvais pas me déplacer. J’avais ma famille, ma cousine et mon cousin qui venaient me voir tous les jours parce qu’ils habitent à 50 mètres.

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Ma copine a été très présente avec mes parents au quotidien; c’était très important d’être bien entouré parce que tu peux vite sombrer. J’ai pris ça comme une étape compliquée de ma vie en tant que sportif, et puis voilà. Mais aujourd’hui, je n’ai plus la même mentalité et j’ai hâte de monter sur ma petite Triumph dans quelques semaines !

@MxJuly

Tu viens d’annoncer tes plans pour 2024. Tu seras sur le SX Tour en 250 avec le soutien de Triumph en France. C’est quoi, tu as signé avec Triumph via un concessionnaire en France ? Ça s’est fait comment ?

Exactement. Quand on signe avec une marque, on est obligé de passer par une concession. On ne peut pas avoir les motos en direct. En fait avant ma blessure, j’avais dit à mon père que je voulais redescendre en 250 en 2024. Pourquoi ? Parce que j’ai déjà fait des entraînements avec la 250 d’un de mes meilleurs amis, et j’avais vraiment une bonne vitesse. C’était un challenge pour moi de me dire voilà, je redescends en 250 avec l’expérience du 450; ça peut vraiment être cool. Avec la blessure, je me suis dit que ce n’était pas plus mal de redescendre sur une 250 parce que c’est quand même plus léger, c’est moins puissant parce que le 450, c’est quand même quelque chose de costaud. La saison de Motocross, ce sera sans moi et la seule saison que je vais pouvoir préparer c’est le Supercross.

Ce qu’il s’est passé, c’est que j’ai appelé un concessionnaire qui est à Ambérieu-en-Bugey. Le responsable s’appelle Eric L’herbette et c’est un très bon ami à moi, un ami de longue date. J’ai roulé avec son fils à l’époque, et il a eu un grave accident de moto. Malheureusement, il est en fauteuil aujourd’hui. On est resté très proches et je l’ai appelé parce qu’il est quasiment revendeur numéro un de Triumph en France. Je lui ai dit “Ecoute, la Triumph a l’air top, elle va sortir dans pas longtemps. Là, elle me donne envie. Il n’y aurait pas moyen de les appeler et de discuter avec eux ?” J’y suis allé un peu au culot comme ça, parce qu’on se connaît bien et qu’on est de bons amis.

Il m’a dit “je vais essayer d’appeler les responsables France”. Alors de base, ce n’était pas du tout prévu de fournir une aide sur le plan français parce que Triumph s’est vraiment exclusivement implanté aux US et en mondial. Les motos n’arriveront en concession que mi-avril et encore, seulement en nombre limité. Il ne va pas y en avoir beaucoup et donc ils n’avaient pas du tout émis l’hypothèse d’aider quelqu’un en France, ou même dans un autre pays pour l’instant. Pour eux, c’était vraiment exclusif US et mondial et après dans l’année 2025, là ils allaient faire quelque chose. Mi-saison, ils ne voulaient rien faire. Donc pour nous, le premier contact a été négatif, et après quand on leur a expliqué ma situation, quand on leur a dit que j’allais reprendre en avril et que j’allais préparer le Supercross, ils étaient plus partants.

Le Supercross ça les intéressait bien, les motos arrivent en avril et je vais reprendre en avril donc ça tombait très bien. Ça ne leur posait pas de problème et du coup, ça s’est goupillé comme ça. Je suis allé les rencontrer au salon de Lyon la semaine dernière. J’ai rencontré le patron anglais et le patron français, ça s’est super bien passé et ils m’ont débloqué du budget, ils étaient contents de voir que j’avais une belle image aussi sur les réseaux sociaux. Contents de voir que je pouvais, même malgré ma blessure, être un bon pilote qui pouvait performer. Voila, et je veux vraiment remercier Eric L’herbette de me faire confiance, et pour l’aide qu’il m’apporte.

Finalement, on ne l’a pas beaucoup vue cette moto. Un peu sur les courses d’intersaison, là sur le premier GP. Tu n’as jamais roulé dessus. Je ne sais pas si elle sera très différente d’origine en comparaison avec celles du team officiel ?

Ce que je sais, c’est qu’ils ont quand même des moteurs différents en mondial. Je crois qu’ils ont un peu moins de matos aux US qu’en mondial mais ça n’empêche pas Jalek Swoll de faire des holeshots. Ce week-end, il a manqué son premier podium de peu, mais il se bat devant. De ce que j’ai entendu, des personnes que je connais qui ont pu la tester, la moto souffle. Ils ont des pièces adaptables, plus puissantes, que tu peux mettre sur la moto et que tu peux régler avec une map au guidon sans passer par un préparateur. La moto est aboutie.

Oui, elle est chère mais très aboutie. Je ne l’ai jamais essayée, donc c’est sûr que c’est un peu compliqué de signer avec une marque comme ça mais en fait, ce qui m’a décidé, c’était que je voulais redescendre en 250 et après avoir bien écouté les avis de tout le monde, je me suis laissé tenter. Pour moi chez Triumph, ce sont des gens professionnels qui ont beaucoup d’expérience. Ça fait 3 ans qu’ils ont commencé à avoir du recul avec Carmichael aux US, donc je me suis dit que normalement, tout devrait bien se passer. Par le passé, j’ai fait l’expérience de rouler pour une marque qui n’était pas très connue dans le monde de la moto. Là, c’est différent, bien différent.

Le SX tour démarre dans un peu plus de 3 mois. Tu sors d’une grosse blessure, tu reprends le physique, tu redescends d’une catégorie, tu vas découvrir une nouvelle moto, ça va être un peu short non ?

Ouais, mais ça ira. J’aime bien le challenge. J’ai souffert ces derniers temps, mais il n’y a pas grand-chose qui me fait peur dans la vie. Je pars du principe que ça fait 20 ans que je fais de la moto, donc ça ne se perd pas. La seule chose que j’ai perdue, c’est du physique. Quand je vais reprendre la moto, si mes pieds vont bien, je peux te dire que je vais enchaîner les tours à l’entraînement, donc je sais que je suis capable de me remettre d’aplomb très rapidement. Après entre être d’aplomb et être performant, il y a un monde.

Moi comme Triumph, on est au courant que ce sera une année de reprise, je vais reprendre après de longs mois suite à ma grosse blessure. Je sais ce que je suis capable de donner, je sais que je suis très sérieux dans ma vie parce que je vis clairement pour mon sport. Ne pas connaître la moto ne me pose pas de problème parce que même sans l’avoir essayée, j’ai confiance parce que j’ai toujours aimé ce genre de moto puissante. En plus, elle a un châssis complètement différent des autres donc pour moi, elle va être efficace. Je sais que ça va me faire du bien de monter sur la moto, de revenir à la charge. Je vais essayer de faire du mieux que je peux, ça c’est sûr et certain. Je vais déjà être très content de remonter sur la moto sur une nouvelle marque et voilà. Reprendre, c’est le premier objectif.

Tu avais été un des précurseurs avec Beta en mondial, ça s’était passé comme ça s’était passé… Là du coup, tu seras aussi l’un des précurseurs de Triumph en France. Tu me l’as un peu dit à demi-mot, mais on va en parler. J’ai l’impression que toi, les challenges c’est vraiment un truc qui te botte. Contrairement à d’autres pilotes qui eux sont plutôt une marque, un team, une routine avec les mêmes championnats, années après années.

J’ai une certaine philosophie du sport, je ne sais pas si c’est la bonne, mais c’est la mienne. Là, j’ai remonté mon team avec mon père, je veux rester au niveau français, j’aimerais devenir l’un des meilleurs français, un peu à l’image d’Aranda ou de Soubeyras. C’est vraiment mon objectif. Je n’ai que 25 ans, donc j’ai encore du temps devant, moi même si je viens de bousiller pas mal de mois. Je pars du principe qu’on fait quand même un beau sport, il y a des choses qui sont nouvelles et je n’ai pas envie d’avoir de regrets plus tard. C’est pareil, je ferai le Touquet un jour. C’est une épreuve mythique. Je suis sportif et je sais faire de la moto, je ne peux pas passer à côté de cette épreuve-là. Ce défi, ça me fait découvrir une nouvelle moto, de nouvelles choses.

J’imagine qu’on se fixe toujours des objectifs en tant que compétiteur. Même si là ce sera une nouvelle approche, nouvelle catégorie, nouvelle moto, en sortie de blessure… En fin de saison SX Tour, qu’est-ce qui te ferait dire que tu es satisfait de ta saison ?

Bonne question. J’avoue que je ne me la suis pas encore posée parce que pour le moment, je ne suis pas encore monté sur la moto mais, en vrai de vrai, bien sûr que je suis un compétiteur et que je roule pour des résultats. Quand je mets mon casque, je sais que je suis capable de faire beaucoup de chose mais là, très sincèrement, depuis 2021 et l’époque Beta, je me dis que j’ai souvent la gueule par terre. Pourtant, je ne suis pas un pilote dangereux, c’est ce que j’estime en tout cas.

Mon objectif, ce sera de faire rouler la moto. Si j’arrive au mois de décembre avec zéro pépin, tout en ayant pu engranger de l’expérience pour vraiment me remettre d’aplomb en 2025, ça sera vraiment une grande victoire pour moi. Ce serait une revanche sur la vie, et sur les gens qui n’ont pas voulu m’opérer. Ce serait une revanche sur ce qu’on m’avait annoncé un an plus tôt. Je pense que ce serait vraiment émouvant, ce serait une grande victoire pour moi de finir la saison comme ça.

Après, en termes de résultats, je m’en fixerai personnellement quand je saurai si je suis toujours capable de bien tourner la poignée. Je me suis quand même blessé en Supercross, donc il va falloir que je reprenne de la confiance. C’est sûr que le 22 juin, je ne pense pas que je serai à 100%, mais je ne serai pas loin.

@MxJuly

Un mot sur les grands prix. L’an dernier, tu avais roulé sur le Grand Prix de France. Malheureusement, tu t’étais blessé dans cette descente qui avait aussi coûté le titre à Jago. Jago s’est blessé en Argentine, Van Doninck aussi, Fernandez, Forato … Everts et Roan n’étaient même pas là. Pancar et Herlings ont dit que le tracé Argentin était dangereux. Braceras a fait un retour éclair alors qu’il s’est blessé aux vertèbres. Est-ce que finalement, on ne se dit pas qu’on est en train de trop repousser les limites et qu’il faudrait rétropédaler un peu à l’image du Supercross US ? Ils font des whoops plus simples, des séries moins longues, ils suppriment des obstacles et compagnie. Pour qu’il y ait de la compétition, il faut aussi faire en sorte que les mecs soient là …

Ah ! Je me bats pour ça, et c’est ce que j’essaye de dire en France depuis quelques mois maintenant. Ça tombe bien que tu me poses cette question parce que moi, je n’ai pas ma langue dans ma poche et ça commence à me gonfler cette histoire. En SX Tour, on veut nous comparer à des Américains, donc on fait des enchaînements plus gros avec des whoops plus gros. Ok, pourquoi pas, ça créé un peu d’écart mais on est Français, pas Américains ! On roule dans des stades comme Grenoble et Lyon, on n’est pas à Anaheim ou San Diego. À un moment donné, il faut un peu remettre les pieds sur terre et le problème, c’est que quand on a des pistes compliquées sur les épreuves, on se fait des pistes plus dures à l’entraînement.

Je peux te dire que la piste que j’ai à la maison, il faut venir y poser ses couilles dessus, vraiment. Je peux te dire que j’en ai des frissons parfois quand je vois ce que j’envoie. Si je me loupe, c’est la mort qui me prend au nez. Je suis sérieux, je ne cache rien. C’est mon avis, mais aussi celui de nombreux pilotes.

Le problème, c’est qu’on en revient à notre interview de la dernière fois. On nous prend pour des pilotes chiants qui ne font que de se plaindre. Sauf que nous, on prend des risques. On est là à amener du public, on fait du spectacle, on joue quand même notre vie sur une finale de 9 minutes à Lyon, à sortir du départ et à rentrer dans des whoops qu’on ne peut même pas enrouler.

Ce weekend, on a vu un truc mythique. Il y a eu l’épreuve de Birmingham aux US, il n’y avait pas de whoops. Les résultats sont les mêmes: les pilotes devant sont les mêmes, les pilotes au milieu sont les mêmes et les pilotes de fin de classement sont les mêmes. Je ne vois pas pourquoi on devrait s’envoyer à la mort alors que les résultats, que ce soit une piste un peu plus facile ou une piste un peu plus dure, sont toujours les mêmes.

Pour répondre encore à ta question, c’est pareil en MXGP. Pour moi, le programme est très bien mais cette manche qualificative est en trop. La manche qualif’, c’est un départ supplémentaire. Il y a des points maintenant, donc il faut partir devant, prendre des risques pour aller chercher ces points.

Si on regarde la saison de Prado l’année dernière… Je ne vais pas dire qu’il a été champion du monde grâce au manche qualif’ parce qu’elles ne représentent pas non plus énormément de points, mais ça a été lui le plus régulier. Si Febvre ne se blesse pas, son titre, il ne le décroche probablement pas. Les deux manches principales du dimanche, c’est normal. Par contre la veille, tu fais une grosse séance d’essais, une grosse séance de chronos, et c’est suffisant. Supprimer la manche qualificative, ça éviterait des blessures.

Pour revenir sur le SX Tour, quand tu vois Josh Hill qui dit que les whoops de Clermont sont encore plus dangereux qu’aux USA … À un moment donné, on est en France, on est des pilotes français, on a un super niveau, les pilotes français mettent grave du gaz. Quand tu vois ce que Bourdon fait aux US, c’est chapeaux à lui putain. Mettez nous en valeur quoi ! La fédération dit qu’on se plaint, qu’on part à l’étranger, que ci, que ça … Ça tue le sport, et beaucoup de choses. Moi je prends énormément de plaisir à faire de la moto mais très sincèrement l’été dernier, aller sur les pistes du SX Tour c’était l’angoisse, alors que je sais faire de la moto …

Quand tu vois qu’ils sont 20 pilotes engagés sur l’Elite MX1, ça t’inspire quoi ?

À l’Elite de Lacapelle, il devait y avoir 12 pilotes de GP. Moi, ça ne me dérange pas qu’ils viennent, j’adore. Ça fait de la bagarre, ça te met en avant. Par contre toi, si tu arrives a faire dixième de la journée en roulant comme un dingue, tu vas prendre une paye pourrie et là, tu apprends que ces pilotes de GP ont des primes de déplacement. Même s’ils ont besoin de faire des courses de préparation, ils savent qu’ils peuvent demander une prime de départ, et ils savent que les clubs sont friands de ça parce qu’ils font leur pub en amont grâce aux têtes d’affiche.

Tu m’étonnes que là, pour les prochaines courses, il y a 18 pilotes MX1 ou quelque chose du genre. Je ne regarde même pas parce que ça ne m’attire plus. On fait des courses parce qu’on a des partenaires français, parce qu’on est des compétiteurs, parce qu’on y va au mérite. L’an dernier, j’étais le seul pilote privé dans le top 10, j’arrivais à partir devant, à me battre dans les 5; j’étais fier de ça. En France, on est bons en Motocross ! On est presque le pays qui aligne le plus de pilotes en championnat du monde, mais ça fait chier de se battre pour des cacahuètes, très franchement.

Après, ces pilotes de GP ont tout à fait le droit de venir sur ces courses. Des gars comme Renaux, etc, ils ont élevé le championnat de France à l’époque. Qu’ils prennent une prime de déplacement OK, mais peut-être qu’on pourrait ne pas leur attribuer des points le soir, et garder la paye pour les autres ? Une victoire de manche sur l’Elite c’est quoi, 1.100€ en 450 ? Si le mec prend déjà 5.000€ de déplacement, enlève le du classement et laisse nous les payes ? Si on a fait 10ème et premier pilote Elite, laisse nous prendre notre paye et on sera content.

Concrètement, et dans l’imaginaire, si tu décidais de te déplacer à Basly ce week-end, ça te coûterait combien ?

Compte 120€ d’engagement. J’habite à côté de Genève donc j’ai 1.800 kilomètres aller -retour. Avec le gasoil, compte deux pleins à 160€ ou 180€ par plein. On est en classe deux avec le camping-car, donc si on veut arrondir, il doit y avoir 200€ de péage. J’ai déjà mis plus de 700€ que je n’ai pas encore roulé. De là, tu rajoutes l’essence de la moto, la nourriture parce qu’il faut bien manger, et tous les à-côtés … Si tu veux savoir, mon meilleur résultat sur l’Elite en 2023, c’était un 2-6 à Castelnau-de-Levis. Je suis reparti avec 1.100€. De quoi me payer un petit McDo en rentrant quoi, un menu Happy Meal. On doit se débrouiller, heureusement qu’on est débrouillards. Et puis si la météo est merdique, tu roules dans 3 mètres de merde. Tu rentres et tu as pété les garde-boue, plié un radiateur, et tu dépenses de l’argent pour refaire ta moto. C’est une réalité.

Ce projet SX Tour 2026, avec un championnat Junior cette année et potentiellement un championnat 85 dès 2025, ça va dans la bonne direction ?

Ça ne m’inspire que du bon, personnellement. J’ai suivi mon beau-frère sur le championnat anglais cet hiver; ma sœur y était. C’est juste incroyable. La piste est un peu plus facile que chez nous mais au moins, il y a un show pour les 50cc, les 65cc, les 85cc, les 125cc. Tout le monde roule et ça rentre facilement dans le programme de la soirée.

Pour moi, il faut faire rêver la jeunesse. Aujourd’hui quand les petits viennent sur des courses de Supercross, leur rêve, c’est d’être dans le stade. C’est de rouler devant le public, c’est de se faire plaisir donc pour moi, c’est très bien qu’ils mettent ça en place et c’est même primordial.

Imagine, tu es un petit en 85cc, dans le même paddock que Soubeyras et Aranda. Moi, j’ai été petit ! J’ai même eu un maillot de Desprey accroché dans ma chambre ! On a été gamins, on sait ce que c’est, il faut arriver à redonner ce bagou-là au jeune. Faire en sorte que les pilotes soient accessible aux jeunes, qu’ils puissent venir te voir, te parler, te poser des questions. Tu les inspires, ils sont contents, et ce sont ces jeunes qui vont te remplacer plus tard.

Ça résoudra peut-être ce que tu pointais du doigt plus haut, en parlant des obstacles de plus en plus gros. Pour faire rouler des 85cc, il faudra aussi adapter les pistes ?

La réalité, c’est qu’il y a trois mecs qui sont capables de prendre des whoops correctement et après, ça devient n’importe quoi. Encore une fois, je n’ai pas envie de passer pour le pilote qui se plaint, je veux juste être réaliste.

En 2022 à Lyon, c’était un carnage complet dans les whoops. On m’a dit “on fait les mêmes qu’au Supercross de Paris” et on m’a regardé droit dans les yeux en me disant “On n’est pas à Milan ici”. Tout ça parce que j’étais à Milan une semaine plus tôt, et qu’il y avait des petits whoops. Merci pour la réflexion à la c*n. On est à Lyon, et on nous parle du Supercross de Paris, sérieusement ?

Toujours est-il qu’en 2023, les whoops du Supercross de Paris étaient plus petits que par le passé, même s’ils restaient costauds. Si tu regardes bien, nos pilotes Français étaient bien plus proches des Américains … On a un très bon niveau en France, on est capables de détrôner des Américains. Regarde un Aranda qui peut claquer une superpole devant Jett Lawrence, regarde un Bourdon qui peut doubler Vialle – qui a de l’expérience aux US- dans les whoops. Ce genre de courses, c’est plus joli, ça met en valeur nos pilotes… Il y a deux ans, nos pilotes Français ont pris un tour au SX de Paris. C’est juste ridicule, et il en va aussi de la sécurité de tout le monde.

J’ai une vidéo d’un pilote du SX Tour qui fait deuxième de la demi-finale SX2 à Clermont. Il a enroulé les whoops à tous les tours. J’ai pris cette vidéo car ça m’a choqué et je me suis dit qu’un jour, il faudrait que le sujet ressorte sur la table.

Tu sais, j’ai discuté avec Tom Vialle. Oui, il me disait que c’était plus gros aux US, plus dur, les enchaînements sont plus difficiles, plus pointus. Ce qu’il faut comprendre c’est que nous, on est en France, on n’a pas des stades aussi gros, il ne faut pas chercher à se mesurer à eux. Il faut nous mettre en avant, et nous écouter un peu plus pour faire des pistes plus adéquates. L’année dernière, ils sont partis en cacahuète, très clairement.

Jimmy Clochet “une revanche sur la vie, et sur les gens qui n’ont pas voulu m’opérer”
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