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Marc de Reuver “Les pilotes ne font pas plus aujourd’hui que ce qu’on faisait à l’époque”


Ils sont une poignée d’entraîneurs de renom à arpenter les épreuves du championnat du monde et parmi eux, un certain Marc de Reuver. Ex pilote de GP à la carrière un poil rock’n’roll, Marc de Reuver a tourné la page des compétitions depuis une décennie, mais ce dernier est resté impliqué dans le milieu, et a notamment amené Pauls Jonass au titre mondial en 2017. Marc entraîne désormais les effectifs de l’équipe F&H Kawasaki et ce, depuis 6 saisons déjà. Cette année, ce sont David Braceras et Kevin Horgmo qui évoluent sous l’égide de l’ex vainqueur de grand prix en provenance des Pays-Bas. Bref; on s’est entretenu avec Marc de Reuver à Maggiora; micro.

Marc, quel bilan fait-on des performances de Kevin Horgmo et David Braceras  cette saison ?

Évidemment, Kevin est plus expérimenté que David, il est plus âgé et il a aussi plus de saisons en championnat du monde à son actif. Techniquement, Kévin est aussi meilleur que David mais ceci dit, David a un gros cœur car il sort de l’Europe 250 sur lequel il était 8e ou 9e l’an dernier. Désormais, il arrive à intégrer le top 10 du championnat du monde MX2 donc on fait du bon travail avec David. Concernant Kévin, j’ai envie de dire “enfin” avec sa victoire en Turquie; ça aura pris un peu trop de temps à mon goût mais comme on dit, mieux vaut tard que Jamais.

Si on les prends au cas par cas, comment Kevin et David pourraient s’améliorer, selon toi ?

Concernant Kévin, je n’ai pas grand-chose à dire. Il n’a pas fait beaucoup d’erreurs à Maggiora [le samedi]… Enfin, vu comment était le terrain, il n’en a pas trop fait. David a besoin d’un petit switch mental, c’est dans sa tête. Avant même d’arriver ici, il était du genre à se dire qu’il n’était pas bon dans la boue, et quand tu te dis ça, inévitablement tu n’es pas bon dans la boue. On a appliqué une stratégie différente le dimanche, dès les warm up.

8ème de l’Europe 250 l’an dernier, David Braceras effectue sa première saison sur le mondial MX2 cette année; il intègre régulièrement le top 10 de manche en cette seconde moitié de saison.

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Tu as parlé du mental de David. On parle beaucoup de physique, de technique, de moto, mais l’aspect mental représente aussi beaucoup dans ce sport. C’est quelque chose que tu partages et sur lequel tu travailles avec tes pilotes ?

Pour moi, le mental, ça fait tout… Ah… Je pourrais t’en parler pendant des semaines. C’est le plus difficile en tant qu’entraîneur car tu peux aller à l’entraînement a pendant la semaine, faire tes séances, bien rouler, mais être un bon entraîneur c’est surtout l’être dans les moments difficiles pour permettre à ton pilote de rebondir. Bien sûr, tout le monde ne fonctionne pas de la même façon et ça rend les choses plus difficiles parce que si on était tous pareils, il suffirait de tous appliquer la même chose et ça deviendrait tout de suite très simple. David a un gros cœur, il est moins technique que Kévin mais il est mon confiant que lui. Kévin est un garçon qui réfléchit beaucoup sur la moto, David beaucoup moins et c’est aussi pourquoi il lui arrive de faire des erreurs stupides.

Kévin a gagné sa première manche qualificative cette année, la première victoire de manche a suivi en Turquie. Il semble être à son top mais malheureusement, il a 23 ans et il devra passer en MXGP l’an prochain. Que penses-tu de cette règle d’âge en MX2 ?

Je ne l’aime pas. Ils ont mis l’âge maximal de l’Europe 250 a 21 ans pour remplir les grilles du MX2 mais selon moi, ça n’a pas fonctionné car si l’on regarde rien qu’en Suède, il n’y avait pas grand monde derrière les grilles. De là, on voit qu’il y a aussi moins de pilotes sur l’Europe 250 à cause de cette fameuse limite d’âge revue à 21 ans. Tout le monde n’a pas le même talent. Selon moi, il faut remettre l’âge limite de l’Europe 250 à 23 ans pour avoir des grilles pleines, et remonter l’âge du MX2 à 25 ans. Ça n’arrivera pas de toute façon, mais bon …

Question. Est-ce qu’on s’entraîne de la même façon aujourd’hui que vous vous entrainiez il y a 15 ans ?

Tu sais, on avait des manches de 40 minutes et deux tours, on avait des essais libres de 40 minutes, deux séances comme ça. Puis ensuite on faisait des essais qualificatifs de 40 minutes. De là, encore un warm-up de 40 minutes et deux manches de 40’+2 tours. Les pilotes ne font pas plus aujourd’hui que ce qu’on faisait à l’époque, l’approche est juste différente. Désormais, tout est plus compacté: 25 minutes d’essais, 15 minutes de warm-up et des manches de 30 minutes. C’est juste différent.

Parfois, je laisse mes pilotes rouler 40 minutes et 2 tours mais pour eux, c’est vraiment difficile. Il y a des mecs qui sont un peu plus à l’ancienne ici, si tu prends des mecs comme Seewer ou Febvre, ils ont été élevés différemment des jeunes de nos jours. Ils ont connu Instagram mais plus tard dans leur carrière. Regarde, mon fils à 10 ans et il passe son temps sur son téléphone. Quand j’étais gamin, mes héros étaient McGyver, Rocky. Ma mère voyait ça et elle approuvait ces choses là. Aujourd’hui, mon fils est sur Tik Tok, et il voit des choses que je n’approuve pas et pour moi, c’est un gros problème dans la vie comme dans le sport. Je me fous de ce que les gens peuvent dire mais mon garçon, s’il va sur Tik Tok, il peut voir un garçon habillé en fille et c’est normal pour tout le monde; mais pas pour moi. Ensuite il va à l’école, il montre ce garçon habillé en fille à sa maîtresse et pour elle, c’est normal… Mais ça ne l’est toujours pas pour moi. Là où je veux en venir, c’est qu’aujourd’hui, tout est différent d’avant. Moi, je regardais McGyver, je voulais être un bonhomme, c’est différent aujourd’hui !

Pendant les manches MX2, Marc de Reuver n’est jamais bien loin …

Tu as eu une belle carrière en GP disons, il y a de ça 15 ans. On vient d’en parler, beaucoup de choses ont changé. Le championnat, l’approche, l’entraînement, les motos. Comment on fait, en tant qu’entraîneur, pour être à jour et ne pas se reposer sur des acquis trop anciens ? Est-ce que tu te demandes parfois si tu vas dans la bonne direction avec tes pilotes ?

L’avantage, c’est que j’ai connu les manches de 40 minutes, le format à manche unique et finalement le format actuel avec les manches de 30 minutes en fin de carrière. J’ai fait un peu de tout. Pour moi au début, c’était un peu dur car je pensais un peu trop en fonction de ce que moi j’avais connu en tant que pilote. Je suis un winner, je veux un winner, c’est simple. Moi, je veux gagner, tout le temps. Le problème, c’est que tout le monde n’a pas ce trait de caractère donc ce n’est pas simple. Il faut leur transmettre ça.

Peux-tu finir cette phrase pour moi: en tant qu’entraîneur, ça m’agace quand …

Quand mes pilotes abandonnent. Parfois, ils disent qu’ils n’abandonnent pas, mais je vois bien que c’est le cas.

L’erreur la plus courante que tu vois en tant qu’entraîneur ?

Ils [les pilotes] utilisent tous leur téléphone durant un week-end de course. Ils sont distraits, c’est de la folie. À l’époque, je n’étais pas sur mon téléphone même si on n’avait pas internet et qu’on pouvait seulement envoyer des SMS. Aujourd’hui, je vois qu’ils ont tous Snapchat, c’est de la folie; je ne comprends pas comment ça marche. Kévin l’utilise, il fait une photo et il la partage avec 100 personnes d’un coup; c’est beaucoup trop de distractions pour les pilotes.

J’ai lu ton livre. Ce qui en ressort, c’est que tu t’amusais beaucoup à l’époque. Tu penses que si quelqu’un faisait – aujourd’hui – ce que tu faisais à l’époque, il rencontrerait du succès ?

Bien sûr. Tout le monde pense que je ne m’entraînais pas, mais je m’entraînais à fond ! C’est clair qu’on peut dire que je me suis bien plus amusé à côté de la moto que beaucoup de ces pilotes ne s’amusent aujourd’hui mais j’étais aussi très proche de mon public et j’aimais ça. Il y a une part de talent aussi … J’étais talentueux et quand j’avais 25 ou 26 ans, tout était et semblait vraiment simple pour moi. Si j’avais 25 ans aujourd’hui et que j’appliquais ce que je faisais à l’époque, je signerais de meilleurs résultats aujourd’hui !

Les pilotes d’aujourd’hui, ils ne sont pas aussi durs qu’avant. C’est la vérité. Mon père m’a toujours dit, et il continue de me dire que je suis une femmelette. Quand je vois les mecs d’aujourd’hui, je me dis que finalement à l’époque, j’étais un gros dur. Jusqu’à mes 23 ans, tout ce que je connaissais et tout ce que je voulais c’était savoir où était ma moto, et sur quel terrain on allait rouler. Aujourd’hui, entre la moto et le terrain, il y a énormément de distractions et de choses dans la vie des pilotes, c’est la folie.

Regarde Antonio Cairoli, il a gagné une course en Belgique au guidon de sa 250. Comment c’est possible ?

Tu pourrais battre tes propres pilotes aujourd’hui ?

Non, pas aujourd’hui car je suis carrément hors du coup mais si je suis Liam Everts et que je vois Cairoli derrière la grille de départ, c’est soit je gagne, soit je meurs en essayant de gagner. C’est ce qu’ils devraient se dire. Lors de mes beaux jours en MX2, ça aurait été inconcevable pour moi de me faire battre par un mec qui aurait repris la moto après un an d’arrêt, et peu importe le nom de ce pilote.

On parle quand même de Cairoli.

Oui, bien sûr, mais je sais ce que c’est de ne pas rouler ne serait-ce que pendant un an et à ce niveau-là, c’est énorme.

Marc de Reuver coach les pilotes de l’équipe F&H Kawasaki depuis la saison 2018. Il était présent à l’international de Sommières à l’intersaison, avec Kevin Horgmo & David Braceras @F&H

De ton expérience, comment on améliore le mondial MXGP ?

Pour moi, la limite d’âge n’est pas bonne. Il faudrait remonter l’âge limite du MX2 de 23 à 25 ans, ça aiderait à remplir les grilles, ça leur ferait plus d’argent avec les engagements, et je pense qu’il y aurait aussi de plus belles courses. Le problème, c’est que tout le monde n’est pas fait pour rouler en 450 à cet âge-là. Jorge Prado avait 18 ou 19 ans quand il est monté, d’accord, mais d’autres pilotes ont besoin de plus de temps que ça et il faut leur donner ce temps. Pour le reste, je trouve qu’ils font du bon boulot. J’aime le fait qu’on aille en Indonésie alors que les gens n’aiment généralement pas ça. Ces terrains sont top, vraiment. C’est un championnat du monde, pas un championnat d’Europe. L’Argentine par exemple, c’est un super beau tracé.

On doit vraiment aller à Lombok pour les faire rouler sur une ancienne piste d’aéroport ?

Mais c’est un super circuit ! Je sais que les gens râlent, parce que c’est cher d’y aller et tout ça, mais ce n’est pas mon problème. Peu importe où on doit aller, on ira, que ce soit en Afrique du sud ou en Australie. C’est un championnat du monde et il faut garder ça en tête. Lombok, je crois que ce sera au calendrier pendant encore longtemps. J’aimerais bien qu’on dispute un GP au Japon par exemple, pas seulement pour dire qu’on y est allés, mais aussi pour pouvoir rouler contre les pilotes locaux sur place. En Australie aussi ce serait top. Peut-être à l’avenir.

On entend dire que tu pourrais entraîner une fille l’an prochain. Un commentaire ?

Pour l’heure, je n’entraîne aucune fille. À l’heure actuelle, là, non.

Et si je te demande demain ?

Demain ? Ah demain, ça peut changer [rires].

[NDLR: il se murmure qu’une certaine Courtney Duncan pourrait changer de crèmerie, et rejoindre F&H Kawasaki en 2024].

Marc de Reuver s’épanouit depuis quelques années dans son rôle d’entraîneur au sein de l’équipe F&H Kawasaki

Marc de Reuver “Les pilotes ne font pas plus aujourd’hui que ce qu’on faisait à l’époque”
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