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Sans détours – Sulivan Jaulin

Sans détours – Sulivan Jaulin

Sulivan Jaulin a connu une carrière pour le moins atypique. À son actif, des victoires sur les championnats Européens à l’adolescence, une pige en mondial avec Honda HRC, une victoire à Genève sur la Kawasaki Pro Circuit, des années d’exil en République Tchèque et de nombreux titres nationaux; le pilote Français a tout connu, ou presque. Un CV long comme le bras, des expériences inédites, et des histoires à la pelle. Sulivan ayant annoncé son retrait des compétitions au terme de la saison 2021; on en a profité pour lui passer un coup de fil pour un entretien, sans détours. Un garçon “what could have been”.

Sulivan Jaulin: “Après ma dernière blessure, le Covid est arrivé et je ne savais pas trop quoi faire. J’ai senti que c’était la fin pour moi. J’avais été bien payé en République Tchèque, j’avais un peu d’argent de côté et je me suis dit qu’il allait falloir que je trouve quelque chose à faire de ma  vie. Ma femme travaillait, donc financièrement on n’était pas en danger, mais du jour au lendemain, j’étais sans salaire. En 2018 et 2019, j’ai roulé sans salaire fixe, en étant payé au résultat, un peu comme dans tous les teams Français. Pas de résultats, pas d’argent. Je vais te raconter un peu mon parcours.

On remonte à fin 2011, j’avais connu une année difficile sur l’Europe 250, j’étais encore soutenu par mes parents à l’époque. Je n’avais pas bien roulé, je n’avais pas fait de résultats. Mon père m’avait dit qu’il ne pouvait plus me financer mes saisons. En clair, c’était fini et je devais aller bosser avec lui. Ce que j’ai fait pendant un mois avant de me dire “il faut que je m’en sorte”. Je suis allé en Allemagne tenter ma chance, ça s’est bien passé, et je suis resté avec l’équipe Pfeil Kawasaki. J’étais avec Boris Maillard et Dominique Thury en 250. Au bout de deux saisons, on devait tous monter en 450 en même temps, et ça aurait donc fait 6 pilotes 450 chez Pfeil Kawasaki. Au final, le boss m’a dit que le budget ne lui permettait pas de me garder. J’avais mené le championnat de Motocross, je m’étais fait la clavicule et Boris avait gagné le titre, et Pfeil le gardait lui, ainsi que le pilote Allemand, Dominique Thury. Kawasaki Allemagne ne voulait pas donner de budget pour moi. Là, pour remettre l’histoire dans le contexte, on est en 2013, et en fin d’année, je vais finir par rouler sur la Kawasaki Pro Circuit à Genève.

Lire: Une course, une histoire – Sulivan Jaulin

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J’ai gagné Genève et après, ça avait beaucoup parlé, en plus j’avais gagné le championnat de Supercross Allemand en 250. Finalement le boss de chez Pfeil est revenu me voir pour me dire qu’il voulait me garder, mais moi, j’avais déjà pris contact avec un team en République Tchèque – Buksa Ados KTM – que je connaissais grâce à Florent Richier car il roulait là-bas à l’époque. On avait fait quelques courses en Tchéquie cette année-là grâce à un sponsor de l’équipe Pfeil Kawasaki, avec Boris Maillard, et je savais que Florent était payé – comme un salarié – pour rouler en République Tchèque. Nous, en allemagne, on était payé aux résultats. J’avais passé un coup de fil à Florent pour lui dire que je cherchais une équipe. L’équipe de Florent n’était pas vraiment intéressée, car étant blessé, je n’avais pas super bien roulé lors des courses en République Tchèque, mais Florent a parlé en ma faveur. “Il a du talent, vous n’allez pas le regretter, signez-le”.

La période Pfeil Kawasaki

Ça faisait une semaine que j’avais gagné à Genève, et au moment où je serre la main du team-manager de l’équipe Buksa Ados KTM pour officialiser ma signature en République Tchèque, je reçois un appel de Jon Primo qui me dit “Blake Baggett s’est fait mal, appelle Mitch Payton et dit lui que tu veux venir rouler aux US”. J’ai appelé Mitch Payton en tremblant, j’étais avec Florent Richier qui me poussait “S’il te dit oui, tu te barres aux USA”. Payton ne m’a jamais répondu …

Il m’avait envoyé un message après ma victoire à Genève pour me féliciter et me remercier d’avoir représenté Pro Circuit, mais là, deux appels, un message, et aucun retour. Plus tard, j’ai fini par rencontrer Tyler Bowers – qui a roulé pour Pro Circuit – et qui m’a expliqué que Mitch Payton, il fallait le harceler pour rouler pour lui. Moi, je ne le savais pas, je n’avais pas insisté plus que ça. Du coup, je suis parti en République Tchèque.

Nous voilà donc en 2014 en République Tchèque. Cette année-là, j’ai quasiment tout gagné là-bas et j’ai également remplacé Benoit Paturel sur l’Europe 250 chez Bud Racing. En Europe, dès que je suis arrivé, j’ai gagné également. Pour l’anecdote, j’ai roulé une heure avec la Kawasaki de l’équipe Bud Racing avant l’épreuve de l’Europe en Espagne à Talavera, épreuve que j’ai gagnée. Je venais de débarquer de la Tchéquie où il faisait 0 degré et arrivé à Hossegor il faisait 25 degrés. Je me suis entraîné l’après-midi avec Jacky Vimond et je transpirais comme un dingue, je ne voulais pas rouler car il faisait trop chaud [rires]. Et me voilà à débarquer sur le championnat d’Europe.

Sulivan remporte 3 manches sur l’Europe 250 en 2014.

Pour la petite histoire, j’ai roulé pendant 5 ans pour un team en République Tchèque, et le team m’autorisait à rouler ailleurs s’il n’y avait pas de concurrence de date. Du coup, chaque saison, je me cherchais un team en Allemagne pour faire les courses à côté, et faire des sous en plus; par exemple, j’étais sur KTM en République Tchèque, et Kawasaki en Allemagne [rires]. La première année (2014) – ma meilleure année financièrement parlant – c’est l’année où j’ai remplacé Benoit Paturel chez Bud Racing. Pour te dire, je roulais avec une 350 KTM à l’entraînement pendant l’hiver, je faisais les courses en République Tchèque avec une 250 KTM, je roulais en Allemagne pour Pfeil en 450 KXF, et après Bud m’a appelé et j’ai fait l’Europe en 250KXF [rires].

En République Tchèque, j’étais payé avec un salaire fixe, et si j’étais champion, j’avais une belle prime. En gros, j’étais payé sur 12 mois. L’hiver, pendant les SX en Allemagne, j’étais toujours payé par mon team en Tchéquie et je ramassais des primes sur les épreuves Européennes. Une fois, j’avais discuté avec un très bon pilote Français bien connu et plusieurs fois titré. Lui, il était payé moins par son team, mais il faisait son argent grâce à ses sponsors et ses résultats. Moi, c’était juste le team qui me payait – et bien – mais vu que je roulais à l’étranger, je n’avais pas de sponsors personnels.

Donc voilà; à l’époque, ma copine bossait de son côté. Je lui ai dit “En France, on ne me payera jamais, je gagne bien ma vie en République Tchèque, viens avec moi”. Du coup, j’ai habité chez mes beaux-parents pendant 3 ans en Allemagne [rires]. On faisait les aller-retour, l’hiver chez mes parents, et l’été chez mes beaux-parents. Elle a arrêté de bosser pour me suivre à l’entraînement, m’accompagner sur les épreuves, m’aider sur les courses. Ça a duré un peu plus de 5 ans; on s’est marié l’été dernier.

Sur le championnat de Supercross Allemand, avec Suzuki, en 2015

Il y a aussi eu l’opportunité de rouler sur un grand prix sur la moto du team Honda HRC. Retour en arrière. En 2008, Yves Demaria s’occupait de Charlier et Bellino sur l’Europe. J’étais allé sur une course avec Yves pour rencontrer Giacomo Gariboldi, et on avait essayé de faire quelque chose pour rouler sur l’Europe 125, car on savait que le championnat allait être créé. En 2009, l’Europe 125 n’a pas été créé, et ça s’est fait en 2010 [Sulivan termine vice-champion cette année-là]. Giacomo avait demandé à Yamaha Japon s’ils pouvaient avoir un budget pour un pilote sur l’Europe 125 – pour moi en 2010 – et ça ne s’était pas fait. Giacomo me connaît depuis cette période-là.

Quelques années plus tard, nous voilà début janvier 2015. Giacomo Gariboldi m’a appelé alors que je venais de me faire opérer de l’épaule, j’avais subi une greffe de peau après une chute au Supercross de Munich. J’avais chuté et ma moto était restée accélérée à fond, avec la roue arrière sur mon omoplate… Imagine les dégâts.

Chez Honda HRC, Jorge Zaragoza était blessé, et Giacomo Gariboldi cherchait un remplaçant pour les 6 premiers GP de la saison en MX2 et me proposait le guidon. “Si tu roules bien, on te garde toute l’année”. La semaine d’après, il fallait que je fasse du testing avec les Japonais de chez Honda. J’étais chaud, mais je n’avais pas le droit de transpirer pendant 1 mois suite à ma greffe de peau, sinon ça pouvait poser des problèmes. “Giacomo, je ne peux pas, ce n’est pas possible pour moi”. Il était désolé pour moi, ça tombait mal. Je n’ai pas roulé pendant 5 semaines suite à cette greffe, j’ai recommencé à rouler sur le championnat d’Allemagne, puis il m’a rappelé plus tard, car l’offre tenait toujours. “Tu peux faire Valkenswaard et Arco Di Trento avec nous, tu viens tester la moto et si ça te va, on fait 2 GP ensemble”. Ça faisait 3 semaines que j’avais repris la moto, j’étais à la rue physiquement, j’étais mauvais dans le sable et il voulait me faire rouler à Valkenswaard. “On va y aller pour faire des châteaux de sable, ça ne sert à rien que je vienne à Valkenswaard”. Au final, je suis descendu en Italie pour essayer la moto pour préparer Arco Di Trento avant de remonter en Allemagne continuer ma saison. Giacomo m’a rappelé car les Japonais voulaient venir me voir à l’entraînement sur la Honda HRC, pour valider ma participation. Si je n’y retournais pas, je ne pouvais pas faire le GP d’Italie. J’y suis retourné, quelques jours avant Arco.

Il y avait Gautier Paulin chez HRC avec Bobryshev et Gajser, et on a fait une journée de testing en présence des Japonais. Pour la petite anecdote, je roulais Suzuki en Allemagne à l’époque. En arrivant sur le terrain pour le testing, je descends du camion, et j’enfile mon maillot Suzuki, je n’avais que ça. Le mécanicien me regarde avec des gros yeux “Mais, qu’est-ce que tu branles ? T’es un grand malade ? Tu veux mourir ?” Il a pris un gros morceau de scotch, et il a caché le nom de Suzuki. “Tu fais un test avec les Japonais de Honda HRC, avec un maillot Suzuki ?” [rires].

Une pige en mondial MX2 avec la Factory Honda, en Avril 2015

Donc voilà, j’ai roulé sur le GP d’Arco Di Trento (20-19). Tim gagnait son premier GP de carrière ce week-end là face à Jeffrey Herlings. Jorge Zaragoza avait déjà repris l’entraînement suite à sa blessure, et prévoyait de revenir dès le GP suivant, donc ça n’a pas donné suite pour moi et je n’ai fait qu’une course en tant qu’officiel Honda HRC. Sans cette blessure pendant l’hiver, j’aurais pu faire 6 GP, et qui sait ce que ça aurait donné si ça c’était bien passé. Il faut savoir que pour cette année-là (2015) Marchetti KTM m’avait proposé de rouler pour eux, mais ils voulaient que je paye 25.000€ pour une saison de mondial – et seulement pour disputer les épreuves Européennes. Je gagnais les manches de l’Europe 250 en 2014, et je devais raquer l’année suivante. Genial. Ils me disaient “Tu auras un appartement gratuit en Italie, on te paye les frais, mais il faut que tu ramènes 25.000€”. J’etais bien payé pour rouler en République-Tchèque donc je ne voyais pas pourquoi j’allais faire payer ma famille à ma place, sans garantie d’avoir une guidon plus tard et de pouvoir ensuite gagner ma vie.

Avance rapide. Nous voilà avec Raths Motorsports – mon dernier team en 2018/2019. Le propriétaire de l’équipe n’était pas aidé par un concessionnaire, et la dernière année, ils n’avaient pas de budget pour me payer les motos. On a trouvé un accord avec un sponsor, qui a financé mes motos. À la fin de l’année, l’équipe a revendu les motos pour que le sponsor perde le moins d’argent possible. Avec l’arrivée du Covid-19 en 2020, le sponsor n’était pas certain de pouvoir continuer à m’aider, il ne savait même pas si son entreprise allait pouvoir perdurer. Raths Motorsport ne pouvait pas m’aider non plus, deux 450 ça coûte 20.000€ aujourd’hui.

J’ai décidé d’arrêter là, ça ne valait pas le coup pour deux épreuves et heureusement, car il n’y a pas eu de Supercross en Allemagne, et que très peu en France … J’ai arrêté, et avec les blessures, je ne pouvais pas bosser. J’ai pu reprendre le travail en avril 2021, avec mon préparateur suspensions que j’ai rencontré en Allemagne. Il cherchait quelqu’un pour bosser, j’avais partagé son offre d’emploi sur mes réseaux sociaux et ma copine m’a dit “Beh, tu ne bosses pas, pourquoi tu ne lui demande pas de travailler avec lui ?”. Elle rentrait à la maison, me voyait devant la playstation, ça lui foutait les boules, et moi aussi [rires]. Je me suis proposé de l’aider, et j’y travaille depuis.

Une fin de carrière avec Raths Motorsports

Si j’ai décidé d’arrêter pour de bon, c’est pour des raisons financières. Par rapport aux risques qu’on prend en roulant, on est payé des misères. En Allemagne, si tu ne gagnes pas les deux manches chaque week-end, ça ne sert à rien de rouler. Exemple: un team Allemand va te filer une moto d’entraînement et une moto de course pour ta saison, si tu as de la chance il va te payer tout le matériel et tu vas rouler gratos, mais il te faudra payer ton essence, tes entraînements, et il faudra t’entraîner au moins 4/5 fois semaine pendant l’hiver… Tu dois sortir 500€ de frais pour t’entraîner par semaine à l’intersaison. Tu gagnes les deux manches de l’ADAC Masters, tu prends 2.000€ de souvenir. Le team va te filer 500€ de prime si tu as de la chance, et tu auras pris 2500€; pas mal pour un week-end, non ? Sauf que le covid est arrivé, et la première année, ils ont fait 2 épreuves. Les mecs se sont entraînés tout l’hiver pour qu’on leur dise que c’était annulé, tout le monde s’est arrêté deux mois, et finalement on leur à dit “ça reprend” Ils ont repris l’entraînement … pour deux courses. Tu te loupes sur l’épreuve, tu fais 300€ sur le week-end, et c’est plié. Je préfère aller travailler comme tout le monde sans prendre le moindre risque personellement. Toute ta vie tu la passes sur une moto, et du jour au lendemain, tu peux te retrouver en chaise roulante, à ne plus savoir quoi faire, et tout ça pour pas un rond.

Je n’ai aucun regret dans ma carrière. Je me souviendrais forcément de cette soirée à Genève sur la Kawasaki Pro Circuit. Je suis le dernier Français à avoir roulé sur cette moto. L’autre pilote Français avant moi, c’était Christophe Pourcel.

Avec la Kawasaki Pro Circuit, à Genève (2013)

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